Benoit Jeantet • Ici, c’est un peu le nouveau monde (01)

Nous publions à nouveau Benoit Jeantet, dans un texte narratif bref. Avec grand plaisir.


1


Tout ce que je dois savoir de ma nouvelle vie, maintenant y’a plus que Papa pour me l’expliquer. Voilà. Ici pour moi, vous savez, c’est un peu le nouveau monde. Une terre inconnue. Des dangers qui vous guettent en terre inconnue, il y en a tant et tant, vous pouvez me croire. Surtout si cette terre inconnue, d’abord c’est une vieille ferme plantée au milieu d’un grand nulle part et puis, pour finir, que ce grand nulle part c’est rien qu’un pays perdu, des hautes plaines plates et tristes par moment. Même que sur cette immense terre plate, tu dirais que les vents s’aiguisent. Même que quand le jour baisse, les ombres rampent un peu partout comme des animaux blessés et même que ça fait peur. Oui. Très peur.

Ce pays perdu, comment vous dire, c’est comme si la main de quelqu’un, un dieu d’une autre époque, le doigt de quelque chose, un brusque changement de climat, comme si ceci ou cela l’avait laissé tomber là par mégarde. Les dieux, vous savez, c’est un peu étourdi. Ils font le monde en sept jours et après ciao, salut la compagnie. Le climat, avec le temps, ça varie. Ce pays perdu, n’empêche, tu dirais qu’il est pris au piège, coincé entre des collines recouvertes de grands arbres tout noir et des montagnes dont les sommets affutés comme des lames se dressent vers le ciel.

Ces montagnes, vous savez, elles sont jamais tout à fait pareilles. Au début, chaque matin tu te lèves et alors à la fenêtre de ta chambre tu t’apprêtes à leur dire bonjour quand, tout à coup, t’en reconnais plus une seule. Tu te dis qu’elles ont du changer de place pendant la nuit, que c’est pas possible autrement. Ou alors qu’elles ont joué aux chaises musicales quoi. En fait c’est pas du tout ça. Non. Pas du tout. Il suffit que la brume efface tel ou tel sommet ou que le soleil décide de jeter ses rayons là-haut dessus au petit bonheur la chance, ou bien que la pluie se mette à délaver toutes les couleurs, suffit de ça pour brouiller les pistes. Les montagnes de par ici, voilà, c’est pas qu’elles aient la bougeotte. Non. C’est pas ça. En fait, je crois qu’elles jouent dans un film. Un film de montagnes. Et c’est un film étrange dont la bobine continue à défiler pendant la nuit. Ce film, toujours tu le quittes sur une séquence bien précise, c’est le soir et tes yeux se ferment tout seul, et puis chaque fois c’est pareil, le lendemain tu te rends compte qu’il a taillé la route sans toi. Chaque matin, ce film de montagnes, ça fait comme un rêve enfui. Bref.



A suivre : 1234567 • 8910

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *