Archives de catégorie : Chroniques

41. Parliament, Mothership Connections, 1975 | BV

 




 

Le hasard, toujours, mon dé à mille faces, nous porte cette semaine vers cette nouvelle perle de funk.

Probablement l’un des meilleurs disques du genre, pas seulement parce qu’ils pose des bases qui seront ensuite largement celles d’une multitude de suiveurs… et qui dégaine pas moins de trois parmi les meilleurs morceaux, Give Up the Funk, P-Funk et le morceau phare Mothership Connection.

Les cuivres, et notamment les petites lichées qui parsèment et soulignent les couplets, notamment dans ce dernier morceau, ou encore les cœurs chuintants, et enfin les usages bizarres et innovants des synthétiseurs, qui anesthésient définitivement les plumitifs successeurs et auront eu raison d’eux dès avant leur naissance… sans parler du rythme lui-même, guitare et section rythmique, dignement héritée de James Brown… tout ceci, en bref = une incroyable claque qui va jusqu’à offusquer le disco puis le rap durablement (n’est-ce pas Dre ?) jusqu’à souffler dans les bronches de la pop la plus perverse (Stevie ? Stevie ?).

George Clinton est une espèce de génie, et ses deux groupes Parliament et Funkadelic, deux des avatars de sa folie.

Cette formule-ci compte, outre Gary Shider, Michael Hampton, Glen Goins aux guitares et Michael et Randy Brecker aux cuivres, le magicien Bernie Worrell aux claviers, l’inénarrable Bootsy Collins à la basse, et, oui, vous lisez bien, Fred Wesley et Maceo Parker aux cuivres.

C’est un disque incontournable.

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107. Graham Central Station, Ain’t no doubt ’bout it!, 1975 | BV

 


 

Un album passablement négligé, que j’ai pourtant toujours considéré comme un pilier du funk. Beaucoup de choses à dire ici.

J’ai découvert Larry Graham (comme beaucoup j’en suis sûr) par The Jam, et surtout par la version qu’en a proposé Prince, et qui est hal lu ci nan te.

Je ne savais pas encore (c’était une émission/concert étrange sur Canal, vers 1994, avec également des morceaux aussi forts que Papa, Loose, Interactive ou Days of Wild) que les deux étaient à ce point liés, et qu’ils joueraient encore longtemps ensemble — accessoirement que c’est en partie à cause des témoins de Jéhovah que Graham a introduits à Prince que ce dernier refusera l’opération de la hanche qui le conduira à l’overdose d’anti-douleurs, mais passons — ce n’est pas une chronique sur Prince, un jour cette chronique viendra.

Bref, cet album est soi-disant inférieur aux autres (ceux du Central Station, je ne connais pas trop les albums solos de Graham, n’étant pas trop balades souls), mais il regorge de pépites funk, tels que l’évoquée Jam donc (qui n’est rien d’autre qu’une jam, donc une confiture de talents), qui certes n’éblouit pas par son intelligence, tout comme la blague privée Warner Bros. Party, même si elles déchirent par leur groove, et je passe sur donc ces balades, qui sont ici au nombre de trois, mais on trouve également, et c’est jouissif, Water, Easy Rider et surtout It’s Alright.

Mais le don du ciel, c’est véritablement la pluie de la reprise exceptionnelle (déjà pratiquement parfaite à l’origine) d’Ann Peebles, admirablement chantée et bridgée par cette basse endiablée du maître. Un excellent album, donc, pour se réchauffer les cuisses et le cœur.

 

 

244. Albert Ayler, Love cry, 1968 | BV

 


 

Des disques d’Albert Ayler, souvent sans compromis, jaillit un flot de sons aussi violents que beaux, qui nous laissent sans voix à notre tour. Cet album est probablement moins impitoyable et, à l’image de la police du titre sur la pochette, nous emmène volontiers vers des paysages plus amènes, même si bordés de gouffres acides.

Et en effet, les morceaux enchainés ici exposent improvisations et musiques entraînantes, au pied de la fanfare en marche. On conçoit l’effort, pour Impulse!, de vouloir polir un Ayler par ailleurs notable de libertisme (Spiritual unity), et le fait qu’il reprenne ici des morceaux par ailleurs bien connus (quoi qu’ailleurs plus exigeants encore, Ghosts, Bells) le démontre.

On rejoint parfois Coltrane ou Shepp dans les sphères cuivrées du jazz acide.

Néanmoins Ayler reste maître de son jeu, le groupe (avec son frère Donald, dont c’est le dernier enregistrement avec lui, Carl Cobbs, inégal, section rythmique, Alan Silva-Milford Graves au top) suit, et chacun maintient la tension free jusqu’au bout des ongles, et des mesures parfois hardies… tout en laissant, étonnement, un goût mélodique entêtant, même une fois l’album terminé.

 

 

346. John Campbell, One believer, 1991 | BV

 

 

Il faut que je m’explique. Certes le son et la production sont typiques des ces années, savoir-faire des 80s, cynisme des 90s, à moins que ce ne soit l’inverse. Mais il y a là-dedans 10 putains de bonnes chansons, de blues, de blues actualisé, mais sans être trop ouaté par la variété FM ou le rock-pop. L’histoire de Campbell est assez à l’image de la pochette. Dramatique et tragique. On a l’impression qu’il ne rigole pas, et lorsqu’il nous dit, en ouverture, que le diable est dans son placard et le loup à sa porte, on est plutôt enclin à le croire sur parole.

