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Clémence Dumper • Mythologies 2. Terre et sœur

Nous ouvrons l’année avec Clémence Dumper., que nous retrouvons. Née à Nîmes en 1978, formation de Lettres Classiques, enseignement, et écriture quotidienne. Après avoir vécu à Porto, Milan et Nîmes, elle vit désormais à Budapest, en Hongrie, où elle se consacre essentiellement à l’écriture. Après des débuts littéraires dans des revues comme Rouge Déclic ou des festivals comme celui de Mouans-Sartoux ; elle a publié son premier roman, Débandade, aux éditions Philippe Rey, en 2014.

 

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Antigone défie la Loi et choisit l’honneur.

 

Elle creuse avec ses mains. Si elle le pouvait, elle creuserait avec tout son corps, avec ses dents, avec sa rage entière qui fait d’elle l’ultime combattante. Préférer l’honneur à la mort.

La terre est sale, humide. Ses ongles sont des lambeaux et ses mains saignent déjà mais cette souffrance là, physique, n’est rien comparé à l’immense précipice qu’elle sent au fond d’elle. En
creusant de la sorte, c’est sa propre solitude qu’elle troue, qu’elle bêche, pour y planter sa haine, pour y planter l’injustice.

Il se remet à pleuvoir et les gouttes accompagnent timidement ses larmes. Le jour promet d’arriver, il faut qu’elle s’active. Elle entend au loin quelques corbeaux qui s’éveillent et leurs croassements se mêlent au bruit lourd des avions et des hélicoptères.

Le pays est en guerre. La terre est en guerre et elle, au milieu de rien, elle se retrouve seule avec le corps mort de son frère qu’elle a peiné à porter jusqu’ici.

Elle ne le regarde pas. Pas le temps: il faut creuser. Bien mouillée désormais, la terre se fait plus souple – elle remercierait presque le ciel de lui offrir cette averse, si elle n’avait l’esprit entier occupé par la colère. Elle ne le regarde pas. Il est mort et bien mort, il n’attend qu’une chose: une sépulture digne. L’odeur caractéristique de cette terre humide la rassure. Un parfum d’éternité, un parfum de nature humaine.

Elle sait qu’elle risque gros: ce à quoi elle s’adonne demeure complètement illégal. Elle sait qu’on la cherche, et qu’on va la trouver.

Ses longs cheveux fangeux coulent sur son visage. Sa bouche est sèche et son maigre corps épuisé. Mais il faut que le trou soit suffisamment profond, profond comme sa peine.

Ses mains sont trop petites; elle compense ce défaut par son acharnement. Le sang qui coule de ses doigts écorchés se mêle à l’humus – comme ça, se dit-elle, c’est bien un peu de moi que
j’enterre avec lui.

Les combats font rage, même la nuit. Le cri lointain des sirènes vient percer l’aube à venir. Elle sait qu’à cet instant, en entendant ces stridences, des familles entières, apeurées, vont sortir de leur maison, vont l’abandonner définitivement pour se réfugier dans un abri de fortune qui ne les protègera peut-être pas. Elle sait qu’il y a des enfants, réveillés par la peur, qui courent en donnant la main à leur mère, confiants malgré tout, une peluche ridicule dans leur autre
main. Elle sait tout cela, s’en moque éperdument. Une seule chose compte. Creuser.

Elle jette un œil rapide sur le tas de terre qui s’amoncelle au bord du trou, petite montagne bientôt disparue, futur mausolée du frère chéri.

C’est bien. Ça avance.

Laborieuse, la voilà désormais elle-même dans le trou. Seule sa tête dépasse, de temps à autres, entre deux poignées de terre, la faisant ressembler à une taupe curieuse.

Elle n’a pas de lumière mais elle a de la chance: les nuages orange fournissent une lueur qui suffit largement à déjouer les ombres.

Elle n’a pas peur. Elle n’aura plus jamais peur, de ces fous qui gouvernent, de cet État maudit qui refuse qu’elle soit libre, qui refuse d’honorer le cadavre d’un combattant. A la fosse commune! Voilà ce qu’ils lui ont répondu. Bande de salopards. C’est ainsi que vous remerciez ce frère qui a perdu la vie pour sauver le régime! Bande de raclures! Elle n’est que dégoût – et amour sororal.

Elle a volé le corps, si froid et si rigide. Elle l’a transporté, seule, dans une carriole, recouvert de purin pour que personne ne fouille. Son frère sent la merde. Son frère sent la mort. Elle espère que la pluie, violente maintenant, lavera le défunt.

La voilà au fond du trou, épuisée. Elle s’y allonge, totalement insouciante de la saleté et, à l’horizontale, elle tend les bras – son frère est plus grand qu’elle. C’est bon. Il rentrera. Sans être plié.

Décent, droit, allongé, en repos. Elle ouvre un peu la bouche et boit la pluie qui tombe.

Agile, elle remonte sur le bord. Le plus dur reste à faire et le jour n’attend pas. Ce n’est plus de la terre mais bien de la boue maintenant, dont l’odeur la remplit de forces vives. Elle le prend par
les pieds quand, déjà!, la lueur du ciel est en train de changer. Le monde est quelque part entre la nuit et l’aurore.

Il est lourd. Tellement lourd. Pas humain d’être si lourd. Pas humain, non, juste mort. Son dos est douloureux, ses bras n’en peuvent plus mais elle n’est plus humaine. Elle est une sœur en deuil. A bout de forces, elle ne sent plus rien. Un néant l’envahit.

Les lueurs du petit matin, malgré le mauvais temps et bien malgré la guerre, conservent leur détestable douceur.

Le voilà dans le trou. Le corps a fait un bruit. Sourd. Chute. Elle le regarde une dernière fois. Elle trouve même l’audace morbide de s’allonger quelques minutes sur lui. Mouillés tous les deux. Morts tous les deux. Terre et boue tous les deux. L’ultime étreinte. Il n’est même pas froid. Il fait déjà partie des éléments. Déjà terre, déjà vers.

Vidée, elle remonte et entame la dernière phase de l’œuvre. Toute la terre sortie, elle la jette avec l’ardeur du désespoir, en pleurant. Au moins tu seras bien. Au moins tu seras recouvert d’un drap de sable.

Tu n’auras pas trop froid.

Elle fait vite, le résultat la satisfait. On dirait qu’il ne s’est rien passé.

Elle saisit une pierre grosse comme la lune absente cette nuit, et la pose délicatement à l’endroit de la tête, pour marquer l’accomplissement de son devoir de sœur.

Comme plus rien ne compte (ni l’arrivée de l’aube, ni celle, aussi probable, de la milice qui viendra l’arrêter) elle s’allonge, sereine, sur la tombe de fortune. La pluie s’est arrêtée. Elle ne pleure plus.

Antigone se repose.

 

Clémence Dumper • Mythologies 1. Sisyphe Imperator

Nous ouvrons l’année avec Clémence Dumper., que nous retrouvons. Née à Nîmes en 1978, formation de Lettres Classiques, enseignement, et écriture quotidienne. Après avoir vécu à Porto, Milan et Nîmes, elle vit désormais à Budapest, en Hongrie, où elle se consacre essentiellement à l’écriture. Après des débuts littéraires dans des revues comme Rouge Déclic ou des festivals comme celui de Mouans-Sartoux ; elle a publié son premier roman, Débandade, aux éditions Philippe Rey, en 2014.

 

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Sisyphe porte son rocher au sommet d’une montagne. Une fois au sommet, le rocher tombe. Sisyphe doit le remonter. Sa punition éternelle.

 

Sept heures le réveil sonne. Spiruline. Protéines. Douche et direct à la salle. Chaque semaine il soulève un peu plus. Chaque semaine il prend du muscle et découvre, ébahi, son potentiel physique. Il regarde ces masses qui se forment sur ses bras, sur son torse, comme autant de pieds de nez qu’il ferait à la mort. Impressionnant. Il commence vraiment à avoir l’allure d’un surhomme, d’un dieu. Il veut pulvériser les limites du corps. Il veut pousser l’humain au plus loin dans ses forces. Il souhaite que son corps déjoue la mort, remonte la machine infernale qu’est le temps. Il ne veut pas vieillir. Aussi prend il également soin de son visage. Crèmes variées, traitements innovants, il se donne du mal pour remonter la pente inexorable. Pas vieillir. Pas mourir.

Avant de partir à la salle, qui pour lui est un temple, il regarde toujours la photo sur le frigidaire. Lui-même il y a deux ans. Pas le même. Un homme crevette. Un ado mal dégrossi. Pas le même. C’était avant la mort de sa mère. Avant l’élément perturbateur comme on dit. Il s’était alors rendu compte, assez tardivement il faut bien avouer, que l’être humain est mortel.

Tout être humain. Même sa mère, pourtant surhumaine. Il savait bien qu’on mourrait tous les jours, mais ce “ on” désignait une humanité trouble, une masse informe, des gens, des inconnus. Pas maman.

Il n’était pas enfant pourtant: à trente-deux ans, la vie éternelle n’est qu’un mythe qu’on laisse, impuissant, à quelques adolescents. Il le savait mais refusait de savoir. Les gens, oui. On, oui. C’est triste mais oui. Mais sa mère. SA PROPRE MERE! Quelle honte! Quelle cruelle déception! Ça voulait dire qu’il ne serait plus le bébé. Ça voulait dire qu’il n’y aurait plus désormais sur terre un être le connaissant depuis sa naissance, témoin de son avancée, témoin aimant de la singularité qu’il incarne. Ça voulait dire surtout – horreur suprême – que lui-même risquait un jour de mourir! Non!

NON!

“Tu croyais qu’elle était immortelle?” lui avait demandé un ami. Non, il savait bien. Mais quand même. Pas immortelle, non, mais qu’elle meure, ça! Il ne s’y attendait pas!

