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674. Daevid Allen, Bananamoon, 1971 | BV



 

Joyeux bazar psychédélique, parfois qualifié de “manifeste”, de l’ancien de Soft Machine, et futur Gong. Avec un soin apporté au détail hippie, un peu comme l’évaluation de la gamme pilaire, l’accoutrement, ou la pondération des effets, du fait de son évidente racée britannique, il en sort un disque à la fois plus incisif et plus malin que les meilleurs travaux de Beefheart ou surtout Zappa (sans parler des véritables hippies : All I want is out of here, White neck blooze).

D’abord crédité Gong, c’est bien un album de transition entre les deux groupes, et bien un effort solitaire d’Allen — ses prochains disques seront moins datés. L’ensemble malgré tout se tient, aucune chanson n’est à jeter, et une nouvelle version de Memories de Hugh Hopper (bassiste de Soft Machine), chantée ici par Robert Wyatt (et l’un de ses futurs singles produit par Nick Mason en 1974), est la cerise sur le gâteau.

 

 

103. Bojan Z, Solobesssion, 2000 | BV



 

Changement d’ère et changement d’âme. Au loin les nuages s’étaient amoncelés, comme une promesse d’un réveil, d’une rosée nouvelle. Les dangers pourtant étaient immenses (surtout en ces temps reculés, je veux dire tellement plus tard qu’un Rollins, qu’un Coleman). Eh bien non : il en sera ainsi. Les plages viendront caresser vos chevilles puis vos flancs. Les silences aspireront vos troubles. Et si les ombres inquiètent escortent la mesure, vous serez bien vite apaisé par le pur génie de l’hybride. Un disque donc habité, qui échappe au délire de perfection silencieuse du jazz contemporain, et rend grâce à la musique par l’épiphanie de l’instrument.

 

 

Luc Garraud | Un portrait

Luc Garraud qu’on a déjà accueilli par le passé dans Hors-Sol propose aujourd’hui une longue série de textes brefs, qu’il appelle Herborisations, et dont voici, dans cette suite, neuf extraits.
 

 

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Le couloir est éclairé par des fenêtres qui donnent sur le jardin, il y a, accroché avec d’autres, un portrait dans un cadre doré, aussi grand que le visage du gars qui l’occupe, on le reconnaît tout de suite, bien au centre il n’y a que lui, du premier coup d’œil, une sorte de profil de face, habillé si l’on peut dire d’une chemise froissée avec un col ouvert, rien de plus qu’une photo couleur Ektachrome, à moins que ce soit une peinture hyperréaliste. À bien regarder, on est surpris, l’intérêt capte l’attention tout de suite et nous terrifie dans la même seconde, seul moyen de détacher le regard hors du cadre. Un balayage rapide dans le moindre détail, dans les recoins noirs sombres du portrait, ceux qui s’éclairent et tiennent le regard. Il a dû se passer des trucs, pour que l’on soit interdits, stupéfiés et déçus, d’un coup méconnaissable. Il ne se ressemble plus du tout, ce n’est plus lui. Ce qui frappe le plus, c’est cette tête que l’on connaît bien, que l’on peut nommer sans problème, mais qui possède à l’instant la mémoire de ses têtes d’avant, une tête à souvenir d’enfance. C’est un portrait bien mal cadré avec en arrière-plan des arbres et des herbes, un ciel sombre de nuages très exubérants, des petits coins de ciel bleu ou tout brille, ce n’est pas simple de se regarder dans un miroir le matin.

 

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426. Philippe Katerine, L’homme à trois mains, 1999 | BV

 



 

