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769. Supertramp, Crisis, what crisis ?, 1975 | BV

 


 

Probablement pas le tout meilleur effort du groupe — qui est un groupe bizarre. Une nette influence floydienne, des accents ambitieux à la Steely Dan ou 10CC, mais une évidente réussite mélodique qui a produit des tubes mondiaux. Cet album se place entre les très recherchés Crime of the century (#391) et Even in the quietest moments (#1034), et ne dispose pas de morceau phare comme ces derniers. Rien de véritablement indigne cependant, si les chansons, par ailleurs inégales, ne nous entraînent pas l’oreille comme on voudrait. Certaines sont presque insignifiantes (Lady, Sister Moonshine), d’autres activement pompières (A soapbox opera), plusieurs ennuyeuses. L’ironie, promise par la pochette, pâtit probablement dans sa réalisation de ses deux “parents”, et leur turbulent petit : oui, il faut être amateur de saxophone rock, aussi, ce n’est pas donné à tout le monde.

 

 

164. Minutemen, Doucle nickels on a dime, 1984 | BV ⚫

 


 

Ah, merci le sort, eh bien très clairement l’un de mes albums favoris, ah ça oui. Au point que je l’ai cherché à la longue en vinyle. Il y aurait beaucoup de choses à dire, encore une fois — il y a toujours beaucoup de choses à dire.

Intelligent, musicalement aventureux, esthétiquement concis et percutant, ce double album de quarante-quatre morceaux ciselés mélange allégrement ces trois adjectifs dans un bouquet de folkpunkjazz innovant, et diablement efficace. Politiquement incorrect, et tragiquement stoppé net par la mort du guitariste-vocaliste du groupe, D. Boon (et qui entre dans le singulier bal des 27), le trio, complété par George Hurley (batterie) et Mike Watt (basse), ne cède ni à la facilité ni à la gratuité (à différence peut-être de Hüsker Dü et son double Zen arcade (#1205e) qui lui ressemble un peu dans l’ambition). Comme ils le disent dans Political song for Michael Jackson to sing, “Me, I’m fighting with my head, I’m not ambiguous / I must look like a dork”.

Mais cette phrase péremptoire ne masque qu’avec peine l’ironie dont le groupe fait preuve, au travers de ce délirant disque (quarante-quatre morceaux, ce sont beaucoup de morceaux, quatre cinq albums “normaux”, mais une moyenne de durée du titre de… 1’40” !), à la production qualifiée de spartiate mais que je trouve impeccable (le son de la batterie). Ironie des textes, mais aussi des formes, et puis ces reprises improbables d’une part de Creedence Clearwater Revival (Don’t look now, sur Willie & The Poorboys, #789), d’autre part de Steely Dan (Doctor Wu, sur Katy Lied, #601) : ce disque est régulièrement cité comme le meilleur de l’année (1984, juste avant la naissance du CD, ce qui rend le vinyle difficile à trouver, m’a-t-on dit), et s’il est assurément l’une des propositions les plus originales du rock, il est aussi un très beau signal de l’underground américain.

(Je reviendrai pour un détail des titres…)

 

 

856. Manu Chao, Clandestino, 1998 | BV

 


 

Probablement l’un des disques les plus célèbres de ma génération, un disque usé jusqu’à l’os. Il était chez tous les monde, dans toutes les bagnoles et dans tous les rades, sans compter la radio.

Eh bien sans doute l’a-t-on beaucoup, beaucoup trop écouté, beaucoup trop écouté, aussi, subséquemment, nous ne l’avons plus du tout écouté.

Il représente en force l’espèce d’engagement artistique, esthétique, et même social typique des années 90, des forums sociaux, et du jospinisme. Il représente aussi, paradoxalement, l’échec total de cette époque, il symbolise en quelque sorte le mur de la réalité ou toute cette époque s’est fracassé, peu après… le retour de la droite, l’éclatement de la gauche plurielle, puis l’échec de Seattle, le désastre de Gênes, la catastrophe du World Trade Center.

Mise à part la nostalgie qui peut saisir l’auditeur convalescent, et compte-tenu, par conséquent, des limites de la production, des arrangements et de l’atmosphère même, il faut avouer que cette suite hyper cohérente de chansons a finalement, étonnement, plutôt bien résisté au temps. Cela ne mange pas de pain, mais ça ne évanouit pas pour autant dans l’arrogance ou la vanité.

 

605. Leon Russell, Leon Russel, 1970 | BV

 


 

Voilà quelqu’un dont la gloire n’est probablement pas à la hauteur de l’œuvre accomplie. Leon Russell a mené une impressionnante carrière de sideman (piano) (408 mentions de crédits, dont 282 comme auteur/compositeur) avant même de graver son premier disque, juste avant de partir sur les routes avec Joe Cocker. Son premier album solo, éponyme, est une petite réussite, une joie musicale de ce que l’époque (1970) peut délivrer : deux Beatles, trois Stones, Eric Clapton, Klaus Voormann, Steve Winwood, Jim Gordon, B.J. Wilson… et Merry Clayton, la co-interprète historique de Gimme Shelter (la version bonus donne aussi la première version de Shine a Light) des Stones…

S’il n’y a pas le grain de folie qui puisse le pousser jusqu’au-delà du point de génie, l’album reste une référence (Glyn Jones et Denny Cordell aux manettes), tout comme l’influence de Russell sur des personnages aussi variés que Black Francis ou Elton John, avec de belles réussites : Shoot Out on the Plantation ou Roll Away The Stone

 

 

716. D’Angelo, Voodoo, 2000 | BV

 


 

Une fois ouverte l’exécrable pochette, le tout premier titre calme toute hormone hostile. Certainement le plus grand héritier de Prince, dans ce groove un peu loose de certains titres, avec peut-être Sexy MF comme tête de pont (qui je l’accorde n’est vraiment loose) — le maître d’ailleurs lui rendant hommage dans Emancipation (1996, #1132).

Il s’agit d’un double album (en vinyle), à la production tout à fait originale pour un album de nouveau r’n’b ou neosoul. Ouverture instrumentale efficace, on navigue ensuite entre balades aux voix châtiées et quelques raps efficaces.

On note la présence de ?uestlove, batteur du meilleur groupe de hip-hop de ces années-là, The Roots (et deuxième album rap de la Souche avec Things fall apart, 1999 et #56, mais premier si on considère qu’Antipop Consortium n’est pas vraiment un disque de hip-hop), et de Raphael Saadiq, dont on a pas encore eu l’occasion de parler parce qu’il n’est pas encore traité dans la Souche (avec son collègue Ali Shaheed Muhammad (de A Tribe Called Quest) et le collègue de ce dernier, Adrian Younge) qui donnent évidemment une tonalité new jack swing, comme on dit, à cette production en tout état de cause à mille lieues du traitement r’n’b, façon soupe, contemporain. Un petit miracle, réitéré quatorze ans plus tard seulement (et ça aussi c’est appréciable) avec Black Messiah (et crédité avec les Vanguards, 2014 #558e).

 

 

Lucie Desaubliaux | Feu(x) souterrain(s) 7/7 : Finish him

 

Nous accueillons Lucie Desaubliaux pour un feuilleton inédit qui nous mènera de Samain à Imbolc. On est très heureux de recevoir l’auteure de La nuit sera belle (Actes Sud, 2017).

Lucie Desaubliaux écrit, pour les adultes et pour les enfants. Elle réalise aussi des performances et des installations. Elle code des sites internets, des bases de données, des jeux vidéos et des outils de cartographie ou de collaboration. Elle micro-édite des livres et des expériences numériques. Elle s’intéresse à l’agencement des formes de pensées, aux notions de travail et d’oisiveté et à la différence entre ce que est perçu et la réalité invisible du monde, en se nourrissant de différents domaines scientifiques qu’elle ne comprend pas trop et réinterprète beaucoup. Elle vit et travaille en Bretagne, seule ou en collectif : elle fait notamment partie de La Guerrière, du Vivarium et de WMAN.

 

FINISH HIM

 La mère dit : Regarde un peu le paysage Cole.

Cole dit : Je regarde. Il regarde les éoliennes et les champs de maïs qui sont plus grands que la fenêtre de la voiture. Les champs n’ont pas de bord, ils disparaissent dans l’horizon. Cole compte trois éoliennes arrêtées, il regarde sa console et il choisit Sub Zero sur l’écran de sélection des personnages.

Sub Zero est un personnage de Mortal Kombat, c’est le maître du clan Lin Kuei. Il porte un masque bleu sur tout le bas du visage et un plastron bleu qui se transforme en pagne à partir de la ceinture, bleue aussi. Sub Zero contrôle la glace.

La mère dit : Arrête de jouer et regarde un peu le paysage Cole.

