Archives de catégorie : Disque sur disque

680. Led Zeppelin, House of the Holy, 1973 | BV

 


 

Toujours le hasard qui nous porte, dans la même période, de grand monstre en grand monstre.

Avouons-le tout net : je ne nourris pas une passion insensée pour Led Zep. Je pense que c’est l’un des groupe les plus surévalués du rock, collectivement, ses membres pris individuellement se défendant dans leur domaine respectif. Je trouve en particulier John Bonham pénible à écouter sur la distance. Je trouve en général qu’au-delà de leurs qualités de musiciens, il y a une espèce de lourdeur qui n’est pas la maladresse du punk (car en effet, au contraire, ils sont adroits), mais précisément cet embryon de métal, à savoir une espèce de naturalisme forcené. Voilà : Page joue les notes qu’il joue, Jones arrange ce qu’il doit arranger et Plant chante ; il n’y a pas beaucoup d’espace à la fantaisie (contrairement à ce qu’il se passe chez les Who par exemple, doués des mêmes qualités et défauts, mais beaucoup plus… “frais”).

Bon, ceci étant posé, dans ma délirante revue des mille disques, quand Led Zep est passé sur le grill-platine, les résultats étaient conformes à mes impressions initiales : le quatrième disque, le “meilleur”, est 361e, le II 383e, le troisième 534e, Physical graffiti (qui est très lié à celui-ci)… 791e !

Quel est ce disque ? Âprement discuté par les critiques qui lui reprochent son décalage avec la première période, le manque de titre frappant et l’éparpillement hors du champ de lourd métal, ce sont précisément ces raisons, très certainement, qui le distinguent en qualité des autres albums… À dire la vérité, ça ne commence pas très très fort, mais on peut considérer que The song remains the same, espèce de compte-rendu et de point de la situation, fait la transition entre une première mouture du groupe et cette nouvelle ère qui s’ouvre après le IV. Et la seconde chanson montre cette voie nouvelle, car, pour s’identifier à l’univers, mettons, de Stairway to heaven, le gimmick de The rain song tâche d’expliquer la nouvelle formule.

Or si Dancing days offre un paysage sonore prometteur (et serré, et tenu, et sérieux), le sympathique Over the hills and far away n’amène rien de très nouveau sous le petit soleil de la lande à éricacées.

Mais surtout, surtout, les deux tentatives d’excursion en territoire étranger (donc en danger), le funk (?) pour The crunge, et le reggae (???) pour D’yer Mak’er sont des éclatades notoires : ni le son, ni la voix ne conviennent à ces exotismes (encore que les tentatives de clavier et que le ton de Plant pourraient inventer un truc original), mais surtout la batterie est hors-sujet total. Ça ne va pas, la frappe est trop lourde, les tentatives de syncopes sont téléphonées, les roulements grossiers… C’en est presque embarrassant (surtout si on se rappelle le traitement initial par les blancs du reggae de Paul Simon)…

En guise de conclusion, The ocean, qui est typiquement zeppelinien, finit par nous faire douter d’une quelconque possibilité d’évolution esthétique…

 

 

1005. Why?, Elephant eyelash, 2005 | BV

 


 

Le premier morceau Crushed bones évoque sans ambages la première époque de Why?, un rap conscient, poli, articulé et aigu, dont l’enveloppe musicale détonnait sans jurer sur l’engagement parolier. Mais les morceaux suivants montrent des ambitions qui étrangement ramènent le disque vers une pop et un rock beaucoup plus conventionnels, sans toutefois, peut-être, avoir les épaules suffisantes pour sortir du diy. S’ensuivent des chansons qui ne sont certes pas désagréables, mais l’ensemble n’est pas franchement intéressant, même si évidemment les mots et leurs voix sont toujours bien présents. Un peu dommage tout de même, surtout quand on a connu Why?, en collaboration avec Odd Nosdam, avec le Split ep.

 

 

952. Nico, The end…, 1974 | BV

 


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Ce n’est probablement un album à porter à une partie surprise un beau jour d’été préadolescent. Obscur, inquiétant, mais pas seulement, également inspiré et tranchant et, ce qui compte, cohérent.

Album auditionné par les fantômes, évidemment Jim Morisson (The end, bien sur, mais aussi You forget to answer…), il est aussi une fine production (arrangements de Nico elle-même) qui associe John Cale, Brian Eno et Phil Manzanera… est une vraie aventure acoustique ; incroyable Innocent and vain, We’ve got the gols). Je ne dirais pas que l’atmosphère est gothique (je ne sais pourquoi, parfois, on sent l’énergie de Björk, mais c’est peut-être le traitement de la langue qui produit cet effet), elle est plutôt bêtement… teutonne ; en outre on touche bien ici aux tendons les plus endoloris de ce que le rock prétend être : une version cool et moderne de vieux chants folkloriques plutôt autocentrés et puérils. Avec Nico, ceux-ci sont sévèrement traités, à la bonne d’ailleurs.

