Hors-Sol a réalisé en 2013 un série d’enregistrements vidéos avec deux de nos auteurs les plus importants, Arno Bertina et Nicole Caligaris, qui nous parlent de livres et de lectures. Nous poursuivons cette série avec Arno Bertina, qui lit deux extraits de son roman Je suis une aventure.
Archives de catégorie : Météores
Nicole Caligaris • ‘L’Hôpital‘ de Ahmed Bouanani
Hors-Sol a réalisé en 2013 un série d’enregistrements vidéos avec deux de nos auteurs les plus importants, Arno Bertina et Nicole Caligaris, qui nous parlent de livres et de lectures. Nous inaugurons cette série avec Nicole Caligaris.
Marc Perrin • Spinoza in China | 13 novembre 2011
Puis. Le 13 novembre 2011. On retrouve Ernesto dans les allées ombragées de People’s square square du peuple. On le retrouve, sans tabouret ni pancarte, marchant en célibataire aux côtés des filles et de leurs mères, toutes → à la recherche d’un mari. Ernesto se dit alors eh bien voilà, c’est exactement ça : je ne suis pas assis sur un tabouret, avec une pancarte autour du cou, mon salaire mensuel, mon 06, tout ça, non, moi, je marche, célibataire, aux côtés des filles et de leurs mères, toutes → à la recherche d’un mari.
Je marche à côté d’elles, depuis maintenant peut-être dix ans, trois secondes → + → à peu près deux ou trois siècles → et parfois lorsqu’une fille et sa mère s’arrêtent devant une pancarte, avec salaire, 06, tout ça → parfois → je m’arrête à côté d’elles, un tout petit peu en arrière, et je regarde la courbe de la nuque de la jeune femme. Et → parfois → avec cette sensation d’un regard glissant de son cou jusqu’à toute l’étendue de son dos, parfois → la jeune femme se retourne et elle et moi nous établissons alors ce minimum relationnel → regard + sourire. C’est une joie simple. On se sourit. On se regarde. Par ce sourire on se salue.
Par ailleurs, Pǔtōnghuà signifie langue commune.
• 13 novembre 2011 • Si l’état du monde est visible un peu sur mon visage alors je peux dire un peu je suis de ce monde → derniers visages → 1/10 → ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de Jamal al-Wadi → distributeur d’instruments ménagers sur toute la Syrie → + → membre du conseil national syrien → il se souvient → tout a commencé à la chute du président égyptien Moubarak → nous étions tous devant la télévision et les enfants Ivan, Maryse & Pavlov sont sorties dans la rue et ils ont écrit sur les murs ce qu’ils avaient entendu → dégage → le peuple veut la chute du régime → ils ont été arrêtés mais cette première arrestation ne les a pas empêchés de recommencer → ils ont été arrêtés une deuxième fois → on a réclamé nos enfants → par ailleurs nos demandes étaient d’ordre social → on a décidé d’agir → ils ont envoyé les forces de sécurité → nous étions en pleine négociation avec les policiers → ils ont tiré sur la mosquée → ils ont dit oubliez vos enfants → ils ont dit faites en d’autres avec vos femmes.
Par ailleurs. Comme tous les dimanches depuis maintenant dix ans, quatre secondes → + → un peu moins de trois ou quatre siècles. Ici. À People’s square square du peuple. D’une part je marche aux côtés des filles et de leurs mères toutes à la recherche d’un mari. D’autre part je distribue une petit tract au format des petites cassettes de dictaphone once upon a time analogique. Je. Distribue ces petits morceaux de papier 5,5 cm sur 3,8 cm sur lesquels j’ai écrit la seule phrase qu’à ce jour j’aie lu de Spinoza → l’amour → est une joie qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure. J’ai fait traduire la phrase en caractère chinois. J’espère qu’elle a bien été traduite. J’espère vraiment qu’elle a bien été traduite parce que depuis 10 ans et 15 secondes → sans compter les siècles → chaque dimanche, dans les allées ombragées de People’s square square du peuple, j’écoute ce que les filles et les mères à la recherche d’un mari me disent après avoir lu la phrase d’amour, une joie, qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure. J’écoute → les sons de cette langue que j’apprends à comprendre, depuis 10 ans, 16 secondes → + les siècles → chaque dimanche. J’écoute le son de cette langue → d’amour, me dis-je. C’est une langue d’amour. Du moins je veux le croire. Cette langue des filles et des mères à la recherche d’un mari, dans les allées ombragées de People’s square square du peuple. J’écoute cette langue. J’écoute et progresse dans l’apprentissage de la Pǔtōnghuà.
• 13 novembre 2011 • Si l’état du monde est visible un peu sur mon visage alors je peux dire un peu je suis de ce monde → derniers visages → 2/10 → ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de Dilma Vana Rousseff → présidente de la République fédérative du Brésil → tandis que des centaines de soldats et de policiers appuyés par des hélicoptères déclenchent l’opération d’occupation de la plus grande favela de Rio de Janeiro c’est-à-dire le plus grand bidonville de Rio de Janeiro → la Rocinha → l’intervention a lieu en vue de renforcer la sécurité et de mettre fin au règne des gangs de trafiquants de drogue dans cette favela, dans ce bidonville à flanc de colline où vivent environ 100.000 personnes à proximité des quartiers résidentiels les plus riches de la ville, à proximité des plus belles plages de Rio de Janeiro → l’occupation de cette favela c’est-à-dire de ce bidonville est un volet crucial dans les préparatifs de Rio de Janeiro pour la Coupe du monde de football en 2014 ainsi que dans les préparatifs pour les Jeux olympiques en 2016.
Ernesto marche aux côtés d’une jeune femme célibataire et de sa mère, un tout petit peu en retrait, derrière elles deux. Ernesto regarde la courbe de la nuque de la jeune femme.
• 13 novembre 2011 • Si l’état du monde est visible un peu sur mon visage alors je peux dire un peu je suis de ce monde → derniers visages → 3/10 → ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de Mathias Matallah → président de Jalma → cabinet conseil en assurance → il commente le sondage qu’il a commandé à l’Ifop → Institut français d’opinion publique → sondage selon lequel 58% des Français disent avoir renoncé à aller voir un médecin spécialiste en raison du fait que le délai est trop long pour obtenir un rendez-vous → il dit → on constate un fort décalage entre la perception des Français et la réalité → il dit → les délais de rendez-vous proposés par les médecins sont beaucoup plus courts selon les médecins que la perception qu’en ont les patients → il dit que les praticiens et leurs patients ne sont pas disponibles aux mêmes moments → il dit que beaucoup vont détester ce parallèle mais les spécialistes doivent faire la révolution du service sur le modèle de la grande distribution.
Et. Un tout petit peu derrière lui, Ernesto sent comme un regard glissant de son cou jusqu’à toute l’étendue de son dos. Ernesto → pense fugitivement au vieux maîte Wang Taocheng. Ne te retourne pas. Surtout. Ne te retourne pas. Ernesto ne se retourne pas. Il pense je me suis beaucoup retourné depuis 10 ans et quelques siècles, et toujours quand je me suis retourné → grosse grosse grosse déception → jamais rien qui vienne correspondre à quoi que ce soit en relation avec cette sensation de regard dans mon dos. Jamais rien sinon un putain de gros paquet plein de vide. Oui. Aussi, aujourd’hui → Ernesto ne se retourne pas et la sensation du regard glissant de son cou jusqu’à toute l’étendue de son dos petit à petit s’amenuise, disparaît Adieu vieux maître Wang Taocheng. La sensation s’amenuise et disparaît tandis qu’Ernesto s’approche de la jeune femme célibataire, qui de son côté semble se détacher de sa mère, un tout petit peu, juste ce qu’il faut, c’est vraiment super, elle ne lui tient plus la main comme tout à l’heure, c’est vraiment parfait, c’est bien fait, c’est juste → en train de se faire.
