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Benoit Vincent | Heidegger à la plage 2

 

Dans les roches se dessinent – d’elles-mêmes – de nombreuses figures, tantôt nobles et majestueuses, tantôt grotesques et misérables, tantôt monstrueuses, tantôt d’une affligeante banalité.

Quelle est leur raison d’être, sinon qu’on les décrive banalement ?

*

Toute la virulence de l’onde, qui se déchire en mille vagues, selon plusieurs régimes de forces (différents d’intensité, comme de directions, de couleurs et de formes)

*

Lorsqu’on se voyait, après, dans la glace, dans le miroir, on observait les différents coups de soleil. Parfois, si quelqu’un avait gardé son tricot de peau, de peur de l’insolation, il pouvait constater cet effet manifeste du tissu, à savoir que le soleil avait comme concentré ses efforts sur la charnière entre la couture du tissu et la peau nue.

 

Cet effet de l’impensé ne laissait pas de l’étonner.

*

Et les volutes, virevoltes et fracas [illisible] des arrachages des vagues, quel pouvait être leur lien avec les strates tortueuses, les obturations, les sutures, les ruptures, les cannelures des veines de marbre dans les chaos du schiste ?

*

Le vieil homme observe son contemporain, en slip de bain rouge, qui entreprend sa troisième baignade. Il devait avoir le même âge, peut-être était-il plus vieux. Sa peau était orange de soleil et il avait de belles dents ; une coiffure de cinéma. Assurément il paraissait plus jeune que lui-même. En meilleure forme. Et plus apprêté, au regard, au galet, à l’onde fraîche, au monde.

Le vieil homme, blanc, très blanc, se pelotonnait derrière ses chaussettes un peu délavées. Il méditait sur les brûlures qui ne manqueraient pas de lui venir sur les ailes du nez.

*

Enfin le chien ramenait le bâton.

Mais si le bâton allait dans la mer c’était encore mieux. Il se jetait en elle avec un évident plaisir.

Mais sans bâton, il n’irait pas dans l’eau – elle me fait remarquer. Il ne sait pas jouir de l’eau en soi.

Son rapport avec l’eau, le bâton et la main est mystérieux, mais il est moins mystérieux que sa soumission naturelle (on dit fidélité).

Le chat est plus un “connard” – elle me dit – et moi je le comprends mieux. Je ne vois pas ce que les gens trouvent à dominer ainsi le chien, ce rapport de dépendance, ce jeu de dupes, ce regard qui supplie.

 

suivant

Mathieu Brosseau • Le rire du singe

 

 

 

nul lieu où il pourrait

tenir, c’est-à-dire faire un toit

d’asperges au vinaigre, c’est-à-dire la faim élaborée

comme foutre étiré jusqu’à l’inceste, il se conduit

d’asperge en escargot, il aurait pu

sauter, c’est-à-dire avoir mal à la trace

bobo cassé, déchirure sur le bas-côté, sang désiré

nous pourrions savourer cela comme ce qui saute ou trépasse

tartine plate de beurre, trou dans l’espace, j’aurais voulu

exercer mon pouvoir sur celui-celle qui

retourne sous le toit, il m’est nécessaire de me voir baiser ou

traverser ce qui sera au point où

nous aurions pu asperger la vidange moutarde

appuyée sur ce mur-là, posée contre moi, ce qui figure

j’envie le pourquoi pas, c’est-à-dire le canular

qu’on raconte, histoires

pour

les enfants,

esprits en série.

 

il a besoin d’une fin au point où

nous aurions dû

gorge plate, il savait être atteint d’un cancer

ou bien d’un cancer, il ne savait plus,

pourquoi pas, il se disait des choses

mais ne les comprenait pas,

soit il restait, soit il

exerçait son image

j’avoue n’avoir pas eu le temps,

il nous fallait davantage de

romances pour tenir le toit

ou la maison, ce qui est important de faire

c’est réduire cette sauce pour la gourmandise

– le sérieux n’est pas d’actualité, c’est-à-dire s’insérer

correspondre à l’attendu

piquante sauce, s’en étaler

tenir la maison, les murs et déplacer

moi dedans ou l’objet dans la loi qui

sépare le rien du rien

le reste du rien, c’est le décollage du rire, chien fou et

farce, beurre demoiselle et maître d’hôtel,

le reste c’est canular

c’est-à-dire commentateur télévisé

 

il joignait les deux bouts

s’il avait su, je ne lui aurais pas dit

alors je lui ai répété

de nombreuses fois, pour de bon

pour que le sens sorte l’histoire des

deux bouts

qu’il joignait, je disais mon ami

pourquoi pas, je ne ferai pas de photo

d’identité

c’est trop lourd

à conclure, lourdingue, faut pas s’emmêler dans

les photos, lui ou moi

en avions plein les pieds, je ne sais plus si

c’est lui ou moi

l’important, c’est qu’il n’y ait pas eu d’image,

ça trafique, c’est sûr, l’idée bouclée ou

aimée, c’est-à-dire la croyure

bibi la rayure, j’en aurai profité

des miroirs

en fait, on y pensait,

le naturel, derrière les gens le toit le masque,

et dedans attendre quelque chose qui ne vient pas

 

docteur : je vous dis ce qui s’est passé

écoutez-moi

ma machine a cassé

ma montre, j’ai oublié la télévision

à l’heure qu’il est

je vous dis que ma machine a cassé

, quoi, mon code ?

elle a vérifié qu’il n’y

avait plus de grands mots dans la bouche

ça pue

pourtant tout le monde en parle

quand les gens dorment

le jour ils disent des fonctions

et font

sommeil, ça s’ajoute et revient

le symbole,

tu connais ça,

ça raconte des choses qui se ressemblent, toutes entourées de beurre,

diable, ce qu’il a plu quand j’ai pissé

alors ça tape dans la rétine

et retient la mémoire, par où

commencer la dispute, ne pas relire

la lettre, elle voulait et voulait encore quand tout a valdingué,

ne pas écouter les énoncés, j’y accroche les peaux

par ailleurs, à s’entendre, j’y vais : moi, par la porte

par où était passé le magazine où rien n’adhère

même le sexe, j’aurais pensé pourtant

qu’il tachait

relire, ça affecte et comble l’attente d’un rire sourd,

la carte prise, il distribuait les

pensées, seul le cadre sait compter les secondes,

j’adhère aux parties

à tous

pour me jouir, passif à fond

tu me dis : toi

si je te lis : je-suis-mort

alors déménageons

sur la plage les seins

les saisons je trouve des espaces

chaque année on les trouve

chez les séniors mateurs

le pourquoi pas d’un moment

ça confirme la bande

des totos copains

dispersés chacun

on est mieux avec soi–même quand même

ça boucle et confirme le

trou

le pourquoi d’une lecture aux enfants

j’aime mieux les stars mortes

rivales du chien des

enfants et leurs copains,

les fans sur les seins cet été ou dans

la bibliothèque j’invite les morts, et revient

le symbole, conte le sens

 

chat au micro-ondes, j’y

songeais

voir éclater la gueule en rivière

pour pas manger in fine

because c’est trop chaud irradié les

vies in fine ça voulait dire

choses because donner

fin c’est faire objet

ou faire son lit d’embrouilles

pour dire qu’hier il y en avait d’autres

des choses

ou faire simple est un muscle

qui exige qu’on passe là-bas

car j’y suis au demeurant peut-être

par pitié gardez vos hypothèses

because je suis mieux dans ma main

que dans la vôtre celle-ci

couvre la mienne et

je me suffis à ce qui se fait

.in fine peut être

 

Je vais-je vais

comme un trou dans l’espace dont les contours sont beurrés par des éclats de rire

hyper bruyants

Benoît Vincent • Fondation de l’écueil

1.

Ils m’inspirent les vacances, le farniente, ce décrochage du temps qui n’est paradoxalement possible que là où le temps est organisé par le travail.

Ils m’inspirent aussi le plaisir de la découverte, la curiosité, l’observation des algues, des cnidaires et échinodermes, des crustacés (crabes, pagures, balanes) et des mollusques (patèles, chitons, gibbules)… Tout un monde de l’entre-deux.

Ils m’inspirent tout ce qu’ils ne sont pas en réalité devenus.



2.

roches laciniées tranchantes, grignotées par les eaux, taraudées par les sels, érodées par les vents,

roches noires veines blanches comme des ancres, des morsures ou des coups de griffe, de bêche, de pieux fildeferbarbelés,

roches positions, avant-postes pour toute-la-terre, qu’ils épaulent et protègent,

roches ivres de mouvement, se découvrent une destinée d’esquif ; lassées, elles plongent et s’emportent au-delà des domestiques misérables dauphineries,

écueils, écueils, interfaces, frontières,
pointillé oublié malgré tout morceau de terre promise au rabais.
puisqu’ils n’y habitent pas nous y fonderons une colonie

à nous, la nôtre.
ô nous, la nôtre



3.

Nous fonderons une terre dans la mer, en morceaux sur ces masses glissantes, coupantes, penchées.

Nous y forgerons de pierre les identités ouvertes ; la frontière sera nature, l’appartenance, archipel.

Vous ne savez pas nager.
Vous ne savez pas courir.
Nous courons et nageons plus vite que vous,
gros cochons noyés de confort,
petits poulets sacrifiés sur la paix

Vous ne comprenez pas, vous avez peur. Vos chefs ont peur. Ils sont loin. Ils ne savent rien. Ils sont morts.

Vous êtes morts, vous avez peur. Vous avez perdu le sens commun. Vous êtes loin. Vous êtes morts.

Vous êtes peur. Vous êtes honte.

Nous serons sur les îlots malcommodes et nous pointerons votre honte.

Vous êtes honte.

Nous glisserons mais soulignerons à la règle votre honte.

Vos êtes honte.

Nous nous débattrons mais nous fixerons votre honte.

Vous êtes honte.



Honte !
Nous chancellerons mais dénoncerons votre honte
Honte !
Nous nous couperons mais chanterons votre honte
Honte !
Nous nous noierons mais nous serons votre honte



Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !

Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !

Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !

Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !
Vous êtes honte ! nous sommes votre honte !

Christophe Manon • Extrême et lumineux (extraits, 03)

manon_brueghel-1-3
Christophe Manon a publié une dizaine de livres parmi lesquels Univerciel (NOUS, 2009), Qui vive (Dernier télégramme, 2010), Testament, d’après François Villon (éditions Léo Scheer, coll. LaureLi, 2011) et Cache-cache (Derrière la salle de bain, 2012). Il a collaboré à de nombreuses revues et se produit régulièrement dans le cadre de lectures publiques. On le retrouve ainsi sur Remue.net.

ment indéfinissable, mélange d’angoisse, de tristesse et de mélancolie le soir lorsque la vieille femme propose une tisane de tilleul avant d’aller se coucher, après la diffusion des Cinq dernières minutes ou des Dossiers de l’écran, le vieil homme roupillant déjà depuis des lustres avachi dans son fauteuil tout délabré face à la télévision, bercé par les dialogues insignifiants et le crépitement des bûches dans la cheminée, balançant avec régularité la tête de droite et de gauche comme une branche d’arbre agitée par la brise, ses larges mains jointes sur son ventre proéminent tels deux énormes battoirs, sa bouche émettant des sortes de lapements mouillés semblables à ceux d’un chien repu ou poussant par intermittence un ronflement plus sonore que les autres comme un gros ours irascible et grognon, ouvrant seulement les yeux au moment du générique pour refuser d’une moue dédaigneuse en poussant un profond soupir, dépliant ses jambes ankylosées par la longue station immobile, se grattant le sommet du crâne avec une application obstinée, puis levant lourdement son imposante carcasse, se déplaçant en traînant des pieds dans ses charentaises trouées pour éteindre l’appareil, aller pisser dans l’arrière-cour en contemplant d’un air béat et satisfait les étoiles et la lune qui scintillent timidement derrière le voile humide que dégage son haleine, rentrer les dernières poules qui errent éperdues et stupides dans l’atmosphère vaporisée de brume où la rosée du soir concentre le parfum aigre de la terre et des herbes coupées, faire le tour de la maison avec toujours la même démarche pesante en fermant portes et persiennes, accompagné par l’écho sinistre des cloches dans la campagne et par le vol erratique et disgracieux des chauves-souris – et le vaste ciel noir insondable s’ébrouant au-dessus comme un animal frileux ; ce rituel se répétant invariablement dans une sorte de monotone et pénible silence sous le regard médusé du garçon qui semble émerger mollement d’un long rêve pour plonger aussitôt dans de tristes et stériles spéculations sur notre déplorable condition, son esprit dérivant sans attaches entre des rives lointaines de la vieillesse, du dénuement et de la mort, pris d’une sorte d’effroi spirituel, se disant avec dégoût en observant l’interminable agonie du feu dont les braises palpitent dans l’obscurité : C’est cela, c’est bien cela et rien que cela la mort, toute cette pesanteur, cette répétition du même dans sa morne et pitoyable lenteur quasi immobile, non pas une souffrance ni les mille tourments de l’enfer tels que les ont imaginés nos ancêtres dans leur superstitieuse et naïve candeur, ce serait du moins encore un peu d’action, quelque chose qui ressemblerait encore à la vie, avec des gestes accomplis et du bruit, des plaintes et des corps qui gémissent, mais au contraire l’absence totale de mouvement, l’inertie, la passivité, une torpeur morose et suffocante, quelque chose d’indéfinissable et qu’aucune main ne saurait peindre, qu’aucune imagination ne saurait décrire, non pas l’éclat flamboyant des bûchers, mais la pénombre perpétuelle, un monde gris, étroit et uniforme, non pas l’aiguillon de la douleur mais la terne aphasie, non pas le goût du sang, de la sueur ou des larmes, mais celui de cette foutue tisane, un engourdissement profond et insidieux, et celui qui se débat ou s’insurge s’enfonce encore davantage comme dans un marécage, si bien qu’il se trouve encore plus empêtré, encore plus englué, condamné en quelque sorte à s’effacer puis à disparaître, à moins de renoncer au moindre mouvement, ses spéculations elles-mêmes buttant, achoppant, tournant dans le vide comme un moteur emballé et inutile, se répétant en boucle, impuissantes et vaines, tandis que l’implacable bruit du mécanisme, l’affreux tic-tac de la pendule au-dessus de la cheminée laisse filer inexorablement de minuscules parcelles de temps, un flot indécelable mais continu qui semble lui susurrer inlassablement d’une voix presqu’imperceptible la lente mélopée de la désagrégation et du désastre, ce chant à la fois ténu et insistant qui le submerge et lui brise le cœur, entretenant cette sensation nauséeuse d’écoulement, de fuite éperdue, d’hémorragie, comme une blessure, une plaie impossible à cicatriser, n

© Christophe Manon, 2013

Christophe Manon • Extrême et lumineux (extraits, 02)

manon_brueghel-1-2
Christophe Manon a publié une dizaine de livres parmi lesquels Univerciel (NOUS, 2009), Qui vive (Dernier télégramme, 2010), Testament, d’après François Villon (éditions Léo Scheer, coll. LaureLi, 2011) et Cache-cache (Derrière la salle de bain, 2012). Il a collaboré à de nombreuses revues et se produit régulièrement dans le cadre de lectures publiques. On le retrouve ainsi sur Remue.net.

                                         mir, terrorisé par des assemblées entières d’êtres repoussants, silhouettes cauchemardesques, chimères horrifiques affalées dans les recoins ou dissimulées derrières les rideaux dont les replis à leur tour deviennent menaçants, ombres fugitives s’insinuant parmi les meubles et les objets, s’immisçant dans les plus petits interstices, s’infiltrant jusque sous les couvertures, se métamorphosant en créatures monstrueuses et difformes, foules mélancoliques de revenants aux contours indistincts, farandoles obscènes d’immenses méduses luminescentes flottant au-dessus de sa tête, colonies d’énormes araignées aux longues pattes velues attroupées dans les plus sombres encoignures de la trop vaste maison dont la sinistre chambre d’enfant se trouve à l’étage, isolée de la présence rassurante des adultes, seul si seul si irrémédiablement seul dans la nuit noire, à la merci des assauts d’une multitude de mutants, batraciens, mollusques, sauriens, invertébrés et animalcules de toutes sortes qui s’enchevêtrent, se chevauchent, s’entassent en rampant sur le plancher, glissent le long des murs en laissant derrière eux de repoussantes traînées de sécrétions visqueuses, puis se répandent derrière les cloisons, se faufilent sournoisement dans les moindres failles en produisant d’assourdissants froissements d’élytres, des bruissements de tentacules, des chuintement de mandibules, un tumulte incessant de murmures, de plaintes macabres et de gémissements qui envahissent son esprit et l’emplissent d’une irrésistible terreur ; harcelé par un grouillement insensé et affolant d’insectes inquiétants, de bêtes sauvages aux pupilles luisantes de cruauté, de spectres et de squelettes dont les os scintillent dans les ténèbres, petite chose pelotonnée sur sa couche tressaillant au moindre bruit suspect : le craquement lugubre des lattes du parquet dans les escaliers, le sifflement du vent s’engouffrant dans les conduits des cheminées ou sous les jointures des fenêtres, un volet qui claque, le grincement d’une porte qu’un courant d’air déplace par intermittence, le vol erratique et paniqué d’un papillon se heurtant contre les vitres ou sur la surface du plafond, les modulations stridentes d’un oiseau de nuit, les pas furtifs d’un animal furetant sur le gravier de l’allée du jardin, le miaulement d’un chat sur le toit, le jappement d’un chien dans le lointain ; tout son corps chétif alarmé et montant la garde, frémissant, tétanisé par la frousse, recroquevillé dans les draps trempés d’une sueur glacée, la respiration haletante, les mâchoires serrées sur un appel muet, les pupilles désespérément écarquillées sur l’obscurité pour tenter d’en percer les insondables secrets, d’en repousser l’étreinte oppressante, incapable même de tendre sa petite main craintive et tremblante pour atteindre l’interrupteur de la lampe de chevet, le bras comme irrémédiablement pétrifié, comme retenu par une force occulte et intransigeante, se disant : Ils viennent, les voilà. C’est après moi qu’ils en ont. Ils vont m’emporter loin d’ici, loin de ma chambre et de mes jouets et de mes livres que j’aime tant. Ils vont m’emporter et me dévorer et plus personne ne pensera à moi, plus personne ne saura qui j’étais. Je vais mourir et mes os seront dispersés et je serai oublié. Il faut que j’appelle, que je crie, que le cri sorte de ma bouche et retentisse. Il faut que je me redresse et que je résiste à la nuit qui vient, au froid qui m’envahit, à la mort qui m’étreint. Il faut que je sois plus fort que la peur car c’est ce que l’on m’a appris : la peur n’est qu’une sottise et les enfants doivent la surmonter pour grandir et devenir des hommes. Il faut que je sorte la peur en même temps que le cri et que je les expulse tous deux hors de moi, que je les crache et qu’ils disparaissent et que cela finisse, oh que cela finisse, et que je me retrouve en plein jour sous le soleil et sa lumière trop vaste, si vaste et si implacable qu’elle en est presque douloureuse et pourtant rassurante car elle réchauffe, et je serai sauvé par la lumière ou je me consumerai par elle ; ou bien passant de longues heures à observer avec une fascination morbide mêlée d’angoisse et d’épouvante le dessin des veines du bois sur la porte de l’armoire en face de son lit dont des réseaux parallèles ou à peine divergents de droites et de courbes sinueuses contournent des nodosités plus sombres, aux formes arrondies ou ovales, composant un ensemble de signes mouvants dans lesquels il devine le corps d’une femme particulièrement belle et très fine, la taille élancée, la poitrine haute et ferme, le port altier, les jambes interminables, avec de grandes ailes de papillon se déployant dans le dos, la tête n’étant qu’une immense flamme sertie d’une paire d’yeux effilés, cette vision fantasmatique et obsédante inspirée des images des tourments de l’enfer dont il connaît les détails par des reproductions de tableaux, et dont les différents cercles suscitent stupeur et effroi, mesurant alors sans en saisir toutes les implications l’ampleur de sa solitude, toute l’immensité des détresses enfantines, faisant l’expérience d’un désespoir inexplicable et qui paraît inépuisable, pris dans un redoutable réseau de terreurs ancestrales, de peurs inavouables et qui prennent aux entrailles, la vie la mort l’avenir incertain la fuite inexplicable du temps le chagrin le néant, l’amour aussi qui cause de si grandes inquiétudes quand on est un enfant car on redoute ce qu’on ne connaît pas et l’on craint ce que l’on désire, la gorge nouée avec un goût de cendre et de poussière dans la bouche – à moins que ce ne soit un goût de sang, cette chose qui circule en nous et qui cependant nous échappe et s’écoule sans qu’on puisse jamais en arrêter le flot –, tout cela qui tient éveillé des nuits entières, à ruminer de mornes et insaisissables pensées ou qui fait se dresser sur son matelas en sursaut et en nage, parcouru par d’incontrôlables frissons, ce senti

© Christophe Manon, 2013

Anna de Sandre • Une halte

anna_de_sandreAnna de Sandre a une prédilection pour la forme brève ; elle écrit principalement des nouvelles (‘Le parapluie rouge’, à paraître aux éditions In-8) et de la poésie (‘Un régal d’herbes mouillées’, aux Carnets des Desserts de Lune), et ponctuellement des romans et des histoires pour la jeunesse (‘Iris et l’escalier’, Gallimard). La plupart de ses textes sont publiés dans divers recueils collectifs ou revues. Ses textes sont visibles sur son site Biffures Chroniques.

 

« Lave-toi, tu pues », m’ordonna-t-il, et sa voix était basse et un peu fatiguée, mais je n’ai pas décelé de colère, de contrariété ou un quelconque nuage qui aurait assombri davantage le ciel mauvais que cet impératif tendait au-dessus de l’odeur de mes mains salies.

J’en profitai pour maugréer un peu jusqu’à ce qu’une gifle me retourne, partie depuis son bras qui juste avant encore était au repos, et je me servis de cet élan pour sortir de la grotte et marcher jusqu’au ruisseau.

