Il faut que je m’explique. Certes le son et la production sont typiques des ces années, savoir-faire des 80s, cynisme des 90s, à moins que ce ne soit l’inverse. Mais il y a là-dedans 10 putains de bonnes chansons, de blues, de blues actualisé, mais sans être trop ouaté par la variété FM ou le rock-pop. L’histoire de Campbell est assez à l’image de la pochette. Dramatique et tragique. On a l’impression qu’il ne rigole pas, et lorsqu’il nous dit, en ouverture, que le diable est dans son placard et le loup à sa porte, on est plutôt enclin à le croire sur parole.
C’est un voyage dans ce monde parallèle, de déserts illuminés, de bars, de cercueils de petite taille, et d’ombres agressives, qui combine blues texan et atmosphère marécageuse dans une forme, produite à New York, dans la nuit de New York, cinglante et profonde à la fois, à l’image de la voix caverneuse de Campbell. Guitare lacérées et orgues hantées font de ce qui aurait pu être un honnête disque de variété louisianaise une œuvre inspirée et brûlante.
Classique argentin qui pêche (ha ha) surtout par les grimaces de l’époque, car pour le reste, idées, singularité, cohérence, interprétation, thème, c’est à peu près optimal ; un peu comme si Nick Drake se laissait aller à la fantaisie. Excellent disque, de ceux qui s’écoutent toujours avec plus d’attention… on découvre une espèce de capture du meilleur du rock anglais de 1965 (La Habladurias del Mundo), mêlé à l’expérience du progressif plus tardif (Supercheria), et une verve unique, propre à la culture, à la langue, à la voix (Bajan). Parfait pour finir l’été.
Mais finir l’été avec Artaud. Parce qu’il y a Artaud. Là derrière. Et en tout petit, sur la pochette. Artaud vieux; enfin, vieux… Artaud quoi, le dernier Artaud.
Fersen a indéniablement des qualités d’auteur-compositeur-interprète, et elles se révèlent dans cet album, le plus abouti, à mon sens, même plus abouti que les suivants, sans doute un peu trop produits. Longtemps disséqué, il accompagne gentiment. On regrette deux choses : un peu moins de monde fantaisiste et un peu plus de nerf, peut-être, mais ce n’est pas sûr.
Généralement méfiant envers la variété (la forme, le concept, l’idée même de variété, comme une espèce de salade niçoise oubliée dans un autogrill), et d’autant plus lorsqu’il s’agit de variété italienne produite par un cantautore, peu connaisseur de son histoire d’ailleurs, je dois dire que j’ai été séduit par cet album étrange, qui sonne un peu comme un Battiato qui aurait trouvé la notice de son Bontempi.
Généralement également méfiant envers l’eldorado sud-américain des européens, là encore, la « fusion » fonctionne à peu près. Mais là où j’ai décidément décidé d’apprécier l’album, c’est lorsqu’on entend ces mots : « Urca ! guarda cosa c’è / Il salame » (“Fichtre/Mince/Sapristo ! Regarde (ce qu’il y a) / Le saucisson”), et j’ai rarement été aussi surpris, et agréablement.
Je ne sais pas pourquoi cet album est sous-estimé. La pochette dégueue peut-être. Enfin la photo est bien, mais l’habillage sur Microsoft Word®, aïe.
Oui, comme disait l’autre, il y a du jazz “avant-garde” qui peut ne pas être qu’atonal. De fait, l’album est, chez moi, dans le top dix des albums de jazz (non-free), quatrième même.
Que dire ? L’héritage est évident, appuyé même, dans les titres. Mais il y précisément un petit truc en plus, qui transparaît vaguement dans la photo : ce truc d’Africains. Dès le deuxième morceau (Ornette) la basse, entêtante, ressemble à un riff gnawa, avec ses cymbalines accrochées au cœur. Et encore plus entêtant le titre éponyme. L’album poursuit sa route dans cet élégant assemblage (Trane in mind), avec peut-être un petit décrochage dans Fatsmo, mais qui se clôt sur un hymne (chanté) efficace.
L’auditeur pressé pourra se plaindre de la trop proche proximité (si j’ose dire) avec Trane (ou Mingus), mais n’est-ce pas déjà indiqué dès le titre ? Il faut dire que Guayle ici croise avec des pointures, Rashied Ali qu’on ne présente pas, et ce William Parker que personnellement je ne connais pas bien, mais qui réalise ici une effort estéchnique remarquable (je le souligne encore parce qu’on l’entend sur tout le disque, la double basse, malgré son volume, n’est pas toujours traitée à sa valeur).
Bref, c’est un parcours dans l’histoire du free avec maestria et non moins brio.
Mais cela n’enlève rien au fait que, pour être un hommage au Maître absolu, il n’y a ni reprise, ni citation trop appuyée. Simplement l’inventivité, la débrouillardise, la joie d’être ensemble, petit trio d’humains qui envoient du gros bois en cinq parties remarquables (notamment l’entrée upbeatPart A, et la très inspirée Part E).