• 13 novembre 2011 • Si l’état du monde est visible un peu sur mon visage alors je peux dire un peu je suis de ce monde → derniers visages → 4/10 → ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de Chen Maohui → maire de la ville de Zhongshan dans la province du Guangdong au sud de la Chine → tandis que dans Xiaolan Town → l’un des 18 quartiers de la ville de Zhongshan → des villageois attaquent le parc industriel Jinrui, suite à la vente de terres agricoles, sans contrepartie pour eux → le visage de Chen Maohui → tandis que lui revient en mémoire, peut-être, les 90.000 incidents de masse, c’est-à-dire → les 90.000 émeutes, protestations, manifestations, qui selon les observations officielles ont eu lieu chaque année, en Chine, entre 2007 et 2009.
Ernesto est maintenant tout à côté de la jeune femme célibataire.
• 13 novembre 2011 • Si l’état du monde est visible un peu sur mon visage alors je peux dire un peu je suis de ce monde → derniers visages → 5/10 → ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de Jacques Perrochat → directeur du pôle Solutions Data Center de Schneider Electric → il dit → EcoBreeze™ est une solution modulaire de refroidissement par échangeur de chaleur air-air ou évaporation indirecte → elle se distingue par sa capacité unique de basculer automatiquement entre l’échangeur air-air et l’échangeur à évaporation indirecte et cela afin d’utiliser systématiquement le refroidissement le plus efficace pour le datacenter → EcoBreeze™ réduit la consommation d’énergie → EcoBreeze™ exploite la différence de température entre l’air extérieur et l’air produit par l’informatique pour assurer un refroidissement plus économique du datacenter → EcoBreeze™ est conforme aux normes ASHRAE 90.1/TC 9.9 de rendement et d’économie → EcoBreeze™ se décline en plusieurs formats pour répondre aux besoins de refroidissement de tous les types de datacenter.
MOI TU SAIS J’AI BESOIN D’UN HOMME SUR UN CHEVAL AU GALOP.
Oh pas de problème en ce qui me concerne par perfection et par réalité j’entends une seule et même chose.
Ainsi. Ernesto & Yameng se retrouvent-ils à Shanghai dans les allées ombragées de People’s square square du peuple. Et, illico presto à peine se sont-ils retrouvés que les voilà qui enfourchent un scooter, foncent en direction du pont Nanpu, là-bas, vers l’est → embarquent sur la première vedette qui prend la mer, et → quatre heures et demie plus tard se retrouvent sur l’île du Mont Putuo → là, ils louent un hors-bord et en 15 minutes → droit vers le sud → ils rejoignent l’île Zhujiajian et ses plages → uniques → avec sable fin → + → paysages enchanteurs reconnus par la World Sand Sculpting Academy dont le mandat est de promouvoir la sculpture sur sable → on voit alors Ernesto & Yameng contribuer à l’enchantement de la sculpture sur sable fin de plage unique, avec ébats cheval-écureuil, colibri-taureau, serpent-jument, singe & lapin, éléphant & sirène et tous les animaux de la basse cour et de la haute → + → les animaux des savanes → + → ceux des plaines et des montagnes et ceux des villes. Ou bien. Tout aussi bien. Ernesto & Yameng marchent-ils tranquillement tous les deux jusque vers la chambre d’Ernesto, sous les toits, au-dessus de l’appart de Caroline et Vince Parker. Où qu’ils soient → joie.
13.11.201
http://www.mediapart.fr/journal/international/111111/portraits-croises-de-cinq-membres-du-conseil-national-syrien?onglet=full
http://www.france24.com/fr/20111113-operation-policiere-lutte-narcotraficants-drogue-pacification-rocinha-favela-rio-janeiro-bresil/
http://www.20minutes.fr/sante/822342-20111113-sante-58-francais-renonce-soins-specialises-raison-delais
http://www.reuters.com/article/2011/11/13/us-china-land-protest-idUSTRE7AC0NY20111113
http://fr.wikipedia.org/wiki/Zhongshan
http://www.globalsecuritymag.fr/Jacques-Perrochat-Directeur,20111113,26832.html
Aurélien Barrau • Le clinamen ne suffit pas
Trop de continu.
Même penché, ça proche.
La turbulence ne suffit pas.
L’hors est toujours trop loin de l’uncliné.
Il faut du deux, il faut du loin.
La larme n’éclot que quand elle décorps. Réussir à s’échouer.
Être de brisure. De souillure qui échappe au délice de son là.
Décliner, c’est encore trop près.
Rompre l’os de la langue et se mourir de sa moelle immonde. S’innerver de la lèpre disséminée des maux. Se repaître de phonèmes amputés. S’installer dans la césure interne avant que ça vers.
Né du bris.
Ex-pulsé de l’antre continué.
La coupure n’est jamais réversible. Le scalpel préexiste au cordon. Il est analytiquement contenu dans son concept. La section est première. Ça commence par la castraction.
L’effracturaction doit infecter le continuum pour détramer de dedans.
Tu flues, mon clinamen.
Tu fuis. Tu fends.
Tu te tort en tous les non-sens.
Tu aguiches les plans d’immondices.
Tu frôles les lignes de furie.
Tu fuis les espace-loin, tu t’ici dans l’incline.
Tu me gangrènes de trop touche.
Ça ne va pas suffire …
Je coupe.
Il pleure.
Ça mal.
Nous crevons d’être.
Il y a trop de nombres entre chaque. Ça se dense. Tous ces transcendants qui pontent les irrationnels … Comment rompre le surliant qui englue ? Comment préserver la rupture dans la pâte-monde qui englobe ? Extraction intérieure par la guillotine du trait. Et fraction.
Regarde, mon ange : ça taillade et ça dissèque. C’est là qu’on (s’)extirpe. Dans la douceur hideuse d’un démembrement disséminé. Regarde bien : l’excision mutilante d’un tissu de verbes pliés se suaire dans le mythe du texte. Ça dévoie dans l’incise.
Trop de distorsions. Il faut que ça casse.
Le rythme du divis comme scansion de devenir.
Les déchets s’embryonnent. Ils se détritus séminaux dans la caverne du livre.
C’est beau que ça résiste par delà l’abîme. Que ça se pathétique d’endurance haletée. Jusqu’à la chaophanie de l’interruption inordonnée. Jusqu’à la brisure orgiaque de l’aliénant du lien.
Il y a de l’autre.
Il y a de l’à.
Mais à condition de s’arracher du non-lieu de l’ourdissage…
Et de revenir, plus vite encore. Que ça frotte sans effriter. Que ça échauffe dans les forés pathologiques de la friction pure.
Que ça déchiquette les lambeaux de chutes.
Me scarifier.
Un défi au laminaire des tiédeurs proches.
Une cinglure de réel dans l’apeau de mon démonde
Marc Perrin • Spinoza in China | 9 novembre 2011
Ici → à mi-chemin de la moitié de son premier voyage en 5 rounds → Ernesto → alors âgé de 10 ans et 20 secondes → + → quelques siècles → tandis qu’il regarde par-delà la baie vitrée d’un train filant à grande vitesse entre Beijing et Shanghai → Ernesto est pris soudain par une violente vague de mélancolie. Une espèce de mélancolie → disons → à la mode 19ème → remix 21 → c’est-à-dire → une espèce de mélancolie écartelant Ernesto → côté 19ème → entre quelque chose comme un rejet post-révolutionnaire du christianisme → aux environs de 1793 → et quelque chose comme l’Empire → plus ou moins en 1814 → et → côté remix 21 → une mélancolie → disons → sous la forme d’une sensation de balade en forêt, assez sombre, la forêt → avec une bande d’héritières et d’héritiers, assez sombres également, certaines, certains → les plus sombres → en train d’essayer de reconnaître dans les nœuds des troncs et des branches des arbres → les visages des héros des années 1967 et 1968. Pas une année de plus. Et, là, Ernesto → avec cette sensation de balade en forêt, un peu étrange → Ernesto sent bien que cet endroit, pour elles, pour eux, pour lui, est en fait un lieu bouillant et bouillonnant d’exploits qu’ils n’ont jamais vécus. Mais. Qui les a fondés. Ernesto sent bien que le cœur de la mélancolie remix 21 est par là → il s’est passé ici quelque chose, il se passe encore ici quelque chose, de super bouillant + bouillonnant → mais → sans eux. Ernesto sent que cette forêt c’est quelque chose comme la forêt des exploits héroïques, jamais vécus, tel que les récits les relatent et ça → pas bon. Ernesto → sent qu’il y a eu ici et qu’il y a encore des jours de joie et de combat mais il ne comprend pas, aujourd’hui, qu’il n’y a pas eu de héros. Jamais. Ernesto sent que la joie et le désir qui anima les jours avec ou sans héros → est chaque jour plus lointaine → et ça → pas bon non plus → ça fait mal → alors → dans son gros cahier aux feuilles disparates assemblées par des rivets en métal → Ernesto → 10 ans, 9 siècles et 21 secondes → dessinent les forêts héroïques des années 67, 68, 69, 70, 71, s’arrête en 1972, le 25 février → et → là → il lève la tête et regarde les voyageurs dans le train fonçant à grande vitesse entre Beijing et Shanghai → il sait très bien que tout ne s’est pas arrêté en 1972 → il sait très bien qu’il y a encore quelques forêts avec des vivants dedans marchant sur des sentiers ou et bâtissant des cabanes, ici, là → il sait ça, Ernesto → mais le truc qu’il ne sait pas encore, probable → ce 9 novembre 2011 → dans ce train qui fonce à grande vitesse entre Beijing et Shanghai → ce qu’il ne sait probablement pas encore → Ernesto → c’est que les vivants dans les cabanes, dans les forêts, dans les trains et dans les villes et campagnes et partout → les vivants ne sont pas des êtres héroïques → voilà → c’est ça qu’il ne sait pas encore → probablement → les vivants → peuvent être des êtres de courage → mais → ça n’a rien à voir avec l’héroïsme → Ernesto → s’il pouvait alors se dire cela → pourrait peut-être se sortir de sa mélancolie remix 21 → mais ce jour-là → Ernesto n’est pas à même de différencier héroïsme et courage → aussi → Ernesto détourne la tête et regarde par-delà la baie vitrée le paysage qui défile.
Ici → il voit une femme dans un champ en train de sulfater la terre → un peu plus loin → il voit au milieu d’un autre champ un petit temple miniature, et la terre, tout autour, retournée → un peu plus loin → plein de petits temples → au milieu des champs → plein de petits temples → en briques blanches → comme des ruches → au milieu des champs → au bord des chemins → puis au milieu d’un autre champ → une stèle → puis au bord d’un autre chemin → quelques chèvres blanches → puis là → sur un parking vide → un homme et un enfant → qui marchent côte à côte → et les champs → qui deviennent verts → et le ciel → gris → partout → nuage de pollution → partout → avec double voie express → déserte → flambant neuve → et deux poules qui marchent côte à côte → sur un chemin → dans une cour → devant une maison → devant une cabane → un enfant → courant → riant → il joue → puis le train → entre en gare de Nanjing → puis le train → entre en gare de Suzhou → et là-bas, en direction de l’ouest le brouillard de pollution → constant → et là-bas, en direction de l’est le brouillard de pollution → constant → puis le train → entre en gare de Shanghai.
• 9 novembre 2011 • Ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de Jean-Louis Chaussade → président directeur général de Suez Environnement → il confirme → Suez Environnement a remporté le projet de construction de la nouvelle usine de traitement des eaux du Parc industriel et chimique de Wuhan → China → suite à la constitution au mois de juillet dernier de la Wuhan Sino French Waste Water Treatment → nouvelle coentreprise composée de Sino French Water → c’est-à-dire Suez Environnent avec NWS Holdings → = → 43% → + → Wuhan Chemical Industry Park → = → 25% → + → Degrémont filiale du Suez Environnement → = → 22% → + → Shanghai Chemical Industry Park → = → 10% → = → en vertu du contrat → → = → Wuhan Sino French Waste Water Treatment est responsable de la conception → + → de la construction → + → de l’exploitation → pour une durée de 30 ans de l’usine de traitement des eaux usées et des effluents du parc de Wuhan.
Puis. Ernesto → à la sortie numéro 1 de Hengshan road station → lève la tête et en haut de l’escalator voit Vince Parker qui l’attend.
• 9 novembre 2011 • Ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de Jean-Claude Juncker → président de l’Eurogroupe → c’est-à-dire → président des réunions mensuelles et informelles des ministres des Finances des États membres de la zone euro → il déclare → à l’occasion d’une mission de la troïka → = → Union européenne → + → Fonds monétaire international → + → Banque centrale européenne → mission d’une durée d’environ deux semaines qui doit évaluer les progrès réalisés par le Portugal dans le cadre du programme de réformes et de consolidation budgétaire → en vue du versement de la troisième tranche du prêt accordé au Portugal → = → 8 milliards d’euros sur les 78 milliards de l’aide globale → mission → destinée à évaluer les progrès réalisés par le Portugal dans le cadre du programme de réformes et de consolidation budgétaire qui conditionne cette aide → il déclare → le Portugal → does not need more money to address its debt burden → je → ne pense pas que le Portugal ait besoin d’un montant plus élevé que les 78 milliards de dollars → je → suis convaincu que ce n’est pas nécessaire → je → serais contre l’augmentation de ce montant → quelques ajustements → techniques → sont nécessaires → mais → aucun ajustement majeur → I → can’t say we would be in favour → of → less efforts → or → more money → les objectifs → doivent être respectés → ce n’est pas → simple pour ce pays → dans lequel → il n’y a pas que des riches → mais aussi des gens qui déjà avant ne s’en sortaient pas très bien → et qui → risquent maintenant de souffrir → particulièrement fort → des effets de ces mesures d’austérité → we → are very happy → with Portugal’s efforts.
Puis. Ernesto boit un verre et deux et trois avec Vince Parker dans un bar d’expatriés occidentaux. Vince Parker → est professeur de philosophie, économie, anthropologie et insertion sociale au lycée français de Shanghai. Il finit en ce moment une thèse sobrement intitulée : L’épopée / entre domination et romance / une dialectique & basta. Ernesto intervient demain en fin de journée dans l’une des classes de Vince Parker pour une conférence tout aussi sobrement intitulé : Pile ou face avec port de cravate obligatoire. Coté pile : Émancipation en milieu marchand. Côté face : Je porterai une cravate vert fluo. Vince Parker a soudain une idée → si tu veux demain on peut faire un duo d’enfer : moi je fais le gros connard, et toi tu fais le bisounours, ça peut déchirer. Okay.
