Fabrizia Ramondino • Par un sentier clair 03


Nous sommes extrêmement ravis de publier plusieurs poésies (sur plusieurs semaines) de Fabrizia Ramondino extraites de son recueil de poésie Per un sentiero chiaro (Einaudi, 2004), traduits par Emanuela Schiano di Pepe.
Fabrizia Ramondino (Naples 1936 – Formia 2008). « Ces minuscules verres échoués sur la plage ressemblent à tant de vies humaines, qui sait d’où ils viennent »

 

A la guerre

Mon aimée ne se laisse pas aimer.
Aveugle, je porte en laisse une comète
et je prétends qu’elle me sert
de chienne ! Je la traverse
comme un brouillard, comme du sable aride
je l’étreins.

Trop elle me raconte, de ses rêves confus toujours elle me parle :
que le froid blesse comme l’épée,
se bat avec le jour jusqu’au soir, les unit
le verdict serein du dîner ; mais la lune
à minuit sort armée de son bouclier. Perfide
est la trêve. Et ses histoires
accablent mon épée.

La résine coule des fûts ;
le frelon s’arme pour les campagnes d’été.
Moi, capitaine de l’hiver,
je mène à la mer mon aimée.
– Ô voluptés fugaces, ô Babylone !
Ô toi mon sel, mon rocher, ma maison !

Mais le soir elle est triste ma femme.
Elle croque des feuilles de menthe agacée
ou elle aspire la rue. Elle me déclare : – Pas de toi, du soleil
j’étais éprise. – Et moi
qui m’étais perdu, je m’éveille.

Sa pensée
est lancinante.
Échardes de silex
ses doigts –
ô divine étincelle qui m’éblouit !
Envie de châteaux et de diamants ! Ô oiselle,
inutilement je t’attachais à l’anneau.
Ta main n’est pas une main, mais une patte !
Oh griffes de mon étoile. Mon aimée
fait son nid et émigre.
Dès qu’elle sort
on dirait qu’elle s’enfuit.

Parfois elle se défait entre mes mains
comme une rose extirpée qui flétrit
et là je jubile : – Je l’abandonne ! – je dis
– Elle est laide et triste ! – Le lendemain
droite sur sa tige, fière
elle brave la journée comme un lys ; et on dirait
qu’elle se joue de mon chagrin.
Ainsi, celle que je voulais abandonner
m’abandonne.

Toi, camarade
de bivouacs
qui ris incrédule – et m’offre tes faveurs –
sache que : c’est une tour
mon aimée ; tu ne l’auras
ni par le feu ni par la faim.
En effet
toute seule elle se consume.

Je me souviens de sa chair dans l’amour :
elle brûlait, et pas d’amour pour moi.

Moi capitaine de terre et de mer
jamais je ne voyageai si loin
ni ne vis une île si folle
qu’elle jette ses rives dans la mer
pour que le vent ne les prenne pas
et qu’elle donne ses sables au vent
que la mer ne les prenne pas.

Mon aimée
est une langue de feu.
Comme l’âme
elle se nourrit de la mort.

Son baiser
ne m’ouvre pas
la demeure ;
ses mains ne me tissent pas
de toile.
Ô, si seulement elle ouvrait ma tombe,
si pour moi elle cousait des suaires !

Mais non, elle vit mon aimée.
Comme une anguille elle échappe à ma prise,
et je ne sais la laisser désaimée.

 
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HS est heureuse de voir une issue en livre de ces textes


 

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