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220. Gavin Bryars, The Sinking of the Titanic, 1995 | BV

 


 
Je ne sais plus comment j’ai découvert ce disque (et ce gars), sûrement à travers des explorations post-Eno, mais le détour valait la peine. On pourra gloser longtemps sur l’avant-garde, le minimalisme, et tout le toutim, la musique prend toujours le dessus. On rappellera volontiers que les deux pièces de l’album, The Sinking of the Titanic et Jesus’ Blood Never Failed Me Yet sont les premières signées du label d’Eno, Obscure. Obscures, si on veut les approcher de biais, d’un point de vue esthétique (musique expérimentale, musique cérébrale) mais éclatantes de beauté et touchantes, alors l’obscurité des thèmes n’entrave en rien leur expression et leur développement.

Dans la première, ce sont les musiciens du Titanic qui jouent pendant que le navire coule, jusque sous l’eau. La deuxième prend le prétexte d’un chant très humble d’un clochard, répété à l’envi, celle-ci devenant même obsessionnelle à l’auditeur (et on favorise cette version plutôt qu’une ultérieure avec Tom Waits).

Le tout avec humilité et simplicité, une clef d’entrée dans cette œuvre riche et moderne, d’un des compositeurs les plus inspirés de la fin du siècle, et qui devrait être plus connue qu’elle ne l’était au soussigné.

 

 

3. Thelonious Monk, Brilliant Corners, 1957 | BV

 




 

Petite précision ici : les numéros renvoient à la liste de la Souche (mon fichier source) (il faudra bien que lui trouve un nom, genre Yoda ou Matrix ou quoi), en fonction des notes des albums ; or parfois, les albums ont la même note, et sont donc, ensuite, rangé par ordre alphabétique du titre. Et les 16 premiers disques de la la liste ont une note maximale de 5 sur 5. De fait, ce disque (avec ses quinze petits amis) est 1er exæquo, et est donc l’un des meilleurs de la musique populaire — en toute objectivité.

Avec une équipe absolument incroyable (qu’on en juge : Max Roach aux percussions, Sonny Rollins au saxophone ténor, Oscar Pettiford à la contrebasse et Ernie Henry au saxophone alto ; Paul Chambers à la basse et Clark Terry à trompette sur Bemsha Swing, excusez du peu). Monk livre ici une poignée d’inédits de toute beauté. Cette équipe saisit rapidement l’opportunité de jongler avec les plages acrobatiques du maître, alors même que celui-ci parvient sans effort à paraître ni cérébral ni surfait : il y a une fraîcheur ici, une naïveté (malgré les talents des différents impétrants) qui n’est au service que de la musique, pleine de dimensions (pensons aux timbales de Roach). Et la dimension Monkienne, subjuguée dans le soliste I surrender, Dear, démontrant la passion chaude de l’artiste, égrainée par les doigts.

 

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173. Dire Straits, Dire Straits, 1978 | BV

 




 

Sans le carrousel de mes dés, je n’aurais pas songé à traiter ce disque aussi vite. D’ailleurs sans l’entêtement de ma Souche (c’est donc le nom du fichier source qui regroupe tous ces disques en un seul aleph), je n’aurais peut-être même pas pensé à traiter DS du tout.

Disons-le d’emblée et tout net : c’est leur meilleur album, et de loin pour tous les autres sauf peut-être Making Movies.

C’est l’album de l’exorde, et c’est donc la première chose qui frappe : un son très travaillé en total décalage avec l’époque. Du moins pour un premier disque, parce qu’on a l’impression ici d’un style vaguement suranné ou rural qui s’approche plus de JJ Cale, maintes fois évoqué pour parler du groupe, voire de Tom Petty ou Fleetwood Mac — sans oublier Dylan pour la voix.

C’est tout le coup de génie de cet album : sonner décalé dans un monde où le décalage est de mise (où règne le punk, qui balaie toute musique populaire sur son passage), avec pour risque assez évident de retomber assez vite sinon dans la tradition du moins dans la routine (et c’est bizarre de passer à côté de Police pour courir après Clapton ou donc Dylan). Ou pire, l’ennui. Pour y remédier, Mark Knopfler se croira assez jeune et large d’épaule pour donner une envergure progressive à sa musique. Et paradoxalement, il y perdra des plumes (l’envergure a ce défaut que le soleil brûle). Mais c’est une autre histoire.