Cole dit : Je regarde. Cole regarde et il continue à jouer, on peut faire les deux mais ça ne sert à rien de l’expliquer à la mère. Cole regarde même s’il connaît par cœur la route des vacances. La partie avec les grands champs de maïs est pénible, même les oiseaux qui volent au-dessus ont l’air triste. Quand Cole les regarde c’est comme si quelqu’un lui manquait.

Sub Zero lance un pic de glace dans la mâchoire de son adversaire et le cloue au mur derrière lui. FINISH HIM s’affiche sur l’écran. La mâchoire inférieure de l’adversaire se détache en deux temps : d’abord le côté gauche puis le côté droit. Le haut du crâne reste accroché au mur et le reste du corps dégouline jusqu’au sol où il se pose assis, le dos bien droit contre le mur de glace. Du sang jaillit horizontalement en jets irréguliers depuis la moitié de mâchoire accrochée au mur et Sub Zero gagne.
La mère dit : Regarde un peu le paysage, regarde un peu Cole, avec les écrans, plus personne ne s’intéresse aux paysages, hein André ? Le père conduit et dit : Mmh, tu joues à quoi Cole ? et Cole regarde et dit : À rien.

Cole regarde, la voiture ralentit, la nationale traverse quelques villes avec des boucheries-charcuteries, des boulangeries, des dos d’âne et des églises. Il n’y a personne sur les trottoirs, des rideaux bougent dans une maison. Sur la mairie il y a une banderole sauvez notre école, sur le cinéma il y a une banderole fermé, sur le routier il y a une banderole entrée+plat+dessert+1/4vin=13euros50.

Sub Zero fait une balayette à son adversaire, FINISH HIM s’affiche sur l’écran. L’adversaire de Sub Zero se redresse et Sub Zero fait pousser du sol un bloc de glace qui emprisonne l’autre jusqu’aux épaules. Sub Zero met la main dans la bouche de son ennemi immobilisé et il plonge le bras dans sa gorge jusqu’au coude. Quand il retire le bras, il tient dans son poing la moitié de la colonne vertébrale, il tire et il détache la colonne avec la tête au bout. Sub Zero lance la tête par-dessus son épaule. La tête et la colonne tombent sur le sol, elles gigotent en regardant la caméra et Sub Zero gagne.

La mère dit : Les paysages n’intéressent que ceux à qui ils appartiennent, arrête un peu de jouer Cole, ils n’intéressent que ceux qui les possèdent, quand on y pense, c’est incroyable de pouvoir posséder un paysage, la mère dit : Regarde un peu le paysage Cole.

Cole regarde bien parce que c’est bientôt l’arrivée de la mer. Il faut être le premier à la voir même si la mère et le père ne jouent pas. Normalement il y en a un mini-bout qui apparaît après ce virage, ou peut-être celui d’après. La console vibre : à cause de la mer, Sub Zero a oublié de contrer. Son adversaire a une queue de lézard qu’il enroule autour de Sub Zero pour le lancer en l’air.

FINISH HIM s’affiche sur l’écran, la mer est là, Cole dit : LA MER, mais la mère ne regarde pas, elle regarde son téléphone. Elle regarde le prix d’une maison avec vue sur mer pour voir combien coûtent les paysages.

L’adversaire-lézard de Sub Zero a sorti un fusil à pompe de derrière son dos, il tire dans l’abdomen de Sub Zero pendant que Sub Zero est encore en l’air. Le trou est énorme, il emporte l’estomac de Sub Zero et ses intestins jaillissent de tous les côtés. Sub Zero retombe au sol et son adversaire saute à pieds joints dans le trou de l’abdomen, ça fait des éclaboussures de sang tout autour et Sub Zero perd.

Cole regarde, la voiture dépasse le panorama qui donne sur l’île des Landes, elle prend le virage en épingle qui fait presque faire demi-tour avant de s’engager sur la route de la corniche. La voiture ralentit et la mère râle à cause des touristes qui roulent à deux à l’heure pour regarder la baie. La mère dit : C’est pas possible de rouler si lentement, qu’est-ce qu’ils font à regarder l’horizon et Cole regarde l’horizon de la mer qui est haute. Il choisit Baraka sur l’écran de sélection des personnages.

Le ciel se couvre un peu et Cole regarde à nouveau. Il a l’impression que la falaise luit.