• 9 novembre 2011 • Ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de François Baroin → ministre de l’économie → + → des finances → + → de l’industrie → pour le gouvernement de la république française → + → le visage de Xavier Bertrand → ministre du travail → + → de l’emploi → + → de la santé → pour le gouvernement de la république française → + → le visage de Valérie Pécresse → ministre du budget → + → des comptes publics → + → de la réforme de l’Etat → pour le gouvernement de la république française → + → porte-parole → du gouvernement de la république française → + → le visage de Bruno Le Maire → ministre de l’agriculture → + → de l’alimentation → + → de la pêche → + → de la ruralité → + → de l’aménagement du territoire → pour le gouvernement de la république française → tous les 4 → chargés de l’exécution du décret n°2011-1480 assurant la transposition de la directive 2009/127/CE → du Parlement européen → + → du Conseil européen → modifiant la directive 2006/42/CE → = → en ce qui concerne les machines destinées à l’application des pesticides → pour l’essentiel → ce décret précise les règles qui doivent être respectées pour la conception → + → la construction → des machines → destinées à l’application de pesticides → afin que → celles-ci puissent être utilisées → + → réglées → + → entretenues → sans exposition involontaire de l’environnement aux pesticides → = → définition des équipements concernés → + → obligations des fabricants → + → règles de maintenance → + → etc. → ce décret → procède également à l’actualisation → + → à la mise en cohérence → d’un certain nombre d’articles du code du travail → relatifs à → la conception → + → la mise sur le marché → des équipements de travail → + → des moyens de protection.
Puis Ernesto dans le salon chez Caroline et Vince Parker. Caroline Parker → est encore au travail. Caroline Parker → travaille tard → le soir → souvent. Caroline Parker bosse dans l’événementiel haut de gamme. Vince Parker : le bas de gamme n’existe pas.
• 9 novembre 2011 • Ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage d’Edgardo Andrada → ancien gardien de but de la sélection argentine entre 1961 et 1969 → il apprend → la demande de son arrestation pour avoir pris part à l’enlèvement → + → au meurtre → de deux opposants de la dictature argentine en 1983.
Et maintenant → tout le monde au lit. Vince Parker conduit Ernesto jusqu’à sa chambre. Une chambre sous les toits, juste au-dessus de l’appartement. Parfaite pour conférencier sujet à mélancolie passagère.
• 9 novembre 2011 • Ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de Lutz Bertling → président d’Eurocopter → il relit encore une fois le document notifiant l’obtention de la déclaration de conformité de la configuration opérationnelle finale FOC de l’hélicoptère NH90 dans sa version de transport tactique TTH.
À demain.
09.11.2011
http://www.abcbourse.com/marches/suez-envt-debut-de-construction-d-une-usine-a-wuhan_220822_SEVp.aspx
http://www.boursier.com/actions/actualites/news/suez-environnement-contrat-d-usine-de-traitement-des-eaux-industrielles-en-chine-458093.html
http://www.suez-environnement.fr/groupe/gouvernement-entreprise/conseil-administration/jean-louis-chaussade/
http://www.ovimagazine.com/art/7908
http://www.europaforum.public.lu/…/2011/11/jcj-portugal/
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000024772526&categorieLien=id
http://travail-emploi.gouv.fr/textes-et-circulaires,1651/archives-des-textes-et-circulaires,2329/annee-2011,2069/decrets,2077/decret-no-2011-1480-du-9-novembre,14162.html
http://www.djazairess.com/fr/infosoir/133915
http://www.maritima.info/actualites/aeronautique/marignane/1705/eurocopter-l-helicoptere-nh90-franchit-une-etape-decisive.html
Pacôme Thiellement • Nous sommes tous des hypocrites
Nous aurions souhaité inviter Pacôme Thiellement pour d’autres motifs. Lorsqu’il a publié cet article sur son profil Facebook, nous lui avons immédiatement demandé l’autorisation de le reprendre — ce qu’il accepta bien volontiers — et nous l’en remercions. Quelques jours après les ‘évènements’, il nous semble utile d’opérer un pas de côté critique sur les faits, leurs causes, leur réception.
Nous sommes tous des hypocrites. C’est peut-être ça, ce que veut dire « Je suis Charlie ». Ça veut dire : nous sommes tous des hypocrites. Nous avons trouvé un événement qui nous permet d’expier plus de quarante ans d’écrasement politique, social, affectif, intellectuel des minorités pauvres d’origine étrangère, habitant en banlieue. Nous sommes des hypocrites parce que nous prétendons que les terroristes se sont attaqués à la liberté d’expression, en tirant à la kalachnikov sur l’équipe de Charlie Hebdo, alors qu’en réalité, ils se sont attaqués à des bourgeois donneurs de leçon pleins de bonne conscience, c’est-à-dire des hypocrites, c’est-à-dire nous. Et à chaque fois qu’une explosion terroriste aura lieu, quand bien même la victime serait votre mari, votre épouse, votre fils, votre mère, et quelque soit le degré de votre chagrin et de votre révolte, pensez que ces attentats ne sont pas aveugles. La personne qui est visée, pas de doute, c’est bien nous. C’est-à-dire le type qui a cautionné la merde dans laquelle on tient une immense partie du globe depuis quarante ans. Et qui continue à la cautionner. Le diable rit de nous voir déplorer les phénomènes dont nous avons produit les causes.
À partir du moment où nous avons cru héroïque de cautionner les caricatures de Mahomet, nous avons signé notre arrêt de mort. Nous avons refusé d’admettre qu’en se foutant de la gueule du prophète, on humiliait les mecs d’ici qui y croyaient – c’est-à-dire essentiellement des pauvres, issus de l’immigration, sans débouchés, habitant dans des taudis de misère. Ce n’était pas leur croyance qu’il fallait attaquer, mais leurs conditions de vie. A partir de ce moment-là, seulement, nous aurions pu être, sinon crédibles, du moins audibles. Pendant des années, nous avons, d’un côté, tenu la population maghrébine issue de l’immigration dans la misère crasse, pendant que, de l’autre, avec l’excuse d’exporter la démocratie, nous avons attaqué l’Irak, la Libye, la Syrie dans l’espoir de récupérer leurs richesses, permettant à des bandes organisées d’y prospérer, de créer ces groupes armés dans le style de Al Quaïda ou de Daesch, et, in fine, de financer les exécutions terroristes que nous déplorons aujourd’hui. Et au milieu de ça, pour se détendre, qu’est-ce qu’on faisait ? On se foutait de la gueule de Mahomet. Il n’y avait pas besoin d’être bien malin pour se douter que, plus on allait continuer dans cette voie, plus on risquait de se faire tuer par un ou deux mecs qui s’organiseraient. Sur les millions qui, à tort ou à raison, se sentaient visés, il y en aurait forcément un ou deux qui craqueraient. Ils ont craqué. Ils sont allés « venger le prophète ». Mais en réalité, en « vengeant le prophète », ils nous ont surtout fait savoir que le monde qu’on leur proposait leur semblait bien pourri.
