Le pli halluciné | HPJ

 

Étendu sur son lit, dès qu’il ouvrait œil, il voyait un visage dans les plis de la couette, puis un autre sur le rideau brodé qui couvrait la fenêtre. Il savait que ces têtes n’existaient pas bien qu’il croyait entendre une faible respiration, il passait sa main pour les écraser, pour les faire disparaître, il apercevait alors des fesses et des jambes, qu’il chassait à leur tour en frottant la couette. Quand un oreiller se penchait sur lui, il prenait peur des yeux vitreux qu’il apercevait au cœur de la taie. Plus il détruisait les chimères des corps plus leurs images se reformaient à son insu, il lui fallait sans cesse aplatir le moindre relief que formait toute la literie.

La mémoire des corps les métamorphosent-elles toute seule ? Éveillé, il constate qu’il ne reconnaît aucun visage, qu’il ne peut leur donner des prénoms ou des noms, chacun se présente comme un inconnu dont l’apparence est plutôt inquiétante. Et cette jolie cuisse que dévoilent les plis de la housse de couette, à quelle femme pourrait-elle bien appartenir ? Elle est là, avec la couleur ambrée d’une peau qui doit sentir bon, et dès qu’il appuie sur elle au lieu de l’effleurer, elle s’évanouit comme si elle n’avait jamais existé. Ce monde de morceaux de corps qui l’entoure, qui l’encercle même, est en mesure de disparaître chaque fois qu’il écrase les plis et les replis de la literie.

Il se demandait pourquoi il consentait à l’hallucination. Après tout n’était-il pas capable de créer ses propres images ? Et surtout, de belles images qui rassurent par la douceur de leur présentation, par l’ordre bienséant de leur naissance. Il lui suffisait de nier en l’effaçant même avec les doigts toute image qui était source d’angoisse. Ou bien, il hésitait à liquider les hasards scopiques, ceux-là mêmes qui caractérisent une vision impromptue.

Après plusieurs nuits, il avait fini par s’habituer à cette mise en scène des morceaux de corps qui ne l’inquiétait presque plus, mais il la supportait comme le poids d’une certaine morbidité qu’il n’aimait pas. Il se mit en quête d’une issue. Il s’inventa un théâtre érotique de marionnettes.

Au lieu d’aplatir une jolie cuisse sous sa main pour lui retirer toute existence, il mit ses doigts au bout des plis et l’orienta autrement de manière à ce qu’elle vienne toucher son ventre. Ainsi pût il croire qu’il la faisait bouger. La jolie cuisse s’adressait à lui. Mais un geste en provoque un autre. Une tête venait de se dresser devant lui, elle ressemblait à celle d’un gnome avec une bouche légèrement tordue, un chapeau pointu, rouge, elle s’agitait, il entendait même d’étranges ricanements. Constatant qu’il ne gouvernait rien, il quitta son lit pour y retourner quelques instants plus tard. Tout était sans dessus dessous, il s’allongea lentement comme s’il s’appliquait à adopter une posture, il déploya la couette et celle-ci prit elle-même une position qui fit naître encore des visages, certains ayant des barbes très carrées. Il n’avait guère de prise sur ce petit monde qui se construisait devant ses yeux et pourtant il réussissait encore à le modifier en appuyant avec ses doigts sur les plis de la couette.

Épuisé, il se mit sur le dos, s’immobilisa, se raidit comme un gisant, ferma les yeux, il vit le corps de la femme rêvée sortir de sa tombe et venir à sa rencontre sans jamais réussir à le rejoindre.

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