L’herbe poussait drôlement vite par ici ; je pouvais presque la voir monter, mais le soleil et sa putain de sécheresse les cramaient encore plus vite, ce qui vous faisait marcher sur une montagne pelée entre de longs poils épars, et  ça me donnait la vague impression d’être juchée sur le dos d’un immense chien jaune bouffé par une pelade.

Je lavai, frottai et rinçai le sang partout où il avait giclé, et je savais que s’il avait levé la main sur moi pour la première fois de sa vie, c’était parce qu’il n’avait pas supporté que je tue à sa place. La dépouille nous avait nourris cinq jours durant et donné assez de force pour marcher loin de la maison où Rosa dessinait encore ses modèles, et il disait qu’une gamine comme moi ne méritait pas une telle déchirure mais qu’il n’avait pas le choix, bordel, que la quitter ne devait pas impliquer forcément de me perdre.

La brûlure de la gifle, je m’en foutais, mais le bourdonnement persistant à mon oreille me préoccupait sérieusement. Il était hors de question que j’aie une perte d’audition.

Je voulais pouvoir jouer bientôt, pincer les cordes et gueuler les textes qu’il avait écrit avant ma naissance, et qu’un public captif hurle avec moi ses paroles et le venge de tout ce qu’elle et moi lui avions fait manquer.

En rentrant dans la grotte, où le feu sifflait et crachotait doucement, je vis les lumières et les ombres du sommeil s’engueuler sur son visage.

Je m’allongeai contre lui, empoignai une mèche de ses cheveux et m’endormis comme une brute.

© Anna de Sandre

Marc Perrin • Spinoza in China [2 novembre 2011]

Par ailleurs, Spinoza in China est également un ensemble d’ultra-brefs albums de bandes dessinées, relatant divers moments de la journée d’Ernesto commencée le 1er novembre 2011, lors de son embarquement à Charles de Gaulle Airport, et s’achevant le 2 novembre de la même année lorsqu’il entre dans la chambre 2125 du Furun Hotel Dongsi, à Beijing. À lire en famille, et en toute circonstance.

Une première série relative à l’embarquement d’Ernesto à Charles de Gaulle Airport est constituée de 31 albums, numérotés 1 à 31, dont les titres sont les suivants :

4 visages d’Ernesto de passage à la douane. 2 profils d’Ernesto avant son embarquement. Ernesto et son premier contrôle de sécurité. Ernesto se fait confisquer sa bouteille d’eau. Ernesto non la bouteille d’eau je ne savais pas. Ernesto sous un portique de contrôle fabriqué dans une usine Alsthom. Ernesto et la question voulez-vous bien s’il vous plaît boire l’eau de votre bouteille Volvic. Ernesto, Volvic, Charles de Gaulle Airport et le contrôleur. Ernesto pris d’un étrange élan de tendresse envers l’humanité toute entière sous un portique de contrôle fabriqué dans une usine Alsthom. Ernesto dans l’après-coup de l’énonciation de l’interdiction de franchissement des liquides. Ernesto et la temporalité de l’interdiction. Ernesto et la localisation de l’interdiction. Ernesto et l’interdiction des franchissements des liquides. Ernesto et les franchissements. Ernesto et l’insistance du contrôleur voulez-vous bien s’il vous plaît boire toute l’eau de votre bouteille Volvic. Ernesto articulant au mieux les mots j’ai pas soif. Ernesto en faute. Ernesto suspect. Ernesto soupçonné. Ernesto regardant la bouteille d’eau dans les mains du contrôleur. Ernesto avec une bouteille de L.52 contenant du raki dans son sac à dos passant sous le portique de contrôle fabriqué dans une usine Alsthom. Ernesto avec un stylo plume à deux balles, dans la poche avant droite de son blue jean’s, passant sous le portique de contrôle fabriqué dans une usine Alsthom. Ernesto et l’affûtage mental de la plume de son stylo. Ernesto fixant des yeux la jugulaire du contrôleur. Ernesto et les techniques de contrôle. Ernesto et les pulsions meurtrières. Ernesto et les techniques du progrès. Ernesto pensant à son cutter jaune et noir dans un bagage en soute. Ernesto pensant au petit couteau de son arrière-grand-père Abraham dans un bagage en soute. Ernesto : alors, quelle arme ?

• 2 novembre 2011 • Ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de Jeni Klugman → auteure principale d’un rapport du Programme des nations unies pour le développement → elle déclare → nos analyses montrent qu’une taxe sur les opérations de change très faibles de l’ordre de 0,005% pourrait rapporter sans aucun surcoût administratif environ 40 milliards de dollars c’est-à-dire → 29,3 milliards d’euros par an → c’est ce que souligne notre rapport annuel 2011 sur le développement humain → les marchés de capitaux mondiaux → avec 178 mille milliards d’actifs financiers → ont la taille et la profondeur nécessaires pour relever le défi.

Une deuxième série d’albums, plus brève, relative au vol Paris-Beijing et plus particulièrement relative à l’arrivée à Beijing, est constituée de 8 albums, numérotés 32 à 39. Les titres sont les suivants :

Ernesto muet dans l’avion pendant 12 heures entre Charles de Gaulle Airport et Beijing. 3 gros plans sur le visage d’Ernesto quand l’avion atterrit à Beijing. Ernesto à son voisin de droite : est-ce que tu connais Beijing. Le voisin de droite à Ernesto : OUI JE CONNAIS. Ernesto à son voisin de droite : est-ce que tu sais où je peux prendre un taxi. Le voisin de droite à Ernesto : OUI JE SAIS. Ernesto à son voisin de droite : est-ce que tu sais ce que peut un corps. Le voisin de droite à Ernesto : DEMANDE À L’HÔTESSE AVANT DE QUITTER L’AVION.

ERNESTO → DEMANDE PAS À L’HOTESSE

• 2 novembre 2011 • Ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de Diresh Raja → commerçant à Londres → il tient depuis vingt-cinq ans une boutique de vitamines → + → de plantes → + → de médicaments sans ordonnance → aux abords de l’Hôpital University College of London → il a augmenté cette année ses ventes de 35% → aux abords de ce bâtiment ultramoderne → inauguré par la reine d’Angleterre → en 2005 → ici → en Angleterre → le gouvernement → depuis la crise des subprimes → en 2008 → opèrent des coupes budgétaires dans le secteur public → particulièrement → dans le secteur de la santé → jugé trop dépensier → = → 20 milliards de livres d’économies → c’est-à-dire → 22,8 milliards d’euros → + → une refonte du système → sont à réaliser → d’ici 2015 → = → les gens cherchent des alternatives → ils se tournent vers la médecine préventive → c’est bon pour mon business → dans cinq à dix ans → le secteur de la santé sera entièrement privatisé.

| BEIJING | CHINA | CAPITAL AIRPORT PEK | TERMINAL 2 |

L’album numéro 40 de Spinoza in China est à sa manière un hors-série, au titre on ne peut plus programmatique : Ernesto alors âgé de 10 ans et 1 seconde débarque à Beijing à la recherche de sa mère, de sa super-sœur, ou de l’origine de l’univers ce qui somme tout revient à peu près au même. Pense-t-il alors.

Troisième série. Albums n°41 à n°48. Chaque album de cette série se présente sous la forme d’une affiche de 1 mètre sur 1 mètre, composée de 5 dessins, parfois accompagnés de texte.

