Hélène Sturm • La chambre de Rogojine (I-03)

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LIVRE I

J’étais devant la porte
Et vous étiez mes clefs

Faust. Goethe

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Tout doucement je frappe et je dis ouvre-moi

Ouvrez-moi

Je m’adresse à l’un ou à l’autre. Quelques fois ils se taisent ensemble. Quelques fois il y en a un qui ne dit rien, simplement, et l’autre est seul à se taire.

S’ils sont deux à ne rien dire c’est qu’il ne m’ont pas entendue.
Parce que se taire et ne rien dire sont deux choses différentes.

Je leur apporte des fleurs ou une chanson que j’aime, mais je vaux pas une morte ou une disparue. Et les jours ou je ne viens pas je me dis que peut-être ce jour là ils m’auraient écoutée, entendue, ouvert.

Mais encore et encore, tout doucement, je frappe. De l’autre côté de la porte j’entends marcher, j’entends les bruits étouffés de leur conversation.


*


A droite, quand il est entré dans la chambre de Rogojine, il a vu une colonne de marbre, et dessus un pot de fleurs, du réséda peut-être, malgré la saison déjà froide. Il a failli les renverser. Peu de temps avant, il avait déjà cassé un vase précieux. Pourtant on lui avait demandé de faire attention. Il a eu si peur que ses jambes se sont mises à trembler.

Il a été obligé de s’asseoir.

Sur son visage tout blanc la transpiration trace des rivières brillantes. On dirait qu’il meurt quand il ferme les yeux tant il est pâle.


*


C’était un vendredi matin.
Les mouches volaient heureuses
Dans l’air odorant et froid
Sur la neige bleuie de sa joue
La lumière dessine de jeunes arbres
Elle est lisse comme la pierre
Ils posent leurs mains sur son pied
Qui dépasse en bas de sa robe

Il dit j’aimais ses pieds. Ses pieds étaient gentils, pas comme elle.
Je pouvais parler avec ses pieds, ils ne mordaient pas.

Les ongles aussi deviennent bleus.


*


Ils chantent un cantique
Ils inventent un office des morts

Alleluja

Un vent léger bouge les rideaux

Alleluja

Ils n’ont pas encore pleuré
Ils ont posé une icône au pied du lit


*


Elle avait enlevé ses chaussures dans les escaliers et elle tenait sa robe à deux mains. Pour ne pas faire de bruit.

Le froissement de ses jupes éclate dans leur mémoire en fanfare orgueilleuse.

La fanfare triste des mouches cogne aux fenêtres fermées.


*


Ils ont froid. Ils ont mis des couvertures sur leurs épaules.
Leurs cheveux sont comme l’herbe fanée et leur barbe
a poussé pendant la nuit

Mais il sont beaux comme des enfants
appuyés l’un contre l’autre
attendant


*


Rogojine c’est aussi le grand Zampano

Parfione Zampano Rogojine

Quel cirque.

Le cœur athlétique sait prendre les coups.

Rogo, l’athlète, il s’en remet.

D’ailleurs c’était plutôt le ventre.


*


Le dernier livre qu’elle a lu, c’est Madame Bovary.
Et ce n’est pas une blague.

Le livre doit être dans la poche du Prince, puisqu’il l’a emporté. Ou il l’a posé sur un guéridon pour être à l’aise, pour pouvoir mettre ses mains dans ses poches.

Leur conversation est comme un chemin de pluie, boueux, pénible à la marche.

Ils se distribuent des médailles d’endurance.


*


On ne peut pas vivre plus fort.

La gloire d’être fou appartient au plus tendre.
Un certain docteur Schneider, ou une doctoresse du même nom (prononcez schnèdre) a essayé de le soigner

Mais on ne guérit pas de vivre si absolument


*


Ils pensent qu’elle était belle
et que c’est un bienfait et un crime

Ils pensent qu’ils l’ont aimée
et que c’était une joie et une douleur

Ils pensent qu’elle est morte
que c’est bien et que c’est dommage aussi


*


Ils font comme s’ils n’y pensaient plus
ou comme s’ils ne pensaient qu’à ça


*


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