Archives de catégorie : Chroniques

1005. Why?, Elephant eyelash, 2005 | BV

 


 

Le premier morceau Crushed bones évoque sans ambages la première époque de Why?, un rap conscient, poli, articulé et aigu, dont l’enveloppe musicale détonnait sans jurer sur l’engagement parolier. Mais les morceaux suivants montrent des ambitions qui étrangement ramènent le disque vers une pop et un rock beaucoup plus conventionnels, sans toutefois, peut-être, avoir les épaules suffisantes pour sortir du diy. S’ensuivent des chansons qui ne sont certes pas désagréables, mais l’ensemble n’est pas franchement intéressant, même si évidemment les mots et leurs voix sont toujours bien présents. Un peu dommage tout de même, surtout quand on a connu Why?, en collaboration avec Odd Nosdam, avec le Split ep.

 

 

952. Nico, The end…, 1974 | BV

 


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Ce n’est probablement un album à porter à une partie surprise un beau jour d’été préadolescent. Obscur, inquiétant, mais pas seulement, également inspiré et tranchant et, ce qui compte, cohérent.

Album auditionné par les fantômes, évidemment Jim Morisson (The end, bien sur, mais aussi You forget to answer…), il est aussi une fine production (arrangements de Nico elle-même) qui associe John Cale, Brian Eno et Phil Manzanera… est une vraie aventure acoustique ; incroyable Innocent and vain, We’ve got the gols). Je ne dirais pas que l’atmosphère est gothique (je ne sais pourquoi, parfois, on sent l’énergie de Björk, mais c’est peut-être le traitement de la langue qui produit cet effet), elle est plutôt bêtement… teutonne ; en outre on touche bien ici aux tendons les plus endoloris de ce que le rock prétend être : une version cool et moderne de vieux chants folkloriques plutôt autocentrés et puérils. Avec Nico, ceux-ci sont sévèrement traités, à la bonne d’ailleurs.

La présence de l’hymne national qui clôt l’album ne suggère guère d’autre issue possible…

 

 

499. Paul Simon, Paul Simon, 1972 | BV



 

Il y a quelque chose d’indécent dans la manière dont Paul Simon parvient à réaliser des choses simplement et excellemment. Un disque de folk, ce n’est pas vraiment facile à faire, le premier (ou deuxième en réalité) encore moins. Et commencer, en 1972, par un reggae enregistré directement à Kingston, c’est gonflé. Gonflé comme cette pochette avec sa tronche et ce manteau que certains pourraient qualifier de ridicule. Et pourtant rien de moins ridicule, dans ce tel qu’en la photo. Paul Simon est plein, et honnête. À ajouter qu’il joue bien et chante parfaitement, il a donc tout pour réussir.

Il y a du Nick Drake pas loin (Everything put together falls apart, Armistice day), il y a éventuellement un autre Paul dans les arrangements (Run that body down, avec Ron Carter), mais il y a surtout du Paul Simon qui, sorti de sa relation avec Art Garfunkel, démontre qu’il comptera bientôt beaucoup à New York, dans la chanson, et dans la musique populaire. Il y a plusieurs chansons célèbres (Me and Julio down by the courtyard, avec Airto Moreira, comme la pénultième citée, et sa face B, le très malin Paranoia blues), de la cuíca et des gammes dissonantes, du doggerel, et même Stéphane Grappeli. Il y de la tendresse, de l”humour, du cynisme et tout ce qui fait à peu près Simon jusqu’ici : la classe.

 

 

179. Siouxie And The Banshees, Kaleidoscope, 1980 | BV ⚫

 



 

Le hasard fait que je viens de passer un long moment avec ce disque : je sélectionne quelques disques que je laisse tourner en boucle dans l’ordi. Je le connais donc bien. Je l’ai découvert après Juju, mais il m’a davantage touché.

C’est étrange, on mélange du rock simple, du bat (de “beat”) pur, avec d’un côté du désengrenage cynique et joyeux, joyeusement cynique (Red light par exemple), et de l’autre, on projette, à l’intérieur d’une simple chambre à réson (de “résonner”), des plages de paysages laineux de steppes ou argentées comme des vagues salées, presque inquiétantes (Trophy, Desert kisses) ; on tient des choses acquises, et sévèrement (nerveuse Christine, entêtante Happy House) et on se hasarde en terre inconnue (Lunar camel, Tenant). C’est kaléidoscopique, en somme (ou en désomme — de “fractal”).

 

 

Salò ou les 120 journées de Sodome, Pier Paolo Pasolini | HS

 

Audiodescription in petto

« Ce film, je le connais, mais je n’y arrive pas toujours. »
Alain Bergala

 

Il n’y a pas de lecture innocente de Salò, même la première ; les suivantes se contaminent les unes les autres d’horreur accumulée.

J’ai choisi Le Cercle du sang (dernière partie du film) parce que, enfin, tout s’achève et que d’une certaine manière on souffle, comme après une course intense sur un chemin difficile plein de pierres jetées dans nos jardins tranquilles. Me demandant, il est vrai, pourquoi il n’est pas nommé Cercle de la mort, le sang et son rouge étant symbole de vie. J’aurais pu m’attendre, si je ne savais de ce film que le film, à ce que les tortionnaires boivent le sang de la jeunesse pour s’approprier sa force et son ardeur.

Les palais sont beaux comme seuls savent l’être les demeures italiennes mais à aucun moment on ne trouve le loisir de se le dire. Regarder Salò est impossible, le voir est insuffisant et dans un cas comme dans l’autre on n’en sort pas indemne, tout juste capable de fumer une cigarette et boire un verre en silence dans la vanité de croire qu’on passe à autre chose : Salò ne passe pas.

Les palais sont beaux à l’extérieur. Dedans leur beauté se complique, la décoration s’ajoute à l’architecture et en tue la grandeur. Trop de tout, partout. Ma grand-mère aurait dit : « ça fait riche ». C’est pompeux et grandiloquent. L’ornementation profuse a perdu la grâce de ses références Art Déco. Les appliques ressemblent à des cornets à glace, les luminaires se boursouflent de cloisonnés laiteux soulignés de noir trop épais. L’ampoule nue qui tombe du plafond dans une des chambres des victimes a la simplicité pauvre des vêtements accrochés aux murs au- dessus des lits, il n’y a là que le nécessaire et sa nudité crue.

Les meubles sont sombres et lourdingues, malgré la légèreté prétentieuse des lignes qui se voudraient aériennes. Ils me font penser aux meubles du catalogue Crozatier dont j’ai longtemps écrit les textes et qui était destiné à convaincre les classes moyennes de se meubler pour moins cher avec autant de style que les classes supérieures.

Les peintures s’étalent en abondance proches du monochrome, référencées mais perverties, caricaturales des artistes qui sont censés les avoir faites : Leger devient pompier, Chirico vain au lieu de vide et les futuristes dépassés par un formalisme sans avenir.

On mange mais on ne voit pas les cuisines. On fume mais on ne voit personne vider les cendriers. On se pomponne mais on ne voit pas de salle de bain, on entrevoit un bidet dans le cabinet du baquet à merde où une jeune fille demande pourquoi dieu, qui ne mérite pas de majuscule, les a abandonnés. On fait des citations mais on ne voit aucune bibliothèque, aucun journal : les seuls « livres » sont le règlement et le cahier des punitions.

Étrangement, le président le juge et le duc apprêtés pour leurs noces sont habillés comme des vieilles femmes, comme pourraient l’être leurs mères, qui vont à un mariage et pas du tout comme des jeunes mariées conjuguant un savant mélange d’érotisme et de candeur. Tout est ridicule et vieillot, les robes longues et lourdes, les chapeaux avec voilettes et les fleurs accrochées au creux de l’épaule. On dirait si on était vulgaire (et « on » l’est toujours) qu’elles ne sont pas bandantes. Alors que les tenues des narratrices sont étudiées et plus élégantes que tous les autres costumes.

Dans cette dernière partie, la conteuse porte un ensemble de satin blanc, jupe et veste longues et droites, et sur les épaules une étole de renard blanc. Lorsque je la regarde cadrée à mi-corps ou en gros plan avec le brillant de ses bijoux et sa tiare de cheveux blonds tressés, je peux la trouver belle. Pourtant, pour parler comme on le fait aujourd’hui, ce n’est pas une belle personne. Pas plus que l’évêque dans son costume rouge et théâtral élargi par une tringle qui s’orne à chaque bout de cornes d’animaux. Une longue bande de petits miroirs enchâssés dans des cadres argentés lui descend sur le ventre et il porte une coiffure faite en feuillage vert sombre dont la symbolique m’échappe.