Les médecins avaient été formels: une insuffisance musculaire avait précipité le décès après l’opération. La femme était trop faible, impossible pour elle de récupérer, son organisme, son corps n’avait pas supporté. Maman était trop crevette. La suite semble diablement logique… Désireux donc de ne jamais mourir et d’avoir un organisme le plus solide possible, il s’était simplement mis en quête d’une éternité et l’époque, prodigue en la matière, lui avait fourni de quoi satisfaire ce désir.

Des gélules à prix d’or, des compléments alimentaires. La sainte spiruline. L’acide hyaluronique. La mélatonine. La DHEA. Les molécules et les découvertes se multipliaient, offrant un éventail immense pour contrer les méfaits de l’oxydation, de l’âge, de la vie. Et lui, il gobait ça, dans tous les
sens du terme.

Il finissait par se nourrir quasiment exclusivement de poudre et des gélules. Quelques fruits bio çà et là. Son pain, il le faisait. Ses jus, il les faisait, avec un extracteur bien sûr pour préserver les fibres, les bienfaits, pour préserver cette fragile promesse d’éternité. Qu’est-ce qu’il se sentait bien! Qu’est-ce qu’il se sentait jeune! Plus jeune que jamais! Une vitalité nouvelle, pure, coulait dans ses veines. L’effort ne l’épuisait pas. Toujours en forme. Jamais vieillissant. Il commençait seulement à ressembler à un être en plastique. Pas grave: le plastique se dégrade moins vite que l’homme!

Ce mode de vie était tellement drastique que sa vie sociale en avait inévitablement pâti: il ne pouvait plus partager un apéro avec les amis. Il fustigeait tous les fumeurs, les buveurs, tous les fainéants, tous ceux qui négligeaient leur corps, tous ceux qui se laissaient vieillir et se plaignaient – les cons! d’avoir mal quelque part. Son mode de vie healthy dénouait un à
un ses quelques liens qu’on dit sociaux. Qu’importe! Les autres ne comprennent rien lorsqu’on les dépasse.

Sa solitude demeurait passablement occupée. Le sport. L’hygiène. Le soin. Il en faut, des heures, pour devenir surhomme! On ne naît pas pérenne, on le devient.

L’héritage de maman était conséquent: la brave femme avait toute sa vie économisé pour lui. Ainsi il pouvait se permettre de s’adonner pleinement à sa quête, sa conquête. Le yoga. Le running. Mais c’est bien la salle qui occupait tout son temps, qui était sa drogue, sa sève vigoureuse.

Chaque jour soulever. De la fonte. Chaque semaine un peu plus. Il y va le matin et il y va le soir. Il soulève inlassablement ces poids qui le rassurent. Dix fois cent fois mille fois. Il en sort épuisé, plus vivant que jamais. Il en sort immortel.

Les courbatures et autres inflammations ne le découragent pas (il existe de nos jours de multiples produits pour contrer les effets de l’effort trop intense). Il est fort et la monotonie de ces activités l’hypnotise lentement. Il soulève et, quand il ne soulève pas, il rêve qu’il soulève. Ses bras, même dans le lit, ont ce réflexe étrange de bouger seuls lorsque l’endormissement est proche. Comme des sursauts de vie. Il soulève. Il redescend.

Il n’y a pas d’autre but. Soulever. Redescendre.

Soulever. Vivre. Plus que vivre. Conjurer la vieillesse, la maladie, la mort. Soulever. Redescendre. Tout le temps. Chaque jour.

L’argent qu’il a placé lui rapporte beaucoup. Soulever. Redescendre.

Un jour, la somme est telle qu’il accomplit son rêve: s’équiper dignement.

Soulever. Redescendre. Son appartement devient sa propre salle de sport.

Plus besoin d’abonnement et plus besoin de salle. Soulever.

Redescendre. De jour comme de nuit. Les autres pourraient voir ça comme un supplice, un enfer, mais il n’en a cure. Les autres n’existent plus.

Il soulève. Redescend. Il ne compte même plus, ni les poids, ni les heures.

Les muscles se bandent, se débandent dans une valse infinie qui s’approche d’un réflexe. Il devient une sorte de balancier perpétuel.

Soulever. Redescendre. La nuit comme le jour.

Et, même lorsqu’il s’écroule sous le poids de l’haltère, même lorsque l’excès de cocktail revitalisant foudroie son organisme – si jeune pourtant, même lorsqu’il meurt, il soulève encore, dans sa tête du moins.

Redescend. Pour toujours.

 

Henri-Pierre Jeudy | Découpe des territoires

Henri-Pierre Jeudy est sociologue. Il réside en Champagne, non loin de la diagonale du vide. Il est à l’origine de la revue Amplitudes, sise précisément sur le territoire.

 

 

Rainer Maria Rilke dans un court texte – « le paysage » – parle de l’aveuglement que produit « l’état des choses » dans lequel nous sommes immergés. « On sait combien nous voyons mal les choses au milieu desquelles nous vivons ; il faut souvent que quelqu’un vienne de loin pour nous dire ce qui nous entoure ; il fallut donc commencer par écarter de soi les choses pour devenir capable par la suite de s’approcher d’elles de façon plus équitable et plus sereine, avec moins de familiarité et avec un recul respectueux, car on ne commençait à comprendre la nature qu’à l’instant où l’on ne la comprenait plus ; lorsqu’on sentait qu’elle était autre chose, cette réalité qui ne prend pas part, qui n’a point de sens pour nous percevoir, ce n’est qu’alors que l’on était sorti d’elle, solitaire, hors d’un monde désert1. » Lorsque je suis en train de marcher sur un coteau et que j’observe à l’alentour, les limites imposées pour la découpe de l’espace devenir plus tangibles, je vois distinctement des fils de fer barbelés qui forment la clôture des champs, des bouts de route, des bosquets isolés, un clocher d’église, une étable pour les vaches en stabulation, de telle sorte que mon regard peut s’arrêter sur chaque détail comme s’il participait lui-même à la distribution des lieux dans l’espace. Au gré de l’apparition des abords et des contours, j’ai cette impression étrange de me trouver à la naissance de la vision quand mon œil vagabonde en scrutant l’horizon après avoir perdu de vue les limites anthropiques de l’espace.

On pourrait considérer aussi que nous avons une conception nominaliste du territoire puisque sa découpe est réalisée par une distribution interminable de noms propres. Ces noms de pays, de contrées, de cours d’eau, de forêts, de villages désignent des lieux circonscrits qui offrent à la mémoire le souvenir d’une autre époque. Cette taxinomie forme à elle seule une lecture du paysage sous un mode pour le moins incantatoire : un nom de lieu prononcé donne à celui-ci une existence. Il est là et non ailleurs. Il ne bouge jamais malgré le temps qui passe. D’une manière allégorique, la représentation de la configuration détaillée d’une contrée peut naître de l’énonciation de chaque lieu, le poème ainsi composé n’étant qu’une suite rythmée de noms propres, lesquels deviennent, comme dans la poésie de François Villon, des noms communs. Cette vision nominaliste est étrange parce qu’elle va de soi, elle n’est plus réfléchie, elle s’impose comme une sorte d’évidence archéologique. Le nom prononcé se donne pour le signe immuable de l’existence réelle du lieu.
Le territoire peut aussi avoir l’air de disparaître dans un espace devenu « réticulaire ». Depuis la fin de la seconde Guerre Mondiale, dans la plupart des bourgades, les nouvelles constructions offrent l’aspect dominant de l’urbanisation des campagnes. Elles rappellent l’habitat des banlieues et enserrent comme un rhizome, le noyau patrimonial des villages et des petites cités. Ainsi chaque « lieu propre » demeure d’autant plus virtuel que l’entrelacs des réseaux semble en majeure partie abstrait – et peu visible – bien que l’urbanisation des espaces ruraux, ait adopté dans les pratiques du zonage, des figures réticulaires rendues visibles sur le territoire. Ce qui triomphe, c’est « l’esprit de réseau » dans toutes les modalités de consommation, et celui-ci a de sérieuses incidences sur le sentiment d’appartenance à un territoire et sur ses limites instituées, ostensibles ou non, en les projetant sans cesse dans l’espace indéfini de la communication. De plus, au cours des changements du rapport entre l’urbain et le rural, « l’urbanisation du rural » se réalise surtout dans le monde virtuel des réseaux et dans les effets de la disparition des modalités anciennes des échanges. Il se forge alors une relation complexe entre l’abstraction de l’urbanisation globalisée et la pérennité des paysages ruraux. Que restera-t-il de la distinction entre la « vie rurale » et la « vie urbaine » ? Des représentations anachroniques stéréotypées qui relèvent de « résiduels idéologiques ». Le maintien de cette distinction assure la vision en trompe-l’œil de ce qui reste de la ruralité. Faut-il se représenter les restes patrimoniaux comme les dernières valeurs d’appartenance au territoire ? Des symboles protégés pour des raisons historiques, épars sur le territoire, figurant une constellation de signes tangibles d’une certaine « épaisseur de l’histoire »…
On dit que le chat marque son territoire avec l’odeur qu’il sécrète. Les humains établissent des limites en opérant une découpe géométrique de l’espace. Les paysans se représentent leur propriété en nombre d’hectares et le bornage des « étendues de terre » semble faire exister la configuration des territoires. De même l’activité des institutions s’applique dans le cadre de réseaux territoriaux qui circonscrivent l’exercice de leurs compétences. Le mot « territoire » désigne une partie pour le moins abstraite de l’espace qui, comme le temps, n’est qu’un récipient vide et sans contour. C’est de manière conventionnelle que la notion de territoire permet de se représenter ce qu’est l’espace.

