Archives de catégorie : Feuilleton

Jian • Contrespaces (de la rémanence) (6) • fr. 27-30

Hors-Sol attaque la publication d’un texte reçu il y a quelques mois (via réseaux sociaux). L’auteur explore ici les moyens d’une révolution, qu’elle soit politique, écologique, littéraire, philosophique. Dense et ardu, ce texte expérimental est parfaitement stimulant.

A noter la participation de Frédéric Dupré qui vient « accompagner ces propositions de ses puissants dessins ». On le retrouve sur son blog Le Griffonneur.

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26)

Nous avons à élaborer des fictions surrectionnelles, des figurations d’exception. Les fictions sont encore trop souvent opposées à ce qui serait la réalité. Or, le sens de fictum, fingere  ne renvoie pas au faux, ni au faux-semblant propre au « mentir-vrai » mais à la nécessité pour « ce qui arrive » de venir d’un arrière-fond sensible où le temps n’est pas clairement marqué, daté, déterminé, mélangé qu’il est encore à la matière ou à la chair du monde dans ses textures, son grain, ses pulsations.

Un temps de la fin : un empirisme radical, du groupe (James) ou de la multiplicité (Deleuze), vers une « anarchie couronnée » qui renoue avec l’illusion fabulatrice et crée de nouveaux rapports infraphysiques.

Une péri/ode anatomique, un épis/ode anastrophique qui revient inexorablement d’où tout part mais qui, par force centrifuge, capte les forces périphériques et les rends, en les piratant.

Ni cathédrales renaissantes, ni champ de ruine ou morcellement allégorique, voici un appel à composer.

De fait, c’est apprendre à devenir contemporains.


27)

Prendre le contre-pied du temps hystérique, contrefaire l’histoire dans un hors-temps qui la dépossède d’elle-même, créer un contre-temps bien plus qu’un contre-courant, qui aille à contre-sens de sa force aveugle, de sa mobilisation infinie.

Temportalité mythique plus qu’historique, grande dérive et interminable déroute de notre transhumanité.

*Temportalité archéologique dont le jaillissement se mêle à celle des grands hominidés dont nous sommes les contemporains à l’échelle de l’histoire dé-mesurée, à côté de laquelle « la nôtre », l’Histoire, ne signifie pratiquement rien.

*Temportalité géologique, chtonienne et tellurique qui nous ébranle depuis des temps immémoriaux, bien avant que le temps dit humain ne s’en mêle. L’intrusion de Gaïa.

*Temportalité post-exotique, sinon onirique ou chamanique. L’Autre et l’Ailleurs ne constitue plus un « exotisme » qui puisse alimenter nos désirs et espoirs, mais re-présentent la source de mutations du trajet où l’altération échappe dorénavant à toute identité fixe : errante ou erratique, vaste steppe ou jungle labyrinthique dans lesquelles le temps lui-même se perd, tombant dans son propre gouffre sous le poids de sa densité, comme les astronomes prétendent qu’un jour l’Univers entier s’effondrer sous son propre poids.

Temps de la « fin sans fin », temps d’après qu’aucune histoire ne peut décrire dans la mesure où elle ne s’excrit jamais en faits, mais en fiction, en souffles, en façonnements d’êtres de devenirs, en fabrications de sens et de formes que nous pouvons voir et faire voir, sentir et faire sentir, cultiver en commun, tout contre l’im-monde.


28)

Ces pulsations temporelles dessinent le contrespace d’après, où battent les organes vitaux de la longue durée,
de la calme endurance, du… durable (sic).

Le contrespace se sous-vient des animaux
que nous suivons et qui nous habitent
(ainsi du végétal, de l’unicellulaire, de la « soupe primitive »,… jusqu’aux ressources mythiques), traversant la chronologique dévorante de mondes.

L’histoire- si nous pouvons prendre ce terme en dehors de sa détermination métaphysique et donc historique- ne relève plus ainsi de la question du Temps grammatique (ni de celle de la succession ou de la causalité) mais de celle de la communauté ou de l’être-en-commun. Communauté inavouable parce que trop nombreuses mais aussi parce qu’elle ne se connaît pas elle-même.

Une autre cartographie que celle qui préside aux géopolitiques du temps, une autre stratégie du lieu à occuper et à libérer du même coup, que celle des territoires partout colonisés et toujours clôturés de notre humanimalité, une autre manière d’avoir lieu sans le conquérir ni le posséder.

Non plus le lieu-support, le lieu-socle, ou le lieu-sol, ni non plus le lieu-niche, le lieu-nid, le lieu-abri, le lieu-refuge, non. Nous à la limite, au seuil, sur les contours et les pourtours, en équilibres sur les limes (non pas uniquement bordure ou triste limite, mais aussi chemin de traverse, piste et sentier).

Jamais en lieu sûr, mais dans l’obscurité première, d’avant la séparation de l’ombre et de la lumière, du jour et de la nuit, dans la désobéissance du monde, des frontières qui séparent le proche et le lointain, l’intime de l’étranger.

Rien ne s’arrache sans attache. Arrachement et attachement vont de pair, bien au-delà des consonances de leurs noms.
Les liens qui libèrent…


29)

Il ne s’agit pas de fuir le temps, mais de le faire fuir, d’opérer des trouées pour emprunter ces voies certes étroites, mais libres, de la « fiction » où le temps se met à révolutionner à vitesse infinie : le contrespace est un outre-temps, un temps d’après, une pro-jection dans le Là des rémanences vitales à partager. Demandez aux semences leur manière de faire des mondes.