La présence de l’hymne national qui clôt l’album ne suggère guère d’autre issue possible…

 

 

499. Paul Simon, Paul Simon, 1972 | BV



 

Il y a quelque chose d’indécent dans la manière dont Paul Simon parvient à réaliser des choses simplement et excellemment. Un disque de folk, ce n’est pas vraiment facile à faire, le premier (ou deuxième en réalité) encore moins. Et commencer, en 1972, par un reggae enregistré directement à Kingston, c’est gonflé. Gonflé comme cette pochette avec sa tronche et ce manteau que certains pourraient qualifier de ridicule. Et pourtant rien de moins ridicule, dans ce tel qu’en la photo. Paul Simon est plein, et honnête. À ajouter qu’il joue bien et chante parfaitement, il a donc tout pour réussir.

Il y a du Nick Drake pas loin (Everything put together falls apart, Armistice day), il y a éventuellement un autre Paul dans les arrangements (Run that body down, avec Ron Carter), mais il y a surtout du Paul Simon qui, sorti de sa relation avec Art Garfunkel, démontre qu’il comptera bientôt beaucoup à New York, dans la chanson, et dans la musique populaire. Il y a plusieurs chansons célèbres (Me and Julio down by the courtyard, avec Airto Moreira, comme la pénultième citée, et sa face B, le très malin Paranoia blues), de la cuíca et des gammes dissonantes, du doggerel, et même Stéphane Grappeli. Il y de la tendresse, de l”humour, du cynisme et tout ce qui fait à peu près Simon jusqu’ici : la classe.

 

 

179. Siouxie And The Banshees, Kaleidoscope, 1980 | BV ⚫

 



 

Le hasard fait que je viens de passer un long moment avec ce disque : je sélectionne quelques disques que je laisse tourner en boucle dans l’ordi. Je le connais donc bien. Je l’ai découvert après Juju, mais il m’a davantage touché.

C’est étrange, on mélange du rock simple, du bat (de “beat”) pur, avec d’un côté du désengrenage cynique et joyeux, joyeusement cynique (Red light par exemple), et de l’autre, on projette, à l’intérieur d’une simple chambre à réson (de “résonner”), des plages de paysages laineux de steppes ou argentées comme des vagues salées, presque inquiétantes (Trophy, Desert kisses) ; on tient des choses acquises, et sévèrement (nerveuse Christine, entêtante Happy House) et on se hasarde en terre inconnue (Lunar camel, Tenant). C’est kaléidoscopique, en somme (ou en désomme — de “fractal”).

 

 

151. Jacques Brel, BREL, 1977 | BV ⚫



 

Paraphrasant Akhénaton, je dirais “Je me souviens encore mais pourtant je devais être petit” et sans évoquer Scarface, je dois avouer qu’en 1977 je ne peux pas me souvenir. Mémoire familiale, déjà-vu collectif, réimpression ? Chez Phillips, à Dieulefit, la pochette de ce disque en vitrine. Pochette un peu trop kitsch d’ailleurs, mais efficace oui.

Dernier album du maître belge donc, et est-ce que ça vaut le coup, est-ce que ça a pu valoir le prix de l’attente, presque 10 ans depuis 1968 et l’album numéro dix intitulé plus tard J’arrive, et 11 ans depuis les adieux à la scène.

Et ce n’est pas exagérer de dire que cet album incarne les adieux aux humains tout court (comme disent les Français). Du Brel net, précis, qui défonce tout sur son passage, pulvérise dans tous les recoins, politique, social, intime, personnel… un petit concentré de Brel finissant, et, comme il le dit, “qui persiste et signe”. Des gauloiseries comme Les remparts de Varsovie, Le lion, parfois plus cyniques comme Les Flamingants, des farces acerbes et lucides, comme Mourir, Knokke-le-Zoute tango (qui rappelle La chanson de Jackie) ou des pièces intimistes qui confinent à la sensiblerie sans y tomber, comme Jojo, Le bon Dieu, Voir un ami pleurer

Mais Brel, informé de sa fin, transfiguré par sa clairvoyance, se pose également en auteur accompli, figure intermédiaire entre Quichotte et Drogo, dont il distribue le destin dans des vers ciselés, de magnifiques chansons qui sont de véritables poésies : Orly, et l’intemporelle La ville s’endormait.

Et lucide, avec ça, “pourquoi ont-ils tué Jaurès” ?

