Archives de l’auteur : admin

978. Joni Mitchell, Hejira, 1974 | BV

 


 

En cherchant à se rapprocher toujours plus d’une espèce de chanson jazz-folk, qui pour le coup et au fond est une forme très originale, Joni Mitchell (la femme à aux lèvres de François Mitterrand) perd un peu de sa verve mélodique, sur cet album, le dernier d’une série pourtant assez sidérante.

L’ensemble de balades ici toutes plus ou moins lancinantes relate un voyage automobile de LA au Maine souffre peut-être de ce manque, ou de l’inspiration de Blue (1971, #346), de la radicalité du précédent The hissing of summer lawns (1975, #422), et laisse un peu sur la faim — même si la production est impeccable (Jaco Pastorius en sus). Il y a plein de trucs bien (l’espèce de pédal-steel de Amalia, les chœurs de Song for Sharon, ou les boum-boum de Blue Motel Room, et sa voix caverneuse, mais il n’y a pas cet excès de maîtrise qui plaisait dans d’autres…

 

 

405. Jean-Louis Murat, Travaux sur la RN75, 2017 | BV ⚫

 


 

Eh bien, ce disque en ce début d’année…

Cet énergumène de Murat a produit un énergumène de disque… Murat avait déjà touché à l’électro dans les précédents albums, et il nous livre ici tout un choix de morceaux proprement étonnants. Ce disque présente deux qualités : il explore de nouveaux territoires de Murat sans renier son propos, et il est aussi tout à fait singulier dans son écriture, sa facture, son exécution, et aussi son esprit, qui paraît totalement guilleret, voire coquin (Dis le le).

On est surpris de la facilité avec laquelle il se moule dans des rythmiques et sonorités qui a priori ne lui ressemblent pas. Murat prend un risque tout en poursuivant ses obsessions (Johnny roide).

Le disque est savamment drôle aussi, et, du moins en ai-je l’impression, assez humble pour se permettre, une ou deux fois, d’être génial (grandiose final O sole mio, Chanson de Sade). De sorte que, on a beau dire on a beau faire, il arrive en tête des Murat, j’avoue, devant Mustango (#588) et Lilith (#626).

 

 

Lucie Desaubliaux | Feu(x) souterrain(s) 5/7 : le barbecue

 

Nous accueillons Lucie Desaubliaux pour un feuilleton inédit qui nous mènera de Samain à Imbolc. On est très heureux de recevoir l’auteure de La nuit sera belle (Actes Sud, 2017).

Lucie Desaubliaux écrit, pour les adultes et pour les enfants. Elle réalise aussi des performances et des installations. Elle code des sites internets, des bases de données, des jeux vidéos et des outils de cartographie ou de collaboration. Elle micro-édite des livres et des expériences numériques. Elle s’intéresse à l’agencement des formes de pensées, aux notions de travail et d’oisiveté et à la différence entre ce que est perçu et la réalité invisible du monde, en se nourrissant de différents domaines scientifiques qu’elle ne comprend pas trop et réinterprète beaucoup. Elle vit et travaille en Bretagne, seule ou en collectif : elle fait notamment partie de La Guerrière, du Vivarium et de WMAN.

 

LE BARBECUE

 

Le réveil de Pete sent le bœuf grillé. D’habitude, le réveil de Pete sent le bois de la charpente et l’odeur aigre du corps en sommeil. Pete se tourne vers la fenêtre, il imagine l’aube remplie d’un bœuf colossal qui tourne au-dessus d’un feu de bois de plusieurs mètres de haut.
La fenêtre est encombrée de brume de beau temps. La brume s’accrochera au sol jusqu’au milieu de la matinée. Elle se lèvera d’un coup et laissera sa place au soleil.

La veille, il faisait presque noir quand les vaches et Pete sont arrivés pour la première fois aux basses Brières. Pete est resté à la barrière et il a laissé la silhouette de ses vaches disparaître contre l’herbe sombre. En refermant la clôture, il était content de garder le spectacle du troupeau au milieu du champ pour le jour nouveau du lendemain.

Le matin remplace l’aube dans la chambre. Pete se lève, dans la cuisine, l’odeur du bœuf grillé se mélange assez mal avec celle du café.