La musique, et la musique populaire surtout, s’écoute avec oreille disposée à la profondeur de champ. Comment dire : vous découvrez un jour un disque, il vous accompagne, vous l’oubliez. Dix ans plus tard il revient, et c’est comme si vous ne l’aviez pas quitté (pour peu qu’il vous ait un tant soit peu plu, évidemment). Le cas Katerine est plus que problématique. Il a fallu tout ce travail d’absurde gentrification de la personne, sciemment, consciencieusement, pour aboutir à une espèce de chef d’œuvre comme Le film (#161 de notre liste), paru après bien des réussites éparpillées ici ou là, ou encore l’inénarrable (et génial) 52 reprises dans l’espace. Et en même temps, il a fallu à l’auditeur tout l’apprentissage de ce cabotinage mélancolique cinéphile expérimental hype et décontenancé, tout ce qui, a priori, n’est pas notre tasse de thé (je veux dire nous, les cinq-cent quarante millions de francophones de cette planète, moins les habitants intramuros de Paris), pour parvenir à entendre ce genre de disque, paru en 1999, au milieu des Chemical Brothers, Red Hot, Jamiroquai, Moby, pas une grosse année anglophone, mais c’est aussi, en français, Céline Dion, Florent Pagny, Pascal Obispo. Seul le 113 (Les princes de la ville, #375 de notre liste) relève le gant. Donc, c’est une chance d’écouter ces chansons solo, guitare/chant, toujours surprenantes, et même, cruellement mélodiques (qualité qui semblait alors être devenue totalement marginale alors). Katerine, déjà farfelu et tendre, se prend au sérieux, se pose comme auteur, et il faut bien reconnaître que cela fonctionne. Il y a bien des choses un peu révolues (le grand usage du montage sonore), mais dans l’ensemble les chansons se tiennent et fonctionnent, et même si on est rétif à la bossa nova (comme mon épiderme). (À noter que l’album est venu avec son parèdre, Les créatures (#283), où se trouve l’un de ses premiers tubes grand public, Je vous emmerde; que j’ai choisi de traiter séparément, parce qu’il s’agit somme toute d’un projet différent.)

 

 

Luc Garraud | La lettre

Luc Garraud qu’on a déjà accueilli par le passé dans Hors-Sol propose aujourd’hui une longue série de textes brefs, qu’il appelle Herborisations, et dont voici, dans cette suite, neuf extraits.
 

 

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Le Kangoo jaune du postier passe vers 13 h, comme à son habitude, il prend en face le chemin de terre qui monte chez le voisin, dont on voit d’où je suis, un petit morceau du faîtage de la maison, mais surtout le grand frêne qu’ils ont élagué cet hiver, bien dégagé derrière les oreilles. Le postier il passe partout avant chez moi, je suis le dernier de la tournée. Je guette, il n’y a pas souvent du courrier, c’est même très rare de recevoir une lettre, le plus souvent des pubs, plus régulièrement des factures, voir des rappels de factures, rien d’autre, depuis qu’on se parle par mails. Il est arrivé un peu vite devant la boite aux lettres, sur les graviers la voiture a dérapé. J’ai entendu le clapet métallique de la boîte se fermer, y’a quelque chose, sûrement encore une promo du supermarché du coin : « foire au porc », avec lot familial 10 kilos de phosphate pour 9,99 euros, pour ne pas dire 10. Il y a une lettre, avec un joli timbre, un paysage de châteaux de la Loire, je ne sais pas lequel, je n’y suis jamais allé, pas mis les pieds, aucune idée, Chevronçevaux ? Peut-être bien. Il n’y a qu’un timbre et rien d’écrit sur l’enveloppe, tout blanc, pas d’adresse, même pas mon nom, je retourne l’enveloppe pour voir derrière, qui m’envoie ça, rien non plus. Arriver sans adresse, comment fait le facteur pour savoir, distribuer sans se tromper, bizarre, moi je ne comprends rien. L’enveloppe est posée sur la table, toute blanche, juste le château dans l’angle qui nargue mon l’œil droit, j’ai peur de l’ouvrir, ce qu’il y a dedans, qui m’écrit ? Il y a l’intérieur deux feuillets pliés et rien d’écrit non plus sur les deux faces, y’a pas plus blanc. Ça me rassure d’apprendre aucune nouvelle, ni une bonne, ni une vraiment mauvaise, d’être au courant de rien, de ne pas savoir ce qu’il ne se passe ailleurs, là-bas d’où on m’écrit, pou ! Pas d’inquiétude à se faire alors. Je suis content de recevoir une lettre, ce n’est pas souvent, je vais pouvoir prendre mon temps pour la lire et relire plusieurs fois chaque ligne blanche, dans le détail, avoir autant d’attention pour moi et de n’pouvoir répondre.