Il y a des années, la foudre est tombée quelque part, loin, très loin en plein milieu d’une mesa,

la falaise luit comme si le soleil avait déménagé du ciel pour essayer la terre,

la marche d’un feu de tourbe est inexorable,

Cole dit : Regarde, maman

la marche d’un feu de tourbe continue jusqu’à épuisement du filon, elle avale les kilomètres, le sol, les chênes sans âge et les vaches,

Cole plisse les yeux,

la marche du feu de tourbe avale tout le filon et arrive presque rassasiée contre une falaise

Cole doit regarder un peu à côté de la falaise pour mieux la voir luire,

presque rassasiée juste au-dessus d’un panorama qui donne sur l’île des Landes,

et la mère ne regarde pas,

presque rassasiée au niveau d’un virage en épingle,

et puis le nuage devant le vrai soleil du ciel s’en va et la falaise s’éteint.

Cole fixe la falaise mais la falaise est redevenue la terre et le ciel est redevenu le ciel.

Comme si la marche du feu de tourbe avait fait demi-tour.

Mais la marche d’un feu de tourbe est inexorable et son appétit ne s’arrête jamais.
Baraka plante ses griffes dans le corps de son adversaire, la falaise craque pour laisser sortir la combustion lente de la tourbe qui se transforme en flammes sous le regain d’oxygène. Les griffes de baraka remontent sous les aisselles de son adversaire et découpent ses deux bras qui tombent de chaque côté de son corps, les dalles de schistes sous la faille ouverte par le feu se décrochent. Baraka croise ses griffes en X autour du cou de son adversaire qu’il tranche d’un coup sec et la tête de son ennemi vole à plusieurs mètres de hauteur, les schistes et les gneiss glissent sur la pente depuis la pinède du panorama vers la grève. Baraka lève la main droite et la tête retombe sur les griffes qui la tranchent en son milieu, on peut voir à travers la découpe du crâne les deux hémisphères roses du cerveau, la falaise au-dessus s’auto-dévale en un millier de plaquettes scintillantes jusqu’aux voitures qui regardent le paysage

Cole regarde et Cole ne dit rien

FINISH HIM s’affiche sur l’écran.

 

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Chronique philosophique des chaussures vides | HPJ

 

Depuis que ses chaussures de marche étaient restées au pied de la dernière fenêtre de son bureau, il ressentait, dès qu’il s’installait pour écrire, le désir irrésistible de construire une nouvelle sur la posture de son corps. Il savait, pour l’avoir entendue en faire le récit, que sa sœur, plus âgée qu’elle de quelques années, était née avec une déformation de son pied gauche et, par conséquent, avec un déséquilibre qui devait être tenu pour naturel parce qu’il était à l’origine de la vie. Et elle, dont le prénom signifiait « claudiquer » s’était appropriée une telle malformation comme un signe fondateur de l’existence. Elle s’était pour ainsi dire identifiée à sa sœur en lui prenant sa place et en adoptant sa posture bancale.

Mais les chaussures qu’il voyait si régulièrement avant que les mots ne viennent s’écrire sur la page, n’avaient rien de particulier, elles ressemblaient à n’importe quelles autres. Et elle, elle ne claudiquait pas, elle marchait comme tout le monde en mettant un pied devant l’autre, c’était dans sa tête que les pensées claudiquaient en épousant toujours des modes de contradiction qui s’attiraient les unes les autres pour faire naître l’adoption d’une posture. Sa sœur, lui avait-elle raconté, avait eu deux chaussures fixées sur un bout de bois pour lui apprendre à se tenir en équilibre : l’une avait la forme d’un pied bot, l’autre était normale. Elle, elle ne jouait pas à claudiquer pour imiter sa sœur, elle regardait cet instrument en le prenant dans ses mains comme si elle tenait là un jouet curieux, peut-être même un fétiche.

