Luc Garraud | La lettre

Luc Garraud qu’on a déjà accueilli par le passé dans Hors-Sol propose aujourd’hui une longue série de textes brefs, qu’il appelle Herborisations, et dont voici, dans cette suite, neuf extraits.
 

 

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Le Kangoo jaune du postier passe vers 13 h, comme à son habitude, il prend en face le chemin de terre qui monte chez le voisin, dont on voit d’où je suis, un petit morceau du faîtage de la maison, mais surtout le grand frêne qu’ils ont élagué cet hiver, bien dégagé derrière les oreilles. Le postier il passe partout avant chez moi, je suis le dernier de la tournée. Je guette, il n’y a pas souvent du courrier, c’est même très rare de recevoir une lettre, le plus souvent des pubs, plus régulièrement des factures, voir des rappels de factures, rien d’autre, depuis qu’on se parle par mails. Il est arrivé un peu vite devant la boite aux lettres, sur les graviers la voiture a dérapé. J’ai entendu le clapet métallique de la boîte se fermer, y’a quelque chose, sûrement encore une promo du supermarché du coin : « foire au porc », avec lot familial 10 kilos de phosphate pour 9,99 euros, pour ne pas dire 10. Il y a une lettre, avec un joli timbre, un paysage de châteaux de la Loire, je ne sais pas lequel, je n’y suis jamais allé, pas mis les pieds, aucune idée, Chevronçevaux ? Peut-être bien. Il n’y a qu’un timbre et rien d’écrit sur l’enveloppe, tout blanc, pas d’adresse, même pas mon nom, je retourne l’enveloppe pour voir derrière, qui m’envoie ça, rien non plus. Arriver sans adresse, comment fait le facteur pour savoir, distribuer sans se tromper, bizarre, moi je ne comprends rien. L’enveloppe est posée sur la table, toute blanche, juste le château dans l’angle qui nargue mon l’œil droit, j’ai peur de l’ouvrir, ce qu’il y a dedans, qui m’écrit ? Il y a l’intérieur deux feuillets pliés et rien d’écrit non plus sur les deux faces, y’a pas plus blanc. Ça me rassure d’apprendre aucune nouvelle, ni une bonne, ni une vraiment mauvaise, d’être au courant de rien, de ne pas savoir ce qu’il ne se passe ailleurs, là-bas d’où on m’écrit, pou ! Pas d’inquiétude à se faire alors. Je suis content de recevoir une lettre, ce n’est pas souvent, je vais pouvoir prendre mon temps pour la lire et relire plusieurs fois chaque ligne blanche, dans le détail, avoir autant d’attention pour moi et de n’pouvoir répondre.

 

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