30)

Contre le fétichisme de la Tête, grande timonière de la révolution, nous chuchoterons « Nous ne sommes pas encore nés, nous ne sommes pas encore au monde, il n’y a pas encore de monde … la seule question est d’avoir un corps » (Artaud). Un corps qui ne soit pas la dissémination de la tête décapitée: chacun fait corps avec ce qui le fait vivre : l’air, l’autre, la terre, l’horizon…

L’aufklärung veut aller du haut vers le bas, il nous faut inverser cela. Retournement de toutes les valeurs à cet endroit. Ce qui ne veut pas dire aller du corps vers l’esprit dans un fallacieux mouvement qui ne ferait que valider ce à quoi il tente d’échapper. Mais bien de trouver un circuit somatique qui ne reconduirait pas ce dualisme même.

C’est un re-tour des sens, et non pas du Sens : toucher, goûter, sentir, écouter, voir… et la problématisation de leur conditions de possibilité non (trop) mutilées.

Le monde n’a plus besoin de sens, dont il déborde à ne plus savoir quoi faire : dogmes, vœux pieux, beaux principes et grandes idées, petits idéalismes et grands massacres. Il ne faut rien ajouter au monde, mais retailler dans l’abondance.


Jian • Contrespaces (de la rémanence) (5) • fr. 21-26

Hors-Sol attaque la publication d’un texte reçu il y a quelques mois (via réseaux sociaux). L’auteur explore ici les moyens d’une révolution, qu’elle soit politique, écologique, littéraire, philosophique. Dense et ardu, ce texte expérimental est parfaitement stimulant.

A noter la participation de Frédéric Dupré qui vient « accompagner ces propositions de ses puissants dessins ». On le retrouve sur son blog Le Griffonneur.

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21)

Les renversements sont coutumiers, il faut nous en prendre aux horizons.

Descendre dans les sous-sols du lieu qu’on occupe pour sentir au plus vif les tremblement des histoires qui s’y déposent comme autant de couches géologiques, de mutismes et de non-dits, d’inter’dits et de paroles, d’images refoulées, dans l’opacité qui oscille sous notre pas, dans la contre-plongée d’une radicale immanence, plutôt que du point de voir surplombant de l’angélisme rédempteur. Par de multiples canaux souterrains, vers une mystérieuse destinerrance, qui n’est pas l’avenir, bien sûr, notre futur bouché, mais un lieu qui secret, qui sécrète l’étrangeté. Des hétérotopies.


22)

Cet « hétéro », cet « autre », ne pourra ici être subsumé par sa prétendue « différence », réifiée et paresseuse. L’altérité supposée doit être construite, plus qu’affirmée ou simplement constatée, afin de l’ouvrir à l’extérieur et à l’inattendu, à la surprise et à la déroute, à l’égarement et à l’incongru… à l’aventure de la rencontre, finalement… en deçà de toute logique d’intégration, de classification ou spécification (Identité/Différence. Même/Autre etc.)

Ecart plutôt que différence, donc. Con-struction productrice, dynamique, mettant en tension : ne répondant pas à un besoin identitaire, relatif à une quelconque comparaison, mais ouvrant un espace fécond où peut se déployer un dérangement exploratoire .

Un dévisagement réciproque.

Plutôt qu’une distinction à partir d’un socle général, l’écart produit une relative diStance, faisant remonter à un embranchement qui fait partir de l’autre, au lieu d’un détachement.

Il faut de l’autre, donc à la fois de l’écart (non pas verticalement, vecteur d’inégalités, mais horizontalement: car seule la mise en tension fait saillir la vie) et de l’entre, pour promouvoir du commun. Car le commun n’est pas le semblable : il n’est pas le répétitif et l’uniforme, mais bien leur contraire. Elargissement des horizons et des perspectives entre lesquelles des vies originales pourront s’inventer.

L’écart brise le cadre imparti, soumis à l’enlisement certain, et se risque ailleurs. Il fait exister un ex- aventureux, il crie l’autre nom de l’existence qui vaut la joie d’être vécue.


23)

Un cri. Non plus tant considérer cette voix sous l’angle de la vérité, que selon ses effets de prises ou d’effets : son appel d’air pour de silencieuses transformations… sans arrière-monde.

Des plis contrespacés et contrespaçants, une entente hétérotopique.

Mouvement qui ne consiste pas à opposer des mondes clos entre eux, par une essentialisation de mauvais augure (chaque « monde » est rapport de force et creusé par l’hétérogène), mais fait travailler les pas de côtés, met en tension dans l’indéfini procès des choses, et enfante par ricochets, peu à peu, de fructueuses possibilités communes.

Un pli, une percée de détections qui opère à la rencontre des dehors multipliés.


24)

On dénoncera sans doute notre isolement d’un monde, ce qui serait catalogué comme réaction insulaire et solipsiste, immunitaire et égotiste.

Or, nous faisons exactement l’inverse : déchirer l’ontologie sous cellophane, pour faire place au « entre », le rendre abordable.

Il ne s’agit pas d’enfermement fixiste en hétérotopie, mais de construction d’un tracé, localisé et bancal, fertilisant le graphe commun, par la tension agonistique qu’il produit (et non par une ingénue « fécondation » réciproque). Laquelle différence de potentiel, active de l’entre : laisse passer, fait passer la dépropriation.


25)

Il nous faudrait une poétique dans laquelle l’éthos ou la « manière d’être », sa manière de vivre-avec, d’être-là-auprès, d’être au monde avec l’autrui, relève d’une puissante poeisis, d’un acte qui soit créateur de soi et de l’autre comme de la chose qu’elle vise. Ce dont il s’agit dans toute parabolè, ce n’est pas l’objet qu’elle dénote, mais la courbe qu’elle dessine.
Inventer ce contrespace dans la courbe du nous-tous comme nous-autre, pronom problématique où la troisième personne du pluriel, dénotant l’absent multiple – la pluralité des non-personnes disent les linguistes — se mute en première : co-présence nombreuse des uns et des autres, des uns comme autres.

Insoluble paradoxe d’une communauté des singularités dont toute temportalité collective dépend : une autre manière de per-sonner, de faire sonner la voix à travers les masques, d’inscrire le pluriel dans le singulier.

Loin d’un fantasme de la communauté « des autres », replonger ainsi les choses dans le bouillonnement de leurs qualités sensibles non encore formalisées en figures ou concepts, dans leur teneur pré-identitaire — préthétique ou antéprédicative, disent les phénoménologues, au ras du sol.

Nous ne sommes pas des étrangers, mais des « inconnues », au sens mathématique, la variable qu’on ignore dans l’équation à jamais insoluble entre le soi et l’autre.

L’autre se dépose dans des figures qui ne sont ni des Idées, ni des Valeurs (morale, axiologie), mais de fortes fabulations de la pensée et de la vie. Des fictions vraies, des existences. L’altérité dans le trajet révolutionnaire est ce que nous avons en commun.


Anna de Sandre • La cicatrice

anna_de_sandreAnna de Sandre a une prédilection pour la forme brève ; elle écrit principalement des nouvelles (‘Le parapluie rouge’, à paraître aux éditions In-8) et de la poésie (‘Un régal d’herbes mouillées’, aux Carnets des Desserts de Lune), et ponctuellement des romans et des histoires pour la jeunesse (‘Iris et l’escalier’, Gallimard). La plupart de ses textes sont publiés dans divers recueils collectifs ou revues. Ses textes sont visibles sur son site Biffures Chroniques.

 

Comment trouver une réponse pertinente à la question qui l’absorbe depuis quelques jours, Jules n’en sait rien et ça l’assombrit plutôt. Il a du culot, mais pas avec elles, et pas « pour ça ». Il vaut mieux maintenir sa paume sur la flamme d’un briquet ou obéir à Matt comme quand il tombe sur toi le jour de sa raclée au poker que de leur poser la question, parce que les filles, c’est encore plus étrange que des girafes malades.

Le cours d’histoire est interminable alors que Jules voudrait bien poser ses fesses à l’angle des préfabriqués pour contempler les lézardes dans le mur au fond de la cour.

C’est un ancien élève qui avait offert de le financer pour remplacer le grillage d’origine. Un petit trapu qui fumait des Cohiba et traînait souvent dans le bar où des groupes de gamins sifflaient des bières achetées au Shopi de la rue Monge. Matt disait qu’il les aimait avant quatorze ans avec une poignée de sel, et Jules voyait la grande Maïwenn en débardeur-bermuda et Lucas dans sa chemise à carreaux fétiche, tous les deux ficelés chez le vieux dans sa cuisine.

Un énorme plat en terre cuite sur la table et eux dedans, enfouis sous des kilos de sel comme le chapon en coque de sel du dernier réveillon.

Dans les fissures du mur, il y a des nids d’araignée, des messages secrets, de la moisissure et des mondes parallèles dangereux, hors du commun… ou plutôt non,dans l’ordinaire des rythmes circadiens de leurs habitants minuscules, si proche du nôtre donc que Jules peut les fixer de longues minutes sans se lasser.

Ce sont des fentes qui lui sont familières, presque amicales. Généreuses, même, vu comme elles lui font passer du bon temps avec leur mystère. Pas comme la fente des filles.

La fente des filles, elle cicatrise à la mernopause. Quand elles sont vieilles tu ne peux plus les baiser, leur trou se bouche. Ça aussi c’est Matt qui le dit. Il raconte parfois des craques pour se moquer mais là, c’est du sérieux. Et de toute façon, l’information n’est pas vérif able : la plus vieille du bahut n’a que dix-neuf ans et les enseignantes ne sont pas de vraies femmes. A part mademoiselle Larieu bien sûr, qui donne les cours de gymnastique : les filles de sa classe l’ont vue enfiler deux soutiens-gorge l’un sur l’autre dans les vestiaires pour protéger ses nichons, mais elle, hors de question de lui poser une question sexe. C’est même clair que c’est mort.

Jules plonge la tête dans ses mains et se concentre sur son cahier où les dates le narguent avec les doigts d’honneur dont il les a affublées. Il en rectifie un sur Marignan mais ça ne l’empêche pas de durcir malgré lui et de transpirer. Son stylo glisse et il le jette avec colère. Le regard de la prof dans le brouhaha intéressé de la classe achève de le mettre dans l’embarras. Bon sang, il est le seul à ne pas savoir, parce qu’il se pisse trop dessus pour oser demander !

La prof se retourne une fois le silence obtenu pour écrire au tableau et tout le monde est occupé à recopier. Même le gros Mattéo fait de son mieux pour avoir une partie du cours sur son cahier.
Pourtant, Jules sait que Camille a sûrement la réponse.

Elle est assise à côté de lui depuis deux mois pour ce cours, et il n’a pas seulement repéré qu’elle ne sera jamais pour lui avec ses airs de bourge : il a également compris qu’elle connaissait plus de choses que les filles de son âge.

C’est inscrit dans sa fossette et l’attache fine de ses poignets. Camille, elle est physiquement intelligente. La science infuse, des fringues cool, et un cul de reine. « Oui, et quand j’aurai récupéré mon royaume en tuant le félon qui me l’a piqué, j’en ferai ma reine. Il faut juste que j’ai les pistaches bien accrochées pour le lui dire. Et puis que je trouve le bon moment aussi. Pas évident, ça, de
trouver l’occase. »

Une mouche est entrée par la fenêtre ouverte et choisit de défroisser ses ailes pendue à une des ampoules du fond. Personne n’a levé le nez. Jules déglutit lourdement et profite de cette concentration inhabituelle pour tourner la tête sur sa voisine de table : « C’est vrai qu’le trou d’ta chatte y va s’refermer tout seul à ta mernopause ? »

Il a craché ça avec sa bouche dure et malheureuse.