Pour l’instant le groupe, hyper cohérent (une rythmique impeccable de Pick Withers dont le départ signe pour moi la fin des bonnes idées — et pour cause, c’était une mauvaise idée), dynamique, bien produit (là encore Knopfler voudra gérer en direct), tricote à toute allure ce rock-steady acéré, effilé, classieux, parfois même brillant, tout adonné à la guitare, encore insatiable, dudit. Je n’en dirai guère plus, j’ai écrit un livre sur cette période où tout est possible, et tout va se fracasser la gueule sur des soupes de théâtre de comédie, de plages de synthétiseurs et de star-guitar-hero-system. Mais tout est là, y compris le dobro (succédané de National Steel Guitar pas dégueu), le jeu, la voix, les paroles même. On retient : Down the waterline, meilleur intro de disque depuis longtemps (quinze jours au moins), Six blade knife tout en retenue, et puis une autre, au choix.

 

 

41. Parliament, Mothership Connections, 1975 | BV

 




 

Le hasard, toujours, mon dé à mille faces, nous porte cette semaine vers cette nouvelle perle de funk.

Probablement l’un des meilleurs disques du genre, pas seulement parce qu’ils pose des bases qui seront ensuite largement celles d’une multitude de suiveurs… et qui dégaine pas moins de trois parmi les meilleurs morceaux, Give Up the Funk, P-Funk et le morceau phare Mothership Connection.

Les cuivres, et notamment les petites lichées qui parsèment et soulignent les couplets, notamment dans ce dernier morceau, ou encore les cœurs chuintants, et enfin les usages bizarres et innovants des synthétiseurs, qui anesthésient définitivement les plumitifs successeurs et auront eu raison d’eux dès avant leur naissance… sans parler du rythme lui-même, guitare et section rythmique, dignement héritée de James Brown… tout ceci, en bref = une incroyable claque qui va jusqu’à offusquer le disco puis le rap durablement (n’est-ce pas Dre ?) jusqu’à souffler dans les bronches de la pop la plus perverse (Stevie ? Stevie ?).

George Clinton est une espèce de génie, et ses deux groupes Parliament et Funkadelic, deux des avatars de sa folie.

Cette formule-ci compte, outre Gary Shider, Michael Hampton, Glen Goins aux guitares et Michael et Randy Brecker aux cuivres, le magicien Bernie Worrell aux claviers, l’inénarrable Bootsy Collins à la basse, et, oui, vous lisez bien, Fred Wesley et Maceo Parker aux cuivres.

C’est un disque incontournable.

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107. Graham Central Station, Ain’t no doubt ’bout it!, 1975 | BV

 


 

Un album passablement négligé, que j’ai pourtant toujours considéré comme un pilier du funk. Beaucoup de choses à dire ici.

J’ai découvert Larry Graham (comme beaucoup j’en suis sûr) par The Jam, et surtout par la version qu’en a proposé Prince, et qui est hal lu ci nan te.

Je ne savais pas encore (c’était une émission/concert étrange sur Canal, vers 1994, avec également des morceaux aussi forts que Papa, Loose, Interactive ou Days of Wild) que les deux étaient à ce point liés, et qu’ils joueraient encore longtemps ensemble — accessoirement que c’est en partie à cause des témoins de Jéhovah que Graham a introduits à Prince que ce dernier refusera l’opération de la hanche qui le conduira à l’overdose d’anti-douleurs, mais passons — ce n’est pas une chronique sur Prince, un jour cette chronique viendra.

Bref, cet album est soi-disant inférieur aux autres (ceux du Central Station, je ne connais pas trop les albums solos de Graham, n’étant pas trop balades souls), mais il regorge de pépites funk, tels que l’évoquée Jam donc (qui n’est rien d’autre qu’une jam, donc une confiture de talents), qui certes n’éblouit pas par son intelligence, tout comme la blague privée Warner Bros. Party, même si elles déchirent par leur groove, et je passe sur donc ces balades, qui sont ici au nombre de trois, mais on trouve également, et c’est jouissif, Water, Easy Rider et surtout It’s Alright.

Mais le don du ciel, c’est véritablement la pluie de la reprise exceptionnelle (déjà pratiquement parfaite à l’origine) d’Ann Peebles, admirablement chantée et bridgée par cette basse endiablée du maître. Un excellent album, donc, pour se réchauffer les cuisses et le cœur.

 

 

244. Albert Ayler, Love cry, 1968 | BV

 


 

Des disques d’Albert Ayler, souvent sans compromis, jaillit un flot de sons aussi violents que beaux, qui nous laissent sans voix à notre tour. Cet album est probablement moins impitoyable et, à l’image de la police du titre sur la pochette, nous emmène volontiers vers des paysages plus amènes, même si bordés de gouffres acides.