Album n°41: Ernesto, 10 ans et 2 secondes. 1 : avec son petit sac à dos sur les épaules parmi les voyageurs qui sortent de l’avion. 2 : avec son petit sac à dos sur les épaules tandis qu’il attend de pouvoir récupérer son gros sac à dos. 3 : tandis qu’il se rapproche d’un douanier, assis derrière un comptoir, avec bulle de pensées relatives aux types de questions auxquels il est susceptible de devoir répondre. 4 : parle pas la langue, vais pas comprendre, sueurs, vertige. 5 : les larmes retenues, faisant briller les yeux d’Ernesto, et provoquant l’émotion du douanier.

Album n°42 : Ernesto, 10 ans et 3 secondes. 1 : Ernesto passe à la douane sans problème. 2 : Ernesto prend pas le taxi + cherche des yeux un plan pour rejoindre le métro, avec bulle de pensées : parle pas la langue, terreur de, pas se me, faire comprendre, pas ce me, faire baiser la gueule, par un chauffeur de taxi. 3 : Ernesto dans les couloirs souterrains rejoignant l’Airport express. 4 : Ernesto, à l’arrêt, reprenant son souffle à l’approche du guichet de l’Airport express et se donnant une contenance en écrivant dans son gros cahier à rivets métalliques, d’une écriture tremblante : l’Airport express est un train reliant l’aéroport de Beijing au réseau des lignes de métro de Beijing, capitale administrative de la Chine. 5 : Ernesto, boule d’angoisse dans le ventre, repassant à la pointe de son stylo plume chaque ligne de chaque lettre de presque chaque mot : Airport, express, est, train, reliant, aéroport, Beijing, réseau, lignes, métro, Beijing, capitale, administrative, Chine, puis : plaisir gamin et sourire, lorsqu’il repasse au stylo bic rouge : l’, un, l’, de, au, des, de, de de, la.

Album n°43 : Ernesto, 10 ans et 4 secondes. 1 : Ernesto lève l’index de la main droite pour signifier 1. 2 : Ernesto tend 1 billet de banque à la femme derrière le guichet pour payer la carte magnétique valable pour 1 trajet dans l’Airport express. 3 : Ernesto saisit la carte magnétique que la femme derrière le guichet lui tend en échange du billet de banque. 4 : Ernesto ramasse la monnaie que la femme derrière le guichet dépose entre elle et lui sous une vitre qui les sépare. 5 : Ernesto sourit pour signifier qu’il remercie.

Album n°44 : Ernesto, 10 ans et 5 secondes. 1 : Ernesto dépose ses bagages sur un tapis roulant pour contrôle de sécurité. 2 : Ernesto introduit la carte magnétique dans la fente ad hoc de la machine ad hoc. 3 : Ernesto rejoint le quai de l’Airport express. 4 : Ernesto patiente sur le quai → bulle de pensées → confuses → je sais lire les tracés des lignes de métro sur une carte + je sais lire un chiffre sur un billet de banque + je sais lire les tracés des lignes de train sur une carte + je sais lire un chiffre sur une pièce en métal + je sais lire les tracés des rues sur ce plan représentant le réseau intérieur des rues de la capitale administrative de la Chine → Beijing → OK → TOUT VA BIEN SE PASSER. 5 : Ernesto entre dans un wagon de la rame de l’Airport express qui vient de s’arrêter en station → bulle de pensées → avec → un billet je peux payer → + → avec un billet je peux acheter → + → avec un billet je peux échanger dans la limite d’échange incluse par ce type d’échange → + → avec un plan je peux m’orienter → c’est-à-dire → je peux comprendre où je suis dans un lieu qui m’est inconnu → avec un plan je peux choisir → un chemin dans un lieu qui m’est inconnu.

Album n°45 : Ernesto, 10 ans et 6 secondes dans l’Airport express, durant le trajet entre l’aéroport de Beijing et Dongzhimen station. 1 : Ernesto regarde à travers la vitre du wagon, les immeubles en constructions, le gris du béton, les grues géantes, les filets de protection devant les façades, avec bulle de pensées : mais quelle est cette confiance que j’accorde à ces tracés sur les cartes → quelle est cette confiance que j’accorde à ce tracé m’assurant que l’Airport express rejoint bien le réseau des lignes de métro de Beijing. 2 : Ernesto regarde les voies parallèles des autoroutes, parallèles aux rails sur lesquels fonce l’Airport express : profusion des véhicules, poussière, grise, avec bulle de pensées : mais quelle est cette confiance dans ces tracés établis, représentant plans ou cartes de lignes de train, plans ou cartes de lignes de métro, plans de ville, plans et cartes → quelle est cette confiance que j’accorde en ces plans établis. 3 : des sacs poubelles dans les branchages des arbres, des sacs poubelles dans les branchages des haies séparant les voies des autoroutes, poussière, grise, partout, immeubles en construction, voile de pollution, filets de protection devant les façades, avec bulle de pensées : mais quelle est cette confiance en ce billet de banque, quelle est cette confiance en la possibilité d’un juste échange établie par telle codification d’équivalence de valeur entre deux objets → ici → un billet de banque à l’effigie de Mao contre une carte magnétique pour un trajet vers le centre de Beijing. 4 : un cube bleu – bleu cubique –, cube bleu du bâtiment Ikea Beijing, avec → bulle de pensées : mais quelle est donc cette confiance en lieu et place d’une parole donnée pourquoi pourquoi je dis ça ? 5 : de l’autre côté de l’allée centrale, dans le wagon, un père avec son fils, de retour d’un voyage, leurs bagages à roulettes, leurs sacs à dos, leur fatigue, leur complicité, welcome home.

Album n°46 : Ernesto, 10 ans et 7 secondes. 1 : Dongzhimen station. 2 : Yonghegong Lama Temple station. 3 : Beixinqiao station. 4 : Zhangzizhonglu station. 5 : Ernesto sort du métro et respire l’air du Beijing.

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Album n°47 : Ernesto, 10 ans et 8 secondes. 1 : objectif : rejoindre le Furun Hotel Dongsi où Ernesto a réservé une chambre pour 3 nuits. 2 : déplier un plan de la ville de Beijing édité en Allemagne par Freytag & Berndt, acheté il y a 3 jours sur les conseils d’un vendeur à barbe rousse, à la Géothèque de Nantes, 10 place du pilori. 3 : confusion émotionnelle alimentée par le constat, rapide, d’une problématique inadéquation entre la présente réalité toponymique chinoise et ce plan de Beijing éditée en Allemagne. 4 : décider d’aller à gauche, c’est-à-dire vers le sud, puis à droite, c’est-à-dire vers l’ouest, et, sur le plan de Beijing éditée en Allemagne, chercher, tous les 100 pas, quelque réconfort dans les tracés des axes représentants rues, ruelles, roads, avenues, jiē, dà jiē, boulevards, alley, tiáo, hutongs. 5 : fermer le plan, découvrir les hutongs de Beijing.

