Archives de catégorie : Disque sur disque

543. A Tribe Called Quest, Midnight Marauders, 1993 | BV

 


 
MzkxMC5qcGVn.jpegFan de chichourle (comme on dit chez moi) que cet album est intelligent !

Après un premier opus aux accents plutôt jazz (d’ailleurs très bien), dans une espèce de visitation du hip-hop qui aurait pu faire florès dans les années 90 (puis finalement a plutôt fait pschitt, comme un gras flot démoulé par Will Smith par écran interposé), ils (dont le nom est absolument génial, A Tribe Called Quest !) resserrent un peu la pression, affinent leurs samples et leur flot sur ce nouvel album (dont le titre est magnifique, Midnight Marauders).

Moi que les intros gonflent allègrement, je trouve celle-ci plutôt réussie, et qui enchaîne sur un classique, Steve Biko (Stir it up), imparable, que suit un autre classique Award Tour.

On n’est pas surpris de trouver là Busta Rhymes (Oh my god), avec cette enveloppe luxueuse et maline (8 million stories, Electric relaxation) ; certaines pistes sont moins fortes, et on a toujours le défaut du CD qui autorise un empilement trop important de minutes, mais l’ensemble se tient. Le final, qui se voudrait plus bandito (oui, c’est tout ce que j’ai trouvé pour “gangsta”), annonce la suite ?

 

 

383. Mission, The last details, 1983 | BV

 


 

Cet album injustement méconnu (il n’apparaît pas dans la base de All Music ?), est tout à fait agréable à entendre. Oscillant entre une espèce de rock stonien nourri de sang australien (Dreaming) (je ne sais pas pourquoi, c’est ce qui me vient), il propose surtout de bons morceaux hagards de punk lucide, à la sauce industrielle, aux échos à la Reeves Gabrels (Reasons why).

Plusieurs morceaux sont passables (Interrogation, Girl next door) voire oubliable (What goes around), mais on a deux pièces théâtrale ambitieuses délectables : le fascinant Where were you, et le très beau final Stepping Stone, aux accents smithiens (Patti pas cette saucisse de Morissey).

 

 

404. Franco Battiato, Pollution, 1972 | BV

 


 

Ceci n’est pas une erreur 404.

Probablement mal connu en France, Battiato est l’un des auteurs italiens les plus singuliers et respectés qui soient (au niveau de Conte, de Andrè, Gaber, et probablement un peu plus : Janacci), et dont la disparition récente a permis de montrer l’attachement fort de ses compatriotes à ses excursions musicales souvent “désappointantes”. Portant très haut la foi en la chanson populaire, et ne rechignant jamais, ô grand jamais, à des expérimentations et des hybridations audacieuses, il serait, pour le public français, un peu comme un Christophe plus hardi, pour un anglo-saxon, un Harry Nilsson plus enflammé. Mais les comparaisons n’ont jamais raison, et Battiato ressemble surtout à Battiato : “dentro di me vivono degli organismi che non sanno di appartenere al mio corpo, io a quale organismo appartengo?” Une voix aiguë qui peut à la longue ennuyer, et de très forts positionnements soniques, à la limite de l’avant-garde.

Dans ce disque pourtant, son deuxième, c’est une enveloppe nettement progressive qui voit le jour, comme le démontre le morceau phare Areknames (qui se prononce [â-rék-na-mès], et dont le texte est lisible, à l’envers : “Sisopromatem ereitnorf alled etnem”, le dernier vers, peut en effet être *Mente della frontiere metamorposi S…, et “Areknames”, *Se mankera) qui ferait rougir un Tangerine Dreamer par l’usage accompli des synthétiseurs. Avec Beta, c’est plus vers une espèce de tissu floydien qu’on se dirige (basse, guitare, chant et piano… basse surtout, très Atom Heart Mother). Plancton est figuratif, y compris au niveau du texte, et mêle donc guitare et synthés, folk et progressif allégrement, et Pollution un peu trop explicatif, sans nier toutefois les liens à la chanson italienne (ce chant parlé et vindicatif), voire au classique.

C’est donc un drôle de disque, mais un disque assez cohérent, et qui marque le décalage que représentera par la suite toujours plus l’art de Battiato (“del ritmo magnetico sole-terra, per poter deviare l’umanità dalla catastrofe in cui sta per precipitare” lit-on dans le Manifesto funebre) qui est déjà un peu trop conscient de l’ironie de tout ce cirque. Les pleurs finaux hallucinés, mêlés de plages et de samples classiques, en conviennent.

Il faut de ce pas écouter d’autres albums. Nous verrons ce que nous prépare le hasard.

 

 

297. King Crimson, Red, 1974 | BV

 


 

Passons sur l’exécrable pochette : ça commence du tonnerre, comme du Crimson King.