Les chaussures de marche, devenues si normales, avaient effacé toute histoire. Elles étaient là, elles avaient l’air d’être oubliées, personne ne les enlevait, elles faisaient partie des meubles ou des bibelots. Il fallait retrouver un bout de récit pour leur donner le sens de leur présence. N’importe quel bout pouvait faire l’affaire ! Il se souvenait bien qu’elle avait remonté la rivière durant plusieurs jours et qu’elle les avait utilisées, il se souvenait qu’elle avait eu des cors au pied, qu’elle avait souffert, qu’elle l’avait attendu, qu’il lui avait apporté à manger, qu’elle avait écrit des poèmes, qu’elle avait joué à claudiquer dans l’eau froide…

Le récit ne se traçait pas de lui-même, les temps de l’histoire se dérobaient sous ses pieds comme la terre se retire au rythme de multiples excavations. Parce qu’elles étaient vides, les chaussures appelaient bien la silhouette de son corps, et lui, il attendait en vain que la posture naissante se fasse portrait. Il avait beau retrouver des impressions qu’un amour laisse dans un paysage de la vie, il se heurtait à l’impossibilité d’inscrire les mots qui les auraient trahies. Le sentiment d’être là, à l’apparition de l’autre, mais à son insu, l’emportait au point de l’enfermer dans l’aveuglement d’un silence que seuls les soubresauts de l’amour pouvaient encore perturber comme les coups de tonnerre d’un orage qui jamais n’éclaterait.

C’était la mise à mort de la nostalgie. Le grand sacrifice de l’amour sur l’autel de sa propre réminiscence. Il n’avait plus qu’à partir sans écrire un mot. Le récit n’aurait pas lieu. C’est la banalité même des chaussures vides qui triomphait pour toujours en lieu commun de toutes les mémoires.

 

844. Buckethead, Population override, 2004 | BV

 


 

Décidément, un autre disque étrange après Magma. Alors je l’avoue, je ne connaissais vraiment pas Buckethead avant la création de la souche. Et justement allais-je dire: comment appréhender un type qui porte un masque de “slasher-movie” et s’affuble d’un pot de KFC (d’om son nom), guitariste virtuose (les deux forment oxymore, et le tout donne nausée) qui a publié 435 albums studios jusqu’ici, et depuis 1992 seulement (dont 119 l’an dernier, et déjà 16 depuis le 1er janvier de cette année), plus 74 travaux avec d’autres et près de 400 interventions ailleurs, pour un total de 171 heures de musique enregistrée… comment ?

Alors je suis allé à la simplicité : j’ai fouillé un peu pour comprendre quels albums étaient préférés, et j’augure que celui-ci, à la belle couverture, est l’un des meilleurs ; mais il paraît qu’ils sont tous à peu près bons. Bon il y a un petit côté jeu-vidéo (Xénon 2) dans cette musique, ici teintée de blues, mais enfin il n’y a rien de déshonorant ici, sinon peut-être le manque de grain, d’acroche sérieuse pour l’auditeur (un peu comme un Jeff Beck encore plus chiant). D’ailleurs je vois qu’on le qualifie d’ambient.

 

 

798. Magma, Mëkanïk Dëstruktïẁ Kömmandöh, 1973 | BV

 


 

Ah, Magma, mais qu’en faire ? Oui c’est un bon disque de rock progressif, et la plupart des éléments de cet opus, du groupe à la pochette, de la production aux morceaux eux-mêmes, de la douce folie de Vander aux accents kobaïens.

À vrai dire je n’ai jamais été dérangé par Magma : je ne déteste pas leur travail, loin de là, mais il ne me fait pas grimper au rideau non plus. J’aime bien, voilà. Il est peut-être un peu trop discoureur, trop figuratif — ce qui nuit en quelque sorte à la fraîcheur du rock sinon à la génuinité de la musique populaire.

Cet album est certainement le plus prolifique (en terme d’idées).

 

 

Lucie Desaubliaux | Feu(x) souterrain(s) 6/7 : guide de visite : Centralia

 

Nous accueillons Lucie Desaubliaux pour un feuilleton inédit qui nous mènera de Samain à Imbolc. On est très heureux de recevoir l’auteure de La nuit sera belle (Actes Sud, 2017).

Lucie Desaubliaux écrit, pour les adultes et pour les enfants. Elle réalise aussi des performances et des installations. Elle code des sites internets, des bases de données, des jeux vidéos et des outils de cartographie ou de collaboration. Elle micro-édite des livres et des expériences numériques. Elle s’intéresse à l’agencement des formes de pensées, aux notions de travail et d’oisiveté et à la différence entre ce que est perçu et la réalité invisible du monde, en se nourrissant de différents domaines scientifiques qu’elle ne comprend pas trop et réinterprète beaucoup. Elle vit et travaille en Bretagne, seule ou en collectif : elle fait notamment partie de La Guerrière, du Vivarium et de WMAN.