Hutongs sont faits de passages. Hutongs sont faits de ruelles. Hutongs sont réseaux constitués de passages et de ruelles. Hutongs sont mongols dérivés de hottog. Hottogs sont puits autour desquels viennent vivre des êtres humains. Hutongs sont réseaux constitués par des lignes de siheyuans. Siheyuans sont habitations emmurées possédant chacune une cour carrée. Hutongs sont quartiers de Beijing reliant siheyuan à autre siheyuan. Hutongs sont quartiers de Beijing. Aujourd’hui. À Beijing. La destruction des hutongs est en cours. Aujourd’hui. À Beijing. La conservation des hutongs est en cours. Aujourd’hui. À Beijing. La rénovation des hutongs est en cours. Aujourd’hui. À Beijing. La destruction, la conservation, la rénovation, se font à vitesse rapide. Aujourd’hui. À Beijing. Réalités de la destruction. Aujourd’hui. À Beijing. Réalités de la rénovation, des ruines et de l’effacement. Aujourd’hui. À Beijing. Réalités de la mémoire, de l’oubli. Réalités de la reconstruction, de la conservation, de l’expansion. Aujourd’hui. À Beijing trade mark notre monde la destruction est en cours. Aujourd’hui. À Beijing trade mark notre monde la conservation est en cours. Aujourd’hui. À Beijing trade mark notre monde la rénovation est en cours. Aujourd’hui. À Beijing trade mark notre monde → logique culturelle rentable vient se greffer à tradition, ancestrale, ici visible, ici invisible, ici encore vivante, ici exploitable, ici encore vivante, ici exploitée. Aujourd’hui. À Beijing trade mark notre monde → la conservation → + → la rénovation → + → la destruction → + → les ruines → + → l’effacement → + → la mémoire → + → l’oubli → + → la reconstruction → se nourrissent et nourrissent trade mark notre monde. Quant à la démocratie. Aujourd’hui. À Beijing trade mark notre monde. Voiles en façades des immeubles en cours de construction.


Ceci était l’album n°48 – Hutongs, Beijing, 胡同, 北京. Format affiche, 1 mètre sur 1 mètre : n’a été tiré qu’à un seul exemplaire que l’on peut consulter aujourd’hui dans la bibliothèque d’Ernesto, 29 rue Alexandre Gosselin, à Nantes. En bas de l’affiche, on peut lire deux notes. Note 1. Fascination pour destruction. Vitesse : associée à fascination. Vitesse : associée à destruction. Lenteur : nécessaire pour production d’une compréhension. Nécessité : de productions : de formes actualisés, actualisables, par compréhension. Note 2. Mes prises de décision connaissent le rapport commun que chaque prise de décision entretient avec ses conséquences.

• 2 novembre 2011 • Ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de Laurence Parisot → présidente du Medef → + → le visage de Christophe de Margerie → président direct général de Total → + → le visage de Louis Gallois → président direct général de EADS → + → le visage de Gérard Mestrallet → président direct général de GDF Suez → + → le visage de Maurice Lévy → président directeur général de Publicis → + → les visages des présidents d’organisations patronales des pays du G20 → = → + ou – 120 dirigeants d’entreprises internationales → à l’instant → où Laurence Parisot → présidente du Medef → remet au président de la république française au titre de la présidence française du G20 → une liste de recommandations → demandant → de retrouver l’esprit de coopération qui prévalait en 2008 au moment de la crise des subprimes → afin → de revenir sur le chemin de la croissance → + → de l’emploi → + → construire ensemble les conditions durables d’une compétitivité équitable → + → fondée sur des règles de concurrence → loyale et transparente.

La série n°4 est sous-titrée ERNESTO & TAÏWANANA. Elle court de l’album n°49 à l’album n°58.

Album n° 49 – ERNESTO & TAÏWANANA, 1.

Dans les hutongs de Beijing → Ernesto → plus ou moins à la recherche de l’origine de l’univers, de sa mère, ou d’une super sœur, un peu perdu et réouvrant parfois son plan édité en Allemagne, par réflexe, puis, reprenant la marche, sac à dos somme toute assez lourd sur les épaules → dans les hutongs de Beijing → il est soudain 12h27 → et → à 12h27 → Ernesto à 12h27 cesse soudain de marcher → because → Ernesto → à 12h27 → Ernesto à 12h27 voit une super jolie petite nana qui doit avoir environ 10 ans et quelques secondes, comme lui, et il pense : elle a besoin de moi. Ou. Elle a besoin d’un plan édité en Allemagne = je suis son homme, j’ai 10 ans et 9 secondes, je vais devenir super grand en quelques pas c’est-à-dire je vais me rapprocher d’elle → TOUT VA BIEN SE PASSER → Ernesto pense → elle est perdue, moi j’ai un plan = j’ai un super plan, je vais lui montrer mon super plan → je m’approche d’elle → ou bien → c’est elle qui s’approche. On ne sait pas bien. On s’en fout. On voit qu’ils s’approchent l’un de l’autre. Il est 12h28. On voit Ernesto. Il montre son plan édité en Allemagne et illico il devient super grand, et avec ses bras, ou avec l’un des 32 mots de son anglais international, Ernesto, il demande : est-ce que tu es perdue → ou → est-ce que tu as besoin de moi → ou → est-ce que tu a besoin de mon plan. Elle. A pas l’air perdue du tout. Ernesto, il doit : moi : j’ai besoin de toi. Ok.

Dialogue :

— Je sais pas très bien qui tu es Ernesto.
— Comment tu sais que je m’appelle Ernesto ?
— C’est écrit, là, au revers de ta moufle.
— Et toi, tu t’appelles comment ?
— J’ai quitté Taïwan le mois dernier.
— Est-ce que je peux t’appeler Taïwanana.
— J’aspire à une vie nouvelle. J’ai pris une décision → partir. Maintenant le temps est super ouvert pour moi.

Alors. Ernesto dit on est pas perdus. On a un plan.

Ok. Je vais l’aider. Ok. Je veux qu’elle m’aide. Ok. Il veut m’aider.

Album n° 50 – ERNESTO & TAÏWANANA, 2.

J’ai une cuillère, tu as une cuillère, on a chacun une cuillère. Je te donne ma cuillère, tu me donnes ta cuillère, on a chacun une cuillère. J’ai une idée, tu as une idée, on a chacun une idée. Je te donne mon idée, tu me donnes ton idée, on a chacun deux idées. J’ai une cuillère, tu as une cuillère, on a chacun une cuillère. Je te donne ma cuillère, tu me donnes ta cuillère, on a chacun deux cuillères. Ouais. Cool.

Taïwanana parle à Ernesto de Taïwan, de TaïPei, de démocratie, et de pauvreté.

Ernesto dit à Taïwanana que d’après Denise De Gohère, professeure de biologie au collège Blaise Pascal à Clermont-Ferrand, il existe des liens ténus entre intelligence de l’enfance et progrès de l’humanité, par la science.

Si tu veux, je peux te guider dans la ville.
Ok, pareil : si tu veux, je peux te guider dans la ville.
Ok. Si tu veux, je peux brûler mon super plan édité en Allemagne.
Ernesto, à ce moment-là, tremble un petit peu et recule de 4 pas.

Pensée intérieure n°1 : elle est aussi perdue que moi, il faut que je fasse super gaffe. Pensée intérieure n°2 : elle est encore plus perdue que moi, pas grave, on va faire un truc ensemble. Pensée intérieure n°3 : elle est en train d’accepter mon aide, ou : elle est en train de me proposer la sienne. Pensée intérieure n°4 : je vais accepter son aide, ça y est, j’accepte son aide.

Ernesto → tend la main à Taïwanana.