Les filles sont des comédiennes avec du sang glacé dans les veines. Elle n’a pas bougé. Salope, merde. Réponds-moi ! tu m’as très bien entendu. Allez, si elle me répond, j’apprends tous les verbes irréguliers, j’appelle la copine de mon père Maman, cette radasse, je bois un litre de bière sans roter ni pisser, je fais le tour du quartier à poil, je…

« Non, ce n’est pas vrai. »

Sa voisine lui a sifflé la réponse à travers ses dents fermées en remuant à peine la bouche. Des mois d’entraînement j’en suis sûr. Et ce blond qu’est-ce que ça tue les yeux, et sous les néons c’est pire la vache ! Camille regardemoi…

C’est pas possible Camille, il faut que tu me regardes. J’ai besoin de tes yeux sur mon corps d’éléphant raté, de tes rubans débiles qui m’agacent, d’entendre encore ta voix qui vient de sortir juste pour moi et qui me fout un coup de poing dans la poitrine. Frappe-moi si tu veux, défoule ta colère si tu en as une mais occupe-toi de moi bordel de Dieu !

Camille se penche en avant sur le pupitre jusqu’à poser sa nuque dans son coude replié, ce qui lui permet de continuer à écrire en dévisageant son binôme.

Elle le fixe avec intérêt et sa bouche lui sourit doucement, un peu comme la nounou quand elle prend sa petite soeur dans les bras.

« Attends-moi ce soir au métro. Je te dirai tout ce que tu veux savoir. Mais hé ! chut, hé ! Après, tu me payes un pain aux raisins à la boulangerie. Et quand je l’aurai tout bien mangé, alors seulement j’aurai envie de sortir avec toi. Mais qu’on soit bien d’accord, j’en aurai peut-être juste envie et rien de plus…»

 

Jian • Contrespaces (de la rémanence) (4) • fr. 16-20

Hors-Sol attaque la publication d’un texte reçu il y a quelques mois (via réseaux sociaux). L’auteur explore ici les moyens d’une révolution, qu’elle soit politique, écologique, littéraire, philosophique. Dense et ardu, ce texte expérimental est parfaitement stimulant.

A noter la participation de Frédéric Dupré qui vient « accompagner ces propositions de ses puissants dessins ». On le retrouve sur son blog Le Griffonneur.

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16)

Nous vivons sous le joug de schèmes mythologiques. Et l’absence de mythe se révèle le mythe suprême : la pseudo-immanence de la Marchandise et ses conditions de possibilités, la divinisation/humanisation de la nature ou/et la naturalisation/divinisation de la nature, le Gouvernement des sujets égaux en droit etc. (Que de dispositifs nécessaires pour faire couler la Police dans une résine d’Equivalence!)


17)

Assumer la « fin des grands récits » (et détruire encore ceux qui nous gouvernent), mais ne pas abandonner cette « petite musique », où ces mots et ces actes subtils qui s’impriment dans les corps, dans les couches esthésiques de la mémoire et de l’imagination, loin des grandes « visions du monde » : parasites, bruits de fonds, fureur discrète, désirs de vie, rythmes (« le rythme d’une forme est l’articulation de son temps impliqué », Maldiney)…


18)

Si césure dans le temps il y avait, cette dernière ouvrirait un hiatus par rapport auquel se dessineront l’antagonique des comportements hétérogènes, qui ne peuvent composer. Amplification vitale, des gestes apparaissent. Moyens sans fins, porteurs d’outre-là. Des formes-de-vies qui éclairent à nouveaux frais d’innombrables gestes passés.


19)

Nous ne dirons pas qu’il n’y pas de faits hors discours, mais bien que les discours doivent élargir leur champ de perception : histoire longue des « épistemè » (Foucault), des « esthésies » (Rancière), des « visions du monde » (Heidegger), des « manières de faire des mondes » (Th.Marin). Ce ne sera pas là un Grand Récit mais le passage du lier et délier au bord du mythe, ses ressources au bord du gouffre : suspension, interruption, la communauté de ceux qui n’ont pas de communauté, la seconde nature du « grand parler ».

Une para-bole de mille-et-un petits récits qui n’abrite rien sans avoir jeté dehors, lancé au loin comme l’arche d’où le monde recommence, non plus comme une terre promise ou un paradis perdu, qui sont des lieux-de-fixité incompatibles avec le déluge qui nous embarque, mais comme de nécessaires réarticulations entre êtrumains, animaux, plantes, air et terre comme milieu, micro-organismes, hybrides et artéfacts…


20)

Les existences monstrueusement en commun deviennent ainsi des modulations perpétuelles, des événements : des modes d’existences outrepassant la logique classique, aristotélicienne. Des manières à chaque fois singulières de faire des mondes, dont le problème touchant à la compossibilité avec le milieu ne peut plus être dogmatiquement posé, ou nié de manière systématique.

Deux faces de la même pièce ontologique morbide qui atrophie le plurivers et empêche d’un même mouvement l’émergence d’une mésologie attentive aux correspondances éco-techno-symboliques d’un milieu, toujours ce milieu. Il Y va de l’hétérotopographie à inventer, radicalement, qui tracerait un plan métastable de compossibilité à la fois écologiquement soutenable et de modes d’existences à l’excentricité inouïes.

Jian • Contrespaces (de la rémanence) (3) • fr. 11-15

Hors-Sol attaque la publication d’un texte reçu il y a quelques mois (via réseaux sociaux). L’auteur explore ici les moyens d’une révolution, qu’elle soit politique, écologique, littéraire, philosophique. Dense et ardu, ce texte expérimental est parfaitement stimulant.

A noter la participation de Frédéric Dupré qui vient « accompagner ces propositions de ses puissants dessins »

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11)

Re-volvere peut aussi signifier « rouler en arrière ». Ainsi de la vague qui se retire dans le ressac, chaos de goûte orienté, déferlement à rebours, dans cet étrange courant, intempestif, tiré vers le grand large. Car l’histoire n’est pas seulement le « déroulement » des faits, mais aussi l’enroulement sur lui-même de tout ce qui arrive : le roulement continu et bouleversant des vagues de temps et de leur ressac secret dans des passés qui reviennent sous nos pieds.
Ne plus nous laisser impressionner, dès lors, par certaines catégories désuètes faisant insulte automatique : réactionnaires, traditionnalistes, archaïques, anti-modernistes etc. On ne revient jamais en arrière, hors du temps linéaire.

