LIVRE I
J’étais devant la porte
Et vous étiez mes clefs
Faust. Goethe
A droite quand on entre dans la chambre de Rogojine, dans le coin au fond, il y a un grand pot de résédas sur une colonne de marbre.
A droite en suivant le mur de l’œil, jusqu’au coin qui est au fond, le coin de droite si la porte d’entrée est au milieu du mur d’en face, dans la chambre de Rogojine il y a une colonne de marbre vert ou de jaspe ou peut-être de malachite, aux veines sombres mais sous la poussière on ne devine ni le dessin ni le poli, seul transparaît le vert, et encore à peine. Il y a sur la colonne un pot de résédas.
A droite, dans le coin du fond de la chambre de Rogojine, dans l’angle de deux murs couverts de tissu rayé comme de la toile à matelas, ou avec des fleurs damassées gris clair sur un fond plus soutenu, il y a une colonne verte – sous la poussière qui la recouvre, on la devine verte – ; elle est en malachite ou en marbre, et dessus il y a un pot de résédas, comme figés dans
Vertus du réséda
Du latin resedare : CALMER
Apparu en 1562
Teinture Jaune
Yalta, climat tropical
Rogojine mange des fleurs de réséda pour se calmer
Il en propose à l’autre idiot aussi quand ils sont nerveux tous les deux.
Alors ils s’endorment l’un sur l’autre, comme des petits chats
Hé, Rogojine, est-ce que tu as fait ton lit ?
Villa Lontana
Des hommes d’un certain âge, habillés de gris, mangent des sorbets avec des cuillers longues
Il y a des projecteurs
Il a posé du pain de seigle et du lait caillé sur le guéridon
(elle a un chignon bas, elle ne vient pas souvent )
Alla Lontana
Ci sono fiori
Fiori d’amore
O di doloreAlla lontana
La bella casa
Casa d’amore
O di dolore
Assise à sa fenêtre, la mère de Rogojine
Regarde passer dans les arbres l’ombre et la lumière
Elle chante à mi-voix des bribes de chansons italiennes
En faisant des nœuds
Dans des cordons de soie
La chambre de Rogojine est un passage pour la folie
Une morte est cachée sous un drap
Des fleurs blanches fanent depuis longtemps
Un seul deviendra complètement fou
Le plus gentil le plus doux
Assise à sa fenêtre, la mère de Rgojine
Regarde passer pour la centième fois
Le même oiseau d’une branche à l’autre
Elle chante d’une voix aiguë et forte
D’interminables chansons en espagnol archaïque
En défaisant des nœuds
Dans un cordon de soie
Les vivants dorment au pied de la morte
Ils tremblent de froid
Un seul restera fou
Le plus gentil le plus doux
Le concierge de l’immeuble siffle
Un air populaire et ancien
Mais il ne connaît que le refrain
De cette chanson ignoble
Nikita jolie fleur de Yalta
Il postillonne à la fin de la phrase
A chaque fois
Nikita jolie fleur de Yalta
Quand Rogojine pleure, ça fait des flaques
Je ne sais rien de la chambre de Rogojine
Une colonne de marbre vert, ai-je dit ?
Mais en réalité , je le reconnais
cette colonne est beige ou grège
pas verte, absolument pas verte
et pas si grande que ça
Il est possible cependant que ce soit
vraiment une colonne et qu’elle soit
réellement en marbre
Elle reste de marbre quand j’en parle
incertainement
Ils mangent du lait caillé
et des rondelles de concombre
en jouant aux cartes pour passer le temps
mais ils n’ont pas faim
et le jeu est triste
ça peut durer comme ça
tout ce qui leur reste de vie