C’est un voyage dans ce monde parallèle, de déserts illuminés, de bars, de cercueils de petite taille, et d’ombres agressives, qui combine blues texan et atmosphère marécageuse dans une forme, produite à New York, dans la nuit de New York, cinglante et profonde à la fois, à l’image de la voix caverneuse de Campbell. Guitare lacérées et orgues hantées font de ce qui aurait pu être un honnête disque de variété louisianaise une œuvre inspirée et brûlante.

 

 

250. Pescado Rabioso, Artaud, 1973 | BV

 


 

Classique argentin qui pêche (ha ha) surtout par les grimaces de l’époque, car pour le reste, idées, singularité, cohérence, interprétation, thème, c’est à peu près optimal ; un peu comme si Nick Drake se laissait aller à la fantaisie. Excellent disque, de ceux qui s’écoutent toujours avec plus d’attention… on découvre une espèce de capture du meilleur du rock anglais de 1965 (La Habladurias del Mundo), mêlé à l’expérience du progressif plus tardif (Supercheria), et une verve unique, propre à la culture, à la langue, à la voix (Bajan). Parfait pour finir l’été.

Mais finir l’été avec Artaud. Parce qu’il y a Artaud. Là derrière. Et en tout petit, sur la pochette. Artaud vieux; enfin, vieux… Artaud quoi, le dernier Artaud.

 

 

995. Thomas Fersen, Le jour du poisson, 1997 | BV

 


 

Fersen a indéniablement des qualités d’auteur-compositeur-interprète, et elles se révèlent dans cet album, le plus abouti, à mon sens, même plus abouti que les suivants, sans doute un peu trop produits. Longtemps disséqué, il accompagne gentiment. On regrette deux choses : un peu moins de monde fantaisiste et un peu plus de nerf, peut-être, mais ce n’est pas sûr.

 

 

923. Lucio Battisti, Anima latina, 1974 | BV

 


 

Généralement méfiant envers la variété (la forme, le concept, l’idée même de variété, comme une espèce de salade niçoise oubliée dans un autogrill), et d’autant plus lorsqu’il s’agit de variété italienne produite par un cantautore, peu connaisseur de son histoire d’ailleurs, je dois dire que j’ai été séduit par cet album étrange, qui sonne un peu comme un Battiato qui aurait trouvé la notice de son Bontempi.

Généralement également méfiant envers l’eldorado sud-américain des européens, là encore, la « fusion » fonctionne à peu près. Mais là où j’ai décidément décidé d’apprécier l’album, c’est lorsqu’on entend ces mots : « Urca ! guarda cosa c’è / Il salame » (“Fichtre/Mince/Sapristo ! Regarde (ce qu’il y a) / Le saucisson”), et j’ai rarement été aussi surpris, et agréablement.

 

42. Kahil el Zabar’s Ritual Trio, Renaissance of resistance, 1994 | BV

 

 

Je ne sais pas pourquoi cet album est sous-estimé. La pochette dégueue peut-être. Enfin la photo est bien, mais l’habillage sur Microsoft Word®, aïe.

Oui, comme disait l’autre, il y a du jazz “avant-garde” qui peut ne pas être qu’atonal. De fait, l’album est, chez moi, dans le top dix des albums de jazz (non-free), quatrième même.

Que dire ? L’héritage est évident, appuyé même, dans les titres. Mais il y précisément un petit truc en plus, qui transparaît vaguement dans la photo : ce truc d’Africains. Dès le deuxième morceau (Ornette) la basse, entêtante, ressemble à un riff gnawa, avec ses cymbalines accrochées au cœur. Et encore plus entêtant le titre éponyme. L’album poursuit sa route dans cet élégant assemblage (Trane in mind), avec peut-être un petit décrochage dans Fatsmo, mais qui se clôt sur un hymne (chanté) efficace.

 

 

148. Charles Guayle, Touchin’ on Trane, 1994 | BV

 

 

L’auditeur pressé pourra se plaindre de la trop proche proximité (si j’ose dire) avec Trane (ou Mingus), mais n’est-ce pas déjà indiqué dès le titre ? Il faut dire que Guayle ici croise avec des pointures, Rashied Ali qu’on ne présente pas, et ce William Parker que personnellement je ne connais pas bien, mais qui réalise ici une effort estéchnique remarquable (je le souligne encore parce qu’on l’entend sur tout le disque, la double basse, malgré son volume, n’est pas toujours traitée à sa valeur).

Bref, c’est un parcours dans l’histoire du free avec maestria et non moins brio.

Mais cela n’enlève rien au fait que, pour être un hommage au Maître absolu, il n’y a ni reprise, ni citation trop appuyée. Simplement l’inventivité, la débrouillardise, la joie d’être ensemble, petit trio d’humains qui envoient du gros bois en cinq parties remarquables (notamment l’entrée upbeat Part A, et la très inspirée Part E).