Quand une contrée se vide de sa population, la représentation du territoire semble se disloquer elle-même. Les habitants sont-ils condamnés à se voir comme « les derniers des Mohicans » dans une réserve d’Indiens ? Ainsi « la diagonale du vide » est une ligne imaginaire qui traverse la France du Nord-Est au Sud-Ouest. La « ligne » contient en elle-même sa part de réalité puisqu’elle est signifiée par des marquages, mais elle est en même temps le fruit d’un certain imaginaire de la découpe du territoire. « La diagonale du vide » est aussi appelée « diagonale des faibles densités de population », ces dernières ayant été provoquées par l’exode rural et par la métropolisation. Le vide lui-même semblerait pouvoir se représenter de manière géométrique. On peut comprendre que l’impression de désertification vienne d’une sensation propre à une manière d’appréhender un territoire. Du coup, elle n’entre pas dans la seule logique des mesures, elle provoque des réactions mentales collectives qui peuvent paraître contradictoires. Le « sentiment d’abandon », souvent invoqué par les habitants d’un territoire où l’isolement se fait cruellement sentir, se fonde-t-il sur la vision de villages et de hameaux dépeuplés ? Les artifices pour combler la prégnance du vide ne manquent pas : des éoliennes imposantes ont été érigées en un temps record pour prouver qu’un pays désertifié demeure au moins capable de servir à la société en produisant de l’énergie bienfaisante. Elles habitent désormais le paysage comme si elles avaient toujours été là pour faire oublier également la présence inquiétante des dépôts de déchets nucléaires. Il est curieux de voir implanter les signes du futur sur un territoire qui offre au regard l’apparence de son déclin. Le miroir de l’avenir se construit là en « rase campagne » avec la menace que provoque la présence d’un des plus grands dépôts de déchets nucléaires et la répétition ostentatoire de ces innombrables éoliennes qui figurent l’espoir de l’humanité.

A l’entrée des villages, sous le nom de la localité, un panneau est partout ajouté, c’est un appel à la vigilance par une « participation citoyenne ». Son pictogramme est un œil bien ouvert, de couleur bleu clair. Les habitants sont si peu nombreux qu’ils se doivent de surveiller le passage exceptionnel, rarissime, d’un piéton inconnu ou d’une voiture qui s’arrête. L’état d’alerte passe pour la condition primordiale de la sécurité. Toute personne étrangère au village devient potentiellement suspecte de déranger l’ordre établi. Un ordre fondé sur la représentation d’une tranquillité rendue elle-même inébranlable par la dépopulation. En somme, les derniers habitants d’un « village qui semble plutôt mort » sont conviés à réunir leurs ultimes forces de vie dans cette vigilance qui consiste à repérer tout comportement intrusif. L’invitation qui apparaît plutôt comme une injonction se fonde sur un resserrement possible des liens de communauté que produit l’émergence d’une menace. En conséquence, l’espace public – les rues, la place du village – est traité comme l’espace privé : au même titre qu’il est « propriétaire de son habitation », l’habitant est appelé à surveiller « ce qui est hors de chez lui ». Il n’y a plus à proprement parler d’espace public – cet espace où l’inattendu reste susceptible de se produire. Même s’il ne se passe rien durant des jours et des nuits, même si les gens « se barricadent » chez eux, l’espace du dehors peut faire l’objet d’une surveillance permanente à partir d’une complicité partagée. Symbole de cette vigilance, l’œil sur le panneau, est orienté vers la route, et non vers le cœur du village. Il semble dire : « vous qui venez d’ailleurs, faites attention, maintenant vous entrez dans une zone sous haute surveillance ». D’ailleurs, dans les petites villes, se développent des réseaux de caméra… Faut-il imaginer qu’un jour, quand il n’y aura plus que trois ou quatre habitants dans un village, un appel à la « visite surprise » sera lancé pour voir au moins quelqu’un de temps à autre. Toujours est-il que le contrôle d’un espace public qui paraît a priori inexistant rend insensée la vigilance elle-même. D’une certaine manière, c’est le vide qui fait l’objet d’une surveillance accrue comme s’il était à l’origine de la menace. Faisant figure de stéréotype de la tranquillité, la « campagne perdue » représente le lieu où l’éventualité du danger devrait être écartée. Et pourtant, l’œil de « la vigilance citoyenne » semble bien annoncer le contraire. Il est un appel à une « machinerie de la peur » comme ultime principe d’un rassemblement communautaire. Les automatismes de contrôle, l’état d’esprit qui caractérisent la surveillance, annulent les charmes infantiles de l’imaginaire de la peur en prenant la figure d’un « système de protection et d’alerte » qui occupe le temps de la vie quotidienne. Depuis l’espace clos de l’enfermement individuel, l’œil vigilant inspectera le dehors, là où, de facto, il n’y a aucune chance qu’il se passe quoi que ce soit. Le glissement de « l’imaginaire de la peur » à « l’imaginaire de l’insécurité » s’accomplit avec l’organisation mentale de « dispositifs de sécurité » qui configurent les modes de relation aux autres. Ce n’est même plus la peur elle-même qui serait le moteur de la « déliaison sociale », ce sont les modalités de sa gestion qui permettraient de recréer une « liaison sociale » fondée sur la délation et la claustration. Pourtant, une scène obsédante hante les gens : mourir seul dans un espace où notre cadavre ne sera découvert que le lendemain… par le facteur.

Quand j’étais adolescent, je me suis trouvé seul dans cette maison où je suis en train d’écrire aujourd’hui, et, la nuit venue, je me suis enfermé dans ma chambre en clouant la porte. J’avais pris soin de prendre à côté de moi le sabre de cavalerie de mon grand-père, ancien capitaine, et un vieux fusil de chasse plutôt rouillé. Même si je savais que de pareils instruments ne me serviraient pas, je préférais les garder près de moi. La fatigue l’emportant sur ma peur, j’ai du m’endormir, je me suis réveillé, il faisait déjà jour. Bien des années plus tard, j’ai pris l’habitude en été de ne plus fermer les portes, je n’avais pas vaincu ma peur, je l’avais éludée, elle était devenue un non-lieu depuis que l’éventualité de ma mort faisait partie prenante de l’horizon de mon existence. La peur peut-elle nous envahir sans qu’aucun signe ne nous prévienne ? Une fois qu’elle nous tient, elle peut s’arrêter sans crier gare ou s’amplifier à tel point que toutes nos tentatives pour la rendre injustifiable sont vaines. La peur du loup qui a fait couler autant d’encre que l’énigme du mont de Vénus viendrait-elle d’abord d’une illusion d’optique ? Le leitmotiv de bien des chansons sur la présence du loup le révèle : je crois voir le loup alors qu’il n’est pas là, et j’en suis si persuadé que j’en ai peur. Mais la peur est avant tout une émotion forte. Quand elle surgit de manière inattendue, elle produit le paradoxe d’exacerber nos moyens de défense tout en les anéantissant. C’est bien pourquoi elle est l’arme essentielle des dictatures : faire régner l’ordre par la peur impose une véritable gestion des émotions collectives. La peur reste comparable à une épidémie, elle est contagieuse et quand elle semble avoir disparu, elle resurgit là où on ne l’attend pas.

Le découpage de l’espace et du temps s’accomplissant toujours dans le vide, je me suis demandé ce que pouvait vouloir dire « être aux confins de ». La signification du mot « aux confins » ne saurait être réduite à celle de « limites » ou encore à celle de « limites extrêmes ». Un territoire, qu’on désigne habituellement comme « se trouvant aux confins d’un autre », est en même figuré comme « étant au bout du monde ». Les « confins » annoncent une limite et en même temps, « ils » représentent l’évanescence de cette limite. Selon Jean-Luc Nancy, « nos n’occupons pas le point d’origine d’une perspective, ni le point surplombant d’une axonométrie, mais nous touchons de tous côtés, notre regard touche de tous côtés à ses limites, c’est à dire à la fois indistinctement et indécidablement, à la finitude ainsi exposée de l’univers et à l’infinie intangibilité du bord externe de la limite. » Ainsi, nos manières « d’être au monde » mettent en scène la figuration de « notre venue aux confins ». La limite est une ligne de séparation abstraite qui ne cesse de se reproduire d’elle-même chaque fois qu’elle semble disparaître. La fréquence de son apparition lui confère la figuration ostentatoire de son excès. Ainsi peut-on considérer que son effacement est inhérent à la surabondance de sa manifestation, et qu’en somme, la limite est en elle-même illimitée. Quand je crois reconnaître que « je suis aux confins de… », je ne suis plus « entre deux » mais c’est tout de même de l’intervalle qu’adviennent les « confins », comme si les limites s’estompaient pour indiquer une direction. Les confins deviennent un lieu de naissance. Plus ou moins aveuglés, nous ne savons pas au juste où se trouve le « bord externe de la limite » et si nous le découvrions, nous serions confrontés à la plus belle des illusions : « le dehors était déjà dedans ».

Mathieu Brosseau | L’amour est art populaire

Notre collaborateur Mathieu Brosseau publie L’Exercice de la disparition au Castor Astral, dont nous sommes honorés de présenter un extrait.
L’Exercice de la disparition est un ensemble de poèmes hallucinés polymorphes et foisonnants dont on comprend et ressent l’évolution et l’unité au fil des mots.

Mathieu Brosseau nous incite à voyager à travers le temps pour atteindre nos fondements, avant même nos perceptions et représentations. À force de casser notre boussole littéraire, de surprise en tournure, de vision en pirouette, il y parvient.” (site de l’éditeur)

Quelqu’un d’hier ou que sais-je, une photo un souvenir,
Grand-ma, mommy ou le cosmos
Un œil tendre le vôtre tourné vers une perte
Une perte qu’on
Vous a apprise une douleur
Comme un plaisir
Un creux dans la route, ça cabosse,
une forme qui rompt, une forme qui heurte et rappelle votre
perte, bébé plus, plus fusion, non
une forme moule, faites
faites couler la pâte en celui
faites couler ce dé hasardeux
ce désir bègue, ce dé
faites le couler amnésique dans le creux
faites-le

— oh qu’il est ame…
— oh qu’elle est moule lave liquide
— oh qu’il est amour bouillon
— oh qu’elle est forme rêvée jamais vue

alors que
toujours le canon tonne il aspire, conformité aspire

Le refrain des amours
Plâtre ce modèle, vous
Coulez votre transport, voix tendre, oh chérie, votre
Désir sans mémoire pour un nouveau temps,
Nouvelle histoire, dans le patron aux mesures de Vitruve,
Mesures connues comme phrase musicale
Quelques notes et s’achève l’histoire

Faites couler votre pâte dans un moule, vous le faites
Vos désirs et oublis, pareils pareils,
deux petites croches sur une partition palimpseste
pareilles pareilles

et si là, vous tentiez telle ou telle couleur,
ou matière, ou approche, ou cette parade nuptiale jamais
encore proposée
à cette douce qui passe
à ce doux qui envole

Désir comme l’oubli, marqueur des présents recommencés,
Désir comme début d’ère nouvelle
Cet amour pratiqué comme sport communautaire
Cet amour réclamant le vide avant l’éruption

Le dedans avant de s’en extraire

L’intérieur et son départ comme un art,
Une recherche instinctive
Et une occupation

— Que croire quand vide ?

Passer le temps pour
revenir sur son arrête
revenir et renaître dans cette tension attirance et mots séduits
mots d’apparat

Mots que vous prononcez

— Je vous ai tant entendus

Vous forgez votre art sans le savoir
Sans mémoire et le reproduisez dans son modèle
Trame d’une histoire connue
Théâtre rejoué encore et toujours

La pâte en ce moule translucide, pensé lévitant sans contours,
La danse nuptiale que vous pratiquez, coulée dans le plat conforme
Et puis l’ajout de vanille, et quelques grains de lits,
Avant d’y mettre quelques déchirures de farine et grumeaux,
Avant d’y mettre le feu, ce four, avant de consommer,

Et le ronron du goût si connu, l’amour de l’ailleurs
Désiré irrespirable

Sorti du moule, l’histoire tient et cet art a la forme d’un oubli
Plus, plus, lassitude a sonné devant le rien restant

Vous le saviez, nécessaire chute,
Pourtant, larmes tombes, théâtre habité d’une vie la vôtre,

— Mets la galette et le petit pot de beurre sur la huche et viens te coucher avec moi.
— Ma mère-grand, que vous avez de grands bras !
— C’est pour mieux t’embrasser, ma fille.
— Ma mère-grand, que vous avez de grandes jambes !
— C’est pour mieux courir, mon enfant.
— Ma mère-grand, que vous avez de grandes oreilles !
— C’est pour mieux écouter, mon enfant.
— Ma mère-grand, que vous avez de grands yeux !
— C’est pour mieux voir, mon enfant.

Et toujours en sursaut le réveil ne pas
Ne pas se souvenir du cauchemar
Vous avez pleuré cette cette
Cette histoire

C’était dit, votre peur vos larmes étaient dites,
L’oubli aussi, ignorer le scénario invite au vide
Invite à revenir au présent un autre

Renouveler sa pratique
Passer le temps dans l’espoir de passer sa peau, rejoindre l’autre

L’amour est un art populaire

Henri-Pierre Jeudy | 3. Torpeur à l’aurore

Pourquoi chaque matin quand je m’éveille, que je vois les premières lueurs du jour, je pense à une aurore future où je n’aurais plus la force nécessaire pour me lever ? Je me demande comment s’impose en douceur dans mon corps tout entier la paresse de vivre. Seule l’ivresse de la mémoire et de ses incohérences me fait oublier l’inertie comme si la déambulation n’était plus qu’un rêve de voyage dans le temps. Quelques fourmillements dans mes pieds me rappellent que je pourrais peut-être marcher. Les chants d’oiseaux commencent, leur cacophonie chasse le silence de la nuit. Je ne sens plus l’épaisseur de mon ventre. Aurais-je perdu toute sensation de mon volume ? J’ai toujours aimé faire semblant de perdre le centre de gravité de mon corps pour tenter de le retrouver à partir de repères extérieurs. Sans un quelconque recours à ma volonté comme si mon équilibre était en train de naître.

 

Quand le froid provoque le désir de ne plus bouger sous les couvertures, la chaleur naissante se lie à la fainéantise qui finit par anéantir l’intention de « faire un geste ». Cette parésie morcelle mon corps, endormant les réactions musculaires de ses membres. Imitant une progression de l’impavidité, elle assure le rythme d’un contretemps à la somnolence. Je peux alors divaguer comme un fou, je viens enfin de perdre l’esprit, ni le temps ni l’espace ne m’imposent leurs limites. Si la mort était représentée par cet état du corps, n’importe qui serait tenté de « passer l’arme à gauche », ne serait-ce que pour goûter les délices d’une attente sans lendemain. Flotter et ne point se soucier de se redresser. Fermer les yeux. Ou les ouvrir. Dans l’indifférence à la cécité.

 

Le monde se compose des images du moment, et celles-ci, je ne les vois même pas venir, elles se donnent l’air d’être toujours déjà là. Je ne les reconnais pas pour autant, ce sont elles qui me signalent avoir déjà rencontré mon regard. J’ai même l’impression qu’elles me font des « clins d’œil », qu’elles cherchent de toute évidence ma complicité. Tandis que de légères crampes s’évanouissent dans mes jambes, peu à peu elles font naître le monde en s’ordonnant pour m’offrir l’apparence d’un récit. A l’arrêt, mon cœur bat plus vite, son agitation excessive vient curieusement de l’immobilité de mon corps. Est-ce l’absence d’intention de « faire un geste » qui l’énerve ? La violence interne de son dérèglement me rend plus léthargique encore, je ne bouge plus, j’écoute l’écho de ses battements accélérés qui résonnent dans ma poitrine. Les images ont brusquement disparu, sans même laisser de traces, ne reste plus que le bruit sourd de cette  arythmie cardiaque pour me rappeler à la vie.

 

Où puis-je aller si je ne peux fermer les paupières pour partir ? Rêver la douceur de l’absence quand celle-ci chasse les désagréments de la parésie. Le lointain ne se représente pas. Le lointain rend pêle-mêle les points de fuite. Et la perspective inversée fait tomber les objets. Retrouver le sens de la vision à partir du plafond blanc, chercher une lézarde aussi infime soit-elle, comme une inscription sur la page blanche. Revenir au rien qui fait naître l’image. Dans le ciel, en contre-haut de la fenêtre, une nouvelle lueur, signe des atermoiements de l’aube.

 

Une forme qui avance, une forme qui prend consistance en se rapprochant. Rupture immédiate de la vision, la forme s’évanouit, devient une ombre animale qui s’évapore à la lumière. Le désir fou de ne pas se lever, de rester « cloué au lit », de s’abandonner à l’impossibilité mentale de « sortir du lit », de somnoler sans fin à contretemps. Je m’imagine revenir du « royaume des morts »,  faire quelques pas autour de mon lit comme si j’apprenais à marcher. Par la fenêtre de gauche, je vois les traces d’autres ombres nocturnes en train de disparaître, j’entends l’écho d’une voix macabre interrompue par des cris d’enfant, tels de joyeux contrepoints qui se mettent à rythmer mon souffle en chassant les ultimes esquisses d’un râle. Avant de sortir de la nuit, j’ai eu l’impression de traverser un champ de ruines majestueuses dont les hauteurs variées évoquaient des pics de cathédrales restées longtemps englouties par la mer. Pourquoi je m’acharne à construire encore un tableau avant d’ouvrir les yeux, avant de voir le jour ? Serais-je en mesure de combler le vide avec des images pour faire exister le monde ? Pouvoir inutile puisque le monde n’a pas besoin de moi pour exister.

 

Franchir cette porte, aller de « l’autre côté », revenir sur mes pas, se laisser prendre au piège attendu de la raison qui ordonne un sens. Et les paupières se ferment sur un glapissement saugrenu. Le jeu n’en vaut pas la chandelle. Il faudra recommencer. Il y a de moins en moins de coqs pour chanter l’aurore. Les scènes des années de l’enfance prennent l’allure d’un futur déjà passé. Elles reconstituent leurs propres détails puisque rien n’a été oublié, elles fabriquent le décor de ce qui est advenu pour demain. Un futur à l’envers, un futur qui ne s’épuise jamais à rétablir l’ordre des choses.

 

C’est la campagne de France, 1815, quelques grenadiers de Napoléon se sont réfugiés dans le jardin pour bivouaquer. Un artiste peint un tableau à côté de mon lit, il a posé son chevalet près de la grande armoire. Il vient de se tourner vers moi, il dresse son bras droit, écarte son index et son pouce, se met en posture d’évaluer à distance, la mesure de ma tête, je me soulève, j’aperçois la forme de mon visage près d’un brigadier qui tient un mousqueton, je ne veux pas entrer dans l’Histoire, il faudrait que je parvienne à le lui dire, à cet artiste qui ne m’a pas demandé mon avis. J’ai cru aimer le Petit Caporal. L’amour en masse appelle la mort en masse. A l’époque, il y avait de la neige partout dans la campagne. Je m’oblige à commencer par dire « à l’époque » pour éviter la confusion. Est-ce une manière de se donner l’impression de « remonter le temps » alors qu’en remontant le mécanisme d’une horloge, on perpétue le temps, on assure sa durée. Le peintre m’a fait un nez trop gros. Je ne l’apprécie pas. Je vois bien qu’il n’a pas l’intention de rectifier ce que je considère comme une erreur intentionnelle. Pourquoi le peintre se moquerait-il de moi ? L’image disparaît brusquement comme un cliché retiré de ma vue par une main inconnue.