Nous ne sommes pas tués par des vieux, des chefs, des gouvernements ou des États. Nous sommes tués par nos enfants. Nous sommes tués par la dernière génération d’enfants que produit le capitalisme occidental. Et certains de ces enfants ne se contentent pas, comme ceux des générations précédentes, de choisir entre nettoyer nos chiottes ou dealer notre coke. Certains de ces enfants ont décidé de nous rayer de la carte, nous : les connards qui chient à la gueule de leur pauvreté et de leurs croyances.
Nous sommes morts, mais ce n’est rien par rapport à ceux qui viennent. C’est pour ceux qui viennent qu’il faut être tristes, surtout. Eux, nous les avons mis dans la prison du Temps : une époque qui sera de plus en plus étroitement surveillée et attaquée, un monde qui se partagera, comme l’Amérique de Bush, et pire que l’Amérique de Bush, entre terrorisme et opérations de police, entre des gosses qui se font tuer, et des flics qui déboulent après pour regarder le résultat. Alors oui, nous sommes tous Charlie, c’est-à-dire les victimes d’un story-telling dégueulasse, destiné à diviser les pauvres entre eux sous l’œil des ordures qui nous gouvernent ; nous sommes tous des somnambules dans le cauchemar néo-conservateur destiné à préserver les privilèges des plus riches et accroître la misère et la domesticité des pauvres. Nous sommes tous Charlie, c’est-à-dire les auteurs de cette parade sordide. Bienvenue dans un monde de plomb.
Avec l’aimable autorisation de l’auteur
© Pacôme Thiellement
Pierre-Antoine Villemaine • Untitled (III)
Je veux écrire que quand je n’ai plus rien à penser. (A. A.)
Rien d’extrême que par la douceur (M. B.)
le visage vif erratique d’une pensée inquiète / marécageuse / oscillation de prose et de vers /
lieu des ondoiements sous souterrains / de la géologie des émotions
sa mousse verbale
son étourdissement
son tourbillonnement natif
le flottement de son thème / étourdi / perdu / en lutte / théâtre intime de rêveries utiles / à la douceur indifférente / pris dans la matérialité de la langue / là où réflexion se fait sentiment
paroles hagardes / sortes d’éclats inutiles à la recherche d’un rythme / battements hasardeux du vide
dire la parole
lui parler à cette langue sonnante et trébuchante
comme parvenu à cette limite prise et reprise dans la monotonie de son écoulement murmurant quasi aphasique / plus désarmé que jamais
en ce principe de délicatesse où le sens se doute et s’évapore / avec netteté et précision / dans le repli / fuyant le présent / empruntant une porte étroite / l’affect sonore impressionne la matière
un déplacement de l’écoute / un mouvement sans contenu / une émotion purement verbale
en ce repli vers l’intime un corps d’ombre frise la surface
Yannick Torlini • Sysiphe pour un lyrisme
Heureux de recevoir un texte de Yannick Torlini, « poète et explorateur de la malangue ». « Ecrit des textes avant tout. Travaille la langue autant qu’elle le travaille. Ne sait pas où il se trouve. Travaille. Travaille souvent. Ecrit contre l’angoisse et le désastre. Ecrit parfois pour. Ne sait pas où il se trouve. Ne sait pas. Travaille à ne pas savoir. Imagine quelque chose de lyrique. Ne sait pas où il se trouve. N’y travaille pas. » « A encore beaucoup à écrire. » Il a publié Nous avons marché (Al Dante), Camar(a)de (éditions Isabelle Sauvage), Tandis que (Derrière la salle de bains), et publiera Rien(s) en 2015.
ou comment. comment trouver une profondeur à la langue ou comment. une profondeur à l’os. à la pourriture. comment. une profondeur. il faudrait trouver cela. trouver une profondeur. il faudrait trouver. dans une profondeur. une profondeur de la langue. quand la langue. quand la langue les mots ne sont pas liquides. les mots. ne sont pas liquides. ils ne sont pas une eau en mouvement. ils ne sont pas une pluie battant le visage. les mots ne sont pas liquides. les mots sont un amas de pierres. les mots ne coulent pas. ne ruissellent pas. les mots sont un entassement. dans nos vies un entassement. il ne faudrait plus. vivre entassés. trouver cela. trouver une profondeur à l’entassement. les mots sont des pierres larges et lourdes. des pierres. ils ne s’écroulent pas. nous avançons. les mots sont des pierres. nous sommes lourds et lents. nous avançons. nous escaladons. quand il faudrait seulement s’arrêter seulement. s’arrêter et. creuser et. creuser et creuser. et. creuser seulement creuser. seulement. pour trouver une profondeur. il faudrait trouver les mots ne sont pas une vibration. les mots ne sont pas les mots. ne sont pas l’oscillation de nos langues dans l’air. ne sont pas un drap qui claque dans la tempête. les mots ne sont pas une vibration pas un chant. ils forment une masse compacte et solide que nous nommons pierres. les mots ne sont pas une vibrations. pas une eau liquide. nous avançons encore. nos épaules s’affaissent nos corps tombent. les ongles grattent ce qu’il reste du monde. les mots ne sont pas une profondeur. ils ne sont pas une condensation. ils ne sont pas une brume accrochée à une végétation éparse. ils ne sont pas une brise d’automne troublant une étendue liquide. les mots sont un entassement. ils sont le poids de la terre dans nos bouches le poids la. terre le poids le. poids la terre le le le. poids le la. la terre la. terre. les mots sont un entassement. un effort. alors qu’il faudrait creuser seulement creuser. seulement seulement creuser seulement. creuser. éviter évider. creuser pour ne plus s’élever retomber. les mots sont des pierres ils nous recouvrent chaque jour. nous sommes des travailleurs sans lendemains. des travailleurs nous sommes travaillés. par la montagne l’entassement cette dureté de la roche. dans nos bouches. nous sommes travaillés dans nos bouches. nous sommes travaillés par. nos bouches. le monde circule sous le recommencement sous un effort. pour simplement persister. le monde circule. le monde n’est pas une profondeur. les mots sont des pierres. les mots emplissent nos os nos entrailles nous alourdissent. nous sommes lents. les mots ne sont pas un entassement. nous continuons pourtant. nous sommes lents. nous avons l’énergie de continuer. nous avons l’énergie le temps. nous manque le. temps le temps. le temps nous manque le. temps le temps manque le. temps nous manque. nous avons l’énergie. pour continuer. le temps nous manque. les mots sont des pierres. les mots sont un entassement. les mots sont ce qui persiste. ce que nous travaillons nommons langue. langue est ce que nous nommons. nous nommons langue. nous nommons langue le temps nous manque. nous nommons. ce que nous travaillons. ce qui est langue est pierres. nous nommons ce qui est langue. nous nommons. nous nommons langue est la pierre. est la pierre. est la pierre la langue chaque matin nous nommons la pierre. ce qui est langue. ce qui est effort. et entassement. nous nommons l’entassement. ce qui est effort est recommencement. nous ne progressons pas. cette façon de nous taire. nous ne progressons pas. il y a un mécanisme de l’échec. cette façon de nous taire. une logique. langue est ce qui échoue ce que nous recommençons est langue est échec. langue est ce qui est. nous ne progressons pas. l’entassement recommence. nous recommençons. pierre est langue est mots ce que nous recommençons à entasser. nous ne progressons pas. nos mains ne sont pas des puits. nos mains ne saisissent pas. nos mains sont planes. nos mains ne sont pas une montagne où la pierre. nos mains ne saisissent pas. nous ne progressons pas. nous recommençons. langue est mots est pierres est ce qui recommence. nous nommons langue. nous ne progressons pas. nous nommons.
