Archives de catégorie : Disque sur disque

769. Supertramp, Crisis, what crisis ?, 1975 | BV

 


 

Probablement pas le tout meilleur effort du groupe — qui est un groupe bizarre. Une nette influence floydienne, des accents ambitieux à la Steely Dan ou 10CC, mais une évidente réussite mélodique qui a produit des tubes mondiaux. Cet album se place entre les très recherchés Crime of the century (#391) et Even in the quietest moments (#1034), et ne dispose pas de morceau phare comme ces derniers. Rien de véritablement indigne cependant, si les chansons, par ailleurs inégales, ne nous entraînent pas l’oreille comme on voudrait. Certaines sont presque insignifiantes (Lady, Sister Moonshine), d’autres activement pompières (A soapbox opera), plusieurs ennuyeuses. L’ironie, promise par la pochette, pâtit probablement dans sa réalisation de ses deux “parents”, et leur turbulent petit : oui, il faut être amateur de saxophone rock, aussi, ce n’est pas donné à tout le monde.

 

 

164. Minutemen, Doucle nickels on a dime, 1984 | BV

 


 

Ah, merci le sort, eh bien très clairement l’un de mes albums favoris, ah ça oui. Au point que je l’ai cherché à la longue en vinyle. Il y aurait beaucoup de choses à dire, encore une fois — il y a toujours beaucoup de choses à dire.

Intelligent, musicalement aventureux, esthétiquement concis et percutant, ce double album de quarante-quatre morceaux ciselés mélange allégrement ces trois adjectifs dans un bouquet de folkpunkjazz innovant, et diablement efficace. Politiquement incorrect, et tragiquement stoppé net par la mort du guitariste-vocaliste du groupe, D. Boon (et qui entre dans le singulier bal des 27), le trio, complété par George Hurley (batterie) et Mike Watt (basse), ne cède ni à la facilité ni à la gratuité (à différence peut-être de Hüsker Dü et son double Zen arcade (#1205e) qui lui ressemble un peu dans l’ambition). Comme ils le disent dans Political song for Michael Jackson to sing, “Me, I’m fighting with my head, I’m not ambiguous / I must look like a dork”.

Mais cette phrase péremptoire ne masque qu’avec peine l’ironie dont le groupe fait preuve, au travers de ce délirant disque (quarante-quatre morceaux, ce sont beaucoup de morceaux, quatre cinq albums “normaux”, mais une moyenne de durée du titre de… 1’40” !), à la production qualifiée de spartiate mais que je trouve impeccable (le son de la batterie). Ironie des textes, mais aussi des formes, et puis ces reprises improbables d’une part de Creedence Clearwater Revival (Don’t look now, sur Willie & The Poorboys, #789), d’autre part de Steely Dan (Doctor Wu, sur Katy Lied, #601) : ce disque est régulièrement cité comme le meilleur de l’année (1984, juste avant la naissance du CD, ce qui rend le vinyle difficile à trouver, m’a-t-on dit), et s’il est assurément l’une des propositions les plus originales du rock, il est aussi un très beau signal de l’underground américain.

(Je reviendrai pour un détail des titres…)

 

 

856. Manu Chao, Clandestino, 1998 | BV

 


 

Probablement l’un des disques les plus célèbres de ma génération, un disque usé jusqu’à l’os. Il était chez tous les monde, dans toutes les bagnoles et dans tous les rades, sans compter la radio.

Eh bien sans doute l’a-t-on beaucoup, beaucoup trop écouté, beaucoup trop écouté, aussi, subséquemment, nous ne l’avons plus du tout écouté.

Il représente en force l’espèce d’engagement artistique, esthétique, et même social typique des années 90, des forums sociaux, et du jospinisme. Il représente aussi, paradoxalement, l’échec total de cette époque, il symbolise en quelque sorte le mur de la réalité ou toute cette époque s’est fracassé, peu après… le retour de la droite, l’éclatement de la gauche plurielle, puis l’échec de Seattle, le désastre de Gênes, la catastrophe du World Trade Center.

Mise à part la nostalgie qui peut saisir l’auditeur convalescent, et compte-tenu, par conséquent, des limites de la production, des arrangements et de l’atmosphère même, il faut avouer que cette suite hyper cohérente de chansons a finalement, étonnement, plutôt bien résisté au temps. Cela ne mange pas de pain, mais ça ne évanouit pas pour autant dans l’arrogance ou la vanité.

 

605. Leon Russell, Leon Russel, 1970 | BV

 


 

Voilà quelqu’un dont la gloire n’est probablement pas à la hauteur de l’œuvre accomplie. Leon Russell a mené une impressionnante carrière de sideman (piano) (408 mentions de crédits, dont 282 comme auteur/compositeur) avant même de graver son premier disque, juste avant de partir sur les routes avec Joe Cocker. Son premier album solo, éponyme, est une petite réussite, une joie musicale de ce que l’époque (1970) peut délivrer : deux Beatles, trois Stones, Eric Clapton, Klaus Voormann, Steve Winwood, Jim Gordon, B.J. Wilson… et Merry Clayton, la co-interprète historique de Gimme Shelter (la version bonus donne aussi la première version de Shine a Light) des Stones…

S’il n’y a pas le grain de folie qui puisse le pousser jusqu’au-delà du point de génie, l’album reste une référence (Glyn Jones et Denny Cordell aux manettes), tout comme l’influence de Russell sur des personnages aussi variés que Black Francis ou Elton John, avec de belles réussites : Shoot Out on the Plantation ou Roll Away The Stone

 

 

716. D’Angelo, Voodoo, 2000 | BV

 


 

Une fois ouverte l’exécrable pochette, le tout premier titre calme toute hormone hostile. Certainement le plus grand héritier de Prince, dans ce groove un peu loose de certains titres, avec peut-être Sexy MF comme tête de pont (qui je l’accorde n’est vraiment loose) — le maître d’ailleurs lui rendant hommage dans Emancipation (1996, #1132).

Il s’agit d’un double album (en vinyle), à la production tout à fait originale pour un album de nouveau r’n’b ou neosoul. Ouverture instrumentale efficace, on navigue ensuite entre balades aux voix châtiées et quelques raps efficaces.

On note la présence de ?uestlove, batteur du meilleur groupe de hip-hop de ces années-là, The Roots (et deuxième album rap de la Souche avec Things fall apart, 1999 et #56, mais premier si on considère qu’Antipop Consortium n’est pas vraiment un disque de hip-hop), et de Raphael Saadiq, dont on a pas encore eu l’occasion de parler parce qu’il n’est pas encore traité dans la Souche (avec son collègue Ali Shaheed Muhammad (de A Tribe Called Quest) et le collègue de ce dernier, Adrian Younge) qui donnent évidemment une tonalité new jack swing, comme on dit, à cette production en tout état de cause à mille lieues du traitement r’n’b, façon soupe, contemporain. Un petit miracle, réitéré quatorze ans plus tard seulement (et ça aussi c’est appréciable) avec Black Messiah (et crédité avec les Vanguards, 2014 #558e).

 

 

844. Buckethead, Population override, 2004 | BV

 


 

Décidément, un autre disque étrange après Magma. Alors je l’avoue, je ne connaissais vraiment pas Buckethead avant la création de la souche. Et justement allais-je dire: comment appréhender un type qui porte un masque de “slasher-movie” et s’affuble d’un pot de KFC (d’om son nom), guitariste virtuose (les deux forment oxymore, et le tout donne nausée) qui a publié 435 albums studios jusqu’ici, et depuis 1992 seulement (dont 119 l’an dernier, et déjà 16 depuis le 1er janvier de cette année), plus 74 travaux avec d’autres et près de 400 interventions ailleurs, pour un total de 171 heures de musique enregistrée… comment ?

Alors je suis allé à la simplicité : j’ai fouillé un peu pour comprendre quels albums étaient préférés, et j’augure que celui-ci, à la belle couverture, est l’un des meilleurs ; mais il paraît qu’ils sont tous à peu près bons. Bon il y a un petit côté jeu-vidéo (Xénon 2) dans cette musique, ici teintée de blues, mais enfin il n’y a rien de déshonorant ici, sinon peut-être le manque de grain, d’acroche sérieuse pour l’auditeur (un peu comme un Jeff Beck encore plus chiant). D’ailleurs je vois qu’on le qualifie d’ambient.

 

 

798. Magma, Mëkanïk Dëstruktïẁ Kömmandöh, 1973 | BV

 


 

Ah, Magma, mais qu’en faire ? Oui c’est un bon disque de rock progressif, et la plupart des éléments de cet opus, du groupe à la pochette, de la production aux morceaux eux-mêmes, de la douce folie de Vander aux accents kobaïens.

À vrai dire je n’ai jamais été dérangé par Magma : je ne déteste pas leur travail, loin de là, mais il ne me fait pas grimper au rideau non plus. J’aime bien, voilà. Il est peut-être un peu trop discoureur, trop figuratif — ce qui nuit en quelque sorte à la fraîcheur du rock sinon à la génuinité de la musique populaire.

Cet album est certainement le plus prolifique (en terme d’idées).

 

 

978. Joni Mitchell, Hejira, 1974 | BV

 


 

En cherchant à se rapprocher toujours plus d’une espèce de chanson jazz-folk, qui pour le coup et au fond est une forme très originale, Joni Mitchell (la femme à aux lèvres de François Mitterrand) perd un peu de sa verve mélodique, sur cet album, le dernier d’une série pourtant assez sidérante.

L’ensemble de balades ici toutes plus ou moins lancinantes relate un voyage automobile de LA au Maine souffre peut-être de ce manque, ou de l’inspiration de Blue (1971, #346), de la radicalité du précédent The hissing of summer lawns (1975, #422), et laisse un peu sur la faim — même si la production est impeccable (Jaco Pastorius en sus). Il y a plein de trucs bien (l’espèce de pédal-steel de Amalia, les chœurs de Song for Sharon, ou les boum-boum de Blue Motel Room, et sa voix caverneuse, mais il n’y a pas cet excès de maîtrise qui plaisait dans d’autres…

 

 

405. Jean-Louis Murat, Travaux sur la RN75, 2017 | BV

 


 

Eh bien, ce disque en ce début d’année…

Cet énergumène de Murat a produit un énergumène de disque… Murat avait déjà touché à l’électro dans les précédents albums, et il nous livre ici tout un choix de morceaux proprement étonnants. Ce disque présente deux qualités : il explore de nouveaux territoires de Murat sans renier son propos, et il est aussi tout à fait singulier dans son écriture, sa facture, son exécution, et aussi son esprit, qui paraît totalement guilleret, voire coquin (Dis le le).

On est surpris de la facilité avec laquelle il se moule dans des rythmiques et sonorités qui a priori ne lui ressemblent pas. Murat prend un risque tout en poursuivant ses obsessions (Johnny roide).

Le disque est savamment drôle aussi, et, du moins en ai-je l’impression, assez humble pour se permettre, une ou deux fois, d’être génial (grandiose final O sole mio, Chanson de Sade). De sorte que, on a beau dire on a beau faire, il arrive en tête des Murat, j’avoue, devant Mustango (#588) et Lilith (#626).

 

 

621. Talking Heads, Fear of Music, 1980 | BV

 


 

Finir la première année de ces chroniques absurdes avec Arc et débuter la nouvelle avec Fear of music… comment ne pas baiser les pieds invisibles d’Aédé ? J’ai un cornet à disques, je le secoue, et un disque de la Souche est tiré au sort.

Peur de la musique ? Ah oui ! Drôle de disque ? Bah, comme tous les autres (de la Souche). Et comme tous les disques des Talking Heads, un groupe qui est extrêmement important (n’est-ce pas Eno et Bowie ?). Sans doute un peu moins facile d’accès que ses deux prédécesseurs, Talking Heads:77 (#652), et More songs about food and cities, (#810).

Dans les pics de l’opus, je mettrais volontiers Air et Electric guitar aux côtés des célèbres Heaven, I Zimbra et Life during wartime (“this ain’t no disco…”), ces derniers servant de marchepied pour le prochain album, qui sera sans doute leur plus abouti, Remain in light (#294).

Et j’en profite pour citer un jouissif commentaire de @Pantsmode sur YT :

0:00 – david byrne and his band go on a rampage in africa
3:05 – david byrne gives up on being a therapist
7:18 – david byrne tells you about how paper and optics work
9:58 – david byrne gives you a “detailed” tour of london
14:15 – david byrne walks around in new york
17:57 – david byrne eats edibles with david lynch and bangs his head on the wall
21:27 – david byrne gets sunburnt and complains
25:00 – it’s boring, don’t go there
29:02 – david byrne discovers furries and goes insane
32:32 – sentient electric guitar tells david byrne to buy a car on a highway and ends up committing a crime against the state of new york
35:34 – eno, those edibles aint shi—

La pochette est magnifique.