 

Je chasse l’idée qui s’impose selon laquelle je pourrais ne plus me lever, ne plus mettre mes deux pieds sur le plancher. Je la chasse parce qu’elle me retire le plaisir d’imaginer que ma position horizontale est identique à ma position verticale. Chaque fois que j’ai vu un lit placard, j’ai pensé que s’il ne s’ouvrait pas, c’était le mur qui, de l’autre côté, s’abaissait. Le cœur de la question – la conquête de l’indistinction entre le vertical et l’horizontal -, n’était autre que « l’évanescence de la charge pondérale », le lit se renversant pour retrouver sa position initiale. Seuls les plus gros sont naturellement prédestinés à vivre une telle expérience.

 

Quand je me lève la nuit pour aller dans la salle de bain, je traverse le couloir de l’antichambre, et chaque fois dans la pénombre, avant de pousser la porte, je tourne la tête vers une sculpture sous cloche posée sur un meuble adossé au mur, je suis persuadé qu’elle m’observe, je crois même qu’elle m’interpelle. Je sors un instant après, je la revois de face, toujours inquiétante avec cette tête de femme en folie et sa robe bouffante. Il m’arrive d’avoir la brusque certitude de pouvoir m’écrouler là sur le champ, d’agoniser sans réussir à pousser un cri. Ma femme m’a avoué un jour que cette sculpture en terre cuite, elle l’avait conçue au moment où elle allait au plus mal dans sa vie, en ce moment où elle avait cru perdre mon amour pour elle. Croiser en pleine nuit l’expression du désespoir de l’abandon dans cette vaste antichambre ne peut que me donner l’envie de me réfugier dans mon lit et de nier le monde. Toute l’histoire du monde. Je n’ai plus alors le moindre désir d’ouvrir les yeux, le noir absolu absorbe les ombres de la mort.

 

Les ciels se succèdent, s’enchevêtrent pour s’évanouir à la lueur aveuglante de la lampe de chevet. Les couleurs de la nuit n’épousent pas toujours la couleur du temps dont on ignore le nom, elles la détournent et la contournent en s’étirant jusqu’à l’aurore. Apprivoiser la mort en lui souriant pour lui indiquer qu’elle doit me laisser aller plus loin. L’attendrir en lui montrant que je ne suis encore qu’un enfant. La convaincre de revenir plus tard sans prévenir. Elle n’a plus besoin de s’annoncer. Elle est trompée par des sourires qui me donnent la vie.

 

Elle, elle s’est mise à chanter « qui sera saura », j’entends sa voix légèrement rauque, pourquoi n’arriverais-je jamais à me représenter ce que peut être le timbre de sa parole ? Le sourire de sa voix, la vibration des mots, et les souffles effleurés des sons qui viennent de sa gorge endormie. Il me suffit de baisser les paupières pour entrer dans ses limbes organiques, paysage du vivant d’où naît l’aspiration. Reconnaître encore l’instant où le seuil de l’existence est précédé par une bouffée d’air salvatrice. Les mystères continueront à soulever des questions sans réponse, l’interrogation au rythme de son essoufflement retrouvera cette quiétude d’une sollicitation de la vie. Mais rien ne peut révéler ce qui est pourtant en mesure de l’être.

 

 

Luc Garraud | Mon verre est plein d’un liquide à boire vite

boire trois gorgées à la foire
sous la pluie glacée des tiroirs
reprendre en main tout l’attirail du début
se fendre en deux
racler avec une raclette
s’allonger dans le sens des mailles
passer sans rien percevoir
plier le tissu dans la longueur
se faire tondre comme un tourton
verser l’eau des averses
hors du cadre et des contours
se sortir du bain
je transmets
une main après l’autre
le pied qui me reste
brutalement lancer une jambe
cassée, osseuse, brique après brique
monter à la hauteur
ratisser les flocons qui fondent
le sable de ma chemise est une ruine
la plupart du temps la forme est en fait tordue
retroussée comme un ourlet
que le sel dépose en nappe fragile
sous les pieds des baigneurs agiles
courir sur la plage du livre
c’est encore avril pour deux mois
arriver à suivre les astres
aussitôt que la nuit s’étend
je m’éteins
sur la voie du tram je marche sur une noix
la friche de papier est en carton
un enfant qui traverse en courant
je suis dans un café Vert,
un citron amer servi dans un verre glacé
ce ne sont jamais les mêmes choses qui se font
je regarde au même endroit
le sang de ton ventre est usé
mon vieux chien est sourd
les leçons perdues sur des tables renversées
une pincée de sel dans un plat oublié
marcher longtemps le long des haies
ce qui sépare les saisons
ne jamais mûrir
sur le dos de ma tortue,
je m’avance dans les fraisiers
j’ai les paupières qui s’ouvrent
qui se ferment comme un store tranchant
l’amertume sucrée des cafés corsés de la nuit
frissons de la lame émoussée de ma hache
il neige dans ma tête
paniers pleins, lits bordés, chemins assurés
étonné de me voir dans le miroir
me casser les dents sur un marshmallow
traverser un troupeau de pamoisées
tremper ma main dans l’eau pour soulever les choses
tout faire en un rien de temps
j’épaissis ma crème avec de la crème plus épaisse
je joue mon âme à la roulette
je bouillonne comme une huître dedans
se hâter de dire n’importe quoi qui puisse être entendu une fois au moins
se voir finir au fond d’une marmite
les couverts sont mis sur la table
les assiettes creusées par le sel
l’ail me pique la lèvre gercée
attendre que tout passe
aller partout pour connaître la fin avant
s‘affamer d’herbes piquantes et de mie de pain
je me vois à 10 ans et plus
dans les draps d’une anglaise
frémir aux choses vues par les autres
mon verre est plein d’un liquide à boire vite
sur le tapis je suis couché sur le côté
ce monde rapide qui nous rentre dans la gueule
partir avec la clôture
mon cheval scellé qui saute
tous les mots sortis du corps à force de sueur
libre dans la vague du canal
je vois trouble
l’affolement du sable entre les doigts
La vie de ma chambre est exacte
les pas secs entendus sur la terre des mendiants
aller partout pour connaître la faim
rouler mes poings dans le foin
un quartier de pomme fendu sur la langue
deux mains dans ma poche à chercher le boulon de l’écrou
les lentilles sont vertes comme des cailloux
fabriquer des ustensiles solides et costauds pour partir
ma valise est pleine de vide
pour aller là-bas en bas
des escaliers blancs dans la poussière des marches
le chemin avec des nuages noirs
mon foie se ride
je tousses tes organes dans la rue
je balaye encore
frotte toujours tu m’intéresse
filmer avec mes seuls muscles
le cœur écrasé par la pluie
embourbé dans mon sommeil
mouiller les entrailles
je m’endors
le pendule s’arrête là
ta main est morte dans ma main
liseré de ta manche en velours brûlant
j’écrase un fruit sec sous ton genou-rotule
ici et là c’est pareil
je vois comme avant
trois saphirs safran incrustés dans tes dents
le dos adossé au mur de chaux
mon verre est plein d’un liquide à boire vite
au bras, à la hauteur des herbes
mes pieds poussent
à rester là en voyage, assis
je suis au sommet pour voir que j’y suis
en bas pour voir le haut
je revois ce que nous avons fait
on ne recommencera pas
me laisser faire et toujours avec
la somme des mètres à refaire à pied
longer les crêtes et voir ce qui nous attire
la confiture n’a pas pris une ride
le jour où je suis descendu
trois journées passées sous les arbres au bord du fleuve
débarquer un lot de planches de sapin
voir une dernière fois
la révolte de ma route
j’ai repris mes notes de montagne
chaque crête ou j’ai cru tomber vraiment
je crie à chaque étage
sur le palier en carton où je patiente
comme l’algue marine bleue
rien dire de plus
pourquoi une fois de plus je me suis fait prendre par la nuit
mes pieds invisibles dans l’eau chaude
hacher la terre
broyer le temps
le tas de cailloux de générations
c’est un excellent médecin ce Monsieur Caverne
sa chaloupe est pleine
prendre la berge le soir venu
se revoir dans le même film
tu ne peux pas être désespéré quand t’es nul
l’origami de ouf est dans le bourgeon du poirier
déplier sa voix rauque qui parle des pierres usées
pose l’œil
il y a peu de choses à comprendre
tu as recours au même tamis
rien ne dépasseras
les feuilles défroissées des arbres lancés comme des vagues
l’agonie du grain de poivre dans le moulin
des reflets changeants selon la lumière reçue
chanson au ton des amours déçus
prendre la photo qui restera dans la boue des flaques
les photos ne seront jamais développées
les oiseaux méchants défilent dans la brume des arbres
le cirque s’est dissout sous l’acide acétique
les reins qui calculent
les quilles couchées le long du quai du bowling ambiant
Je brasse les saisons
je ne reconnais plus ma peau
plus tard est passé
les journées se pendent aux branches
mon nez sur mon cœur se rejoignent
un escargot vivace et sans coquille
passer partout où je passe
traverser sans moi
les rivières, les fleuves
le point complexe au crochet
le déroulement qui met longtemps à se dérouler
on voudrait vivre comme des indiens
parler comme eux, avoir les mots, les mêmes mots
depuis longtemps que l’on bricole dans nos têtes des choses qui tiennent debout
avoir les mots des indiens
marcher en dehors de la forêt
courir les champs
longer la ligne tordue des lisières
depuis le temps
elle n’a pas besoin de mémoire la mémoire
le train de la plaine déborde de toute part
il faut passer beaucoup de temps à s’abrutir
lire un livre en regardant les gens de dos
ouvrir des bières
en fermer
mettre de l’eau dans ton venin
froidement comme ça
je reviendrais avec ma camionnette
chercher les oiseaux dans les combles
ta vidéo gratuite des tracas
et une autorisation à mollir
je me gomme
le ressac plaque au rocher ton emprunte
crache-moi ton ordre
ta méduse sale
ta cécité
tu veux faire quoi avec ça
des piqûres
n’en parlons plus
le bruit est dans un sachet
dans le gras du jambon
si vous saviez l’ombre qu’on traverse
les petites choses étranges
la fièvre qui rattrape les trucs en bout de course
impossibles à dire aujourd’hui
avancer jusqu’à l’arrêt
le vide du temps que tu me prends
les robots qui durent le temps des piles
serrer l’une contre l’autre les secondes qui te restent à m’écouter manger
aspirer les morsures de l’ours qui crache sa forêt
enterrer ta terre

Amélie Guyot | Là où se fissurent les plans d’évasion

Amélie GuyotAmélie Guyot est une artiste française née en 1985. Formée aux lettres et aux beaux-arts, elle pratique les écritures contemporaines (scénario, poésie-active, vidéo, installation, lecture publique, radio..) où elle questionne le rapport à l’invisible et les troubles du langage liés à l’incommunicabilité qui sépare les êtres. Elle pratique la poésie performative, a animé plusieurs émissions à Radio Panik Bruxelles, a gagné un prix littéraire à Québec, et a collaboré avec plusieurs collectifs à l’instar de zeTract. Ses textes et ses photographies argentiques ont été publiés dans diverses revues comme FPM, Revue la revue, Dissonances, Ornata, LlCHEN, SHEGAZES, Journal de mes paysages, La Piscine.. On peut découvrir un échantillon de son travail ici _ http://luldefalterin.tumblr.com/
et ici https://soundcloud.com/lul-de-falterin

 

 

Au départ de l’écriture, il y a un déménagement et une installation, il y a le fantasme récurrent d’un lieu neuf, espace de tous les possibles. Il y a également une rencontre entre deux trajectoires d’auteures. Et cette observation commune dans nos pratiques de scruter l’espace pour mieux comprendre le monde. Et c’est naturellement depuis que je vis en Provence, que se sont succédés un ensemble de questions, attachées à la forme même de ce territoire.

Ces questions se muent en désir, et ce désir s’ouvre à la marche, alors que se trouve souvent dans une forme de liaison libre avec le paysage ce qu’on cherche en soi. Les arbres, les eaux, la terre composent une unité dans la mesure où ils se mélangent sans sélection, règles ni hiérarchie, aux paysages parfois violentés par l’homme.

J’ai toujours été fascinée par l’influence de l’espace sur la vie des gens. Comment l’un contamine l’autre. Où se jouent les jeux de pouvoir. Quels seraient les rites de passage. À ce questionnement s’est greffé la découverte des rites aborigènes pour lesquels il existe un lien viscéral entre la terre et le chant, alors que la tradition indique que pour aimer sa terre on doit la chanter. Et qu’à contrario un lieu dés-aimé est un lieu qu’on ne peut plus chanter, et qu’un lieu sans voix reste une terre étrangère. Rituellement sont chantés tous les vivants et tous les lieux du pays que l’on habite. Ces louanges ont pouvoir de régénérer l’espace et ceux qui l’habitent.

Finalement écrire, c’est ne pas savoir, et ne pas savoir ne conduit pas au silence ou à une imagination sans rapport avec le « réel » mais au dépliement d’un ensemble de possibles /tous également affirmés en même temps. Pensé selon un principe d’entonnoir, du territoire aux individus qui l’animent, avec _ là ou se fissurent les plans d’évasion on reste au ras du sol, errant entre des fragments raccordés de proches en proches. Il ne s’agit pas tant d’une enquête sur le territoire, mais d’un chemin lézardé de trous et de fragments qui ne s’enchainent pas nécessairement de manière chronologique ou rationnelle. Les morceaux disjoints définissent autant le travail de la mémoire d’un lieu que le récit volontiers décousu, traçant ses chemins à travers une forme d’incohérence, liée aux trajectoires humaines.

 

 

il y a accroché au cœur
de la baie les nerfs tendus d’une querelle
sans cesse échauffée c’est la ville enclavée
entourée de massifs fondée près de l’embouchure du Rhône dans un golfe isolé
éclose pour un recoin de mer ce sont les axes de transport
coupant le territoire c’est le cœur fragmenté du plateau nord
ce sont les quartiers les plus
pauvres
jouxtant les pôles rénovés
c’est Euromed /Acte 1
310 hectares au périmètre
170 supplémentaires à l’Acte 2
c’est le théâtre des banques des compagnies d’assurances et des entreprises de commerce international
ce sont les espaces portuaires
limitant l’accès à la mer
c’est la vielle division du nord
et du sud
inversée ici c’est la porte d’Aix ouvrant sur les anciens remparts ce sont les zones urbaines qu’on appelle
_ sensibles
c’est l’habitat ancien
dégradé et les immeubles évacués en urgence
c’est l’arsenal des galères
dont il ne reste presque plus rien c’est la grande aventure de la montagne
qui persiste
des calanques /aux coups qu’on reçoit

c’est le rouge pierre

c’est là
où se fissure la terre

conjugué au passé des terrains d’embuscades c’est le fluide du vide
violine
des ciels la nuit tombante c’est le noir soleilleux qui a déserté la ville illuminée c’est la promesse du Prophète
le parc balnéaire du Prado
la Pointe Rouge aux couleurs des petites falaises la douceur populaire de la Vieille Chapelle
et toutes ces plages essaimées jusqu’à la Madrague c’est l’île de Calseraigne et les contes d’If
c’est le bord de mer
ou un enfant
sur deux
ne sait pas nager c’est sa langue qu’on cherche
dans celle des autres c’est le temps qu’on lui accorde
c’est le bleu méditerranée
qui me donne une joie
que les mots ne m’apportent plus c’est l’archipel et ses plongées marines
c’est la langue française
qu’on accoste en explorateurs
égrenant les lieux d’exil
jusqu’au dernier
c’est l’échec qui n’est pas dans le retour
mais dans le départ
c’est la mère qui nourrit sa famille des poubelles éventrées ce sont les petits métiers qu’on croyait oubliés
ferrailleurs et chiffoniers c’est la pluie diluvienne ou l’eau ne sait plus s’écouler
c’est la terre primitive
le ventre d’origine
le comptoir des marins et des marchands le miel des armateurs
des négociants des fabricants d’huile
des raffineurs de sucre et des savonniers c’est le bal des soieries et des épices
des bourses d’esclaves et d’affranchis c’est le terrain des premières pandémies
c’est la masse
dure
ou que le regard se pose la terre d’ocre et l’arrête accrochée
ce sont les cartes
bosselées
ou se masse une lumière vive
ce sont les chants l’électricité tristes ou se brûlent les égalités
c’est la règle fixée par les gangs et la tenue des quartiers pour que les sirènes s’en éloignent
c’est l’autorité du trafic au sortir des écoles c’est la saleté l’usure l’effondrement la vétusté
le royaume des rats
au cœur de la magistrale beauté
_

là-bas
la végétation se mêle aux portiques des palais
l’union du dedans et du dehors rendue possible
par les matériaux nouveaux
derrière la belle couleur feuille morte lambrissée
des bâtisses d’arrière-pays
le progrès se mesure au ciment à l’acier et au verre
ici
on entend
239 chemin de Morgiou
quand le désir s’accroche aux parpaings à la faveur d’un temps liquide
moite
aux heures chaudes l’orée d’une semi liberté chantée
des barreaux aux familles parfois un mot
perce c’est lui qu’on retient
ce sont les chants d’attente et de courage qui dépassent les numéros d’écrou
c’est l’union du dedans et du dehors pour le maintenant
et le plus tard
les mots brûlent les questions fondues
dans les affections du soir avec la vie
à vivre
là-bas
dans la garrigue bruissements vacillements l’incalculable des distances
à parcourir
tout n’est pas joué ni dedans ni dehors
ni ensemble ni séparé
les voix s’élèvent racontent les étoiles les bonnes
sous lesquelles certains seraient nés ployables
en fonction des collusions
et de tout ce sur quoi on mise au prix parfois
de la liberté
il y a caché sous les pierres et les résineux des verdicts
et le marquage du territoire les voix s’élèvent
comme principal événement de la journée on y cherche
des fissures et des plans d’évasion on y superpose
par effets de peau
poussés par leur milieu
la vie
à la vie
on fait
…..