Pensée intérieure n°5 : je suis en train de mentalement sortir de la poche arrière droite de mon pantalon le petit couteau de mon arrière-grand-père Abraham et là je suis en train de mentalement découper en fines lamelles un gamin de 10 ans et 10 secondes refusant par principe de terreur toute aide, d’où qu’elle vienne. Pensée intérieure n°6 : ma boussole interne ne se trompe jamais. Ou. Une boussole interne ne se trompe jamais. Et. On sait ce qui est juste. Ou. Et. On sait ce qu’on ressent. Et. Ou. On sait ce qu’il faut faire. Toujours. Et. Le gamin de 10 ans et 10 secondes, refusant par principe de terreur toute aide d’où qu’elle vienne, le gamin, de 10 ans, et 10 secondes, pleurnichard et tellement charmant et charmeur, avec ses petites larmes, toutes mignonnes, charmant, dans sa drapure de pleurs, contre une barrière en bois, si possible, donnant accès à un jardin derrière une ferme, dans le département de l’Allier, si possible, Ernesto, le gamin de 10 ans et 10 secondes refusant par principe de terreur toute aide d’où qu’elle vienne et pleurnichant contre une barrière en bois, Ernesto, présentement, le découpe en fines lamelles. Adieu.

Puis. Ernesto déclare à Taïwanana : tu es exactement la nana que j’attendais, sans savoir que je t’attendais, bien sûr, sinon c’est du pipo, et là : c’est pas du pipo, là, c’est tout sauf du pipo, là c’est super rare, je le sens, je le sens bien, je le sens super bien, tu m’aides à respirer, c’est dingue, j’accepte de respirer, c’est la première fois de ma vie que je respire, c’est complètement dingue, c’est exactement ce dont j’avais besoin, dans les poumons, oui, le souffle, tu me donnes du souffle, et puis, ta main, et puis

Taïwanana à Ernesto : quand tu te seras calmé, Ernesto, j’aurai deux ou trois trucs à te dire.

• 2 NOVEMBRE 2011 • Ce jour-là → est visible sur le visage d’Ernesto → le visage de François Baroin → ministre de l’économie → + → des finances → + → de l’industrie → du gouvernement de la république française → + → le visage de Valérie Pécresse → ministre du budget → + → des comptes publics → + → de la réforme de l’État → du gouvernement de la république française → tandis qu’est promulguée la loi des finances rectificative pour 2011 visant à accorder une garantie de l’État au groupe Dexia dans le cadre d’un plan de restructuration → c’est-à-dire → visant à accorder une garantie de refinancement pour 32,85 milliards d’euros → pour → une durée de 10 ans → cette garantie → correspond à la part française de la garantie de 90 milliards d’euros accordée par les trois États concernés → à savoir → 60,5 % pour la Belgique → 36,5 % pour la France → 3 % pour le Luxembourg → cette garantie → porte sur les prêts aux collectivités locales consentis par la filiale Dexia Municipal Agency → ces prêts → doivent être repris par la Caisse des dépôts et consignations c’est-à-dire → la garantie → accordée → sur ces prêts considérés comme étant des prêts à risque → porte sur un encours maximum de 10 milliards d’euros → c’est-à-dire → si les pertes enregistrées sur ces 10 milliards d’euros de prêts → excèdent les 500 millions d’euros → l’excédent des pertes est pris en charge à 70 % par l’État français → et → à 30 % par Dexia → c’est-à-dire → le montant maximum de cette garantie est plafonné pour l’État français à 6,5 milliards d’euros → le plan global de restructuration prévu pour Dexia → vise à assurer la sécurité des dépôts des particuliers → + → la sécurité des collectivités locales → + → permettre au groupe Dexia de retrouver un volant suffisant de liquidités → + → permettre au groupe Dexia de retrouver un volant suffisant de liquidités → + → permettre au groupe Dexia de retrouver un volant suffisant de liquidités → le plan global → de restructuration comporte trois opérations → opération 1 → permettre au groupe Dexia de retrouver un volant suffisant de liquidités → = → adosser la filiale Dexia Municipal Agency à la Caisse des dépôts et consignations → + → créer un consortium formé par la Caisse des dépôts et consignations et la Banque postale dans le but de continuer à assurer le financement des collectivités locales françaises → + → opération 2 → permettre au groupe Dexia de retrouver un volant suffisant de liquidités → = → proposer une offre de rachat par l’État belge de Dexia Banque Belgique → + → opération 3 → permettre au groupe Dexia de retrouver un volant suffisant de liquidités → = → ouvrir des négociations avec un investisseur international en vue de la cession de la “Banque internationale à Luxembourg”.

Album n° 51 – ERNESTO & TAÏWANANA, 3.

je réussis dans tout ce que j’entreprends

                                            je reste avec toi

mon oncle richard cœur de lion disait on ne refuse pas l’aide de qui

                                  vous la propose c’est une

                                                                                        question de politesse

je ne suis pas d’accord avec mon oncle richard cœur de lion

                             ce n’est pas une question de politesse

c’est une question d’amour c’est une

                                            question de production de moments favorables

ok on est prêts

                             super, maintenant j’accepte les cadeaux

il est nécessaire pour moi que tu saches à quel point tu me donnes

                                                                ok, super

on rejoint vite l’hôtel si tu veux on y va lentement

                    ok

avec toi je commence à penser sans chercher à vouloir reconnaître
                                        pourquoi pas

                                                                                avec toi

pas la peine de remonter le temps 

avec toi

                    je passe d’une langue qui lèche à une langue qui parle

                                        pourquoi pas

                                                                                avec toi parler ne veut dire pas se comprendre

                    on est d’accord                    peut-être pas                    on s’en fout

parler ne veut dire pas se comprendre est le commencement d’un amour

                    peut-être pas                                        okay rejoignons l’hôtel

Album n° 52 – ERNESTO & TAÏWANANA, 4.

À part ça, la nécessité de la parole s’accouple avec celle de la production. Celle de la production avec celle de l’existence. Celle de l’existence avec celle de l’infini. Celle de l’infini avec celle de la lenteur. Celle de la lenteur avec celle de l’évolution. Celle de l’évolution avec celle de l’accélération. Celle de l’accélération avec celle des passages. Celle des passages avec celle d’un langage commun. Celle d’un langage commun avec tous les disparates. Tous les disparates avec la compréhension du dehors. La compréhension du dehors avec les faits. Bon.

Album n° 53 – ERNESTO & TAÏWANANA 5.

— Tu vas par là ou tu vas par là ?
— Moi je vais par là, et toi, toi tu vas par où ?
— Moi ? Moi je vais par là.
— Tu veux pas aller par là ?
— Par où ?
— Par là.
— Ouais, d’accord.

Ils s’orientent.
Ils se désorientent.
Ils s’orientent par la parole en même temps qu’ils se désorientent.
Ils s’excitent.
Ils s’excitent par la parole.

— Tiens, regarde, on est là.

Il lui montre son plan de Beijing édité en Allemagne. Elle dit je comprends pas vraiment notre positionnement dans l’histoire en cours mais je veux bien te suivre un peu ou l’inverse, toi tu me suis. Tu as l’air sympa, sympa et perdu, je me demande si c’est pas un piège, non, non, je plaisante, si tu veux : je peux t’aider à trouver ton hôtel.

— Ouais, je veux bien.

Album n° 54 – ERNESTO & TAÏWANANA, 6.