Nous sommes les humbles, ceux qui revendiquent l’honneur d’appartenir à l’humus, la terre dont on naît et meurt, sur laquelle on se dresse et se couche, qui soutient dans l’action comme dans le repos, le lieu de la régénération. Car il s’agit bien d’une nouvelle naissance, d’un naître d’exception, dans l’habité géopratique.


12)

Nous avons à mettre les mots, les idées à leur place, mouvante. Ceux-ci ne sont pas la connaissance elle-même, ni son contraire, mais les passages de nos actions, des moments du processus plus large de sentir et d’agir. Ils font partie de nous. Nous les retrouvons inscrits dans nos corps, ils habitent nos gestes et demandent une culture active, sous peine d’être dévorés par eux. Des outils vitaux : c’est bien à tort que nous considérons les outils comme des choses inertes.

Nous entrons dans les tournants et retournements de l’enfantement et de l’avalement dans une temportalité révolutionnaire et fractale.


13)

Sans doute se rend-on compte rarement de l’immense potentiel de subversion dans nos « sociétés »- un grouillement de l‘ombre, teinté d’insolences secrètes et de réalismes sensés, de résistances viscérales, de coalitions improbables, de machinations secrètes.

Mais plutôt que de dire « tout est relation », la révolution qui vient insistera sur le raccord, sur notre aptitude active à créer des accords inédits, des raccords inouïs, de nouvelles chances qui permettent aux lieux les plus éloignés de « communiquer », ouvrant de nouveaux passages ou traçant de nouvelles lignes, frayant des chemins de traverse à celles et ceux qui font communauté en explorant la variabilité des conjugaisons et des déclinaisons. Et tout de se compose pas. Nous nous opposerons à ce qui nous empêche d’exister.


14)

A l’inverse du parti de l’in-nocence, nous habiterons toujours-déjà la nocence radicale, cette sordidissime noyade. « Causer la mort » (Nek-, Nok-) d’un monde à l’agonie, dont la préservation conjuratoire confine à l’acharnement thérapeutique.

Loin d’être-pour-la-mort, ce non-sens nourrira l’humus fertile favorisant la poussée d’autres manières vitales. Lesquelles ne nieraient plus, ni n’absolutiseraient la Mort. Nous ne serons nuisibles que pour les petites mains participant à la systématisation de cette double pince mortifère.

Des profanations de ce qui fut séparé dans la sphère sacrale auront lieu, cas par cas et habilement, en situation. Sera rendue au commun la nocence, la joyeuse impureté de nos vies infâmes et affamée, sans toutefois remplacer un Faitiche par un Autre immaculé, tel que Laïcité, Démocratie ou Humanisme. Le fantasme du Tout-Autre ne fera que reconduire le fantasme du Tout-Même sur son socle pulsionnel incompris.


15)

Nous reprenons ici l’infinition forte du (cosmo)politique comme « un certain degré d’élaboration dans l’élément éthique ». C’est-à-dire, en fait, et très concrètement : apprendre à comprendre les formes-de-vie dans une certaine indétermination, apprendre à apprendre des formes-de-vie dans leur opacité, dans leur « non-communicabilité », da5s l’impossibilité d’échanger les places. Non pas prétendre les chapeauter par un schème révolutionnaire transcendant, macrosphérologique, mais bien tenter de tramer le co-immunisme des formes-de-vie, des mondes sensibles en-train-de-se-faire. Déterminer, au cas par cas, l’arête politique dans les processus de mise en consistance : ce qui est viable ou non, ce qui peut se composer ou ce dont la composition mène à la décomposition collective. L’action poélitique s’intéresse aux processus de venue-au-monde, dans les champs de force de la vie au présent.

Entre-tien de la relation Terre-monde : tenir de l’entre, tenir par l’entre, prendre soin de cet entre-nous élargi, demeurant disponible et sachant respirer.


Jian • Contrespaces (de la rémanence) (2) • fr. 6-10

Hors-Sol attaque la publication d’un texte reçu il y a quelques mois (via réseaux sociaux). L’auteur explore ici les moyens d’une révolution, qu’elle soit politique, écologique, littéraire, philosophique. Dense et ardu, ce texte expérimental est parfaitement stimulant.

A noter la participation de Frédéric Dupré qui vient « accompagner ces propositions de ses puissants dessins ». On le retrouve sur son blog Le Griffonneur.

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6)

Il n’y a jamais eu de changement de base vertical, de renversement du rien au tout : se sous-venir des tables rases désastreuses. Il s’agit là d’acter, radicalement, un trajet (et non un Evénement) habité. Où sommes-nous ? Que s’est-il passé ? Nous sommes là, nous sommes le là. Nous conspirons. Nous existons.

C’est l’exiStance des nous-autres qui est révolutionnaire.

Notre terrienne transcadence (cadere : tomber plutôt que monter, s’élever du « scendere ») et ses clinamens.

7)

Le mot rémanence parle mieux que celui, évanescent, de « survivance » de cette présence-absence que l’on ressent par et dans cette sensibilité sismique à la Terre et aux temporalités, qui vont bien en-deçà de l’Histoire en tant que telle ou de la surface des événements.

Ce talisman infinit « ce qui perdure » dans « ce qui est perdu », ce qui reste vivace dans le révolu. Les forces rémanentes qu’il s’agit de se réapproprier (reclaiming) dans la dé-propriation- disons, n’ayons plus peur, la libération- le jeu libérateur (savoir-faire, savoir-vivre, coopérations, luttes, sabotages, graines, terres,…). Le mal propre est le territoire : la question est échologique, musicale, sphéropratique.