nous luttons depuis trop longtemps. trop longtemps. trop. nous luttons trop. nous luttons sans espérer nous luttons nous luttons encore. sans espérer. dans cette incertitude que nous nommons pierre. sans espérer nous luttons nous ne sortons pas de nous-mêmes. nous nommons pierre. il y a une incertitude. nous ne sommes pas une consistance. nous n’avons pas de forme. nous ne sommes pas le repos après la guerre. il y a une incertitude. une inconsistance. nous ne savons pas où nous commençons. où nous finissons. où est l’ultime limite de notre devenir. nous ne savons pas. quelque chose du corps traverse nos mots nos gestes nos pensées. nous ne savons pas. nos mains ne sont pas une eau pure et limpide. nos mains ne sont pas une forêt prise dans le doute de la nuit. nos mains ne sont pas des puits clairs. pas le son qui résonne entre les murs. nous ne savons pas. nos mains ne sont pas des trous. pas des prisons. nous luttons depuis trop longtemps. nous ne savons pas. nous ne savons pas quoi dire. un chemin en. nous un chemin. devant nous un. chemin. que nous ne réussissons pas à. dans ces soubresauts nous. ne sortons pas nous. de nous-mêmes. nous ne. de nous-mêmes nous ne. cette lutte. chaque jour. ce que nous disons n’a pas d’importance. ce que nous disons. est le froissement de la feuille l’éclatement de la roche. est le craquement de la branche. est la lente dérive de. ces jours nous ne parvenons pas. est l’enchaînement d’un pas + un pas + un pas. est la situation de ceux qui n’ont pas de situation. est la limite entre l’état solide et l’état liquide. est la saturation de la langue dans la langue. est la tempête contre le verre qui résiste. est la désastreuse vie sans mouvement désastreuse vie. est le sable qui s’insinue lentement. est l’enlisement programmé de l’aube dans l’aube dans l’aube dans l’aube. est la porte qui claque dans un autre corridor. est la boue qui s’accroche à nos dents nos dents s’accrochent nos dents la boue. est la planche vermoulue sur laquelle. nous marchons. est la crampe qui gagne toujours la crampe gagne toujours. est ce qui se tait lorsque la chair s’est déchaînée. est l’espoir qu’un jour. est l’espoir qu’un jour oui un jour l’espoir cessera. nous luttons depuis trop longtemps. nous ne sortons pas de nous-mêmes. l’exil est notre force. nous luttons depuis trop longtemps. quelque part d’autres pierres d’autres. quelque part d’autres d’autres. pierres d’autres. quelque part d’autres. quelque part. pierres et pierres et pierres d’autres. quelque part. d’autres et pierres d’autres. quelque part. nous luttons. depuis trop longtemps depuis. nous. luttons. ce qui en nous. reste un effort pour la pierre. depuis trop longtemps. nous. la pierre. luttons pour. nous la pierre.
mais nous ne savons pas mais. nous. ne savons pas où aller. où. comment aller mais. nous ne savons pas où. comment. aller dans. mais. nous ne savons pas. où aller dans quelle direction aller quelle direction prendre. quelle direction. nous ne savons pas. nous n’avons jamais su. rien n’est évident pour nous rien. n’est évident. si la pierre. et la pierre et la pierre et. la pierre. rien n’est évident. pas même la solidité de l’os. la certitude du muscle. quelque chose n’est pas limpide. quelque chose ne se laisse pas saisir. quelque chose est un mouvement que nous ignorons. quelque chose traverse ce qui. en nous quelque chose traverse. nous ne savons pas où aller. quelle direction. quelque chose le poids de la pierre. quelque chose ne se laisse pas saisir. nous ne savons pas où aller. il n’y a pas de lieu. quelque chose n’a pas lieu. nous n’avons pas lieu. seulement l’effort. le poids la lenteur. le recommencement. ce que nous escaladons dans cette langue étrange langue du vivre-écrasé. langue étrange langue. étrange étrange langue é. trange langue é. trange étrange lan. gue é. trange langue. nous ne savons pas. ce qui a lieu lorsque nous n’avons pas lieu ce qui. a lieu lorsque. chaque matin succède à chaque matin oui. chaque matin succède chaque. matin. succède chaque matin. oui. chaque matin succède. chaque matin succède. nous ne savons pas où aller. nous ne savons pas. nous ne savons pas ce qui sort de nos bouches. nous ne savons pas contre quoi nos langues claquent. nous ne savons pas. nous ne savons pas quelle est la consistance des dents. nous ne savons pas quel souffle traverse. nous ne savons pas ce qui renverse la gorge. nous ne savons pas. nous ne savons pas quel matériau troue le vide qui. gagne et gagne et gagne. nous ne savons pas. ce qui dans la langue fait une langue quelle entaille. nous ne savons pas. nous avançons rien n’est évident. rien n’est évidant. nous avançons. nous ne sortons pas de nous-mêmes. nous ne sortons pas. nous. ne. nous ne sortons pas. de cette histoire de corps de distances de. cette histoire de. nous ne sortons pas de nous-mêmes. ces montagnes. cet entassement. l’enlisement la pluie d’autres silences à. venir encore tout est à venir. nous n’avançons pas l’enlisement nous n’en sortons pas. cette terre épaissit. la glaise nos pas résonnent nos pas. résonnent nos pas résonnent. nos pas résonnent nos pas. sans certitude. nous répétons nos os nos plaies notre chemin. chaque chemin chaque. chemin le même nous répétons. que nous ne pouvons pas sortir. qu’il y a un dispositif. que nos yeux sont pris dans une boue. que la pierre n’est pas bien solide. que nous sommes bien trop lourds pour la tempête. qu’un fracas dans nos têtes. qu’une idée de la pourriture. que semblant seulement semblant. que nous nous débattons dans cette pâte nous nous débattons. que nous nous débattons nous nous débattons nous nous. débattons. que le monde n’est pas bien habitable. que le sol est notre mortier. que les murs sont aussi un horizon. qu’un pas + un pas + un pas + un pas ne font pas toujours un chemin. que nous portons un poids bien plus lourd que nous-mêmes. que nos peaux sont des bannières sans noms. que demain encore demain. que demain encore demain nous luttons aujourd’hui hier nous luttons encore. nous luttons encore. la langue et le monde ne sont pas habitables. nous avançons. nous ne sortons pas de nous-mêmes nous ne pouvons pas nous ne. pouvons pas. nous sommes un entassement. cette fois. un entassement cette fois nous. ne désespérons pas cette fois. nous n’espérons pas. nous ne sortons pas de nous-mêmes. nous ne pouvons pas. nous ne pouvons pas ne pouvons pas. seulement nous ne pouvons pas.