J’aimerais me dire que les belles personnes sont ces jeunes gens qui vont mourir : jolis costumes pour les garçons, robes grises souvent à carreaux pour les filles et, soudain, près du baquet plein de merde l’apparition de quelques grands cols Claudine enfantins. Ils ont été choisis par Pasolini pour être choisis par des monstres qui feront leur marché parmi ces corps interdits d’être. Ce ne sont pas des personnes ou à peine, si peu, si vite, en contrebande, et dieu qui ne mérite pas une majuscule les a abandonnés. Je les trouve un peu moins « objets » quand ils se dénoncent les uns les autres. La merde, cette boue tuera leur colère mais eux et nous seront passés par le cercle de L’Enfer.

Il n’y a dans ce chapitre de belles personnes qu’isolées du contexte par la narration ou s’isolant du contexte par la volonté.
Soudain une narratrice et la pianiste, Hélène Surgère et Sonia Saviange deviennent, ou redeviennent les actrices qu’elles furent dans Femmes, femmes de Paul Vecchiali à qui Pasolini rend hommage en leur faisant rejouer une jolie scène entre Guignol et Commedia dell’arte. Le sachant, dans mes lectures récentes du film, cette scène me faisait l’impression d’un courant d’air frais dans une pièce empuantie de lendemain de fête. Je ne me souviens pas de l’impression qu’elle m’a faite quand j’ai vu Salò (deux séances à la suite) à sa sortie. Ne connaissant pas l’histoire de cette mise en abîme, soulignée par l’infini d’un miroir, je n’avais pas, à l’époque, les moyens d’y trouver le bonheur qu’elle me donne aujourd’hui.

Pour ce qui concerne le personnage de la musicienne je n’ai changé ni d’impression, ni d’avis, ni de pensée. Depuis toujours elle est pour moi une des plus belles figures de l’artiste et pas seulement au cinéma. Elle accompagne, elle est là de dos dans un coin de l’image souvent habillée de gris. Elle est en noir, avec une fleur blanche, quand elle joue de l’accordéon, l’instrument universel des pauvres, après avoir été celle qui porte le plateau aux rubans bleus noués qu’on offrira à ceux qui iront à Salò, les autres mourront. Là, elle cesse d’accompagner, et c’est sa première et seule participation, presque innocente aux atrocités qui précèdent et à celles qui suivront.

Plus tard, en tailleur gris à long col, les manches un peu froncées aux épaules, elle est filmée de dos et de loin dans la salle des orgies vide. Elle joue quelques accords, se lève et traverse toute la pièce en largeur puis sort par une porte latérale. Elle traverse une première pièce et entre dans une chambre aux murs à motifs bleu sourd, va vers la fenêtre qu’elle ouvre, s’assied sur le rebord et en étouffant un cri muet de sa main droite elle l’enjambe et tombe.

Je pense à « Qu’ils crèvent, les artistes ! » de Kantor qui montre dans une somptueuse et longue danse macabre ce qu’un régime totalitaire fait aux artistes. L’artiste, personnifié et féminin (il faudrait parler plus de ce que devient La Femme dans Salò) n’a plus d’instrument pour accompagner l’horreur. Elle n’a plus ni le corps ni l’âme ni la tête ni le cœur à faire ça. Elle arrête et elle s’éteint.

Arrivent, les supplices et les assassinats. Pasolini par le cadrage et les dispositifs de vision inclus dans la narration nous tient avec sa douceur légendaire à l’écart du pire et c’est probablement ce qui permet de le penser, de se dire que ces choses sont arrivées, arrivent encore, arriveront toujours. La listes des supplices et des mises à mort est longue, il manque la guillotine et la chaise électrique. Le haut du fauteuil sur lequel les notables s’asseyent pour regarder le spectacle qui les comble leur fait comme une auréole. L’un d’eux retourne les jumelles : est-ce un moment de faiblesse ou pour varier les plaisirs ? Pendant ce temps, à la radio on entend Ezra Pound et Carl Orf. Une blague Carambar d’une rare bêtise ne détend pas l’atmosphère, au contraire.