8)

Sortir du temps paulinien et du fantasme d’une coupe radicale dans le mètre du temps, ce Temps géomaîtrisé. Nous entrons dans le « temps prolongé de l’urgence », le temps des catastrophes, le temps de l’ultimatum, plus intense que tout présent, tout futur et tout passé, un « point accéléré » comme croisement de courbes, tel un cœur qui bat plus vite dans le désir (ou dans la peur): une sorte de point de départ et de point d’arrivée infiniment étirés l’un dans l’autre. Un entre-là, un entre-nous qui malaxe la pâte de la présence pour redistribuer le proche et le lointain, l’é-loigné : étranger le proche (rencontrer), devenir le lointain (accueillir) — hospitalité contrapuntique…

Voilà un temps qui vient, autrement qu’intervallaire (Badiou), dans l’à-travers, comme à travers. Une transition du vivre, échappant aux assignations.

Nous en appelons non tant à un moment de rupture, donc, tributaire d’une figuration temporelle linéaire qu’à un mouvement de retour ou de retournement, de cercle ou plutôt de boucle. Au point de bouclage, tout contre l’irréversibilité du temps, une flèche est pourtant lancée au lieu du lieu. Un geste, précis, plutôt que mille gesticulations. Un acte. Mille-et-un actes comme des poussées de sève vivifiantes…

Décider de — et comment — être en commun, permettre à notre existence d’exister et se retourner. Il y va à la fois de décisions cosmopolitiques, mais surtout d’actes au sujet de la cosmopolitique.

9)

Peut-être en avons-nous fini avec le mot de « politique ». A l’heure où la métropole (et non plus la « polis », la Cité) a largement remplacé l’agora par une prolifération de dispositifs autotéliques, à l’heure où la société du spectral ne promet rien d’autres qu’un néo-fascisme verni, le mot de politique parait de plus en plus insuffisant.

Son étroitesse guindée et citadine n’est plus à la mesure des battements tonitruants du monde, des mondes.

La « politique » sort de ses gonds et revient cosmopolitique, le « politique » se diffracte et devient poélitique : décentralisation rurale et extension du domaine des « choses » communes ; différends, palabres et litiges au sujet d’un cosmos habitable ; extension du langage à la multiplicité sémiotique (déconstruction de l’opposition phonè-logos) ; tentative sur le fil de composer un monde comme-un

avec la multiplicité des mondes (au sens de « umwelt » chez Von Uexküll),

expériences de totalisations partielles, toujours glocales,

peuplement toujours en situation du peuple de l’à-venir.

10)

Il s’agit d’assumer la suspicion quant à l’origine religieuse du mot (« conversio »). Comme souvent ce n’est pas la « conversion » qui est d’origine religieuse, mais bien le religieux qui capture les forces de déliaisons et de reliaisons. Lent, tourner en rond : un contre-temps dans les plis majoritaires. Un re-venir non pour la seule mémoire, ni surtout pour la conservation, mais un revivre, jusque dans ce qui reste d’in-vécu, de ce qui n’est pas passé dans le passé.

Une histoire native, kairologique, libérée de sa capture eschatologique :
tournée vers le passé qu’elle transforme et le futur qu’elle autorise.


Jian • Contrespaces (de la rémanence) (1) • fr. 1-5

Hors-Sol attaque la publication d’un texte reçu il y a quelques mois (via réseaux sociaux). L’auteur explore ici les moyens d’une révolution, qu’elle soit politique, écologique, littéraire, philosophique. Dense et ardu, ce texte expérimental est parfaitement stimulant.

A noter la participation de Frédéric Dupré qui vient « accompagner ces propositions de ses puissants dessins ». On le retrouve sur son blog Le Griffonneur.

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« Nous sommes sans nouvelles de nos ancêtres. Nous nous sommes arrêtés ici- Sans nous connaître nous nous rassemblons- nous échangeons nos souvenirs de guerre- nos plaies ne sont pas les mêmes elles se cicatrisent- nous ne sommes pas seuls »
M.Pleynet

« Le « Un » est ce qui autorise le moins l’union, fût-ce avec l’infiniment lointain, à plus forte raison la remontée et la confusion mystique »
M.Blanchot

A-t-on jamais rien vu d’autre que des énergies qui se condensent et des soleils qui se consument ? Avec, de temps, à autre, révélateurs sonores de ce tissage ininterrompu, sur lequel on a les yeux grands ouverts sans rien suffisamment y remarquer, un monde qui choit et s’éteint, un astre qui soudain éclate.
F.Jullien

« Lorsqu’une voix ou une musique est interrompue soudain, on entend à l’instant même autre chose, un mixte ou un entre-deux de silence et de bruits divers que le son recouvrait, mais dans cette autre chose on entend à nouveau la voix ou la musique, devenues en quelque sorte la voix ou la musique de leur propre interruption : une sorte d’écho, mais qui ne répéterait pas ce dont il serait la réverbération »
J.-L. Nancy

« Mais si l’ouvert devant nous n’est pas le temps ni l’avenir, qu’est-il donc ? »
P. Sloterdijk


Avertissement : Autant le susurrer d’emblée,  la langue présente ici se veut expérimentale.


Nous partons d’un monde dévasté, parcourus de  mots usés contribuant à le faire tenir. D’où la maladroite tentative d’opérer des écarts de langage, qui tentent un tant soit peu d’ouvrir le sens à l’inappropriable, en charriant de folles eaux.

« Ici, comme ailleurs, il faut nous refaire une langue… »

Si la « déconstruction » nous est encore vive, c’est en deçà de son affadissement cool, comme une manière de donner du jeu aux assemblages vitrifiés, pour laisser jouer entre les pièces un possible d’où ceux-ci procèdent mais que, par là même, ils recouvrent.

Guérir la langue blessée, anémiée,  en la rechargeant de significations nouvelles, étrangères, barbares, en la revitalisant, en la réénergisant.

Un vocabulaire se cherche, de nouvelles narrations émergent.