 

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75. The Rolling Stones, Exile on Main St, 1972 | BV

 



 

Je jure sur la tête d’Andrew Loog Oldham que c’est le hasard qui place ici les Stones, avec leur album le plus ambitieux (mais pas le moins impur, d’où sa position lointaine du sommet), mais aussi le plus foutraque. Comment décrire cet ensemble, qui a déjà d’ailleurs été décrit des milliers et des milliers de fois (y compris par moi-même !). Eh bien je ne sais pas : exactement comme les Stones eux-mêmes ? Des nouveaux bourgeois laids qui ont des ambitions arty (on ne dira jamais assez la qualité des textes de Jagger jusqu’à cet album) et des moyens limités. Le gang, la caravane, la meute des Stones arrive à Villefranche-sur-Mer et autour, et c’est le bordel. La meute est enrichie de très grands artistes : Robert Frank (✝) à la photographie (!), Glyn et Andy (✝) Jones aux manettes, Jim Price et Bobby Keys (✝) aux cuivres et le demi-dieu Nicky Hopkins (✝) aux claviers, avec le 6e Stone Ian Stewart (✝) (Shake Your Hips, Sweet Virginia, Stop Breaking Down) et le nième Stone Billy Preston (Shine a light). On a Al Perkins (?) (Torn and frayed), Venetta Fields, Clydie King (Tumbling dice, I just want…, Let it loose, Shine a light), Kathie McDonald (All down the line), et un trio de chœurs composé de Shirley Goodman (✝), Tami Lynn (✝) et… Dr John (✝) (Let it loose). On a du bayou et du calcaire azuréen. La Provence (et pas la plus gardiane) instillerait ainsi des paysages du grand sud poisseux ? Des perles, beaucoup de perles : Ventilator blues (la meilleure chanson des Stones avec Sway, et toutes les deux sont de Mick Taylor), Shine a light (que Scorsese reprendra comme titre de son film sur le groupe), Loving cup, Rip This Joint, Casino Boogie… des reprises bien senties, Shake your hips et Stop breaking down, et des chansons véritablement innovantes comme I just want to see His face… Pas de tube sur cet album, ce qui est un signal fort ; en effet l’écoute nécessite une certaine maturité, moi à 13 ans je n’ai pas tout de suite compris ; et puis cette production audacieuse, marécageuse, d’où surnage à peine la voix de Jagger et où la batterie est aussi souvent en roue libre (grand grand Charlie Watts ✝). C’est une œuvre exigeante et totale, un aboutissement. D’ailleurs un aboutissement pour les Stones, qui ne s’en remettront mais — et pour le rock qui débute ce 12 mai 1972 sa fatale nuit jusqu’au 1er mars 1973 avec la parution de The dark side of the moon.

 

 

Mouchette, Robert Bresson | HS

 

Une nouvelle choronique [Faut voir] d’Hélène Sturm.

 

 

Rappelez-vous, rappelez-vous ! supplie Mouchette. Me rappeler, me rappeler ? répond Arsène.

Les villages de Gargas et Reillanne, dans le Vaucluse, où le film a été tourné en 1966 ou 67 n’en font pas état dans leurs fiches Wikipédia. Ils n’ont, à l’image, pas grand-chose de méridional ; ils sont sans accent et on y boit du genièvre comme on le fait plutôt dans les villages dont il est question dans les dialogues du film : Lignières et Bassompierre situés dans le nord.

Rien n’existe de ce film, de n’importe quel film, si on ne se le rappelle pas si on ne s’en souvient plus. Personne ne chante faux, personne ne regarde jouer les petites filles qui montrent leur culotte, personne n’est appelée 12 fois ! Mouchette ! Mouchette ! Mouchette ! Mouchette ! Mouchette ! Mouchette ! Mouchette ! Mouchette ! Mouchette ! Mouchette ! Mouchette ! Mouchette ! Personne ne pleure, ne boit ni ne meurt.

Une mouchette ça sert à moucher les chandelles, à arrondir les angles des baguettes, à apprendre au bétail les règles de la vie du bétail, c’est une manière de vitrail. Mouchette serait Sainte Misère et n’aurait trouvé sa place dans aucun calendrier. Mouchette pleure mais ne prie pas.