Des jeunes gens armés jouent aux cartes. Deux garçons posent leurs armes et quittent la pièce pour entrer dans le petit salon où il y a la radio, l’un d’eux cherche un autre programme et choisit une musique de danse. Après un échange tout simple comme il y en a entre gens qui ne se connaissent pas ils dansent ensemble. J’ai lu, un peu partout, qu’il s’agit d’une valse. Pour avoir dans mes jeunes années subi la torture d’un cours de danse de salon je dis, très sûre de moi que le fox trot correspond exactement et à la musique qui les accompagne et aux pas qu’ils font. La petite amie de l’un s’appelle Margherita. Un nom de fleur, un nom de printemps, un nom de demain et de vie simple. Un moment de douceur après la narration terrible qui précède.

Les deux garçons me ramènent à La Ricotta et aux jeunes gens qui dansent un twist autour d’un buffet dressé comme une nature morte.
Un moment en couleur avant le noir et blanc de la narration terrible et magnifique qui va suivre. Comparaison n’est pas raison, mais pas tort non plus.

 

 

151. Jacques Brel, BREL, 1977 | BV ⚫



 

Paraphrasant Akhénaton, je dirais “Je me souviens encore mais pourtant je devais être petit” et sans évoquer Scarface, je dois avouer qu’en 1977 je ne peux pas me souvenir. Mémoire familiale, déjà-vu collectif, réimpression ? Chez Phillips, à Dieulefit, la pochette de ce disque en vitrine. Pochette un peu trop kitsch d’ailleurs, mais efficace oui.

Dernier album du maître belge donc, et est-ce que ça vaut le coup, est-ce que ça a pu valoir le prix de l’attente, presque 10 ans depuis 1968 et l’album numéro dix intitulé plus tard J’arrive, et 11 ans depuis les adieux à la scène.

Et ce n’est pas exagérer de dire que cet album incarne les adieux aux humains tout court (comme disent les Français). Du Brel net, précis, qui défonce tout sur son passage, pulvérise dans tous les recoins, politique, social, intime, personnel… un petit concentré de Brel finissant, et, comme il le dit, “qui persiste et signe”. Des gauloiseries comme Les remparts de Varsovie, Le lion, parfois plus cyniques comme Les Flamingants, des farces acerbes et lucides, comme Mourir, Knokke-le-Zoute tango (qui rappelle La chanson de Jackie) ou des pièces intimistes qui confinent à la sensiblerie sans y tomber, comme Jojo, Le bon Dieu, Voir un ami pleurer

Mais Brel, informé de sa fin, transfiguré par sa clairvoyance, se pose également en auteur accompli, figure intermédiaire entre Quichotte et Drogo, dont il distribue le destin dans des vers ciselés, de magnifiques chansons qui sont de véritables poésies : Orly, et l’intemporelle La ville s’endormait.

Et lucide, avec ça, “pourquoi ont-ils tué Jaurès” ?

 

 

883. Eminem, The Marshall Mathers Lp, 2000 | BV



 

I’m like a head trip to listen to, dit Eminem dans ce troisième album (probablement celui qui est le plus connu), et effectivement, on est convié à un long voyage de mots, impeccablement battus et posés sur le coup (beat). Pas facile d’entrer avec une réalité qui nous échappe, mais l’hommage appuyé au rap de gangster de Dre, Dogg & Dogg, donne une belle manière d’anastomose entre le désastre biographique de Mathers et l’histoire du rap au moment où viennent de disparaître Tupac, B.I.G, et tout juste après Columbine. On entend d’ailleurs Dre, on sent la présence de Dre (quand il n’est pas cité ou quand il ne prend pas directement le micro) partout, et dès le premier morceau, Kill you (point haut, avec Stan feat. Dido, The real Slim Shady, Marshall Mathers, I’m back…) : le silence comme coup (beat).

Comme souvent ou presque chaque fois, ces albums de hip-hop sont trop longs (j’ai une boîte : dois-je la remplir à ras-bord ?), et l’on se perd parfois dans les chansons qui ont le défaut pour un francophone d’être en anglais, mais il est certain qu’Eminem, rappeur hors-pair (et c’est une tarte à la crème), parvient à trouver ici une voix pour exorciser ses démons — et ceux de la musique noire.

 

 

674. Daevid Allen, Bananamoon, 1971 | BV



 

Joyeux bazar psychédélique, parfois qualifié de “manifeste”, de l’ancien de Soft Machine, et futur Gong. Avec un soin apporté au détail hippie, un peu comme l’évaluation de la gamme pilaire, l’accoutrement, ou la pondération des effets, du fait de son évidente racée britannique, il en sort un disque à la fois plus incisif et plus malin que les meilleurs travaux de Beefheart ou surtout Zappa (sans parler des véritables hippies : All I want is out of here, White neck blooze).

D’abord crédité Gong, c’est bien un album de transition entre les deux groupes, et bien un effort solitaire d’Allen — ses prochains disques seront moins datés. L’ensemble malgré tout se tient, aucune chanson n’est à jeter, et une nouvelle version de Memories de Hugh Hopper (bassiste de Soft Machine), chantée ici par Robert Wyatt (et l’un de ses futurs singles produit par Nick Mason en 1974), est la cerise sur le gâteau.

 

 

103. Bojan Z, Solobesssion, 2000 | BV



 

Changement d’ère et changement d’âme. Au loin les nuages s’étaient amoncelés, comme une promesse d’un réveil, d’une rosée nouvelle. Les dangers pourtant étaient immenses (surtout en ces temps reculés, je veux dire tellement plus tard qu’un Rollins, qu’un Coleman). Eh bien non : il en sera ainsi. Les plages viendront caresser vos chevilles puis vos flancs. Les silences aspireront vos troubles. Et si les ombres inquiètent escortent la mesure, vous serez bien vite apaisé par le pur génie de l’hybride. Un disque donc habité, qui échappe au délire de perfection silencieuse du jazz contemporain, et rend grâce à la musique par l’épiphanie de l’instrument.

 

 

426. Philippe Katerine, L’homme à trois mains, 1999 | BV

 



 

La musique, et la musique populaire surtout, s’écoute avec oreille disposée à la profondeur de champ. Comment dire : vous découvrez un jour un disque, il vous accompagne, vous l’oubliez. Dix ans plus tard il revient, et c’est comme si vous ne l’aviez pas quitté (pour peu qu’il vous ait un tant soit peu plu, évidemment). Le cas Katerine est plus que problématique. Il a fallu tout ce travail d’absurde gentrification de la personne, sciemment, consciencieusement, pour aboutir à une espèce de chef d’œuvre comme Le film (#161 de notre liste), paru après bien des réussites éparpillées ici ou là, ou encore l’inénarrable (et génial) 52 reprises dans l’espace. Et en même temps, il a fallu à l’auditeur tout l’apprentissage de ce cabotinage mélancolique cinéphile expérimental hype et décontenancé, tout ce qui, a priori, n’est pas notre tasse de thé (je veux dire nous, les cinq-cent quarante millions de francophones de cette planète, moins les habitants intramuros de Paris), pour parvenir à entendre ce genre de disque, paru en 1999, au milieu des Chemical Brothers, Red Hot, Jamiroquai, Moby, pas une grosse année anglophone, mais c’est aussi, en français, Céline Dion, Florent Pagny, Pascal Obispo. Seul le 113 (Les princes de la ville, #375 de notre liste) relève le gant. Donc, c’est une chance d’écouter ces chansons solo, guitare/chant, toujours surprenantes, et même, cruellement mélodiques (qualité qui semblait alors être devenue totalement marginale alors). Katerine, déjà farfelu et tendre, se prend au sérieux, se pose comme auteur, et il faut bien reconnaître que cela fonctionne. Il y a bien des choses un peu révolues (le grand usage du montage sonore), mais dans l’ensemble les chansons se tiennent et fonctionnent, et même si on est rétif à la bossa nova (comme mon épiderme). (À noter que l’album est venu avec son parèdre, Les créatures (#283), où se trouve l’un de ses premiers tubes grand public, Je vous emmerde; que j’ai choisi de traiter séparément, parce qu’il s’agit somme toute d’un projet différent.)