Dugardin fils, Bernie et Morris ont dit hier soir à l’auberge : les basses Brières sont hantées. Dugardin fils a ri, Bernie a hoché la tête et Morris a jeté du sel par-dessus son épaule. Bernie a dit : demain, les lavandières de la mare auront noyé tes vaches. Morris a dit : demain, les boggarts du champ auront écorché tes vaches. Dugardin fils a ri et a dit : avant tout ça, la Bête des basses Brières sera sortie de la forêt, elle aura hurlé sous la lune et elle les aura dévorées. Bernie a hoché la tête et Morris s’est signé. Pete a ri aussi, il a bu sa bière et il n’a rien dit.

Pete se rase et enfile un bleu propre. Il plaque ses cheveux vers l’arrière avec un peigne mouillé puis il les fait gonfler sur le dessus avec ses doigts, comme le dimanche. Il sort, les derniers lambeaux de brume se déchirent et disparaissent.

Le père Mathurin est mort le mois dernier et les basses Brières ont été mises en vente. Grâce aux lavandières, aux boggarts et à la Bête des basses Brières, il n’y a eu que Pete pour les acheter, pour une somme que même Pete pouvait se permettre. Sans ça, ses treize vaches n’auraient jamais connu autre chose que le champ minuscule loué à Dugardin père.

Pete s’arrête un peu avant l’entrée des basses Brières. La brume s’est levée partout sauf au-dessus du pré. L’air des basses Brières est rempli de coton gris. À travers la brume, le pré a l’air vide. L’odeur de grillades est forte ici, elle ne ressemble plus à celle de la viande. Elle est épaisse et sirupeuse, elle coule le long de la gorge de Pete. Elle y laisse un dépôt de charbon brûlé.

Pete regarde l’herbe des basses Brières et l’herbe ressemble à l’herbe d’une photo restée au soleil, jaune, beige et marron. Pete arrive à la clôture et Pete comprend que la brume s’est levée sur les basses Brières comme partout ailleurs. L’air gris devant lui provient des colonnes minces de fumerolles qui sortent d’entre les mottes d’herbe et de terre s’élargissent vers le ciel.

Pete décroche les fils électrifiés de la nouvelle clôture, il ne les raccroche pas derrière lui. Il avance au milieu des basses Brières, l’herbe casse sous lui, l’odeur grandit encore. Les vaches ne sont pas là, ni au milieu, ni au bord, ni nulle part. Pete regarde la clôture tout autour, il cherche un piquet arraché ou des fils tombés à terre. Il pense d’abord aux animaux, à des sangliers, à des loups, à des ours, à des grizzlis même, qu’on n’a jamais vus dans la région. L’odeur est liquide et Pete la sent perler sur sa peau.

Pete pense alors à la terre maudite, à la Bête des Brières, aux boggarts, aux lavandières. Il pense à Bernie, à Morris, au rire de Dugardin fils. Il scrute tout autour pour comprendre quelque chose, il scrute partout sauf au sol. Pete s’arrête juste à temps quand il sent la terre s’effriter un peu sous lui et il baisse les yeux.

Il y a un trou devant lui. Le trou fait au moins 3 mètres de profondeur et 4 mètres 50 de diamètre mais il était invisible derrière les herbes du pré. Les yeux de Pete pleurent à cause de la fumée et Pete penche la tête au-dessus du trou. L’odeur se jette sur lui, violente et compacte, elle lui obstrue la gorge et les poumons, elle appuie sur sa langue et retourne son larynx.

Pete se penche encore un peu plus et il vomit sur les corps des treize vaches calcinées au fond du trou.

 

Précédent | Suivant

 

Le pli halluciné | HPJ

 

Étendu sur son lit, dès qu’il ouvrait œil, il voyait un visage dans les plis de la couette, puis un autre sur le rideau brodé qui couvrait la fenêtre. Il savait que ces têtes n’existaient pas bien qu’il croyait entendre une faible respiration, il passait sa main pour les écraser, pour les faire disparaître, il apercevait alors des fesses et des jambes, qu’il chassait à leur tour en frottant la couette. Quand un oreiller se penchait sur lui, il prenait peur des yeux vitreux qu’il apercevait au cœur de la taie. Plus il détruisait les chimères des corps plus leurs images se reformaient à son insu, il lui fallait sans cesse aplatir le moindre relief que formait toute la literie.

La mémoire des corps les métamorphosent-elles toute seule ? Éveillé, il constate qu’il ne reconnaît aucun visage, qu’il ne peut leur donner des prénoms ou des noms, chacun se présente comme un inconnu dont l’apparence est plutôt inquiétante. Et cette jolie cuisse que dévoilent les plis de la housse de couette, à quelle femme pourrait-elle bien appartenir ? Elle est là, avec la couleur ambrée d’une peau qui doit sentir bon, et dès qu’il appuie sur elle au lieu de l’effleurer, elle s’évanouit comme si elle n’avait jamais existé. Ce monde de morceaux de corps qui l’entoure, qui l’encercle même, est en mesure de disparaître chaque fois qu’il écrase les plis et les replis de la literie.

Il se demandait pourquoi il consentait à l’hallucination. Après tout n’était-il pas capable de créer ses propres images ? Et surtout, de belles images qui rassurent par la douceur de leur présentation, par l’ordre bienséant de leur naissance. Il lui suffisait de nier en l’effaçant même avec les doigts toute image qui était source d’angoisse. Ou bien, il hésitait à liquider les hasards scopiques, ceux-là mêmes qui caractérisent une vision impromptue.

Après plusieurs nuits, il avait fini par s’habituer à cette mise en scène des morceaux de corps qui ne l’inquiétait presque plus, mais il la supportait comme le poids d’une certaine morbidité qu’il n’aimait pas. Il se mit en quête d’une issue. Il s’inventa un théâtre érotique de marionnettes.

Au lieu d’aplatir une jolie cuisse sous sa main pour lui retirer toute existence, il mit ses doigts au bout des plis et l’orienta autrement de manière à ce qu’elle vienne toucher son ventre. Ainsi pût il croire qu’il la faisait bouger. La jolie cuisse s’adressait à lui. Mais un geste en provoque un autre. Une tête venait de se dresser devant lui, elle ressemblait à celle d’un gnome avec une bouche légèrement tordue, un chapeau pointu, rouge, elle s’agitait, il entendait même d’étranges ricanements. Constatant qu’il ne gouvernait rien, il quitta son lit pour y retourner quelques instants plus tard. Tout était sans dessus dessous, il s’allongea lentement comme s’il s’appliquait à adopter une posture, il déploya la couette et celle-ci prit elle-même une position qui fit naître encore des visages, certains ayant des barbes très carrées. Il n’avait guère de prise sur ce petit monde qui se construisait devant ses yeux et pourtant il réussissait encore à le modifier en appuyant avec ses doigts sur les plis de la couette.

Épuisé, il se mit sur le dos, s’immobilisa, se raidit comme un gisant, ferma les yeux, il vit le corps de la femme rêvée sortir de sa tombe et venir à sa rencontre sans jamais réussir à le rejoindre.

&nbsp

621. Talking Heads, Fear of Music, 1980 | BV ⚫

 


 

Finir la première année de ces chroniques absurdes avec Arc et débuter la nouvelle avec Fear of music… comment ne pas baiser les pieds invisibles d’Aédé ? J’ai un cornet à disques, je le secoue, et un disque de la Souche est tiré au sort.

Peur de la musique ? Ah oui ! Drôle de disque ? Bah, comme tous les autres (de la Souche). Et comme tous les disques des Talking Heads, un groupe qui est extrêmement important (n’est-ce pas Eno et Bowie ?). Sans doute un peu moins facile d’accès que ses deux prédécesseurs, Talking Heads:77 (#652), et More songs about food and cities, (#810).

Dans les pics de l’opus, je mettrais volontiers Air et Electric guitar aux côtés des célèbres Heaven, I Zimbra et Life during wartime (“this ain’t no disco…”), ces derniers servant de marchepied pour le prochain album, qui sera sans doute leur plus abouti, Remain in light (#294).

Et j’en profite pour citer un jouissif commentaire de @Pantsmode sur YT :

0:00 – david byrne and his band go on a rampage in africa
3:05 – david byrne gives up on being a therapist
7:18 – david byrne tells you about how paper and optics work
9:58 – david byrne gives you a “detailed” tour of london
14:15 – david byrne walks around in new york
17:57 – david byrne eats edibles with david lynch and bangs his head on the wall
21:27 – david byrne gets sunburnt and complains
25:00 – it’s boring, don’t go there
29:02 – david byrne discovers furries and goes insane
32:32 – sentient electric guitar tells david byrne to buy a car on a highway and ends up committing a crime against the state of new york
35:34 – eno, those edibles aint shi—

La pochette est magnifique.