dans les gorges le vent s’engouffre et chante le visage d’un homme
comme se peignerait celui d’un autre

on reconnaît sur sa peau grêlée de soleil
le limon et le travail au noir de la centrale hydroélectrique
on voit
dans l’inquiétude des yeux
la différence de densité
entre l’eau douce
de St Chamas déversée dans l’étang
et la mer y entrant

on voit en profondeur
deux motifs enlacés
que l’oeil
ne saisit qu’à tour de rôle
le droit capte l’usure du dos
et l’arrachement des membres à l’industrie quand le gauche devine les arrêtes et les voutes
l’immortel bâti de ses mains les premiers viaducs
l’eau transportée par et pour
les hommes

pierres et ici à côté
le plus grand du monde 130 mètres de dénivelé
82 de haut 375 de long
12 arches coiffées de 15 arcades

après

pierres

pièce maîtresse du canal
acheminant de la Durance vers Marseille pendant les sécheresses
la vie
l’eau en pénurie

l’eau
franchit la vallée de l’arc
enjambant
rivières routes et voies ferrées
l’eau
comme milliers de petites rigoles
qui auraient abouti au même nœud formant un piège d’impatience
prêt à déborder

plus tard cette femme traverse la rive la fait rejoindre à cet homme
avec dans les mains l’image du futur
……

ce matin on entend la voix de l’homme trancher le trafic
des compagnies aériennes à bas prix

l’homme dit _ j’ai peur de me lever un matin et voir que tout a soudain disparu

l’homme surveille de sa fenêtre le terrain vague massé aux confins d’une rue pentue
qui avant fut un verger
et avant encore un marécage
et bien avant une roche jurassique qui n’a pas de nom
sinon dans la langue des choses oubliées
aujourd’hui on y devine entre les petits larcins et le bossellement aride des sols
aux pentes de la montagne la procession de promoteurs de géomètres
de spécialistes qui mesurent qui comptent qui échellent
avant le balais des bulldozers avant l’assemblage d’ensembles à loyers modérés
avant le grand larcin de la terre rouge

l’homme aime son pré carré
essaie de comprendre la logique urbaniste des périphéries
l’homme est la périphérie assigné et résigné aux lisières

il écoute
ise rend à des assemblées qu’on appelle citoyennes
il entend des choses comme _ ré-habilitation des espaces nus/
optimisation des places de parking végétalisation des murs/ éclairage à faible coût/
moyens de lutte contre l’incendie/ voiries réduites

l’homme
répond que le loup mange brebis et chèvres
quand l’homme-loup dévore sa propre mère

l’homme va pécher le matin
au frémissement de l’aube avec ses fils
ils prennent leurs cannes et un sac bardé de pain rassis

sur le récif l’homme harponne un poisson qui renaîtra petit homme
dans le ventre de la femme qui l’a mangé et le goéland qui les surveille
peut-être est-il ce matin
en même temps
un goéland et un aigle l’avatar d’un être aimé
l’homme dit à ses fils
je suis l’arabe des Hauts-Plateaux personne ne m’attend
je suis le fils du pays natal duquel on revient pas je suis le banc de poissons
et son cortège d’esprits
venu chercher mon corps fatigué

le miroitement du soleil augmente la langueur aoutienne
les pensées deviennent métalliques bientôt fondues à l’eau salée

sur la roche rouge
les fils regardent la ligne d’horizon rosir
et dessiner sur l’eau un cercle vaste

on note le rapport entre l’Éblouissement
et la petitesse de ce que nous sommes

ils ne disent plus rien ils pécheront en silence
jusqu’à être vaincu par le vent
…..

la ville portait des maisons basses trois étages maximum
la femme essayait de regarder le soleil en face sur ce petit pan de mur ocre
le plus bel endroit du monde et ça lui brûlait les yeux

je me souviens
qu’elle s’intéressait au soleil et aux ombres
et pendant qu’elle s’aveuglait
elle avouait ne jamais voir les oiseaux manger
le pain et boire l’eau
qu’elle abandonnait sur un bord de fenêtre
la femme me parle longuement
des êtres
qu’elle ne voit plus leur passage
est uniquement signifié par l’absence des choses

les nuages forment
au loin
son territoire
augmentent son domaine d’évasion

elle regarde par dessus mon épaule comme si elle y rassemblait une harmonie de terre
d’eaux d’arbres et de lumière un espace sans destination
où elle aime se promener et porter son regard

la femme panse les plaies avec des herbes elle fait pousser la sarriette
dans les vestiges du souvenir

elle donne au vide l’importance qu’il mérite et qui fait qu’il n’est plus le vide
mais un entier

elle considère les fleurs saxifrages là-bas le mur fissuré
l’orage à venir
…..

Milène Tournier | L’influenceuse influencée

Milène TournierMilène Tournier est née à Nice, en 1988. Elle est docteure en études théâtrales. Sa thèse, dirigée par Hélène Kuntz, s’intitule “Figures de l’impudeur: dire, écrire, jouer l’intime (1970-2016)”. Son texte « Et puis le roulis » est édité aux Editions Théâtrales. Son texte « Nuits », un monologue insomniaque, est édité aux Editions La Ptite Hélène. Elle pratique l’écriture vidéo et partage régulièrement son travail sur Facebook et sur Youtube. Certains de ses poèmes sont publiés dans la revue de poésie contemporaine « Place de la Sorbonne ». En 2017, elle tourne dans « Automne malade », un court métrage réalisé par Lola Cambourieu et Yann Berlier. Elle est par ailleurs professeur documentaliste dans un lycée professionnel. Elle participe en 2019-2020 au programme de résidences d’écrivains de la Région Île-de-France. Son premier recueil de poésie, « Poèmes d’époque », a été édité en 2019, dans la collection « Polder » de la revue «Décharge », préfacé par François Bon. Son second recueil de poésie, « L’autre jour », paraîtra au printemps 2020 aux éditions Lurlure. En 2019-2020, elle écrit, sur une commande de Lena Paugam, « Lamentito » (festival d’Avignon 2020, théâtre du Train bleu), une pièce de théâtre épistolaire, une lettre écrite et dite à l’intention d’un spectateur inconnu, dont on ne sait plus rien, qui a disparu depuis longtemps et qui, peut-être, est dans la salle.

 

 

Sortes de “pain du jour”, je marche et filme des bouts, des moments de ville, à partir desquels, le soir, j’écris. Je voudrais, iphone en main, débusquer la poésie du quotidien, la vitalité du banal. Le souvenir, pour ces marches d’écritures, des fugues de Rimbaud, de Charleville à Paris. Le souvenir de sa fuite, un matin quitter l’Europe. L’autre continent, comme godillot gauche et droit, de l’Afrique, l’Abyssinie finale, le rêve de Zanzibar. Il n’y a pas de nouveau monde à découvrir qu’à creuser celui ci qu’on a là sous l’ongle, et comme des Antigones aller déraciner les lumières. Quel nouveau rapport inventer, au temps, au flux, lorsqu’on a avalé l’idée de la fin, de toute fin, en même temps que celle d’éternité, de sans doute quelque part l’éternité ? Quand zoomant à deux doigts sur l’écran et la petite pupille de la ville reproduite, j’écarquille, sans l’éponger, un mystère. A l’inverse des « influenceurs » de Youtube, être influencée, infusée, et livrer ville et je à la youtubéance.

 

Contextes

 

Extra-textes

 

Fins de textes

 

Inter-textes

 

Bonus-textes

Pierre Antoine Villemaine | Quelque chose ici comme une vacillation

Pierre Antoine VillemainePierre Antoine Villemaine est metteur en scène, écrivain, artiste et enseignant. Chargé de cours à l’Institut d’Études Théâtrales de Paris III, directeur artistique des Ateliers de lecture à haute voix de la Bibliothèque Publique d’information, Centre Pompidou (2001-04).

A mis en scène des oeuvres d’Artaud, Bataille, Blanchot, Celan, Duras, Genet, Giacometti, Handke, Jabès, Kafka… A organisé et participé à des rencontres et colloques notamment sur Artaud, Jabès, Blanchot, Celan, Michaux…

A publié de nombreux articles, récits et poèmes en revues : Remue.net, N4728, Ralentir/Travaux, Revue des Sciences Humaines, Revue d’Esthétique, Théâtre/Public, Europe, Le Nouveau RecueilSens Public, Communications

 

Quelque chose ici comme une vacillation. Hésitation. Tu vois clairement que les mots te déportent au delà de toi-même, vers des régions pas toujours plaisantes. Dans l’après-coup tu t’en désoles mais la route t’emporte et tu butes maintenant sur les pierres, tu t’enfonces dans la boue des chemins, sous l’orage des éclairs silencieux strient l’horizon et tu pénètres dans un brouillard étrange et beau, rassurant, tu erres longtemps entre les arbres fantômes, tu as perdu le nord. Nous te retrouvons beaucoup plus tard, tu es à genoux, tu te cognes le front contre la terre. Plus tard encore, nous te voyons redescendre vers la vallée, dans les éboulis qui pleuvent autour de toi, tu dévales les pentes escarpées en riant, tu te retrouves, tu te surprends. Ô délice alors de s’éveiller, comme on ressuscite.

*

Il portait en lui cette sensation d’être n’importe qui. Sans lieu et sans nom. Parfois sa pensée se retirait et il sentait qu’il s’évaporait doucement dans l’air. Ce n’était pas désagréable. C’était comme un évanouissement, un lent engourdissement auquel il s’abandonnait volontiers, un doux sommeil dans le froid, dans la neige. Ce motif lui revenait sans cesse et il ne pouvait pas s’en défaire. Il avait souvenance que le froid accroissait la clarté des choses, augmentait la netteté de leurs contours. Cet arbre effeuillé dont le tronc et les branches fines se découpaient si vivement du ciel lui en avait apporté la preuve. – Oui, je le connais votre arbre isolé au beau milieu d’un champ, je le vois bien, on dirait qu’il est peint à l’encre de Chine sur le paysage. – Vous le voyez souvent ? – Non, je ne veux pas le déranger, il est fier et je préfère le laisser à sa solitude.

*

Depuis le haut de la montagne son regard caressa longuement le paysage. L’atmosphère était limpide, immense et légère. Il accompagnait les nuances de la lumière, les caprices du vent. Il se pencha et suivit des yeux les courbes du fleuve. Il vit le haut clocher de pierre grise et au lointain les collines qui protégeaient la vallée. Oublieux de lui-même, il surprit des formes mouvantes dans les nuages. Quelque chose se défaisait. Il perdit son assise et demeura indécis dans un fragile équilibre. Il aurait voulu saisir l’occasion mais il n’était pas encore prêt. Il se sentait à l’étroit dans son corps. Il aurait voulu être plus léger, plus aérien – un oiseau sans doute. Mais déjà il n’était plus de la terre, il flottait légèrement au dessus du sol. C’est ainsi qu’il voyagea au delà de ce qu’il y avait à voir et s’abima dans la transparence du jour.