 

GUIDE DE VISITE : CENTRALIA

 

En 1979, John Coddington, le maire de la ville de Centralia, en Pennsylvanie, relève le niveau de carburant des pompes de sa station essence. Quand il retire la sonde, il constate qu’elle est chaude. Il plonge un thermomètre dans ses réservoirs et le thermomètre affiche une température de 78°C.

En 1981, une doline s’ouvre sous les pieds de Todd Domboski, qui a 12 ans. En tombant, Todd s’agrippe à des racines. Eric Wolfgang, son cousin, arrive à le tirer du trou et lui sauve la vie. La vapeur chaude qui s’échappe de la doline contient des taux mortels de monoxyde de carbone. La température au cœur de la doline est de 350°C. Sa profondeur demeure inconnue.

Le reste de sa vie, Todd rêve qu’il roule à vélo sur la route principale de Centralia, que le sol s’ouvre devant lui et qu’il l’avale.

Le feu qui couve sous Centralia est connu depuis 1962. C’est une mine de charbon qui s’est embrasée. Ce pourraient être des pompiers qui vidaient un dépotoir à côté qui l’ont accidentellement enflammée. Ce pourrait être un camion benne qui a déversé des cendres fumantes dans une mine abandonnée. Ce pourrait être un feu qui est parti d’une des mines de contrebande du voisinage. On ne peut pas vraiment savoir.
L’incendie se propage maintenant tout le long de la couche de charbon de Black Mountain.

Depuis la chute de Todd Domboski, le feu souterrain de Centralia déloge les habitants petit à petit. Le sol s’écroule sous les routes et sous les maisons et des fumées toxiques rendent l’air irrespirable. Plus de 42 millions de dollars sont alloués à la relocalisation des habitants.

En 1992, les biens du bourg passent dans le domaine public, ce qui condamne tous les bâtiments de la ville. Les habitants qui restent tentent un recours en justice et échouent.

En 2002, le service postal abandonne le code postal de Centralia, 17927.

En 2009, la procédure formelle d’éviction des derniers habitants commence.

Centralia est maintenant déserte et il ne reste presque que des rues pavées. Certaines zones sont remplies d’arbres. L’auteur Bruce Sterling a inventé l’expression “Parc Involontaire“ pour désigner une zone anciennement habitée maintenant abandonnée et habitée à nouveau par la nature sauvage. Ce sont des zones dont les humains ne veulent plus ou pour lesquelles ils ne sont plus suffisamment adaptés, souvent parce qu’ils les ont eux-mêmes dévastées, comme les anciennes bases militaires, les terrains pollués ou irradiés ou encore les zones submergées.

Il reste encore quatre cimetières. De la fumée s’échappe constamment du sol de celui situé sur la grande colline.

L’église Sainte-Marie est le seul bâtiment qui fonctionne. Le pasteur Michael Hustko offre des doughnuts et du café après le service pour que les fidèles puissent se restaurer au milieu de la ville déserte. Le Pasteur Hustko est persuadé que l’église Sainte-Marie lui survivra.

La route centrale défoncée de Centralia a été longtemps visitée par des artistes qui l’ont recouverte de peintures et de dessins. Elle a été rebaptisée Graffiti Road. Il est dangereux de s’y promener car les charbons souterrains incandescents se transforment en cendres et créent d’énormes cavités. Le sol au-dessus se crevasse et s’effondre, ce qui occasionne des appels d’air et des apports d’oxygène et le feu qui dort en-dessous se ravive. Graffiti Road et ses dessins ont été finalement entièrement recouverts de terre pour qu’il n’y ait plus rien à voir ou à orner.

Centralia a servi d’inspiration au scénariste Roger Avary pour le film Silent Hill, sorti en 2006. Le film est lui-même une adaptation de la série de jeux vidéo du même nom éditée par Konami et qui n’a presque rien à voir avec Centralia. Dans le film, un brouillard sans fin recouvre la ville, des fissures courent le long des routes et les habitants qui sont morts dans un feu souterrain de mine de charbon sont devenus des fantômes et des démons.

Aujourd’hui le feu sous Centralia s’étend sur 1,6km2 et avance de 15 mètres par an. Il pourrait continuer à brûler pendant 250 ans. Il a atteint le village voisin de Byrnesville qui doit aussi être évacué.

Graffiti Road est annoncée comme “définitivement fermée” sur TripAdvisor, mais elle conserve la note de quatre étoiles, “très bon”. Il n’y a rien à y voir mais le vide est une expérience grisante. Une boutique de souvenirs serait tout de même la bienvenue.

 

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