 

 

545. Neil Young, Arc, 1991 | BV

 



Eh bien pour un disque de Noël, c’est un disque de Noël !

Trente-quatre minutes et cinquante-sept secondes d’un unique morceau composé d’une suite de larsens, accordages, interminables préparations, infinis finaux, quelques vers de Hurricane et autres, rires, etc., de chansons saisis en concert (avec le Crazy Horse). Et initialement servi avec l’album live Weld (#390 et 792).

Pour être un collage sonore, tout à fait classique finalement dans son expérimentale vêture, le disque reste surtout surprenant par son aspect prometteur : on attend toujours ce départ, cette chanson qui ne vient pas… et cette attende déçue, ce fatum déceptif (si le destin est ce qui doit survenir, alors la chanson est éminemment fatidique) est assez jouissive pour aboutir ici avec une telle note (de 4) !

 

 

Note de bilan annuel
Eh bien qui l’eût cru ? Nous avons parcouru l’année, semaine après semaine, avec 52 disques, pour 51 artistes, Fela apparaissant deux fois.

Cela paraît beaucoup, mais à y regarder de près, ce n’est rien (un peu plus de 5% des Mille disques, donc ; cela signifie qu’il reste 95% à faire, soit 19 fois ce parcours ! Dix-neuf ans !)

Quelques statistiques pour déjouer le hasard :
Les dates
50s : 1 (1,91%) (Souche = 2.02)
60s : 4 (7,69%) (12.8)
70s : 26 (50%) (37.6)
80s : 3 (5.76%) (13.31)
90s : 12 (23,07%) (15.63)
00s : 6 (11.53%) (10.48)
10s : 0 (0%) (7.26)
20s : 0 (0%) (0.91)
Les “genres”
Rock : 9 (17.03%) (Souche: 24,9)
Chanson : 10 (19.23%) (12,7)
Alternatif : 6 (11.53%) (17.3 avec Savante)
Savante : 3 (5.76%)
Funk : 5 (9,61%) (10,7 avec RNB)
Rythm’n’blues : 3 (5.76%)
Machines : 2 (3.84%) (15,1 avec Rap)
Rap : 2 (3.84%)
Jazz post bop : 6 (11.53%) (12,2 avec Jazz classique)
Jazz classique : 1 (1,91%)
Progressif : 3 (5.76%) (6,6)
Musique originale de film : 0 (0%) (0.6)
et plus si affinités…

950. PJ Harvey, Stories From The City, Stories From The Sea, 2000 | BV

 



Ce n’est pas un très bon score, dites-donc, pour une artiste accomplie comme Polly Jean Harvey ?

Eh bien en effet, comment le nier ? Ceci dit, un artiste en son nom propre qui parvient à donner deux albums (sinon trois) dans les 236 premiers titres de la Souche, c’est-à-dire avec une note supérieure ou égale à 4,5 (jusque ici) ce n’est pas du tout négligeable.

Cet album est donc bien meilleur que la plupart des albums d’autres artistes pour la simple raison que PJ Harvey est une artiste accomplie.

Mais délaissons la tautologie pour nous aventurer dans ce monde du doublet d’accords. Rien à redire sur la production, qui est-peut-être parfois un peu trop lisse (au regard des albums évoqués), un peu moins punk, mais c’est semble-t-il le prix à payer de cet album (et dommages collatéraux). Peut-être cède-t-on trop facilement aux sirènes contemporaines (Big exit, en ouverture) ou s’aventure-t-on trop dans des territoires tout à la fois étrangers et convenus (We float, dernier morceau), toutefois avec de beaux moments (Kamikaze)… mais probablement rien d’assez impérissable, d’inédit, pour ne pas dire un chouia embarrassant (The mess we’re in, avec Thom Yhorke).

 

 

Lucie Desaubliaux | Feu(x) souterrain(s) 4/7 : Guide de visite : La Montagne Qui Brûle

 

Nous accueillons Lucie Desaubliaux pour un feuilleton inédit qui nous mènera de Samain à Imbolc. On est très heureux de recevoir l’auteure de La nuit sera belle (Actes Sud, 2017).

