Luc Garraud | Les crêpes

Luc Garraud qu’on a déjà accueilli par le passé dans Hors-Sol propose aujourd’hui une longue série de textes brefs, qu’il appelle Herborisations, et dont voici, dans cette suite, neuf extraits.
 

 

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J’ai fait des crêpes, j’aime autant les faire que les manger, c’est bien banal, avec du sucre roulée serrée et croquer dedans comme dans une banane, aux deux bouts engloutis, sans vraiment mâcher le truc, chaude, beurrée, cristallisée de sucre, une crêpe quoi ! Je la mange debout pour mieux sentir le goût, la saveur étrange qui n’est jamais vraiment la même, dans tout le corps imbibé, qui descend jusqu’au bout des pieds, le long des bras aux mains, la chaleur qui shoote, une sensation. Le geste quand on la retourne, ah non, pas en la lançant en l’air, trop violent mais plutôt en venant soulever doucement le bord en se brûlant les doigts et hop. Elle est blonde dessous, satinée, fine. On voit la trace brune du geste de la louche. Je suis debout et je marche crêpe à la main, elle est fidèle et ne me rappelle rien de connu, ni de l’enfance, ni, je ne sais quelle histoire passée, rien de tout ça, mais bien du nouveau à chaque fois, elle surgit. J’ai déjà fait près d’un millier de pas sur le parquet, de la maison qui résonne, un ours en cage. Des odeurs de sucre, d’huile encore chaude, imprègnent la pièce. Le parquet s’incline, penche vers l’avant, tangue d’un coup et bascule en quelque sorte, ma maison se noie dans l’herbe du plateau, à la renverse, je sombre, je me retourne comme une crêpe.

 

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