— Si tu veux on peut plier nos genoux.
— Okay.
— Si tu veux on peut aussi plier nos idées.
— Ah bon ?
— Si tu veux on peut aussi plier nos mouvements.
— Je comprends pas.
— Tu as très peur ?
— Un peu. Oui. Beaucoup. Pas mal.
— Okay. Détends-toi. Tu me fais confiance ?
— Je sais pas.
— Décide-le. Ça va nous aider.
— Okay. J’essaye.
— Fais-le.
— D’accord. On y va.
— Bon. Alors. Maintenant je vais te dire un truc qui va alternativement t’émouvoir super fort et te donner super envie de te barrer très très très très très très très très très très très très très très très très très très très loin. Tu es prêt ?
— Yes.
— Alors. Voilà. Moi. Je vais te faire plier. Et devine quoi je vais te faire plier. Je vais te faire ployer. Et devine sous quoi je vais te faire ployer. Je vais. Faire en sorte. Que tu plies le moindre de tes mouvements. À. Ce mouvement qui correspond. À. Ma seule nécessité. Et. Tu sais pourquoi je vais faire ça. Je vais faire ça. Parce que c’est toi qui produit cet appel. Gros nigaud. Avec ta peur. Avec ta peur. Avec ta peur que tu nommes amour. Viens pas chialer dans mes cotons. Si tu veux : maintenant tu es grand = maintenant tu produis autre chose et moi conséquemment je suis grande avec toi et conséquemment je produis tout autre chose également.
— C’est carrément excitant ce que tu me racontes.
— Concentre -toi.
— Okay.
— Tu es concentré ?
— Oui.
— Attention
— …

Le dehors : est l’acceptation du dehors.

Ernesto esquisse un sourire.

Le plan de Beijing : est une représentation.

Ernesto ouvre grand les yeux.

Album n° 55 – ERNESTO & TAÏWANANA, 7.

— (Ernesto, à nouveau les yeux fermés.) Et ça, c’est quoi ?
— Ça, c’est une surface. C’est une espèce d’immense plaque à la surface de laquelle il est possible que tu te déplaces. Toi, et d’autres.
— (Ernesto ouvre grand les yeux)

Album n° 56 – ERNESTO & TAÏWANANA, 8.

— (Ernesto, à nouveau les yeux fermés.) Et ça, c’est quoi ?
— Ça. Ça, ça va avec les phénomènes de surface. Ce sont des axes. C’est un peu différent des surfaces. Parce que les surfaces, elles sont là quand tu arrives. Je veux dire : quand tu arrives dans un endroit, dans n’importe quel endroit, elles sont là. Et c’est avec elles que tu vas faire ce que tu vas faire. A priori, il n’y aura pas de nouvelles surfaces qui viendront te débouler entre les pattes pendant l’expérience. Les axes, eux, c’est différent. Quand tu arrives, il y en a qui sont déjà là, mais il y en a aussi un maximum qui n’arrête pas d’être créé, sans arrêt, par toutes celles et tous ceux qui sont en train de trafiquer en même temps que toi à la surface de telle ou telle autre surface. Tous les axes qui sont créés restent, après avoir été créés. Et. On peut tous emprunter tous les axes, comme on emprunte des chemins, ou des routes, ou des rues, pour marcher. Les axes, en fait, c’est comme les surfaces, c’est pour se déplacer. Mais pour les surfaces, tu peux seulement te déplacer que sur des surfaces qui existent déjà. Par contre avec les axes, tu peux te déplacer : soit sur un axe qui existe déjà, soit sur un axe que tu crées toi-même en te déplaçant.
— (Ernesto ouvre grand les yeux) Est-ce que les axes pourraient pas devenir cause de l’existence de nouvelles surfaces ? La création des nouveaux axes pourraient pas créer comme les coordonnées de nouvelles surfaces et conséquemment de nouvelles surfaces ?
— Ernesto ?
— Oui.
— Tu me plais bien.
— Tu as tous tes bagages avec toi ?
— Non.

Album n° 57 – ERNESTO & TAÏWANANA, 9.

Ernesto est assis dans la salle d’un restaurant.

Ernesto vient de s’asseoir. Ernesto a pas le temps d’attendre qu’une jeune femme lui amène deux livres. Un livre avec des images. Un livre sans images.

Ernesto ouvre le livre avec les images. Ernesto le feuillette.

Ernesto prend le temps de regarder les images. Ernesto montre une image à la jeune femme qui attend. Ernesto montre une autre image, puis encore une autre, puis encore une.

Ernesto montre les images pour ce qu’il croit y reconnaître. De la nourriture.

Ernesto laisse fermé l’autre livre, plus épais, que d’autres clients, assis à une autre table dans la salle du restaurant, sont en train de feuilleter.

Ernesto voit de loin, dans l’autre livre, à l’autre table, les menus rédigés en caractères chinois.

Ernesto est rejoint par Taïwanana.

J’ai choisi notre repas en choisissant des images.

Je te dirais ce que c’est.

Ok.

Album n° 58 – ERNESTO & TAÏWANANA, 10.

Ils ne s’imposent pas
Ils prennent leur temps
Ils prennent la parole chacun leur tour, souvent, parfois longtemps
Ils se prennent par la main parfois
Ils mangent
Ils quittent le restaurant
Ils rejoignent l’hôtel Furun Hotel Dongsi.
Ils entrent dans la chambre 2125. Furun Hotel Dongsi. Chaoyangmenbeixiao. Beijing.

• 2 NOVEMBRE 2011 • Ce jour-là → est également visible sur le visage d’Ernesto → le visage Wang Youde → directeur de la réserve nationale de Baijitan dans la région du Ningxia → dans le nord de la Chine → il bêche le flanc d’une dune pour dresser des petits remparts de paille → il bêche → le flanc d’une dune → afin de planter derrière chaque rempart → une plante → dans cette région balayée par les tempêtes de sable venues du désert de Maowusu → il bêche →le flanc d’une dune → pour planter derrière chaque rempart – une plante → il bêche → pour juguler l’avancée du désert.

à suivre ici…

De la difficulté de faire groupe social et politique (Ménardises I)


 Depuis une période coïncidant avec le développement économique de l’après-guerre à nos jours, on assiste à la distribution et imperméabilisation des classes qui va en s’aggravant. S’il est assez facile d’attribuer les causes de cette fragmentation à l’essor puis à la mainmise du modèle capitaliste néolibéral mondialisé et financiarisé, il est peut être utile d’essayer de repérer à la fois les motifs, les effets et les symptômes de ce phénomène ; tel est l’objet de cette fiche.

 
Motifs
  • l’accès aux études supérieures est un phénomène spectaculaire avéré dans toutes les sociétés occidentales contemporaines ; il est notablement tout aussi massif qu’il n’est pas général : il reste toujours et partout une tranche de 30% de la population qui ne fait pas d’études supérieures.
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  • un facteur de division du corps social très notable est la disparité lié au logement ; le logement est un marché en soi, un marché spécialisé, qui à force de spécialisation a conduit à une séparation physique des classes — ce qui est nouveau dans nos sociétés — et donc à un méconnaissance et une infamiliarité des lasses entre elles. Et il ne s’agit pas que d’un phénomène lié aux banlieues ; c’est un phénomène maintenant diffusé aussi bien en zone urbaine que rurale, et sur l’ensemble du territoire.
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  • le vieillissement de la population est un facteur aggravant.
Effets Les gens ne se côtoient plus, et par conséquent ne se comprennent plus ; le phénomène s’aggrave lorsqu’ils n’éprouvent plus le besoin de le faire. On parle de tribus, mais la réalité est beaucoup moins romantique et sympathique : il n’y a pas de sens du partage de liens sociaux communs forts.
Symptômes
  • la contre-culture, comme outil de massification de la culture officielle, a accentué cette division en présentant une très vaste galerie de personnages populaires (et paysans d’ailleurs aussi) ridicules, bêtes et obtus./li>
     

  • je n’arrive pas à me relire !
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  • la volonté forcenée d’inclusivité dans toutes les strates de la société est l’un des phénomènes les plus notables de la question ; on accepte toute sorte d’étranger, d’altérité, mais jamais celle de la classe populaire.
Bibliographie