 

 

883. Eminem, The Marshall Mathers Lp, 2000 | BV



 

I’m like a head trip to listen to, dit Eminem dans ce troisième album (probablement celui qui est le plus connu), et effectivement, on est convié à un long voyage de mots, impeccablement battus et posés sur le coup (beat). Pas facile d’entrer avec une réalité qui nous échappe, mais l’hommage appuyé au rap de gangster de Dre, Dogg & Dogg, donne une belle manière d’anastomose entre le désastre biographique de Mathers et l’histoire du rap au moment où viennent de disparaître Tupac, B.I.G, et tout juste après Columbine. On entend d’ailleurs Dre, on sent la présence de Dre (quand il n’est pas cité ou quand il ne prend pas directement le micro) partout, et dès le premier morceau, Kill you (point haut, avec Stan feat. Dido, The real Slim Shady, Marshall Mathers, I’m back…) : le silence comme coup (beat).

Comme souvent ou presque chaque fois, ces albums de hip-hop sont trop longs (j’ai une boîte : dois-je la remplir à ras-bord ?), et l’on se perd parfois dans les chansons qui ont le défaut pour un francophone d’être en anglais, mais il est certain qu’Eminem, rappeur hors-pair (et c’est une tarte à la crème), parvient à trouver ici une voix pour exorciser ses démons — et ceux de la musique noire.

 

 

674. Daevid Allen, Bananamoon, 1971 | BV



 

Joyeux bazar psychédélique, parfois qualifié de “manifeste”, de l’ancien de Soft Machine, et futur Gong. Avec un soin apporté au détail hippie, un peu comme l’évaluation de la gamme pilaire, l’accoutrement, ou la pondération des effets, du fait de son évidente racée britannique, il en sort un disque à la fois plus incisif et plus malin que les meilleurs travaux de Beefheart ou surtout Zappa (sans parler des véritables hippies : All I want is out of here, White neck blooze).

D’abord crédité Gong, c’est bien un album de transition entre les deux groupes, et bien un effort solitaire d’Allen — ses prochains disques seront moins datés. L’ensemble malgré tout se tient, aucune chanson n’est à jeter, et une nouvelle version de Memories de Hugh Hopper (bassiste de Soft Machine), chantée ici par Robert Wyatt (et l’un de ses futurs singles produit par Nick Mason en 1974), est la cerise sur le gâteau.

 

 

103. Bojan Z, Solobesssion, 2000 | BV



 

Changement d’ère et changement d’âme. Au loin les nuages s’étaient amoncelés, comme une promesse d’un réveil, d’une rosée nouvelle. Les dangers pourtant étaient immenses (surtout en ces temps reculés, je veux dire tellement plus tard qu’un Rollins, qu’un Coleman). Eh bien non : il en sera ainsi. Les plages viendront caresser vos chevilles puis vos flancs. Les silences aspireront vos troubles. Et si les ombres inquiètent escortent la mesure, vous serez bien vite apaisé par le pur génie de l’hybride. Un disque donc habité, qui échappe au délire de perfection silencieuse du jazz contemporain, et rend grâce à la musique par l’épiphanie de l’instrument.

 

 

426. Philippe Katerine, L’homme à trois mains, 1999 | BV

 



 

La musique, et la musique populaire surtout, s’écoute avec oreille disposée à la profondeur de champ. Comment dire : vous découvrez un jour un disque, il vous accompagne, vous l’oubliez. Dix ans plus tard il revient, et c’est comme si vous ne l’aviez pas quitté (pour peu qu’il vous ait un tant soit peu plu, évidemment). Le cas Katerine est plus que problématique. Il a fallu tout ce travail d’absurde gentrification de la personne, sciemment, consciencieusement, pour aboutir à une espèce de chef d’œuvre comme Le film (#161 de notre liste), paru après bien des réussites éparpillées ici ou là, ou encore l’inénarrable (et génial) 52 reprises dans l’espace. Et en même temps, il a fallu à l’auditeur tout l’apprentissage de ce cabotinage mélancolique cinéphile expérimental hype et décontenancé, tout ce qui, a priori, n’est pas notre tasse de thé (je veux dire nous, les cinq-cent quarante millions de francophones de cette planète, moins les habitants intramuros de Paris), pour parvenir à entendre ce genre de disque, paru en 1999, au milieu des Chemical Brothers, Red Hot, Jamiroquai, Moby, pas une grosse année anglophone, mais c’est aussi, en français, Céline Dion, Florent Pagny, Pascal Obispo. Seul le 113 (Les princes de la ville, #375 de notre liste) relève le gant. Donc, c’est une chance d’écouter ces chansons solo, guitare/chant, toujours surprenantes, et même, cruellement mélodiques (qualité qui semblait alors être devenue totalement marginale alors). Katerine, déjà farfelu et tendre, se prend au sérieux, se pose comme auteur, et il faut bien reconnaître que cela fonctionne. Il y a bien des choses un peu révolues (le grand usage du montage sonore), mais dans l’ensemble les chansons se tiennent et fonctionnent, et même si on est rétif à la bossa nova (comme mon épiderme). (À noter que l’album est venu avec son parèdre, Les créatures (#283), où se trouve l’un de ses premiers tubes grand public, Je vous emmerde; que j’ai choisi de traiter séparément, parce qu’il s’agit somme toute d’un projet différent.)