Lucie Desaubliaux écrit, pour les adultes et pour les enfants. Elle réalise aussi des performances et des installations. Elle code des sites internets, des bases de données, des jeux vidéos et des outils de cartographie ou de collaboration. Elle micro-édite des livres et des expériences numériques. Elle s’intéresse à l’agencement des formes de pensées, aux notions de travail et d’oisiveté et à la différence entre ce que est perçu et la réalité invisible du monde, en se nourrissant de différents domaines scientifiques qu’elle ne comprend pas trop et réinterprète beaucoup. Elle vit et travaille en Bretagne, seule ou en collectif : elle fait notamment partie de La Guerrière, du Vivarium et de WMAN.

 

GUIDE DE VISITE : LA MONTAGNE QUI BRÛLE

 

Le Mont Wingen est aussi appelé Burning Mountain : la Montagne qui Brûle. Il y a beaucoup de montagnes qui brûlent dans le monde, mais le Mont Wingen est sûrement celle qui brûle depuis le plus longtemps. Le Mont Wingen brûle depuis au moins 6600 ans.

Le Mont Wingen (prononcer “Win-jen”) se trouve en Nouvelle-Galles du Sud, en Australie. Il fait 653 mètres de haut, le feu qu’il couve brûle à 30 mètres de profondeur et c’est maintenant une réserve naturelle.

On ne sait pas comment le feu sous le Mont Wingen est né. Ce pourrait être la veine de charbon contenue dans le mont qui s’est enflammée spontanément. Ce pourrait être la foudre qui n’est pas tombée loin. Ce pourrait être un homme wonnarua emprisonné dans le mont par le Méchant Homme qui a allumé le feu pour prévenir du danger. Ce pourrait être une femme wonnarua changée en pierre sur le flanc Est qui pleure des larmes de feu. On ne peut pas vraiment savoir.

La surface du sol au sommet atteint 350°C. La terre est multicolore, rouge profond à cause de l’oxyde de fer, moutarde à cause de la poudre de soufre concentrée et blanc éclatant à cause de l’alun.

Les Wonnarua ont habité le Mont Wingen des dizaines de milliers d’années. Ils y récoltaient de l’argile un peu jaune qui contient du soufre, le ko-pur-ra. Dans le feu, le ko-pur-ra devient ocre et brillant et les Wonnarua en faisaient des pilules et des cachets. Ils réduisaient le ko-pur-ra en poudre et le mélangeaient à un émollient, comme la graisse de rein de kangourou ou l’huile d’émeu, pour faire des crèmes et des pommades. Les Aborigènes ont été les premiers à utiliser les minerais et les minéraux pour guérir.

Des tribus entières se déplaçaient au Mont Wingen pour se faire soigner. C’était toute une logistique de stockage, d’emballage et de troc. Le Mont était considéré comme sacré. Ses flancs étaient ornés de représentations de kangourous, de wallabies, d’oiseaux et de serpents.
On trouve encore le mot “découvert” dans beaucoup d’articles de presse pour parler de la première fois qu’un Européen a vu la Montagne qui Brûle. Les Européens arrivent en 1820 dans la vallée autour du Mont Wingen.

Les Aborigènes partagent volontiers la recette de leurs remèdes qui aident à soigner les hommes et les bêtes, les coupures, les brûlures, les blessures, les infections des sabots et des pieds, les épaules et le dos des colons et des chevaux.

Les Européens partagent volontiers leurs maladies infectieuses, alors inconnues sur les flancs du Mont Wingen.

À partir de 1827, lors des nuits froides, au sommet du Mont, le bétail des colons et la faune sauvage se réunissent sans distinction d’espèce autour des parois des crevasses d’où s’échappe la chaleur du feu.

À partir de 1827, au pied du Mont, les Aborigènes sont repoussés par les Européens qui veulent implanter leurs maisons, leurs exploitations et leur bétail.

Des entrepreneurs cherchent comment commercialiser les remèdes des Wonnarua. Le Département des Territoires refuse d’accorder l’exclusivité de l’exploitation minière et l’aliénation du sol. Mais l’entreprise Muston & Co interdit quand même l’accès du Mont Wingen aux Aborigènes et à tous les autres colons. L’entreprise interdit aussi le prélèvement de toute substance de la montagne et revendique sa propriété.

Les Aborigènes perdent l’accès aux ressources minérales. Ils perdent aussi la transmission empirique du processus d’extraction, de sublimation, de préparation, de stockage et d’échange de leurs remèdes.