Je ne sais pas ce que sa mère dit à Mouchette juste avant de mourir. J’entends que c’est une mise en garde qui concerne les hommes, les ouvriers peut-être, une injonction de plus, un “fais pas ci fais pas ça” qui n’avait pas encore été proféré ; je saisis que c’est d’un autre ordre que celui des choses ordinaires : cris de bébé, lait à chauffer, fenêtre à ouvrir. C’est facile de se raconter tout simplement que c’est Mouchette qui fait tout à la maison, ça va de soi cette pauvreté.

Parmi ceux qui ont vu Mouchette il y a ceux qui ont regardé Mouchette et on aimerait croire que ceux qui rédigent les fiches de présentation du film l’ont vu plusieurs fois et regardé au moins une et au moins une fois sur un écran de cinéma, pour qu’au moins une fois le bol de café ait été plus grand que leur tête.

Je lis dans un de ces textes qu’après la mort de sa mère, Mouchette trouvera refuge près d’une femme qui aime les morts. Elle ne trouve pas refuge, elle vient parce qu’on l’appelle, elle vient quand on l’appelle et cette protagoniste comme dirait l’auteur, est une personne mauvaise, odieuse, qui ne veut aucun bien à cette jeune fille dont la robe sans manches nous dit qu’on est en été et qu’il fait soleil. Mais sa mère est morte et Mouchette est partie chercher du lait pour le bébé après avoir dit merde à son père.

Je n’ai lu dans aucun de ces textes que le père de Mouchette quand il rentre le soir se couche sur son lit, et sa casquette dans les mains comme un volant, fait des bruits d’automobile comme on se berce, comme une métaphore de branlette pour s’endormir. On ne dit pas branlette dans ce genre de texte. Mais j’ai le droit de le penser en le voyant.

Comment Mouchette cherche le vertige dans les hautes herbes, contre les arbres, dans le tour d’auto-tamponneuse que lui offre en silence une femme qui tient un bébé dans ses bras, dans le tour de manège qu’elle ne fait pas mais qu’elle regarde d’autres faire, dans le verre d’alcool que son père lui donne à boire le dimanche quand elle a fini de laver la vaisselle chez Fernand, où Louisa la serveuse sème le trouble chez les mâles : Arsène le braconnier et Monsieur Mathieu le garde-champêtre.

On dit dans les fiches de la cinéphilie que Mouchette est violée par Arsène, oui. Pourtant elle referme ses bras sur lui dans un abandon rare et elle dit qu’il est son amant. Elle dit qu’il y a eu un cyclone et c’était juste du vent. On peut toujours essayer d’empêcher Mouchette de s’inventer une vie qui sonne juste ou qui sonne faux comme la chanson du film selon où Mouchette la chante. C’est une chanson qui lui ressemble qu’il faut apprendre par cœur, elle vaut bien des mantras.

Espérez plus d’espérance
Trois jours leur dit Colomb
En montrant le ciel immense
Le fond de l’horizon
Trois jours et je vous donne un monde
À vous qui n’avez plus d’espoir
Sur l’immensité profonde
Des yeux s’ouvraient pour le voir
Musique de Jean Wiener, Paroles de Jean Dréjac

Les fiches des ciné-clubs qu’on voudrait pouvoir prendre au sérieux racontent que la vieille qui lui donna refuge lui donna (le passé cinéphilique n’est pas simple) aussi une robe de mariée. En réalité c’est une robe à col rond en organdi et il suffit d’avoir été un peu catholique dans une vie antérieure pour reconnaître dans ce qui sera le linceul de Mouchette, une robe de première communiante.

Il y a des scènes de chasse, une colombe meurt au début, des lapins meurent à la fin, c’est la règle du jeu comme dans La règle du jeu. Comparaison n’est pas raison mais pas tort non plus.

 

Le film :

 

Luc Garraud | Costume

Luc Garraud qu’on a déjà accueilli par le passé dans Hors-Sol propose aujourd’hui une longue série de textes brefs, qu’il appelle Herborisations, et dont voici, dans cette suite, neuf extraits.
 