nous nous fragilisons. nous sommes fragilisés. nous nous fragilisons est fragilisé par. nous sommes. nous sommes fragiles nous sommes la fragilité. nous nous fragilisons. la somme de nous + nous + nous + nous est fragilisée. la somme se fragilise n’est pas nous. n’est pas nous sommes fragilisés. n’est pas la somme. n’est pas est. nous nous fragilisons. nous sommes du verre. du verre quelque chose se brise en nous est brisé. nous sommes fragilisés. nos ombres tiennent debout nos. ombres. nos ombres nos ombres tiennent nos. ombres tiennent nos ombres. nos ombres. sont un grand vent nos ombres tiennent dans le vent. nous nous fragilisons dans le verre. nos ombres tiennent sont un grand vent une grande fatigue. où s’entasser où la langue le verre s’entasser. nous fragilisons ce qui. en nous quelque chose se brise avec le fracas de la nuit. se brise. nous ne tenons plus debout. un grand tremblement envahit nos mains. nos mains. tremblent nos mains nos mains tremblent. nous ne tenons plus debout. la fatigue gagne fraîchit glace. chaque centimètre de peau arraché à l’inertie. la transpiration est froide. un grand tremblement. la transpiration est froide nous ne tenons plus debout. nous voulons nous asseoir mais la tête. la. tête la. tête la tête la. tête la tête la la tête la. tête la la la tête la tête la. tête. bourdonne la tête la. tête bourdonne la tête. nous voulons nous asseoir. la tête bourdonne nous ne tenons plus debout. un grand tremblement quelque chose se brise. quelque chose se brise résonne se brise résonne encore se brise à nouveau résonne toujours. quelque chose. un grand tremblement nos mains. un grand tremblement. nos mains un grand tremblement. nous ne tenons plus debout. s’asseoir est impossible. du verre seulement du verre. s’asseoir est impossible nous ne tenons plus. debout. il nous faut nous allonger. le froid le tremblement le bourdonnement. du verre. quelque chose en nous se brise ne s’arrête pas. nos ombres tiennent pourtant portant nos ombres pourtant. portant nos ombres pourtant. pourtant. nos ombres tiennent pourtant portant. portant nos ombres. nos forces nous abandonnent pourtant nos ombres tiennent pourtant. pourtant. nos ombres : tiennent.
Charles Fort-Vert • Cristaux de mots (12 à 15)
Charles Fort-Vert est botaniste, spécialiste impliqué dans le domaine du végétal et de l’environnement. Sa pratique d’écriture trouve son inspiration principale dans la musique contemporaine ; en tant que sources secondaires, la géologie (roches, structures, couleurs, strates, reliefs…), la perception aromatique et la photographie artistique. L’écriture se concentre autour des mots et des lettres, point de départ et d’arrivée des textes, après leur voyage en lignes.
12.Collapsus
Las. Être las. Spasme du temps. Espace-temps. Là.
Apte. Être apte. Désir psychosomatique.
Pâle. Être pâle. Paille pâle comme la robe jeune.
Spall. To spall. Éclat bleu du lapis juste le laps d’une éclipse.
En longeant les isohypses, la veine de gypse,
le jebsal pâle,
en traquant le salpêtre,
la racine-hydre du sol, aspire et lappe, suce
la roche mère et ses enfants effrités, ses sables libérés,
les arènes voyageuses et les argiles fines.
Psalmodie ! Chante un psaume attique ! Grec.
Puis lappe le sang. Lapsang ! Thé fumé et tokay gypsé.
Chant mille fois réécrit, laspi sur laspi,
vieux palimpseste, parchemin des vignes hautes.
Et reste apte.
Las ? Collapsing ? Spasmes ? Quel laps ?
Un temps indéfini, celui de la lampée qui diffuse le venin-vin,
doux venin qui,
t’en souviens-tu,
rappelle ce laps de terre et de ceps.
Ceps. Bois. Cèpes des bois.
Gît sur le gypse.
Éveille la merveille !
mot de base : laps
phase préparatoire et d’écriture : Dusapin Laps (1987)
Texte dédié à Léonard Humbrecht et son génial Jebsal (pinot gris sur gypse à Turckheim).
13. Portique stoïque
L’époque est musquée. Héros érotiques, ego authentiques.
Éthique ? Where ? Wo ? Dove ? Masques. Loups.
L’époque est abêtie, ab-éthique.
Il nous faut retrouver le portail stoïque, la porte éthique,
sans prophétie, sans fêtes ni prophètes,
un grès stoïque, red sandstone ou bunt sandstein éthique.
La base, le début de la matière.
L’entrée de l’oikos, le stoikos !
Le grès du portique est primaire, paléozoïque, paléostoïque.
Il faut donc descendre, redescendre à travers le magma
pour trouver le fin fond, la roche dure, la pierre fondatrice.
Musc ? Mousse, mousseron. Feuilles ! Mortes ? Bunte blätter.
Oronge orange sous le cognac de la feuille et ses veines.
Reine automne. Humus musqué, noirâtre. Cendres. Bruyère.
Bois ! Bois le bois. Résine. Hume la résine,
Hume l’humus lent et rampant.
Œil, exerce et traque la teinte, la nuance, nue,
enlacée, la fusion de la forêt orange
avec le vert sombre smaragd de ta pupille.
Braque l’iris sur la roche en attente, le grès patient.
Qui prendra le burin ? Quelle main saisira l’acier ?
Et découpera dans l’odeur du silex
les flancs droits des pierres équarries
qui engendreront le stoïque portique !
mot de base : stoïque
phase préparatoire et d’écriture : Xénakis, Morsima-Amorsima, Anaktoria
14. Hélitreuillé de l’eau
Œil ! Que braques-tu
Dans les flots verts,
à distance ?
Quelle tache jaune
parmi les lames se balance ?
Un corps ? Un homme ?
Entre deux eaux, il oscille.
Vite, cours ! Forces ta force.
Force ton corps docile.
Le phare allumé, au loin.
Ton axe. Espoir fragile.
Spirale des marches. Monte,
Inspire, halète.
Crie plus fort de ta voix
ténue qui vacille.
Il entend, descend, pensant
Qui a mal ? penchant la tête.
Filet de voix. Visage parlant.
Visages se parlant.
Jaune / Tache.
Larmes / Alarme.
Tu pleures encore ? / Rotor.
Pâle ? / Pales tournoyées.
Tu craches ? / Le bourdon s’arrache.
Tu redescends les marches.
Et sur les vagues lames, il y a le corps à l’eau noyé.
Câble, filin, tends-toi,
tire.
Hisse ta prise.
Hélitreuillé de l’eau, bravant la bise
il s’élève, hors eau,
héros flasque
dans la bourrasque.
Sur le sable, le voilà
inconscient, immobile.
Cet homme ramené, cet homme ranimé, qui-est-il ?
Elle s’agenouille. Dégage
son visage. Sexe. Age ?
Et dans l’iris, cristal de l’œil, éclat subit, mirage ?
Il vit, mais oui il vit,
son corps s’anime.
Œil ! Que braquais-tu
dans les flots verts ?
Hélitreuillé de l’eau, vivant !
mot de base : œil
phase préparatoire et d’écriture : Mylène Farmer, Ainsi soit je et chansons de la même époque
15. Toi
Blond et bleu : même origine.
Pers et bleu de soie : nuance.
Tes yeux et leurs reflets changeants.
Au Portugal, une terre poussiéreuse gris-jaunâtre.
La veine qui court le long du bras pâle.
L’homme livide et inquiet.
La jacinthe qui fleurit au cœur du désert.
Et le bleuet au milieu des blés.
Même origine.
Ton jean qui te va si bien, pastel de Gênes.
Le bolet frais cueilli qui bleuit à la coupe.
L’encre qui sort de ma plume.
Le ciel. Tu lèves les yeux. Trop pâle encore.
Ton visage étonné de me voir.
Les deux enfants blonds jouent sur la plage. Le blond de leurs cheveux est très clair, homogène. Nous sommes au nord de l’Allemagne, sur le littoral baltique. Ils ont les yeux d’un bleu délavé, et sur leur corps nu, la peau est pâle, blanchâtre et laisse voir le réseau de leurs veines bleues. Le linguiste est là qui les regarde : sont-ils blæwaz ?
