Archives de catégorie : Feuilleton

Michel Woelfflé | Leçon de ténèbres 01 (La transformation)

Michel Woelfflé poursuit une œuvre obstinée, lancinante, dont la nuit est partie prenante. Nous sommes honorés d’accueillir une série de leçons de ténèbres dont il est coutumier. Il vit aux confins de la Drôme, “au sein de cette nature minérale, originelle et solitaire qui de plus en plus m’est intime et inspire mes poèmes…”

 

On me voulût dans l’ombre

mon visage était-il cette loi ? J’y demeurai pourtant… Je le sentais qui prenait place.
Mes mains ne pouvaient toutefois le parcourir. Posées sur lui en maints endroits longtemps elles hésitaient.

A travers elles de la chair même dont elles s’imprégnaient elle tiraient un miroir. Elles le devenaient. Elles évacuaient le temps, s’entretenaient de lignes, de points, d’os, de sang. Jour après jour elles cherchaient la fidélité. Derrière elles mon visage. Silencieux. Horrifié. Cherchant la paresse du temps, ne découvrant que son impatience à envahir mes traits. Mes mains lui appartenaient.

A la longue pourtant elles préférèrent quelques traces sur les murs. Des relevés, des doutes ? Je les suivis quelque temps, elles étaient avides d’un sable qui s’effritait sans cesse entre leurs doigts, elles escroquèrent ma pensée jusqu’au grognement. Les murs se vidaient. Leurs légendes apparurent, je crus bientôt apercevoir les reflets d’un feu, des lambeaux sans nom. Tout était suspect. La terre tremblait énormément.

Pendant ce temps je marchais beaucoup moins, puis peu. J’exagérais. J’exagère sans doute.

Peu à peu l’ombre sembla se désintéresser de moi. L’extérieur revint.

Les hommes étaient là dit-on et sans doute on me les montra.

Un soleil et des bras et des jambes qui s’agitaient.

Proche d’un impossible aveu, j’approchai.

Qu’advint-il ?

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Fabrizia Ramondino • Par un sentier clair 09


Nous sommes extrêmement ravis de publier plusieurs poésies (sur plusieurs semaines) de Fabrizia Ramondino extraites de son recueil de poésie Per un sentiero chiaro (Einaudi, 2004), traduits par Emanuela Schiano di Pepe.
Fabrizia Ramondino (Naples 1936 – Formia 2008). « Ces minuscules verres échoués sur la plage ressemblent à tant de vies humaines, qui sait d’où ils viennent »

 

Secret

La porte est vitrée
elle n’a pas de secrets
comme dans un basso de Naples ou en Hollande.
Sauf le plus secret des secrets :
qu’est-ce que je fais moi
dans cette maison ?

 

ߘ

 

Suspension

J’ai appris à attendre le soir
sans qu’il n’arrive rien, à perdre
sans la gâcher ma journée.
Il y a un grand abîme sous ma maison
comme une voûte entre moi et mes désirs.

Je serai quoi dans l’oreille de la mer?

 

ߦ

 

Hécatombe de phalènes

L’aube
se tisse
de cris d’oiseaux
mais le soir
une toile d’araignée immense
se tresse
aux éclats des gamins
et dans leurs yeux s’aveuglent
les papillons nocturnes.
Mais autour de ma lampe perpétuelle,
la vue retrouvée,
ils meurent usés
par mon obstination.

 

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HS est heureuse de voir une issue en livre de ces textes


 

Fabrizia Ramondino • Par un sentier clair 08


Nous sommes extrêmement ravis de publier plusieurs poésies (sur plusieurs semaines) de Fabrizia Ramondino extraites de son recueil de poésie Per un sentiero chiaro (Einaudi, 2004), traduits par Emanuela Schiano di Pepe.
Fabrizia Ramondino (Naples 1936 – Formia 2008). « Ces minuscules verres échoués sur la plage ressemblent à tant de vies humaines, qui sait d’où ils viennent »

 

Certitude

Le mont
qui apparaît à la fenêtre
ensoleillé ou ombrageux
me réjouit un instant
plus que la mer au réveil
ou le visage de l’aimée :
il demeure stable et fier
contre le ciel changeant.

 


 

Le sablier

Livia,
je voudrais que toi et moi
un jour jamais allongées sur la plage
le sable nous coule entre les doigts
comme un léger vent serait le temps
et que jamais, vierge à nouveau, le sable
l’heure qui passe n’ait mesuré.

 


 

Le don

La corbeille à fruits est vide. C’est du raku,
a la manière japonaise,
noire, à peine de couleurs veinée,
notamment d’un rouge
timide, incertain.
Créée par les mains
d’une personne qui m’est chère.
Oserai-je y mettre les kakis
qui malgré douceur et splendeur
de pulpe
pourrissent ici
dans les champs en bas de la maison ?