 

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Grosse boule en cuivre brillante, j’ai poussé la porte du tailleur, sur le boulevard le long de sa contre-allée fleurie au printemps, grands massifs frais comme des drapeaux de tulipes jaunes et rouges en bandes organisées, prenant le pouvoir, vite fané.
C’est vaste à l’intérieur et plus on entre, plus ça se rétrécit vers le fond du dédale, c’est plein de cintres sur des portiques à roulette qui circulent autour de tables basses en bois de sapin blanc, elles sont lustrées par le frottement des rouleaux de tissus étalés. Tout est coupé ici, avec un patron qu’on malmène, le contour à la craie des pièces de tissus, scènes de crime en morceaux, une manche, une jambe, un col, le légiste est couturier. D’un geste sûr, grands ciseaux aiguisés, crouic, crouic, crouic ! On me toise pas que du regard, tendre les bras, l’autre jambe, ils ont toutes les mesures de mon corps d’athlète, épaules de rêve devant la glace qui me déforme, reflet du moment, pour traverser les montagnes à pied c’est bien suffisant. On me taille un costard, pour l’évènement, bien enveloppé pour se montrer comme un autre, rentrer dans le bordel du temps, dans un habit propre et beau et avoir une allure étrangère, méconnaissable dans un pli d’ourlet à l’anglaise, de laine et de lin mélangé, se sentir bien dedans, pile poil aux entournures, un costume de scène ordinaire, pour aller marcher, s’asseoir dans l’herbe, sur rocher. Pour suivre le spectacle ahurissant et surpris qui nous accompagne, journalier, faire à sa mesure, un costume qui ne coûte que le temps de le faire, avec le plus beau tissu du monde, une veste, un pantalon que l’on garde toute la vie, longtemps, toute une vie de flânerie, de postures, de beuveries ratées, d’herborisations. Un habit qui ne dit rien, qui ne rapporte rien, ni parade, ni transactions quelconque, juste pour se sentir encore mieux qu’hier, dans les bonnes coutures avec des poches partout, et chaque jour dormir allongé à l’ombre d’un tilleul, un costume qui ne travaille pas.

 

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93. Roy Harper, Stormrock, 1970 | BV



 

Un disque à faire rougir Tim Buckley, Nick Drake, et tous leurs descendants. Et on sent même que Roger Waters a beaucoup tiré de cette verve guitarienne, veine folk so british, mais pas tellement londonienne. Mais au-delà des autres (même Johnny Marr l’avoue), il y a ce côté tragique, disons d’un Arthur déjà passé du côté obscur (ce qui est finalement le fonds d’Arthur). On évite ainsi le romantisme puéril de Led Zep (John Paul Jones, comme Gilmour, seront des fidèles toutefois, le mec envoie, ils le savent). Y’a un brin de psychédhipisme à la Barclay James Harvest, mais toujours plus malin, plus désespéré, plus méchant.

 

 

Luc Garraud | Debout

Luc Garraud qu’on a déjà accueilli par le passé dans Hors-Sol propose aujourd’hui une longue série de textes brefs, qu’il appelle Herborisations, et dont voici, dans cette suite, neuf extraits.
 

 

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Debout dans le bus, chaque fois, c’est mieux pour voir dedans et dehors en même temps, juste en face de la porte qui s’ouvre, s’occuper comme on peut, dans les allées et venues du quotidien, rien ne se passe vraiment et plein de choses inutiles, remplissent l’espace, dans la nuit c’est pareil, on fend l’air chaud à la fenêtre du haut de la maison sous les toits, on sent l’histoire naturelle passer, fendre l’air, la grande baie triangulaire, qui se remonte comme la lame de la guillotine, voir vite et loin, le long jour qui s’éteint, le brouillard qui tranche sur la peau du temps, faire glisser ses doigts, sur le sable brillant du soleil radieux, à ne rien comprendre de ce qu’il se passe, ce que l’on voit devant, de ce qu’il va arriver quand la porte du bus s’ouvrira sur la marche du trottoir mouillée le matin, milliers de pavés usés que l’on garde pour la beauté des pierres, les pas affolés, la pluie sèche, le vent, qui transporte tout, des phrases pleines de mots fragiles, on regarde où l’on met ses pieds en espérant que tout va bien se passer quand debout dans le bus à observer partout la porte se refermera sur la nuit.

 

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