Évènement rare et étonnant de rap expérimental, totalement hors des entiers battus, mais complètement hip-hop, sans l’intellectualisme d’Antipop, ni d’ailleurs la vaine provocation à tout prix de nombreux collègues, plutôt un nihilisme industriel assez pénétrant et définitif. Si l’ensemble n’est pas inoubliable, tous les morceaux recèlent une indéniable énergie et ne présentent pas de défaut majeur ; de plus ils offrent aux oreilles sensibles des sonorités variées et renouvelées, puisées dans la pop, le glitch ou même le métal et le progressif, c’est assez déroutant, finalement. Et c’est le mieux qu’on puisse attendre d’un groupe de no-rap, qui crie sa liberté sur fond de dystopie un rien hostile. À noter que leur premier opus, un genre de mixtape librement téléchargeable, ouvre en fanfare cette carrière, qui se poursuit sans faux-pas. Mais ce disque est leur effort le plus singulier. Et ce n’est pas un premier avril.
Oui, évidemment, on a là deux monstres du jazz plus ou moins libre, et on pourrait penser que l’association soit détonante. Les sessions remontent à 1960, mais l’album ne paraît qu’en 1966, entre-temps les deux ont largement pu explorer des territoires plus aventureux. Et en effet, on reste un peu stupéfait par les pistes (trois morceaux d’Ornette Coleman, un cosigné par Monk, et un seul de Cherry), et leurs interprètes (à nouveau Charlie Haden et Ed Blackwell, venus également de chez Coleman, enfin sur les deux morceaux plus flamboyants, Cherryco et The Blessing, Haden est remplacé par Pearcy Heath du Modern Jazz Quartet sur les trois autres), qui sont extrêmement bien ficelées et garnies, mais qui restent un peu toutes sur leur quant-à-soi… ce qui n’est pas désagréable, sans être exubérant, et pour tout dire, un peu contradictoire avec le titre. Blackwell propose de belles innervations rythmiques tout au long du disque.
Un classique des années 90. Et pas des moindres. Alors qu’un rock dit alternatif prend ses aises (poursuivant simplement le punk, comme le punk poursuivait le deuxième âge du rock, celui des années 60, lequel poursuivait le premier, etc.), avec PJ Harvey, que le hip-hop s’y frotte avec Beck, qu’une electro pop s’affirme et comment avec Björk — et tout ceci sur fond de grunge mené par Nirvana et Pearl Jam — une nouvelle brèche s’ouvre, qu’on appellera trip-hop, et qui s’incarne avec Massive Attack : les territoires, comme à l’aube des temps, se répartissent. Et tout à coup Portishead semble synthétiser tout cela, hip-hop, punk et autre, oui, peut-être du trip-hop, mais on ne peut nier ni l’énergie punk ou post-punk si on veut, et le côté exigeant qui ne rechigne pas à des ambiances progressives.
L’album commence très fort avec trois morceaux qui donnent la couleur, trois morceaux relativement différents qui démontrent toutes les qualités du sample (Geoff Barrow), de la guitare (Adrian Utley) et de la voix (Beth Gibbons).
C’est un choc, un nouveau choc, qui est porté à l’international, lol, par ce tube absolument imparable, un nouveau My baby juste cares for me du genre, Glory box, que tout le monde connaît (et qui est parfaite, comme Jóga, Loser, et Down by the water). Quand l’album sort, on ne connaît des impétrants cités, encore, que Debut (prometteur évidemment, #492), Mellow gold (#461) qui vient de sortir, et Rid of me (#172) : c’est-à-dire qu’ils ont fait leur meilleur album jusque là, qu’ils n’ont pas fait encore leur meilleur meilleur (!) (Homogenic (#68), Odelay (#170) et To bring you my love (#72)), et débarque Dummy (Massive Attack publiera Mezzanine en 1998, mais je pense qu’ils savent qu’ils ont perdu cette partie-là).
Et comme les autres, ce n’est encore rien face au successeur éponyme (#12, mais premier ex-æquo). Hâte !
Un disque de morceaux tous signés du grand Howlin’ Wolf (Chester Burnett), après une longue et profitable collaboration avec Willie Dixon, sideman à l’écriture de tubes on ne peut plus valides, dont on parlera le moment venu.