Nous ne pouvons plus nous réfugier dans un discours antédiluvien pour parler cette contemporaine région aphone.

Cela peut agacer. Cela agacera. Nous ne pouvons faire autrement.


Le temps de la fin du monde commence.

Et ce commencement de la fin… ne fait que commencer.

Contre l’hystérie chronologique du capital, emprunter un temps qui nous manque, dans la nuit des temps, dans la nuit canine : soit ce qui vient après la fin de l’Histoire. Un temps qui ne soit plus corseté d’avance par sa linéarité, son irréversibilité ou sa finalité.

Une chronolyse, un souffle qui  échapperait au régime de la dette ou du donné, de l’emprunt ou du rachat.  Espacement plutôt que dépassement

Un espace d’extrême faveur, simplement, dans le vif, de nouvelles partitions.

A la limite du mythe, un passage. Une offrande. De la jointure, le jeu d’une ouverture.

Faire correspondre l’échec de tout un mode de vie avec la fin d’un temps, mais sans doute aussi avec la fin du temps. Entrée dans quelque chose d’autre que l’Histoire.  Par de multiples canaux, en de mystérieux sentiers néogènes.

Un grand écart, un long détour que nous sommes, où commencement et fin se rencontrent, dans la mansion terrestre. Façons de relier le monde, et de s’y attacher.

Le en-commun qui nous partage

(Im-manence du Monde, per-manence de la Terre)


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1)

Des signes pressent, partout, tout le temps, étouffés. Des bruits, des tremblements, des ravages de notre espace vital, notre lieu d’être, notre sol comme-un.
De l’indéfinissable, ces secousses appellent une mémoire et une langue, une sémiose. Biologique, géologique: des alertes, des surprises d’inconscience.

Ce monde est malade de conscience, malheureuse, aplanie, privatisée, planante. Percevoir, recevoir ces signes qui transitent les sens, nous branchant aux courants de fond qui travaillent la Terre et son habitation. Im/expressions. Décider en conséquence, en effets, loin de toute volonté volontariste. Un grand bricolage, ou une nouvelle alliance.

Hors d’une logique du choc ou de la transgression, con-cevoir une révolution.

2)

D’inédits plissements font corps, de nouvelles affections. Des signes sont captés, dans un monde largement désaffecté, entre la prison et le chaos. Ils demandent des réponses bien en deçà de toute question. Le mot  même de « nouveau » est usé jusqu’à la corde. Disons : d’exception.  A même ce début de la fin, guetter l’occasion polychronique, comme cette rencontre précaire entre des germes en dormance et l’atmosphère ambiante. Une énergie cinéthique, dans l’ordre intensif. Un tiers-inclus opérant d’autres relations-avec, d’autres pactes ou cooptations.

3)

Cette mnésie consiste à oublier activement l’ « histoire des vainqueurs » et à l’anhumaniser. Raccorder les canaux du passé le plus refoulé avec ceux qui remettent le monde en circuit, en en redistribuant le sens et l’insensé. Ouvrir une péri-ode, une odyssée nouvelle : prendre la vitesse de l’Histoire et, la devançant, annoncer par nos tourbillonnements anastrophiques les grands cataclysmes qui viennent (qui sont donc déjà là : catastrophes).

Béance active, vacance, laisser-être ouvrant le branle aux formes-de-vie par ses tours, détours et retours multiples. A l’instar des motions  cardiaques : systoles- diastoles marquant par leur rythme le caractère révolutionnaire de l’existence.

4)

On nous dit que tout circule, mais la stagnation est patente : univers carcéral, claustration généralisée, inconscient verrouillé, séquestration totalitaire, pure captivité, réclusion de chaque instant et en tout lieu : plus d’Eden ni d’île miraculeuse,  plus d’ailleurs ni de lendemains qui chantent.  On a marginalisé l’espace même de notre vouloir vivre.

Il s’agit bien de se réapproprier les fluctuations secrètes qui circulent encore quand tout semble arrêté, dans l’agitation perpétuelle. Que l’effet offensif de notre refus ne surplombe pas sa vivacité fabulatrice.

5)

Contre la distance critique, notre décision vient de et dans l’extrême proximité distale.
La Critique de ce monde par les  asociaux intégrés que nous sommes nourrit la capacité à y stagner : radicalement hétéronomes, pratiquement, à la mesure même de notre autonomie idéalisée.
Individu mytheux, communauté hypnotique.

Différemment et après la déconstruction de telles abstractions, il est question de reconfigurer un sensible en bataille, en discord perpétuel. C’est-à-dire de nous attaquer pratiquement à l’atteinte des conditions de possibilités de la vie même, à sa capacité d’altération.

Il est ici question du « subtil », de la vie qui passe entre les mailles du filet. Une pratique de l’insauvable, le nom d’un silence dont personne ne peut reproduire l’événement.

Hélène Sturm • La chambre de Rogojine (I-14) • et dernier

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LIVRE I

J’étais devant la porte
Et vous étiez mes clefs

Faust. Goethe

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Moi, si je pouvais j’épouserais les deux, dit une vieille à une autre dans la foule venue voir la mariée.

Moi, si je pouvais dit l’autre vieille j’irais en voyage toute seule et j’en rencontrerais un troisième qui ne serait ni marchand ni fou.

Les honnêtes femmes n’ont pas ces problèmes dit une troisième qui sait de quoi elle cause, dans cette foule venue cracher sur la mariée.


*


Son pouvoir sur eux était si grand que quand elle enlevait un gant ou encore ouvrait un bouton en haut de sa robe ils avaient l’impression qu’elle se déshabillait et ils en étaient tout éperdus et reconnaissants.


*


Au jeu du corps sans âme
Elle l’a perdue elle l’a perdue
Au je de la femme tronc
Elle a gagné elle a gagné
Autant que le pope à la quête


*


Il a des anges gardiens. Quelques jeunes filles fragiles, sensibles et jolies qui l’aiment à leur manière mais non pas sans manières

Mais dans cette chambre il n’y a pas de place pour les anges que sont les jeunes filles.