Et en effet, les morceaux enchainés ici exposent improvisations et musiques entraînantes, au pied de la fanfare en marche. On conçoit l’effort, pour Impulse!, de vouloir polir un Ayler par ailleurs notable de libertisme (Spiritual unity), et le fait qu’il reprenne ici des morceaux par ailleurs bien connus (quoi qu’ailleurs plus exigeants encore, Ghosts, Bells) le démontre.

On rejoint parfois Coltrane ou Shepp dans les sphères cuivrées du jazz acide.

Néanmoins Ayler reste maître de son jeu, le groupe (avec son frère Donald, dont c’est le dernier enregistrement avec lui, Carl Cobbs, inégal, section rythmique, Alan Silva-Milford Graves au top) suit, et chacun maintient la tension free jusqu’au bout des ongles, et des mesures parfois hardies… tout en laissant, étonnement, un goût mélodique entêtant, même une fois l’album terminé.

 

 

346. John Campbell, One believer, 1991 | BV

 

 

Il faut que je m’explique. Certes le son et la production sont typiques des ces années, savoir-faire des 80s, cynisme des 90s, à moins que ce ne soit l’inverse. Mais il y a là-dedans 10 putains de bonnes chansons, de blues, de blues actualisé, mais sans être trop ouaté par la variété FM ou le rock-pop. L’histoire de Campbell est assez à l’image de la pochette. Dramatique et tragique. On a l’impression qu’il ne rigole pas, et lorsqu’il nous dit, en ouverture, que le diable est dans son placard et le loup à sa porte, on est plutôt enclin à le croire sur parole.

C’est un voyage dans ce monde parallèle, de déserts illuminés, de bars, de cercueils de petite taille, et d’ombres agressives, qui combine blues texan et atmosphère marécageuse dans une forme, produite à New York, dans la nuit de New York, cinglante et profonde à la fois, à l’image de la voix caverneuse de Campbell. Guitare lacérées et orgues hantées font de ce qui aurait pu être un honnête disque de variété louisianaise une œuvre inspirée et brûlante.

 

 

250. Pescado Rabioso, Artaud, 1973 | BV

 


 

Classique argentin qui pêche (ha ha) surtout par les grimaces de l’époque, car pour le reste, idées, singularité, cohérence, interprétation, thème, c’est à peu près optimal ; un peu comme si Nick Drake se laissait aller à la fantaisie. Excellent disque, de ceux qui s’écoutent toujours avec plus d’attention… on découvre une espèce de capture du meilleur du rock anglais de 1965 (La Habladurias del Mundo), mêlé à l’expérience du progressif plus tardif (Supercheria), et une verve unique, propre à la culture, à la langue, à la voix (Bajan). Parfait pour finir l’été.

Mais finir l’été avec Artaud. Parce qu’il y a Artaud. Là derrière. Et en tout petit, sur la pochette. Artaud vieux; enfin, vieux… Artaud quoi, le dernier Artaud.

 

 

995. Thomas Fersen, Le jour du poisson, 1997 | BV

 


 

Fersen a indéniablement des qualités d’auteur-compositeur-interprète, et elles se révèlent dans cet album, le plus abouti, à mon sens, même plus abouti que les suivants, sans doute un peu trop produits. Longtemps disséqué, il accompagne gentiment. On regrette deux choses : un peu moins de monde fantaisiste et un peu plus de nerf, peut-être, mais ce n’est pas sûr.

 

 

923. Lucio Battisti, Anima latina, 1974 | BV

 


 

Généralement méfiant envers la variété (la forme, le concept, l’idée même de variété, comme une espèce de salade niçoise oubliée dans un autogrill), et d’autant plus lorsqu’il s’agit de variété italienne produite par un cantautore, peu connaisseur de son histoire d’ailleurs, je dois dire que j’ai été séduit par cet album étrange, qui sonne un peu comme un Battiato qui aurait trouvé la notice de son Bontempi.

Généralement également méfiant envers l’eldorado sud-américain des européens, là encore, la « fusion » fonctionne à peu près. Mais là où j’ai décidément décidé d’apprécier l’album, c’est lorsqu’on entend ces mots : « Urca ! guarda cosa c’è / Il salame » (“Fichtre/Mince/Sapristo ! Regarde (ce qu’il y a) / Le saucisson”), et j’ai rarement été aussi surpris, et agréablement.