Il est toujours difficile de parler de disques de blues pour ce que le blues classique appraît et se diffuse ua moment où, si l’électrification et l’enregistrement sont quasiment au point, la diffusion n’est pas encore celle du format disque. La Souche, qui en était particulièrement indigente, s’est récemment mise à jour en en incorporant un certain nombre. De fait les disques construits comme tels (et non de simples compilations) sont rares. Mais le rock anglais, dans son entreprise culturelle de réhabilitation (aujourd’hui on dirait “appropriation”) a largement fait connaître tous ces noms, qui sont subitement devenus, à un âge disons certain, des stars.
Howlin’ Wolf a tout de même pu enregistrer ses morceaux en 1959 et dans ce disque-ci, s’il n’y a pas ses morceaux les plus célèbres — mettons Spoonful (immortalisé par Cream), Back door man (immortalisé par les Doors) ou The Red Rooster (immortalisé par les Stones) –, et pour cause : ils sont tous de Dixon, il y a quand même de sacrées belles chansons, Moanin at midnight, Smokestack Lightnin’, surtout Evil (is going on).
Un premier classique, donc, de notre série des grands bluesmen.
Probablement pas le tout meilleur effort du groupe — qui est un groupe bizarre. Une nette influence floydienne, des accents ambitieux à la Steely Dan ou 10CC, mais une évidente réussite mélodique qui a produit des tubes mondiaux. Cet album se place entre les très recherchés Crime of the century (#391) et Even in the quietest moments (#1034), et ne dispose pas de morceau phare comme ces derniers. Rien de véritablement indigne cependant, si les chansons, par ailleurs inégales, ne nous entraînent pas l’oreille comme on voudrait. Certaines sont presque insignifiantes (Lady, Sister Moonshine), d’autres activement pompières (A soapbox opera), plusieurs ennuyeuses. L’ironie, promise par la pochette, pâtit probablement dans sa réalisation de ses deux “parents”, et leur turbulent petit : oui, il faut être amateur de saxophone rock, aussi, ce n’est pas donné à tout le monde.
Ah, merci le sort, eh bien très clairement l’un de mes albums favoris, ah ça oui. Au point que je l’ai cherché à la longue en vinyle. Il y aurait beaucoup de choses à dire, encore une fois — il y a toujours beaucoup de choses à dire.
Intelligent, musicalement aventureux, esthétiquement concis et percutant, ce double album de quarante-quatre morceaux ciselés mélange allégrement ces trois adjectifs dans un bouquet de folkpunkjazz innovant, et diablement efficace. Politiquement incorrect, et tragiquement stoppé net par la mort du guitariste-vocaliste du groupe, D. Boon (et qui entre dans le singulier bal des 27), le trio, complété par George Hurley (batterie) et Mike Watt (basse), ne cède ni à la facilité ni à la gratuité (à différence peut-être de Hüsker Dü et son double Zen arcade (#1205e) qui lui ressemble un peu dans l’ambition). Comme ils le disent dans Political song for Michael Jackson to sing, “Me, I’m fighting with my head, I’m not ambiguous / I must look like a dork”.
Mais cette phrase péremptoire ne masque qu’avec peine l’ironie dont le groupe fait preuve, au travers de ce délirant disque (quarante-quatre morceaux, ce sont beaucoup de morceaux, quatre cinq albums “normaux”, mais une moyenne de durée du titre de… 1’40” !), à la production qualifiée de spartiate mais que je trouve impeccable (le son de la batterie). Ironie des textes, mais aussi des formes, et puis ces reprises improbables d’une part de Creedence Clearwater Revival (Don’t look now, sur Willie & The Poorboys, #789), d’autre part de Steely Dan (Doctor Wu, sur Katy Lied, #601) : ce disque est régulièrement cité comme le meilleur de l’année (1984, juste avant la naissance du CD, ce qui rend le vinyle difficile à trouver, m’a-t-on dit), et s’il est assurément l’une des propositions les plus originales du rock, il est aussi un très beau signal de l’underground américain.
Probablement l’un des disques les plus célèbres de ma génération, un disque usé jusqu’à l’os. Il était chez tous les monde, dans toutes les bagnoles et dans tous les rades, sans compter la radio.
Eh bien sans doute l’a-t-on beaucoup, beaucoup trop écouté, beaucoup trop écouté, aussi, subséquemment, nous ne l’avons plus du tout écouté.
Il représente en force l’espèce d’engagement artistique, esthétique, et même social typique des années 90, des forums sociaux, et du jospinisme. Il représente aussi, paradoxalement, l’échec total de cette époque, il symbolise en quelque sorte le mur de la réalité ou toute cette époque s’est fracassé, peu après… le retour de la droite, l’éclatement de la gauche plurielle, puis l’échec de Seattle, le désastre de Gênes, la catastrophe du World Trade Center.
Mise à part la nostalgie qui peut saisir l’auditeur convalescent, et compte-tenu, par conséquent, des limites de la production, des arrangements et de l’atmosphère même, il faut avouer que cette suite hyper cohérente de chansons a finalement, étonnement, plutôt bien résisté au temps. Cela ne mange pas de pain, mais ça ne évanouit pas pour autant dans l’arrogance ou la vanité.
Voilà quelqu’un dont la gloire n’est probablement pas à la hauteur de l’œuvre accomplie. Leon Russell a mené une impressionnante carrière de sideman (piano) (408 mentions de crédits, dont 282 comme auteur/compositeur) avant même de graver son premier disque, juste avant de partir sur les routes avec Joe Cocker. Son premier album solo, éponyme, est une petite réussite, une joie musicale de ce que l’époque (1970) peut délivrer : deux Beatles, trois Stones, Eric Clapton, Klaus Voormann, Steve Winwood, Jim Gordon, B.J. Wilson… et Merry Clayton, la co-interprète historique de Gimme Shelter (la version bonus donne aussi la première version de Shine a Light) des Stones…
S’il n’y a pas le grain de folie qui puisse le pousser jusqu’au-delà du point de génie, l’album reste une référence (Glyn Jones et Denny Cordell aux manettes), tout comme l’influence de Russell sur des personnages aussi variés que Black Francis ou Elton John, avec de belles réussites : Shoot Out on the Plantation ou Roll Away The Stone…
Une fois ouverte l’exécrable pochette, le tout premier titre calme toute hormone hostile. Certainement le plus grand héritier de Prince, dans ce groove un peu loose de certains titres, avec peut-être Sexy MF comme tête de pont (qui je l’accorde n’est vraiment loose) — le maître d’ailleurs lui rendant hommage dans Emancipation (1996, #1132).
Il s’agit d’un double album (en vinyle), à la production tout à fait originale pour un album de nouveau r’n’b ou neosoul. Ouverture instrumentale efficace, on navigue ensuite entre balades aux voix châtiées et quelques raps efficaces.
On note la présence de ?uestlove, batteur du meilleur groupe de hip-hop de ces années-là, The Roots (et deuxième album rap de la Souche avec Things fall apart, 1999 et #56, mais premier si on considère qu’Antipop Consortium n’est pas vraiment un disque de hip-hop), et de Raphael Saadiq, dont on a pas encore eu l’occasion de parler parce qu’il n’est pas encore traité dans la Souche (avec son collègue Ali Shaheed Muhammad (de A Tribe Called Quest) et le collègue de ce dernier, Adrian Younge) qui donnent évidemment une tonalité new jack swing, comme on dit, à cette production en tout état de cause à mille lieues du traitement r’n’b, façon soupe, contemporain. Un petit miracle, réitéré quatorze ans plus tard seulement (et ça aussi c’est appréciable) avec Black Messiah (et crédité avec les Vanguards, 2014 #558e).
Décidément, un autre disque étrange après Magma. Alors je l’avoue, je ne connaissais vraiment pas Buckethead avant la création de la souche. Et justement allais-je dire: comment appréhender un type qui porte un masque de “slasher-movie” et s’affuble d’un pot de KFC (d’om son nom), guitariste virtuose (les deux forment oxymore, et le tout donne nausée) qui a publié 435 albums studios jusqu’ici, et depuis 1992 seulement (dont 119 l’an dernier, et déjà 16 depuis le 1er janvier de cette année), plus 74 travaux avec d’autres et près de 400 interventions ailleurs, pour un total de 171 heures de musique enregistrée… comment ?
Alors je suis allé à la simplicité : j’ai fouillé un peu pour comprendre quels albums étaient préférés, et j’augure que celui-ci, à la belle couverture, est l’un des meilleurs ; mais il paraît qu’ils sont tous à peu près bons. Bon il y a un petit côté jeu-vidéo (Xénon 2) dans cette musique, ici teintée de blues, mais enfin il n’y a rien de déshonorant ici, sinon peut-être le manque de grain, d’acroche sérieuse pour l’auditeur (un peu comme un Jeff Beck encore plus chiant). D’ailleurs je vois qu’on le qualifie d’ambient.