*


Le concierge balaie la cour. Les volets sont fermés à cause de la chaleur. La maison est noire et les volets blancs ou l’inverse.

Le concierge balaie la neige devant la porte, les volets sont fermés à cause du froid. C’est une saison mentale.


*


Il ne faut pas avoir peur
De ce que vous trouverez
Derrière la porte
Dit le cuisinier
A la mère de Rogojine
Qui cache ses yeux derrière
Ses mains


*


Hélène Sturm • La chambre de Rogojine (I-13)

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LIVRE I

J’étais devant la porte
Et vous étiez mes clefs

Faust. Goethe

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Chez elle on venait boire, l’après-midi du thé, le soir du champagne ou du vin. Ils faisaient du bruit dans les escaliers. Les autres locataires n’osaient pas s’en plaindre à elle. Ils s’inclinaient sur son passage à cause de sa beauté et de l’ampleur de ses robes.


*


Elle n’aimait vraiment que les cadeaux scandaleux et les chansons bêtes. Elle distribuait les regards comme des bons points, elle vendait son corps par lots. Un baiser sur son poignet valait très cher et elle donnait en prime le mépris de ses yeux et un sourire un peu cruel qui ne disait rien. Les battements de son cœur faisaient un bruit de tiroir-caisse. Au fond elle faisait partie de la pire race des vierges.


*


Ils savent bien quand ils la regardent qu’elle ne devait pas avoir été grand chose pour cesser si vite de l’être : une apparence de beauté dans laquelle ils avaient déposés leurs rêves comme de l’argent à la caisse d’épargne.


*


Peut-être pensait-elle qu’une histoire d’amour n’est pas quelque chose qui vous arrive, mais quelque chose qu’on fait arriver aux autres et qu’on se raconte pour s’endormir.


*


Elle n’était jamais malade. Elle n’avait pas assez d’âme pour que cela se voie sur sa peau, même sous la forme d’un bouton.


*


Un regard aussi beau, aussi innocent, aussi vide que celui des chèvres. C’est ce qu’elle avait de mieux, et elle en était avare.


*


Quand Parfione était petit, comme il était méchant, coléreux et sournois. Ah, il m’a fait souffrir. Il criait, il pleurait, il ne souriait qu’aux étrangères et moi il me regardait l’air de dire que je n’étais rien et d’ailleurs qu’est-ce que je suis.

Quand il était grand il venait manger et il repartait, c’était toujours trop chaud, trop salé, trop froid, pas assez salé, la porte claquait et il était reparti.

Ce n’est pas comme son frère.


*


Elle a fait peindre son portrait sur un médaillon d’ivoire par un artiste genevois de passage. Elle l’a promis à chacun et ne l’ a donné à personne. Peut-être même que le portrait n’existe pas.
Si elle donne une mèche de cheveux, elle l’a coupée à sa bonne .


*


Allons allons
Dit Nastasia
Aux militaires
Qui la vénèrent

Pressons pressons
Dit Nastasia
Aux militaires
Qui ne paient pas

Mais non mais non
Dit Nastasia
Aux militaires
Qui poussent leur pion


*


Hélène Sturm • La chambre de Rogojine (I-12)

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LIVRE I

J’étais devant la porte
Et vous étiez mes clefs

Faust. Goethe

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Les expressions limitées et rares de sa bouche et de ses yeux avaient fait leurs preuves. C’est pourquoi elle n’en changeait pas.

Il y avait la joie subite qui lui mouillait les yeux et entrouvrait sa bouche. Il y avait la colère subite qui lui mouillait les yeux et pinçait sa bouche. Il y avait l’ ennui total qui ne mouillait rien et fermait tout.

Il y avait le reproche qui lui faisait baisser les paupières et laissait errer sur sa bouche un vague sourire enfantin et triste. De toutes ses « expressions », c’était la plus dangereuse.


*


Ce qu’ils aimaient, l’un et l’autre, chacun à sa manière, c’était le vide caché derrière elle, si énorme, si complet, si parfait et si épouvantable qu’ils y tombaient sans fin comme en enfer ou dans le ciel.

Elle n’était meublée que par les objets de son propre rite : une idée de son corps, un certain nombre de préjugés quant à ses pouvoirs et à ceux des autres. En bref, c’était une poupée de chiffon bourrée de papier monnaie.


*


Elle les avait faits prisonniers de son vide, l’un occupant le ventre et l’autre la poitrine, et il fallait bien que l’un ou l’autre la tue pour qu’ils puissent en sortir.


*


Pour Noël, le cuisinier et la mère de Rogojine ont envoyé un paquet au Prince : des noix, des gâteaux, des chaussettes, de la confiture. Ce qu’on envoie à un enfant qui reste au pensionnat pendant les vacances.
On lui a tout pris ou il a tout donné. Il a gardé une noix parce qu’elle était jolie, légère et ronde dans sa main.


*


Le concierge d’un hôtel à Yalta s’est endormi. Les gens qui devaient venir de Moscou, de Leningrad, de Petersbourg ou de Staffelfelden ne sont pas venus. Leur chambre était prête, pleine de champagne, de parfums et de fleurs.

Ils ne viendront jamais et personne à leur place.


*


Un univers de femmes qui lisent Madame Bovary et vivent de la charité que font les hommes à leur apparence éphémère.


*


Les jeux de cartes étaient, en dehors d’acheter et de vendre, la seule activité où se déployait son intelligence tout entière.

Elle en oubliait même d’être belle. Ce n’était pas le moindre de ses charmes, inconscient, celui-là.


*


Un seul deviendra fou, celui qui l’était déjà, et seule mourra celle qui n’était pas vivante. Rogojine restera Rogojine, aussi bon que mauvais, et pas à moitié.


*