 

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Fabrizia Ramondino • Par un sentier clair 07


Nous sommes extrêmement ravis de publier plusieurs poésies (sur plusieurs semaines) de Fabrizia Ramondino extraites de son recueil de poésie Per un sentiero chiaro (Einaudi, 2004), traduits par Emanuela Schiano di Pepe.
Fabrizia Ramondino (Naples 1936 – Formia 2008). « Ces minuscules verres échoués sur la plage ressemblent à tant de vies humaines, qui sait d’où ils viennent »

 

Autoportrait

Je ne suis pas gâteuse,
je suis toujours agile et forte
au jeu de la mort,
ce caprice d’enfant,
mon sort.

 


 

Campagne d’Itri

Je remplirai les paniers
de jonc et olivier tressés.
Chez moi il n’y a pas de myrtilles.
Mais j’ouvrirai la fenêtre,
la maison sentira le genêt.

 


 

Ikebana

Un ami meurt.
Je surveille l’éclore des fleurs.

 

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Fabrizia Ramondino • Par un sentier clair 06


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Fabrizia Ramondino (Naples 1936 – Formia 2008). « Ces minuscules verres échoués sur la plage ressemblent à tant de vies humaines, qui sait d’où ils viennent »

 

Peut-être

Peut-être demain
je viendrai au rendez-vous
s’il ne pleut pas et qu’il n’y a pas de vent
ou si pleuvent raisin et pignons
et que Sirocco
raconte des histoires merveilleuses.
J’aurai
comme signe de reconnaissance
un œil bandé de noir
pour regarder au fond de mon désir.

 


 

Allons

Comme elles tombent bien les feuilles
en automne. Un peu de poussière suit le vent
un peu reste là.

Ainsi les pierres se laissent réchauffer
ou refroidir.

Nous allons
les bras légers
vers le lendemain.

 


 

Souviens-toi de moi

Au nom de la pitié qui illumine et de celle
que par son ombre le chêne m’offrait
– quand depuis le voile embrumé
l’humble rêve se levait, et le souffle
de la chèvre était près, le cyclamen
paraissait rose mystique, l’escargot
cheval bleu –
pardonne.

Souviens-toi de moi
dans le tendre silence de cette heure-là.

 
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Fabrizia Ramondino • Par un sentier clair 05


Nous sommes extrêmement ravis de publier plusieurs poésies (sur plusieurs semaines) de Fabrizia Ramondino extraites de son recueil de poésie Per un sentiero chiaro (Einaudi, 2004), traduits par Emanuela Schiano di Pepe.
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Retours

Il me comble de joie
ce bruit de pluie
nocturne.

Retour aux maisons de l’enfance
aux murs fragiles et blancs
ouverts aux plans de l’aube
épuisés par la liberté des midis.

C’est ma sœur
cette eau
qui descend du ciel
et s’ouvre à la terre.
Mes frères
l’éclair
et le tonnerre.

Comme c’est doux de s’assoupir
entre
vos chères voix.

 


 

Apparition

Au-delà des flous
d’une heure crispée
maintenant

émerge
sur un miroir d’images
enfoui

le souvenir d’étreintes en couleur
plongées
dans un fluide été
ébahi.

 


 

Retour II

Ombre gentille que je piétine
fuis ! aux pieds tu as des ailes !
Arrache-toi du mur de la clinique !
Courbe, la mort se nourrit de malades
et l’infirmière ricane. Prends le maquis !
Si tu te sauves,
je serai sauve aussi

 

 
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Fabrizia Ramondino • Par un sentier clair 04


Nous sommes extrêmement ravis de publier plusieurs poésies (sur plusieurs semaines) de Fabrizia Ramondino extraites de son recueil de poésie Per un sentiero chiaro (Einaudi, 2004), traduits par Emanuela Schiano di Pepe.
Fabrizia Ramondino (Naples 1936 – Formia 2008). « Ces minuscules verres échoués sur la plage ressemblent à tant de vies humaines, qui sait d’où ils viennent »

 

Trop d’évidence

Les châtaigniers sont vieux
comme des enfants de quelques jours.
Ils ont arraché des feuilles au ciel
et les gardent tout autour.

Ma main vient de l’eau,
elle cherche leurs racines
et tout ça ressemble
à un cœur ou à un bourgeon.

Derrière la vitre de la voiture
je vois tout
avec trop d’évidence.

 


 

Le voleur

L’aimé me suit comme une ombre,
en mendiant derrière moi ; mon jean
dans la foule du tram il fouille comme un voleur.

Il cherche des choses qui brillent
comme des pièces ou le soleil.

Mais moi je suis l’ombre.

 


 

Iphigénie

Ce soir encore vous me direz, les amis,
qu’il fait froid ; dans la cheminée
je traînerai les oliviers.

Mais elle gémit à l’intérieur de la branche Iphigénie
la jeune fille d’argent dans la brise.

 

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Fabrizia Ramondino • Par un sentier clair 03


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A la guerre

Mon aimée ne se laisse pas aimer.
Aveugle, je porte en laisse une comète
et je prétends qu’elle me sert
de chienne ! Je la traverse
comme un brouillard, comme du sable aride
je l’étreins.