Mais ça finira vite, puisque l’album marque la fin de la production du groupe pour les années soixante-dix, première fausse sortie. Réduit à un trio (Robert Fripp, Bill Bruford, John Wetton), bien qu’enregistré avec les anciens membres Ian McDonald et Mel Collins, le disque traduit la lassitude de Fripp qui, sous l’influence de Georges Gurdjieff dit-on, considère comme révolue l’ère jurassique du rock progressif — étrange pressentiment en cette année où les premiers sérieux punks font leur apparition notamment dans l’Ohio.

Cela n’empêche pas de détonner, dès le deuxième morceau, avec ce lyrisme digne de Barclay James Harvest, un rien désuet (et musical-fantasy), un premier morceau bien lourd et un troisième qui ramène carrément au premier album (In the court of the CK, #291). Voilà pour la première face. La seconde retient en effet ce style, qui est donc le leur, le vrai, pour Starless, après un truc expérimental passable.

Or ce dernier morceau est une excellente sortie en matière. Les notes lancinantes du long pont ébruitent d’abord des paysages stimulants, pour finalement se résoudre en une remarquable composition cinématographique aux accents brutalistes, qui malgré les limites du genre, nous donnent des plaisirs presque malsains, comme après un repas trop arrosé d’avoir trop mangé.

 

 

672. Death Grips, The money store, 2012 | BV

 

 

Évènement rare et étonnant de rap expérimental, totalement hors des entiers battus, mais complètement hip-hop, sans l’intellectualisme d’Antipop, ni d’ailleurs la vaine provocation à tout prix de nombreux collègues, plutôt un nihilisme industriel assez pénétrant et définitif. Si l’ensemble n’est pas inoubliable, tous les morceaux recèlent une indéniable énergie et ne présentent pas de défaut majeur ; de plus ils offrent aux oreilles sensibles des sonorités variées et renouvelées, puisées dans la pop, le glitch ou même le métal et le progressif, c’est assez déroutant, finalement. Et c’est le mieux qu’on puisse attendre d’un groupe de no-rap, qui crie sa liberté sur fond de dystopie un rien hostile. À noter que leur premier opus, un genre de mixtape librement téléchargeable, ouvre en fanfare cette carrière, qui se poursuit sans faux-pas. Mais ce disque est leur effort le plus singulier. Et ce n’est pas un premier avril.

 

 

789. John Coltrane & Don Cherry, The Avant-Garde, 1966 | BV

 


 

Oui, évidemment, on a là deux monstres du jazz plus ou moins libre, et on pourrait penser que l’association soit détonante. Les sessions remontent à 1960, mais l’album ne paraît qu’en 1966, entre-temps les deux ont largement pu explorer des territoires plus aventureux. Et en effet, on reste un peu stupéfait par les pistes (trois morceaux d’Ornette Coleman, un cosigné par Monk, et un seul de Cherry), et leurs interprètes (à nouveau Charlie Haden et Ed Blackwell, venus également de chez Coleman, enfin sur les deux morceaux plus flamboyants, Cherryco et The Blessing, Haden est remplacé par Pearcy Heath du Modern Jazz Quartet sur les trois autres), qui sont extrêmement bien ficelées et garnies, mais qui restent un peu toutes sur leur quant-à-soi… ce qui n’est pas désagréable, sans être exubérant, et pour tout dire, un peu contradictoire avec le titre. Blackwell propose de belles innervations rythmiques tout au long du disque.

 

 

257. Portishead, Dummy, 1994 | BV

 


 

Un classique des années 90. Et pas des moindres. Alors qu’un rock dit alternatif prend ses aises (poursuivant simplement le punk, comme le punk poursuivait le deuxième âge du rock, celui des années 60, lequel poursuivait le premier, etc.), avec PJ Harvey, que le hip-hop s’y frotte avec Beck, qu’une electro pop s’affirme et comment avec Björk — et tout ceci sur fond de grunge mené par Nirvana et Pearl Jam — une nouvelle brèche s’ouvre, qu’on appellera trip-hop, et qui s’incarne avec Massive Attack : les territoires, comme à l’aube des temps, se répartissent. Et tout à coup Portishead semble synthétiser tout cela, hip-hop, punk et autre, oui, peut-être du trip-hop, mais on ne peut nier ni l’énergie punk ou post-punk si on veut, et le côté exigeant qui ne rechigne pas à des ambiances progressives.

L’album commence très fort avec trois morceaux qui donnent la couleur, trois morceaux relativement différents qui démontrent toutes les qualités du sample (Geoff Barrow), de la guitare (Adrian Utley) et de la voix (Beth Gibbons).

C’est un choc, un nouveau choc, qui est porté à l’international, lol, par ce tube absolument imparable, un nouveau My baby juste cares for me du genre, Glory box, que tout le monde connaît (et qui est parfaite, comme Jóga, Loser, et Down by the water). Quand l’album sort, on ne connaît des impétrants cités, encore, que Debut (prometteur évidemment, #492), Mellow gold (#461) qui vient de sortir, et Rid of me (#172) : c’est-à-dire qu’ils ont fait leur meilleur album jusque là, qu’ils n’ont pas fait encore leur meilleur meilleur (!) (Homogenic (#68), Odelay (#170) et To bring you my love (#72)), et débarque Dummy (Massive Attack publiera Mezzanine en 1998, mais je pense qu’ils savent qu’ils ont perdu cette partie-là).

