Christophe Manon a publié une dizaine de livres parmi lesquels Univerciel (NOUS, 2009), Qui vive (Dernier télégramme, 2010), Testament, d’après François Villon (éditions Léo Scheer, coll. LaureLi, 2011) et Cache-cache (Derrière la salle de bain, 2012). Il a collaboré à de nombreuses revues et se produit régulièrement dans le cadre de lectures publiques. On le retrouve ainsi sur Remue.net.
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mir, terrorisé par des assemblées entières d’êtres repoussants, silhouettes cauchemardesques, chimères horrifiques affalées dans les recoins ou dissimulées derrières les rideaux dont les replis à leur tour deviennent menaçants, ombres fugitives s’insinuant parmi les meubles et les objets, s’immisçant dans les plus petits interstices, s’infiltrant jusque sous les couvertures, se métamorphosant en créatures monstrueuses et difformes, foules mélancoliques de revenants aux contours indistincts, farandoles obscènes d’immenses méduses luminescentes flottant au-dessus de sa tête, colonies d’énormes araignées aux longues pattes velues attroupées dans les plus sombres encoignures de la trop vaste maison dont la sinistre chambre d’enfant se trouve à l’étage, isolée de la présence rassurante des adultes, seul si seul si irrémédiablement seul dans la nuit noire, à la merci des assauts d’une multitude de mutants, batraciens, mollusques, sauriens, invertébrés et animalcules de toutes sortes qui s’enchevêtrent, se chevauchent, s’entassent en rampant sur le plancher, glissent le long des murs en laissant derrière eux de repoussantes traînées de sécrétions visqueuses, puis se répandent derrière les cloisons, se faufilent sournoisement dans les moindres failles en produisant d’assourdissants froissements d’élytres, des bruissements de tentacules, des chuintement de mandibules, un tumulte incessant de murmures, de plaintes macabres et de gémissements qui envahissent son esprit et l’emplissent d’une irrésistible terreur ; harcelé par un grouillement insensé et affolant d’insectes inquiétants, de bêtes sauvages aux pupilles luisantes de cruauté, de spectres et de squelettes dont les os scintillent dans les ténèbres, petite chose pelotonnée sur sa couche tressaillant au moindre bruit suspect : le craquement lugubre des lattes du parquet dans les escaliers, le sifflement du vent s’engouffrant dans les conduits des cheminées ou sous les jointures des fenêtres, un volet qui claque, le grincement d’une porte qu’un courant d’air déplace par intermittence, le vol erratique et paniqué d’un papillon se heurtant contre les vitres ou sur la surface du plafond, les modulations stridentes d’un oiseau de nuit, les pas furtifs d’un animal furetant sur le gravier de l’allée du jardin, le miaulement d’un chat sur le toit, le jappement d’un chien dans le lointain ; tout son corps chétif alarmé et montant la garde, frémissant, tétanisé par la frousse, recroquevillé dans les draps trempés d’une sueur glacée, la respiration haletante, les mâchoires serrées sur un appel muet, les pupilles désespérément écarquillées sur l’obscurité pour tenter d’en percer les insondables secrets, d’en repousser l’étreinte oppressante, incapable même de tendre sa petite main craintive et tremblante pour atteindre l’interrupteur de la lampe de chevet, le bras comme irrémédiablement pétrifié, comme retenu par une force occulte et intransigeante, se disant : Ils viennent, les voilà. C’est après moi qu’ils en ont. Ils vont m’emporter loin d’ici, loin de ma chambre et de mes jouets et de mes livres que j’aime tant. Ils vont m’emporter et me dévorer et plus personne ne pensera à moi, plus personne ne saura qui j’étais. Je vais mourir et mes os seront dispersés et je serai oublié. Il faut que j’appelle, que je crie, que le cri sorte de ma bouche et retentisse. Il faut que je me redresse et que je résiste à la nuit qui vient, au froid qui m’envahit, à la mort qui m’étreint. Il faut que je sois plus fort que la peur car c’est ce que l’on m’a appris : la peur n’est qu’une sottise et les enfants doivent la surmonter pour grandir et devenir des hommes. Il faut que je sorte la peur en même temps que le cri et que je les expulse tous deux hors de moi, que je les crache et qu’ils disparaissent et que cela finisse, oh que cela finisse, et que je me retrouve en plein jour sous le soleil et sa lumière trop vaste, si vaste et si implacable qu’elle en est presque douloureuse et pourtant rassurante car elle réchauffe, et je serai sauvé par la lumière ou je me consumerai par elle ; ou bien passant de longues heures à observer avec une fascination morbide mêlée d’angoisse et d’épouvante le dessin des veines du bois sur la porte de l’armoire en face de son lit dont des réseaux parallèles ou à peine divergents de droites et de courbes sinueuses contournent des nodosités plus sombres, aux formes arrondies ou ovales, composant un ensemble de signes mouvants dans lesquels il devine le corps d’une femme particulièrement belle et très fine, la taille élancée, la poitrine haute et ferme, le port altier, les jambes interminables, avec de grandes ailes de papillon se déployant dans le dos, la tête n’étant qu’une immense flamme sertie d’une paire d’yeux effilés, cette vision fantasmatique et obsédante inspirée des images des tourments de l’enfer dont il connaît les détails par des reproductions de tableaux, et dont les différents cercles suscitent stupeur et effroi, mesurant alors sans en saisir toutes les implications l’ampleur de sa solitude, toute l’immensité des détresses enfantines, faisant l’expérience d’un désespoir inexplicable et qui paraît inépuisable, pris dans un redoutable réseau de terreurs ancestrales, de peurs inavouables et qui prennent aux entrailles, la vie la mort l’avenir incertain la fuite inexplicable du temps le chagrin le néant, l’amour aussi qui cause de si grandes inquiétudes quand on est un enfant car on redoute ce qu’on ne connaît pas et l’on craint ce que l’on désire, la gorge nouée avec un goût de cendre et de poussière dans la bouche – à moins que ce ne soit un goût de sang, cette chose qui circule en nous et qui cependant nous échappe et s’écoule sans qu’on puisse jamais en arrêter le flot –, tout cela qui tient éveillé des nuits entières, à ruminer de mornes et insaisissables pensées ou qui fait se dresser sur son matelas en sursaut et en nage, parcouru par d’incontrôlables frissons, ce senti
© Christophe Manon, 2013