Si on ne connaît pas la voix de Magny, à part le fait qu’on est chanceux de pouvoir la découvrir, on risque d’être passablement bousculé par ce disque, à la fois chanson traditionnelle, psychédélisme avant l’heure, poésie pure, rock, et Colette Magnyesque. Magnyfique artiste, pleine d’idées, de force et de joie, d’espérance et de violence esthétique, c’est précisément tout ce qui manquait côté chanson, à cette époque pourtant bénie. Malheureusement, Colette Magny restera confidentielle, peut-être parce que trop blanche pour être noire ou trop femme pour être un bonhomme.
Je ne sais pas : on dirait l’Île aux enfants sous acide, c’est superbe. On est peut-être un peu moins désarçonnés par les reprises américaines — mais c’est que le disque est un assemblage de ses “singles” précédents. Il est peut-être un peu long. Mais les chansons, littéralement, dépècent nos âmes ou écaillent nos larmes. C’est extraordinaire (Melocoton, Les tuileries, Heure grave) et parfois tout simplement parfait : J’ai suivi beaucoup de chemins.
Je l’ai connue à travers un disque de comptines pour enfants (Mon p’tit coco, La p’tite poule rousse, ça vaut le déplacement), et tout à coup, ces chansonnettes devenaient des invocations, des imprécations hallucinées, les enfants n’auraient jamais pu dormir, ils rêvaient de donner la réplique à Loleh Belon sur des planches enflammées, ou ils mouraient terrorisés. Et puis j’ai découvert son œuvre. Un genre de parèdre de Syd Barrett, en plus femme, en plus française, en plus punk.
À dire la vérité, moi qui ai toujours entendu de André après coup, c’est-à-dire une fois que les jeux étaient faits, et qui ai pris conscience de sa puissance, grâce à mon frère, seulement trop tard, je n’avais jamais vu, longtemps, que le disque était non seulement le dernier disque de de André, je veux dire le plus récent, quand je l’écoutai, en 91 92 précisément, mais aussi le premier depuis… Creuza de mä, sept années plus tôt, mais enfin, pratiquement… le dernier disque de de André tout court (comme on dit en italien).
Et c’est ainsi qu’on reçoit une série de chansons du calibre des meilleures du cantautore, avec tout à coup deux classiques immédiat, Don Raffaè’ et La domenica delle salme, qui est comme le contrepoint rageur d’Amico fragile. Mais ce n’est pas tout, il y a les autres chansons ; l’album est divisé en deux parties, l’une en italien parle de l’Italie et du monde contemporains (imperdable Ottocento) ; l’autre, en dialecte, dans la veine de Creuza de mä, propose de nouvelles perles musicales (Mégu mégún), mérite, aussi, de Mauro Pagani, Massimo Bubola et même Ivano Fossati, qui contribuent – et comment – volontairement, Pagani étant d’ailleurs l’Eno de service depuis Creuza.
Un voyage complet, une certaine maitrise et du texte et de la mélodie et des arrangements (toujours Pagani), et ça finit par faire l’un des meilleurs albums des Mille. Et moi qui ne le voyais pas.
Quoi de plus ridicule (Kiss mis à part) et bête (Ramones mis à part) que Black Sabbath ?
Moi je n’écoutais pas Black Sabbath. J’en avais vent, mais je n’ai vraiment jamais écouté, avant cette passion-chronique. Jusque là rien d’original : je n’avais pas non plus vraiment écouté les Ramones, ni Siouxsie, ni les New York Dolls, par exemple. Dans ma tête, BC et AC/DC, par exemple, c’était à peu près kif kif.
Puis j’ai écouté.
Alors bien sûr ce n’est pas la musique que j’emporterai dans une ville déserte. Mais le très léger avantage de Black Sabbath sur les autres, c’est précisément celui du hasard temporel, mais qui dénote (toutefois) une certaine vivacité d’esprit : le premier album est de… 1970 ; on a de la peine à se représenter le paysage sonore de l’époque, le premier truc vraiment punk, du MC5, c’est aussi 1969. Et en face on traîne sur Let it be.
L’ambiance générale est à la décontraction, je veux dire par là qu’il n’y a pas de prétention qui excède les capacités ici réunies. On a évidemment des hymnes classiques du métal (ce qui me touche le moins), qui est toujours cet espèce de rock blanc qui hésite entre chant folklorique irlandais et symphonie gothique, bref entre rythme et blues mitteleuropesques. On a ces exemples avec Hole in the sky et Symptom of the universe.
Mais là où BS nous bluffe c’est lorsqu’il parvient à faire du Led Zeppelin (on vient justement d’en parler) mieux que Led Zeppelin lui-même, avec la voix sensiblement pompée sur celle de Plant (Megalomania, The thrill of it all), et puis, et puis…
un juste dosage de progressif qui permet de, osons le mot, de transfigurer nettement les morceaux, comme dans le floydien Supertzar, voire dans le barrettien Am I going insane (comme par hasard), pour culminer dans le très réussi The writ (un clin d’œil à One of these days ?).
On ne ressort pas déçu de cet album, surtout lorsqu’on entre avec un a priori négatif, on est même plutôt content de son expérience, comme de lire un passage du Hobbit ou regarder un extrait de Game of thrones, avec en fond la très jolie mélodie acoustique de Don’t start (too late).