Et comme les autres, ce n’est encore rien face au successeur éponyme (#12, mais premier ex-æquo). Hâte !

 

 

143. Howlin’ Wolf, Moanin’ in the moonlight, 1959 | BV

 


 

Un disque de morceaux tous signés du grand Howlin’ Wolf (Chester Burnett), après une longue et profitable collaboration avec Willie Dixon, sideman à l’écriture de tubes on ne peut plus valides, dont on parlera le moment venu.

Il est toujours difficile de parler de disques de blues pour ce que le blues classique appraît et se diffuse ua moment où, si l’électrification et l’enregistrement sont quasiment au point, la diffusion n’est pas encore celle du format disque. La Souche, qui en était particulièrement indigente, s’est récemment mise à jour en en incorporant un certain nombre. De fait les disques construits comme tels (et non de simples compilations) sont rares. Mais le rock anglais, dans son entreprise culturelle de réhabilitation (aujourd’hui on dirait “appropriation”) a largement fait connaître tous ces noms, qui sont subitement devenus, à un âge disons certain, des stars.

Howlin’ Wolf a tout de même pu enregistrer ses morceaux en 1959 et dans ce disque-ci, s’il n’y a pas ses morceaux les plus célèbres — mettons Spoonful (immortalisé par Cream), Back door man (immortalisé par les Doors) ou The Red Rooster (immortalisé par les Stones) –, et pour cause : ils sont tous de Dixon, il y a quand même de sacrées belles chansons, Moanin at midnight, Smokestack Lightnin’, surtout Evil (is going on).

Un premier classique, donc, de notre série des grands bluesmen.

 

 

769. Supertramp, Crisis, what crisis ?, 1975 | BV

 


 

Probablement pas le tout meilleur effort du groupe — qui est un groupe bizarre. Une nette influence floydienne, des accents ambitieux à la Steely Dan ou 10CC, mais une évidente réussite mélodique qui a produit des tubes mondiaux. Cet album se place entre les très recherchés Crime of the century (#391) et Even in the quietest moments (#1034), et ne dispose pas de morceau phare comme ces derniers. Rien de véritablement indigne cependant, si les chansons, par ailleurs inégales, ne nous entraînent pas l’oreille comme on voudrait. Certaines sont presque insignifiantes (Lady, Sister Moonshine), d’autres activement pompières (A soapbox opera), plusieurs ennuyeuses. L’ironie, promise par la pochette, pâtit probablement dans sa réalisation de ses deux “parents”, et leur turbulent petit : oui, il faut être amateur de saxophone rock, aussi, ce n’est pas donné à tout le monde.

 

 

164. Minutemen, Doucle nickels on a dime, 1984 | BV

 


 

Ah, merci le sort, eh bien très clairement l’un de mes albums favoris, ah ça oui. Au point que je l’ai cherché à la longue en vinyle. Il y aurait beaucoup de choses à dire, encore une fois — il y a toujours beaucoup de choses à dire.

Intelligent, musicalement aventureux, esthétiquement concis et percutant, ce double album de quarante-quatre morceaux ciselés mélange allégrement ces trois adjectifs dans un bouquet de folkpunkjazz innovant, et diablement efficace. Politiquement incorrect, et tragiquement stoppé net par la mort du guitariste-vocaliste du groupe, D. Boon (et qui entre dans le singulier bal des 27), le trio, complété par George Hurley (batterie) et Mike Watt (basse), ne cède ni à la facilité ni à la gratuité (à différence peut-être de Hüsker Dü et son double Zen arcade (#1205e) qui lui ressemble un peu dans l’ambition). Comme ils le disent dans Political song for Michael Jackson to sing, “Me, I’m fighting with my head, I’m not ambiguous / I must look like a dork”.

Mais cette phrase péremptoire ne masque qu’avec peine l’ironie dont le groupe fait preuve, au travers de ce délirant disque (quarante-quatre morceaux, ce sont beaucoup de morceaux, quatre cinq albums “normaux”, mais une moyenne de durée du titre de… 1’40” !), à la production qualifiée de spartiate mais que je trouve impeccable (le son de la batterie). Ironie des textes, mais aussi des formes, et puis ces reprises improbables d’une part de Creedence Clearwater Revival (Don’t look now, sur Willie & The Poorboys, #789), d’autre part de Steely Dan (Doctor Wu, sur Katy Lied, #601) : ce disque est régulièrement cité comme le meilleur de l’année (1984, juste avant la naissance du CD, ce qui rend le vinyle difficile à trouver, m’a-t-on dit), et s’il est assurément l’une des propositions les plus originales du rock, il est aussi un très beau signal de l’underground américain.

(Je reviendrai pour un détail des titres…)