Trop elle me raconte, de ses rêves confus toujours elle me parle :
que le froid blesse comme l’épée,
se bat avec le jour jusqu’au soir, les unit
le verdict serein du dîner ; mais la lune
à minuit sort armée de son bouclier. Perfide
est la trêve. Et ses histoires
accablent mon épée.

La résine coule des fûts ;
le frelon s’arme pour les campagnes d’été.
Moi, capitaine de l’hiver,
je mène à la mer mon aimée.
– Ô voluptés fugaces, ô Babylone !
Ô toi mon sel, mon rocher, ma maison !

Mais le soir elle est triste ma femme.
Elle croque des feuilles de menthe agacée
ou elle aspire la rue. Elle me déclare : – Pas de toi, du soleil
j’étais éprise. – Et moi
qui m’étais perdu, je m’éveille.

Sa pensée
est lancinante.
Échardes de silex
ses doigts –
ô divine étincelle qui m’éblouit !
Envie de châteaux et de diamants ! Ô oiselle,
inutilement je t’attachais à l’anneau.
Ta main n’est pas une main, mais une patte !
Oh griffes de mon étoile. Mon aimée
fait son nid et émigre.
Dès qu’elle sort
on dirait qu’elle s’enfuit.

Parfois elle se défait entre mes mains
comme une rose extirpée qui flétrit
et là je jubile : – Je l’abandonne ! – je dis
– Elle est laide et triste ! – Le lendemain
droite sur sa tige, fière
elle brave la journée comme un lys ; et on dirait
qu’elle se joue de mon chagrin.
Ainsi, celle que je voulais abandonner
m’abandonne.

Toi, camarade
de bivouacs
qui ris incrédule – et m’offre tes faveurs –
sache que : c’est une tour
mon aimée ; tu ne l’auras
ni par le feu ni par la faim.
En effet
toute seule elle se consume.

Je me souviens de sa chair dans l’amour :
elle brûlait, et pas d’amour pour moi.

Moi capitaine de terre et de mer
jamais je ne voyageai si loin
ni ne vis une île si folle
qu’elle jette ses rives dans la mer
pour que le vent ne les prenne pas
et qu’elle donne ses sables au vent
que la mer ne les prenne pas.

Mon aimée
est une langue de feu.
Comme l’âme
elle se nourrit de la mort.

Son baiser
ne m’ouvre pas
la demeure ;
ses mains ne me tissent pas
de toile.
Ô, si seulement elle ouvrait ma tombe,
si pour moi elle cousait des suaires !

Mais non, elle vit mon aimée.
Comme une anguille elle échappe à ma prise,
et je ne sais la laisser désaimée.

 
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Fabrizia Ramondino • Par un sentier clair 02


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Fabrizia Ramondino (Naples 1936 – Formia 2008). « Ces minuscules verres échoués sur la plage ressemblent à tant de vies humaines, qui sait d’où ils viennent »

 

Baroque napolitain

Au marché
on vend le poisson courbé
– il faut le garder plié
quelques heures
dans une boîte avec de la glace;
il semble vivant et se débat
en plein combat
invaincu.
Pas de tromperie sur la marchandise, l’apparence
compte aussi.
Je vous explique : la mort
du poisson a trois phases…
A la fin
on agit en artiste.

 


 

Bêtise

Je frappe aux portes du sommeil
avec mes outils marins.
Mais inquiets nous avançons
sur nos différentes routes.

Le cœur de la lumière
tiédit nos manteaux.
Mais je m’engourdit devant les vitrines.

Pourquoi je ne ris pas, nous ne rions pas ensemble,
de chaque infâme bêtise ?

 


 

A Elsa Morante

– Si tu pouvais, tu te transformerais en quelle plante ? –
(C’est un ancien jeu de salon).
Je disais toujours : – Olivier –
le cœur ravi.

– Et tu te transformerais si tu pouvais en quel animal ?
– En ânesse – je dis – qui porte du poids et péniblement se traîne
patiente le long du précipice ;
brait de joie ; de tous les animaux est le plus animal
dans l’amour.

En plus moi aussi
j’ai deux très longues oreilles en papier.

 
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Fabrizia Ramondino • Par un sentier clair 01


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Hiver

Comme du verre
à l’intérieur d’une maison
crisse sur les champs
l’hiver.
Gris se dessinent les vols
que le ciel emprisonne.
Respire loin un arbre de fumée.
D’une cheminée peut-être, mais d’une autre maison.
Chez toi tout feu se tait.

 


 

Abandon

Végétations
de quiétude
que fixe
entre les lianes de lumière
l’oiseau.

Ainsi
la femme hagarde
s’abandonne
et de rien
ne veut plus être maîtresse.

 


 

Peut-être

Je revins
des mois plus tard
voir le chèvrefeuille.

Peut-être
la vie avait été.

Seulement
je gardai un sentiment
de choses quelconques
et de faits.

Il était vert sur le mur
et dans son parfum
ressurgit le sentiment
des choses vraies.

 
à suivre
 

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