Hélène Sturm • La chambre de Rogojine (I-02)

vierge_de_fer

LIVRE I

J’étais devant la porte
Et vous étiez mes clefs

Faust. Goethe

< PrécédentSuivant >


Dans quelle prison vont-ils mettre Rogojine ? Sortant de sa chambre, quoi d’autre peut être pour Rogojine un lieu autre qui puisse porter le nom et le sens de prison ; sinon à l’intérieur de lui un bout de vieille musique qui répète à l’infini le même aspect du même visage : une mouche au coin de la bouche
Et le tremblement sans fin d’un idiot qui pique sa crise


*


Ce n’est pas exactement rêver, ce que je fais là

Il y a des lits, des chaises et des fauteuils, certains recouverts de housses, d’autres pas. Ils s’asseyent indifféremment sur les uns et sur les autres. Les housses ne font que délimiter un espace semblable dans une matière différente.

Des pétales de réséda dans une soucoupe, comme des bonbons ou des amandes salées.

Ils posent leurs manteaux sur un fauteuil jaune, éventré, malade, dont la bourre s’éparpille sur le parquet et fait des traces claires sur leurs vêtements, comme une poussière propre.

Seule la morte utilise le lit en tant que lit. Eux, ils dorment parterre où le sommeil les prend, les délivre ou les tourmente. Ce n’est pas un lieu de repos.


*


Rogojine est couché contre la morte, il lui parle à l’oreille.
La mouche change de joue.
Rogojine se lève et dit qu’il revient tout de suite, mais il
ne s’en va pas.
Elle est toute froide, elle sent mauvais.


*


Sa mère l’obligeait à faire la sieste. Il faisait des rêves lourds, se réveillait comme drogué d’images et de sens, un peu à côté de sa vie. Il avait appris à ne pas le dire, à ne pas le montrer.


*


En signe de colère, Rogojine épluche les cals de ses mains ou
S’arrache quelques cheveux qu’il regarde attentivement avant de les laisser tomber parterre.

Ils ont fait une bataille de noyaux d’olives, puis ils ont essayé de jouer aux billes. Mais le silence est tombé comme un rideau. L’un devant l’autre l’autre derrière ils se taisent en respirant fort. Très loin, on entend chanter la vieille dame

Ame drame trame

Pique et pique et colère femme
Lourde et lourde et rat de dame

Ame dame trame

Tout à coup Rogojine souffle dans son sifflet de chef de gare. Il claque la porte et fait comme si le train s’en allait.
Le prince court pour attraper le train

Attends-moi
Attendez-moi

Le train ralentit
Rogojine s’assied parterre en respirant par le nez bruyamment et ses bras font des moulinets de plus en plus doucement. Le prince vient s’asseoir sur ses genoux. Il met ses bras autour de son cou. Ils s’endorment.
De loin arrive la chanson de la vieille dame

…Rome, Coire, Acapulco

Elle compte jusqu’à cinquante

Ils se réveillent et demandent du thé par la fenêtre. Il est très tôt le matin. Du brouillard sort de leur bouche quand ils parlent.


*


Rogojine c’est le capitaine Haddock et l’Idiot, c’est Tintin. Bouvard et Pécuchet ou Dupond et Dupont viennent pour les arrêter parce que la Castafiore
Epantchine a crié au meurtre en voyant son chat jouer avec un merle ;

Mais ce n’est pas une histoire pour les enfants.


*


A-t-elle fait l’amour avec Rogojine avant de mourir ?
Ils ont tous les deux l’air d’être veuf.

Elle s’est sauvée parce qu’elle a eu peur de ne pouvoir faire avec lui
rien d’autre que jouer aux cartes.
Ils ont joué aux cartes jusqu’à ce qu’il la tue.


Une réflexion sur « Hélène Sturm • La chambre de Rogojine (I-02) »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *