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577. Lou Reed, Metal machine music, 1975 | BV



 

Comment te dire ? C’est du bruit, de la noise, pure et dure. Avec Lou Reed, on hésite toujours entre engagement et ironie, voire sarcasme. Mais là, c’est un mur, défoncé par la critique, sauf Lester Bangs, qui écrit que c’est le meilleur opus de l’histoire du rock. Pied-de-nez ou geste artistique ? je pense qu’on ne saura jamais répondre. Mais on peut tenter l’expérience d’écouter ces quatre pistes. Vraiment, et jusqu’au bout. Et bon, finalement, ce n’est pas pire que bien des trucs de pop ou de trap qu’on nous sert à longueur d’ondes.

 

 

Luc Garraud | Chaud

Luc Garraud qu’on a déjà accueilli par le passé dans Hors-Sol propose aujourd’hui une longue série de textes brefs, qu’il appelle Herborisations, et dont voici, dans cette suite, neuf extraits.
 

 

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Il fait trop chaud dans ma montagne, le vent très doux entre par la fenêtre par bouffées, la maison est ouverte, des bourrons de papier sur la table roulent jusqu’au sol. Au bord de la forêt, les criquets accompagnent l’arrosage du jardin qui a soif, tout stridule. Mais ce n’est pas ça, qui calme le temps. Mon paisible transat de plage éventré, dans lequel je suis allongé depuis trois jours à ne rien faire, un peu le nez dehors, à regarder le sycomore lâcher ses tiques sur mes bras. Je compte les mouches de montagne, les taons qui cognent a la vitre, une fois dedans, piégés, j’entrouvre pour qu’ils retrouvent un chemin vers la forêt, rien y fait, c’est con, un taon, je les aide avec la main pour les guider dehors, ils reviennent, butés, curieux. Il fait trop doux, pour ma montagne froide, canicule de la nuit, dès l’aube à six heures dans les arbres, un tilleul fané, un sorbier au-dessus du rucher, à l’ombre, ma journée recommence par la nuit.

 

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123. Rogers Waters, Amused to death, 1992 | BV



 

Meilleur album de Waters et de loin, il aligne, pour n’en citer qu’une, six chansons parfaites (PAR-FAI-TES) enchaînées à la fin du disque. Où l’on découvre que Jeff Beck est plus fin et sobre que Clapton (on en aurait douté largement). Et où l’on découvre que Waters ne rigole plus « You don’t hve to be a Jew to disaprove of murder »)…

 

 

Luc Garraud | À la royale

Luc Garraud qu’on a déjà accueilli par le passé dans Hors-Sol propose aujourd’hui une longue série de textes brefs, qu’il appelle Herborisations, et dont voici, dans cette suite, neuf extraits.
 

 

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Dans le talus et hop, direct rentré dans la haie, pas facile à attraper. Prendre un lièvre mort c’est mieux, de quatre livres, lui couper les oreilles, le même volume de pâte feuilletée en tranche épaisses pour l’empaqueter en entier, le barder comme le p’tit jésus, pareil au coq en pâte, ajouter des ingrédients venus d’ailleurs, du poivre de Zanzibar, des îles Moluques, du thym de Tain qui pousse sur le granite au goût d’Hermitage, remplir au ras des incisives, noyer ses yeux dans l’alcool avec du vin épais, rouge, pas frelaté, ni issu du résidu des communautés européennes, plutôt venant des excédents volés, dans la cave du voisin, du bien meilleur, du 14 minimum. Le monde de la cuisine est cruel pour les bêtes mortes, elles le sentent, même mortes. L’odeur royale est dans la pièce et dans toute la maison. C’est une recette facile à faire, cette préparation à préparer, mais pas facile à réussir, à refaire même. Quand on s’engage, qu’on le dit, qu’on a un lièvre, c’est pas tous les jours. Pendant des heures on peut dormir à côté sans vraiment surveiller la cuisson, sur un petit lit de fortune, enrobé dans les fumets d’herbes et d’épices, le jus gras qui ensuque.

C’est prêt quand la bête est confite, on la sort de sa cocote au four, bien lovée dans son chausson chaud, enfeuilletée. Bien ficelé de peur qu’il ne s’échappe, qu’il ne se carapate, que le lièvre mort se lève et d’un bon ridicule au bord de la route, traverse la nuit, sans ses oreilles.

 

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430. Primal Scream, Screamadelica 1991 | BV



 

À l’époque, j’étais totalement passé à côté du disque, bien que j’aie connaissance de l’existence du groupe. Je l’ai écouté récemment, je l’avoue, pour ce projet. Je n’ai pas été déçu. Certes, il y a des sons déjà entendus mille fois, mais il y a cette fantaisie (un peu ironique) que rend bien la superbe pochette (et le titre), ou par exemple Don’t fight it, feel it… beaucoup de tentatives, dans plusieurs directions, qui en font un ensemble plutôt hétéroclite mais sympathique, finalement plutôt insouciant comme l’époque (brève) de relatif bonheur qui s’ouvrirait bientôt (et se fermerait aussi vite) — et dont la maison acide serait le repaire, la joyeuse et triste bannière.

 

 

Luc Garraud | Bord de route

Luc Garraud qu’on a déjà accueilli par le passé dans Hors-Sol propose aujourd’hui une longue série de textes brefs, qu’il appelle Herborisations, et dont voici, dans cette suite, neuf extraits.
 

 

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On l’avait vu de loin au bord de la route, sa silhouette s’est précisée en s’approchant en voiture, faut dire que le temps était exécrable, pluie battante, brouillard à ne pas voir à 5 m, on a juste vu son pouce tendu, on s’est arrêté pour faire un peu de place à l’arrière, pour l’installer, tout trempé, chien mouillé, on était à côté de la maison, il s’est assis sans rien dire à la table de la cuisine, il s’est séché et réchauffé au pied du poêle qui tournait à plein régime, il a repris du poil assez vite après avoir englouti sa soupe qu’on lui a proposée, affamé, il était mort de fatigue, ses paupières se fermaient sans cesse, il a dormi comme un loir dans la chambre du haut, le matin ça allait mieux, on lui a donné des habits qu’on avait, une sorte de survêtement bleu qui lui allait très bien, il est resté quelques jours, allongé dans un transat sur l’herbe du jardin, ça a duré comme ça au moins trois mois, on a pas compté, il a aidé aux tâches, un peu de jardin, d’épluchage, il allait chercher le pain, il buvait son café au Sporting bar avec des gars du village, il s’est vite fait des copains, il y restait de plus en plus longtemps le matin, on avait le pain assez tard, de plus en plus tard, il aimait manger avec nous, sans rien dire des journées entières, on n’a jamais rien su de lui, sa langue, sa voix, son pays d’où il venait, s’il avait un pays, un lieu de départ, il est parti, enfin pas vraiment, il n’est pas revenu du pain, il a laissé les affaires qu’on lui avait données, sans rien, on ne sait pas ce qu’il est devenu, où il est allé, depuis chaque fois qu’il pleut, qu’il y a un brouillard épais, au bord de la route, on ralentit, pour voir si c’est pas lui.

 

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Luc Garraud | La rouille

Luc Garraud qu’on a déjà accueilli par le passé dans Hors-Sol propose aujourd’hui une longue série de textes brefs, qu’il appelle Herborisations, et dont voici, dans cette suite, neuf extraits.
 

 

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La rouille n’oublie pas, sur la grille du jardin d’en haut, elle fait ses traces et ronge sous la peinture écaillée sans dire, elle avance. Ce n’est pas bien vu dans un jardin à l’abandon, ou l’on ressent des choses qui ne bougent plus comme avant, l’œil regarde, l’autre ne sait pas quoi faire non plus, perdu. Ce qu’il s’est passé ici n’est plus visible, des empilements oubliés d’histoires multiples, la fabrique, tout s‘est fait la malle en douce. Un jardin dont on s’est trop occupé, pour lequel on a voulu beaucoup trop bien faire, la bonne pente est devenue mauvaise rapidement. II suffit pour voir, de le traverser, et se faire une idée du rangement, du bien ordonné, du dérangé bien trop rangé des plaisirs du monde apparus et disparus. Quand de la terrasse du haut, on suit les murets disloqués de pierres rouges, crépis écaillés, ciment défraîchi, enfoncés d’une broche en fer plantée tous les trois mètres, sur le replat de la margelle, des piquets percés de trous, pour faire passer le fil de fer lustré par le vent et la pluie. Tout est distendu, on ne vit plus ici, alors prendre le temps de retendre n’est pas dans les occupations. Il suffit de descendre par l’escalier ébréché à chaque marche pleine de mousses et rejoindre en dix pas la merveille, happé par le jardin du bas, sur la deuxième terrasse, de loin, qui a l’apparence de l’autre, semblable. Mais on s’enchante vite, rien ne s’est passé ici, on a laissé faire la mémoire, pas de traces, que l’histoire soit belle, qu’elle soit racontable, ou bien qu’elle n’existe même pas, on sent l’odeur de la rouille neuve.

 

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161. Eric Dolphy, Out there, 1961 | BV



 

Le catalogue des formes est probablement infini. Il n’y a qu’à voir la variété des poissons de par le monde. De là, deux difficultés : les retrouver (il faut un lexique des traits) & s’y retrouver (toute liste à son tableur). Bref encore un grand disque de toute une série de disques dans le genre. Je parlais de poissons : ils sont bien là, et aussi les oiseaux, toute une série de gammes sinueuses et liquides, je dirais même que les êtres chthoniens s’incarnent volontiers dans le violoncelle, qui comme le dit l’encyclopédie, est un instrument rare en jazz. On est donc bien dans un cas classique de naturalisme musical.

 

 

Luc Garraud | Les crêpes

Luc Garraud qu’on a déjà accueilli par le passé dans Hors-Sol propose aujourd’hui une longue série de textes brefs, qu’il appelle Herborisations, et dont voici, dans cette suite, neuf extraits.
 

 

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J’ai fait des crêpes, j’aime autant les faire que les manger, c’est bien banal, avec du sucre roulée serrée et croquer dedans comme dans une banane, aux deux bouts engloutis, sans vraiment mâcher le truc, chaude, beurrée, cristallisée de sucre, une crêpe quoi ! Je la mange debout pour mieux sentir le goût, la saveur étrange qui n’est jamais vraiment la même, dans tout le corps imbibé, qui descend jusqu’au bout des pieds, le long des bras aux mains, la chaleur qui shoote, une sensation. Le geste quand on la retourne, ah non, pas en la lançant en l’air, trop violent mais plutôt en venant soulever doucement le bord en se brûlant les doigts et hop. Elle est blonde dessous, satinée, fine. On voit la trace brune du geste de la louche. Je suis debout et je marche crêpe à la main, elle est fidèle et ne me rappelle rien de connu, ni de l’enfance, ni, je ne sais quelle histoire passée, rien de tout ça, mais bien du nouveau à chaque fois, elle surgit. J’ai déjà fait près d’un millier de pas sur le parquet, de la maison qui résonne, un ours en cage. Des odeurs de sucre, d’huile encore chaude, imprègnent la pièce. Le parquet s’incline, penche vers l’avant, tangue d’un coup et bascule en quelque sorte, ma maison se noie dans l’herbe du plateau, à la renverse, je sombre, je me retourne comme une crêpe.

 

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