Jolyon Derfeuil | Poèmes et Pixels

Jolyon Derfeuil

Jolyon Derfeuil

Né à Angers en 1971, Jolyon Derfeuil s’est d’abord découvert une passion pour la poésie dès l’adolescence, au sein de l’atelier théâtre de son lycée, reprenant des textes de Raymond Queneau pour les jouer sur scène. Il découvre aussi Pierre Reverdy, Antonin Artaud et les poètes surréalistes. Dans la foulée, il fréquente plusieurs ateliers d’écritures et intègre la rédaction de diverses revues… Après des obligations malheureusement militaires, il entre à l’université d’où il ressort avec une maîtrise de lettres modernes et surtout l’envie de faire des films. Il réalise un premier court-métrage, « L’homme qui sentait les livres » qui obtiendra le grand prix du festival du film artisanal de Joyeuse en Ardèche.

La suite de son parcours s’illustre dans l’associatif, l’écriture de scénarios, la réalisation de films ou de clips mais toujours dans un esprit d’indépendance sans pour autant délaisser l’écriture poétique.

De 2005 à 2010, il anime entre autres des émissions de radio consacrées auSlam et au cinéma sur la radio angevine alternative « Radio G » et fait des improvisations poétiques en direct dans une autre émission dédiée au Free Jazz. En 2012, il crée son association, les « Films d’Albert ». Depuis 2016, il intègre le Collectif du Printemps des Poètes d’Angers ou il crée des performances poétiques mêlant textes et vidéos comme « Poèmes & Pixels », « La Tignasse » ou « La gorge ».

Filmographie sélective : « l’Homme qui sentait les livres » (2001) ; « Cœur à la peau dure » (2003) ; « Une pièce unique » (2012), « Poèmes & Pixels » (2015)

 

 

1. Le même en bleu

J’étais un réfugié

Dans un ciel de passe

Un dieu ventriloque

Me disait la route

Au sortir du rêve

La terre se retournait

J’étais un insoumis

Qui mourrait de faim

Avec les fantômes

Un vent bien monté

Me faisait marcher

Et les mots toujours

Etaient les premiers

J’étais dans un mauvais rêve

Où de lents miroirs

Reflétaient le soir

Un oiseau sur l’oreiller

Me regardait parler

C’était avant la mort

La vie des paupières

J’avais comme survivant

Mon chien d’étoile

Compagnon précoce

Qui pissait sur mes silences

Et l’odeur me remontait

Comme la mémoire

Revenait par la pluie

J’étais un petit garçon

A l’école des poux

Un maître buissonnier

Me faisait la leçon

Et j’apprenais à courir

Pour devancer l’aube

2. Murmures de secours

Pas d’orage ce matin.

Mes oreilles dans l’embuscade du silence.

Dernière dédicace du jour, sur une route de campagne

Celle qui glace et glace encore

Même à midi pile.

Sur ce territoire qui n’est plus le mien

Un futur peut-être, jettera l’éponge.

En route vers de nouveaux canaux.

Des récifs et des coraux de terre Gravent dans ma bouche

Le vœu de la soif ou de la corne.

Je ressuscite le vieil instinct des hommes.

Un ciel blanc tourmenté de corbeaux

Eclaire les ruines de mon ancienne urbaine.

Comme la solitude est propre

Pendant le corps immobile,

Celui que j’ai défait de mon ombre solaire

Et refait sous les rayons de lune.

La langue tourne à vide.

Projet de viande, sons des papillons Un peu d’enfer pour revivre.

Maintenant je suis un minéral.

Je suis l’eau de la sueur

Qui débordait mes tempes.

Ultime livraison de l’humanité

Avant la mort du temps.

Je peux pleuvoir sur un champ de blé

Et penser infiniment.

C’est une planète désertée de ses poètes,

De ses milliards de rimeurs fous,

Une planète ravie de ses nerfs…

O mortels, morts de chaud,

Vous pouvez croire et être crus.

Moi, j’écris en marchant

Car c’est le début de l’exil…

Je décrète

Une solitude de combat Et le renfort des oiseaux.

3. Réfractaire

Ce soir

Ce soir, gorges pleines, oreilles internes

Ce soir, chaos et dépravation

Ce soir, restes de vertiges au fond des yeux

Ce soir, l’air bâillonne la solitude

Il y a

Un rêve coincé entre le front et le futur

Celui qui ne pourra jamais sortir de ma tête

Le jus de la douleur

Sous le volume de la musique Il y a

Dans le cœur de la ruelle

Des boîtes de bières à moitié vides

Et qui traînent derrière elles

Des sermons bavards

Et des envies de néons bleus

Sous le bitume, les mauvaises habitudes

Le corps à corps teigneux des rats de synthèse

Moi, je relève celui qui récidive,

L’apprentissage de la flemme

La flemme

Dans un club

Un contrebassiste un peu philosophe

Rêve de crever les yeux

Au manager de dieu

Ce soir, c’est le petit soir

Passé à épuiser le sens

De tous les mots de la violence

Oubliés avant demain matin

Un souffle titanesque et inutile

Pour enlever la poussière du vinyl

Et nous voilà réfractaire

Et heureux d’être à l’envers

Encore un soir au cœur de la sève

Encore un soir à mixer du rêve

Addition de saxophone et de piano

Soustraction de larves sous la peau…

Rumeur d’écume et greffe d’étoiles sur les ondes

Pour celui qui sèche les lunes et les blondes

Odeur de plume brûlée

Et de sel à moitié volé

4. Mon père avait réglé l’heure

Mon père avait réglé l’heure

Le jour

le mois

l’année

Ma mère avait réglé l’heure

le jour

le mois

l’année

Et moi j’ai tout déréglé

Allant à rebours de la montre

J’ai penché vers le sang Sentiment de ma durée

Et je n’ai rien trouvé

Dans mon ombre un enfant perdu

Qui a fait sa mue

Et un autre qui brûlé le coffre à jouets, les légos, les avions en papiers

Perdre et gagner

Téter le verbe et la violence

Tout ce qui fait sans délai

De notre vie

Un histoire

Je m’appelle Aimé, Abel, Jules

Jojo la terreur,

Je m’appelle Albert

Je m’appelle comme mon père

5. Qui a déjà eu sommeil en ville ?

Qui a déjà eu sommeil en ville ?

Moi je ne sais pas je ne sais plus Je n’ai plus la moindre paupière

J’ai vérifié toutes les pluies tombées des toits

La grêle sur les passants

La neige sur les voitures l’hiver

J’ai remonté le temps sur les trottoirs de l’errance

L’autre jour au feu, il y avait cette vielle femme qui tendait la main

Et nous l’avons laissé faire

Il y a bien des gestes d’humanité modifiés par l’ennui

Et des jardins ouverts

Mais personne ne revient en arrière

La charité ne peut pas se garer

Dans une autre jeunesse j’avais soif dans la rue

A force de courir après les autres enfants

Sous le soleil malmené des boulevards

La tête en l’air, les yeux sur de vagues statues,

Le nez plein d’une odeur de carton moisi, de vin chaud

Qui pouvait courir mieux que moi,

Tout connaître des flaques d’eau, des réverbères ?

Mais qui cache encore son sommeil sous la pluie ?

Quelle est donc cette ville vivante dans ma tête ?

Dans ceux qui passent en face de moi, quelqu’un à oublier de rire…

Mais ils se ressemblent tous.

L’un d’entre eux sera fauché faiseur de joie

Avant l’aube, la montée de la mer,

L’horrible origine des douceurs que je côtoie en souvenir

6. C’est un après midi de bruine

C’est un après midi de bruine

De sourcils tout confort ou parasite l’insouciance

Ou nos yeux sont délavés sans être fermés C’est le corps de la vitre qui ruisselle

La langue entre les feuilles

C’est pour lécher l’air sans effort

Rêves uniformes à grand renfort de crochets

Mouille un peu la paupière pour tenter l’aventure

La-haut, un coin cotonneux

Une brèche par ou passe l’arc-en-ciel

Et finir le jour comme çà

A toiser des moineaux bleus

Rigoles sur les joues : liquide de l’ennui Tu peux rougir après si c’est le nez d’un mort

Mort de joie, gouttelette qui s’apprend, qui se boit…

L’esprit récidive, sèche tout seul

Et vole une ombre en bas de la nuque L’œil finissant

Il trace le contour des nuages Avant de voir le noir

le noir

7. Night shot

Elle est tout prêt

Elle est par là j’en suis sur

L’amoureuse des mots, la poésie nocturne, la vie ici bas Je n’ai que de maigres souvenirs d’elle

J’ai pleuré pour rester dans ma chambre et la séduire Elle est dans l’air

L’air de la nuit

Ou les chats font des brouillons de chansons avec les rats Je ne vais pas la retrouvé tout de suite

Elle a un corps si intransigeant

Elle est tellement spéciale

Une petite voix sous l’oreille m’appelle

Une petite vie soufflée dans du papier

Et là je me balade de l’autre côté de ma tête

Dans quel grenier me suis-je égaré

Dans quel lit ai-je débordé

Quels sont les gens occuper à s’aimer

Dehors, ou est passé le jour de nos danses ?

Une fois j’ai rêvé que j’étais un marchand de crayons

Et qu’à mon comptoir il n’y avait que des assassins, les assassins du silence Ecrire, crisser, faire du bruit avec des lettres pour tuer le présent

Et tâtonner comme l’aveugle,

J’ai encore cette manie de faire des gestes

Et de finir mes phrases