Début 1900, la compagnie blanche Winjennia Remedies Company démarre sa production de médicaments. Ses remèdes, savons, pommades, lotions, traitent 44 maux, comme l’eczéma, les coupures et les brûlures, la gorge enflammée, les cloques et les ampoules, les fesses irritées des bébés, les morsures d’insectes, les bleus, les furoncles, les abcès, les verrues, les conjonctivites, les problèmes de cicatrisation liés au scorbut, les panaris et les fistules. Ses affaires marchent du feu de dieu.

Dans les années 50, Mandy Halls récupère la recette de la pommade. Il la rebaptise Sulfazone. Sur la boîte du Sulfazone, il y a le Mont Wingen. Il paraît que le Sulfazone est doré comme le caramel et qu’il sent la cabane en bois un après-midi d’été.
Mandy Halls meurt d’une crise cardiaque sur le Mont Wingen lui-même, en 1964. La majorité des stocks de Sulfazone disparaît lors de l’incendie qui ravage Victoria en 1983. Le dernier propriétaire des droits du Sulfazone est Roger Carr, le neveu de Mandy Halls. Carr suggère en 1997 de rendre les droits au peuple aborigène. Il meurt en 2013, avant que les droits n’ait été rendus. Aucune démarche n’a été entreprise depuis.
Sur TripAdvisor, la Montagne qui brûle n’a qu’une note de trois étoiles, “Moyen”. C’est une belle balade mais on ne voit pas assez de fumées. Heureusement, il y a beaucoup de tables de pique-nique.
 

Précédent | Suivant

 

673. Magazine, Secondhand Daylight, 1979 | BV

 



En excellent groupe de cosidit post-punk, Magazine franchit le test de collision du deuxième album sans trop de difficulté. Si Secondhand daylight est légèrement inférieur à Real life (#483) ou The correct use of soad (#600), le troisième et excellent opus, ce n’est que d’un chouia (on rappelle que dans la Souche les ordinations sont extrêmement sensibles).

Ici on dénote sans doute une légère baisse d’énergie, un léger manque de conviction, mais aussi une ouverture vers de nouveaux horizons, sans que ce geste soit totalement convaincant, malgré de très beaux moments, comme Cut-out shapes, Back to nature, ou le glorieux final, Permafrost.

Marquent fort surtout l’ouverture de Feed the ennemy ou The thin air, rehaussées notamment par les arrangements des synthétiseurs (et aussi bizarrement le saxophone) très Bowie’s-Low-esque. À vérifier, dans le futur, le maintien ou non de la facture punk, chère à I wanted your heart, des morceaux rapides sans doute le plus réussi..

 

 

456. Free, Fire and water, 1970 | BV

 




 

Dans une chronique sur l’album, le chroniquer évoque, à propos de Free, les noms de Fleetwood Mac, Humble Pie, Foghat, concurrents directs et plus chanceux, Black Sabbath, Deep Purple, avec qui ils partageraient le public, Cream, Blind Faith, Derek & the Dominos, formations équivalentes de style.

Mais que se passe-t-il, ou plutôt que s’est-il passé avec Free ? Plutôt que tous ces noms, auxquels on pourrait également ajouter Ten Years After, et, pourquoi pas, Led Zeppelin, il faudrait chercher dans le groupe lui-même, une groupe entier, un groupe complet, les raisons de cet oubli notoire (si j’ose dire)… Mais les raisons, hélas, on les connaît, problèmes relationnels, drogue, qui aboutira au décès de Paul Kossof en 1976… Paul Rodgers s’en ira former Bad Company, mais enfin, l’essentiel est là. Ce troisième est le plus abouti, bousté par le tube Alright Now, il ne contient que sept morceaux (ce qui est une bonne chose), et surtout une production qui l’assimile donc à la préhistoire du hard-rock, et surtout plein d’idées (Heavy Load, Fire And Water). La guitare et la voix excellent, comme on sait. Et puis il y a Mr.Big, le gros morceau, magnifié sur scène.

Un album qui calme les hormones du hard-rock américain (et qui ne cesse de le hanter, comme l’Amorica des Black Crowes #856 par là). Et sur lequel pèse le poids du destin musical de l’époque. Que se serait-il passé si Free avait continué ?