Le bleu du cuir de tes valises.
L’aéroport gris, froid, ombreux.
Tu pars ! La veine du cœur qui se gonfle.
L’air fendu par la flèche.
Mes larmes bleu pâle.
Le vol sans problèmes puis la panne.
L’atterrissage forcé. Pose en catastrophe sur la glace.
La banquise tiendra-t-elle ?
Je t’attendais. Temps immobile.
Même origine.
Temps suspendu. Souffle suspendu.
Tu as froid, je le sens.
Tu vis, je le sens.
Tu n’as pas fini tes jours dans les glaces de la Baltique.
Puissante et chaleureuse intuition.
Certes, ils sont blæwaz ou blawir, blao et finalement blau. Bleus. Bleu a une double origine : la teinte légèrement bleuâtre-livide des peaux exsangues et nordiques et le bleu plus sombre des veines qui y tracent leurs ramifications. Non pas deux origines distinctes, mais réunies, vivantes dans ces enfants blonds et bleus sur le sable. A la cour de Darius, les chevaliers entrent en procession. Ils portent le ruban moiré et bleu de leur rang et de leur sang. C’est un bleu foncé tirant sur le noir, croit-on. Mais les avis sont partagés. La science est passée par là … Alors le bleu des Perses est resté vague et tes yeux sont pers devenus, c’est-à-dire d’un bleu nuancé à reflets changeants.
Mes bras où tu tombes.
Quelle cuirasse as-tu arraché ?
Je me sens fait de sang et d’eau.
L’amour coule à grands flots.
Mais ne restons pas là, sur ce marbre.
Pierre livide, je t’aime pour tes veines bleues.
Moire et bleu du ruban perse.
L’entrée des chevaliers et leur danse.
Même origine.
Amour pourquoi nous tiens-tu ?
Quel fil bleu nous rassemble ?
Quel fil bleu nous ressemble ?
Hélitreuillée de l’eau, vivante.
Et dans mes bras pour un instant éternel.
L’ancien germanique blæwaz a donné en latin blavus. Est-ce un mauvais copiste, un malentendant ou un poète qui a compris flavus, blond ? Blond et bleu sont apparentés par la fluctuation de leur initiale. En espagnol, blavo désigne un gris-jaunâtre terreux, rappelant la lividité des teints nordiques. Les chevaliers forment maintenant un double rang d’honneur. On déroule un tapis perse. L’assistance attend l’arrivée du dauphin. Les chevaliers trépignent aussi. Il apparaît. Une clameur. C’est un enfant d’un blond insolent aux grands yeux bleu clair. Dans son habit de diamant, il a oublié la plage et le sable.
mots de base : bleu et pers
phase préparatoire et d’écriture : musique médiévale Hespérion XX ; Lully, Marche pour la cérémonie des turcs (Tous les matins du monde) ; Prokoviev, Roméo & Juliette, Danse des chevaliers
Cristaux de mots : partie 1 (texte 1-1), partie 2 (texte 1-2 et 2), partie 3 (textes 3 et 4), partie 4 (textes 5 et 6), partie 5 (textes 7, 8 et 9), partie 6 (texte 10), partie 7 (texte 11), partie 8 (textes 12, 13, 14 et 15), partie 9 (texte 16), partie 10 (textes 17).
Pierre-Antoine Villemaine • Untitled (II)
Pierre Antoine Villemaine est metteur en scène, écrivain, artiste et enseignant. Chargé de cours à l’Institut d’Études Théâtrales de Paris III, directeur artistique des Ateliers de lecture à haute voix de la Bibliothèque Publique d’information, Centre Pompidou (2001-04).
A mis en scène des oeuvres d’Artaud, Bataille, Blanchot, Celan, Duras, Genet, Giacometti, Handke, Jabès, Kafka… A organisé et participé à des rencontres et colloques notamment sur Artaud, Jabès, Blanchot, Celan, Michaux…
A publié de nombreux articles, récits et poèmes en revues : Remue.net, N4728, Ralentir/Travaux, Revue des Sciences Humaines, Revue d’Esthétique, Théâtre/Public, Europe, Le Nouveau Recueil, Sens Public, Communications …
Une pensée est limitée par une autre pensée.
Une voix. Il n’était guère autre chose qu’une voix. (J. C.)
creuser tout cela
avec toujours plus d’abandon
toujours plus d’ignorance
sans forçage
sans outre-passage
sans dramatisation qui altère
sans formalisme
sans violence
venue de zones verbales
lentement et avec patience
pas d’envol – dis-je – un creusement
à la dérobée / dans la discrétion / les touches fugitives de la main musicienne règlent la dispersion de la pensée / sa scansion / accordent une musique du sens
construire dans ces glissements et ces fuites / dans ces égarements féconds / depuis la langue / depuis son épaisseur / autre chose que de la signification / un nouveau possible
… tout cela pas raisonnable
perdu dans les escaliers
le dit de l’effort
raccords et coutures
marques de soudures
pressenti plus que su
le frottement familier
l’affect qui excède
la poussée qui origine
– l’écho d’une voix dans le sommeil ?
par le chemin de brume tu avances / vers le passé / des particules imperceptibles bientôt des échos de pas dont tu ignores la provenance étourdissent ta pensée / des éclats ou étincelles déliés fusent / t’interloquent / te retournent
… et le chemin de neige voyage en mémoire
là — le monde se dépose en toi
le monde d’avant
et des cris :
kamalatta !
killalusimeno !
pallaksch ! pallaksch !
notes esseulées / matière de langue fouillant les replis du cerveau / mots heurtés / vibrations de la pensée dans les corps / cherchant une issue par delà les langues comprises
… et cela devient clair sans être compris
en ces temps inquiets où la réalité fait défaut il avance avec trouble / il s’aventure / se met découvert / un ton à demeure s’invente la coulée d’une vie / sa couleur vocale / sa compréhension rythmique
… et ce n’est pas l’expression d’un seul mais le passage de la multitude en lui
collecte de mots sur le clavier primitif de la parole
un frôlement de
pensée
une étincelle
dire du mort
dans les tranchés / aux aguets / l’immobilité tendue / autour les mots pleuvent
la langue descends dans le cerveau / heurte l’époque glacière / heurte la nuit / d’autres régions d’attention
tu arpentes un territoire mental / tu veux saisir le mouvement de la pensée / son maelström / son délire
même bruit / même pensée
d’une si grande douceur
d’une si intimidante lenteur
… il y a là quelque chose qui force à penser
au bord d’une pensée / l’éclat d’une locution / la scintillation d’une lumière particulière propage un halo de sens
il ne resta de lui que trois traits en zigzag. (K.)
rendre la parole / ce qui échappe / qui sans cesse revient
dans l’indécision des commencements / à côté / toujours de côté / dictée du passé / la phrase unique et sans but / panique
à sauts et à gambades / ondoyante diverse / jamais liée à l’intention logique / sinueuse mobile / lentement / dans la voltige / maintenue à l‘état de projet / en mouvement dans la bruine / elle affleure / entame la surface
en mémoire / dans le report incessant / c’est ainsi qu’elle répond / dans le degré d’équivoque requis
la parole glisse sur l’image
tu n’inventes pas / tu composes / par déplacement discret / une cohérence / dans l’arrêt probable / à chaque instant / reprenant la mort des figures
componimento inculto / aspiration de l’esquisse / de la composition informe / de l’ébauche / de la vision informelle
le piège de l’instant / de la fascination sensible