Charles Fort-Vert • Cristaux de mots (3 et 4)

Charles Fort-Vert est botaniste, spécialiste impliqué dans le domaine du végétal et de l’environnement. Sa pratique d’écriture trouve son inspiration principale dans la musique contemporaine ; en tant que sources secondaires, la géologie (roches, structures, couleurs, strates, reliefs…), la perception aromatique et la photographie artistique. L’écriture se concentre autour des mots et des lettres, point de départ et d’arrivée des textes, après leur voyage en lignes.

 

3. Explication (Le cordelier invisible)

Expliquer expliquer, maintenant.
Parcourir cette boucle !
“ Ante explicationem flores purpurascunt ”
Traduction
“ Les fleurs sont pourprées avant leur épanouissement. ”
Danse, dans cet espace sans place, danse.
Tourne, virevolte, tresse ta trace dans l’espace.
Et que mon œil, infatigable sur toi l’embrasse.
Et que mon esprit, si sensible à toi, la place
Au cellier des souvenirs heureux.
Explicare. Déplier. Défaire le pli, dérouler. Soigneusement, pli après pli, pour à la fin embrasser du regard l’étoffe du concept, son grain, son point, sa moire, son assemblage, sa trame. Expliquer. Épanouir. Dérouler la parure de la fleur, lui donner sa couleur, l’ouvrir au soleil, au jour et l’aider dans sa mission secrète.
La vie se déroule mais ne s’explique pas.
C’est complexe et ça laisse perplexe. Pas étonnant. C’est le plexus, cette tresse de fils tendus qui a donné le pli. Plexere – plicare, le lien est là. Vérités latines.
Quelle est ta trajectoire ? Ta ligne ?
Non pas celle de ta danse,
Mais celle de ton existence.
Est-elle courbe ? Fourbe ?
Droite ? Stricte ?
Non, elle est tressée par un cordelier invisible et moqueur, jamais distrait, toujours habile.
Laisse ta corde souple. Ne la tends pas. Ne l’éprouve pas sans arrêt. Ne perds pas les fils de la tresse. Le temps gourmand ronge sa part. Délasse-toi. Enlace-moi. Étreins-moi.
Tu combattras le sens strict (sensu stricto, strictement sensuelle) d’étreindre qui est l’étroitesse et l’oppression.
Je suis toujours excité
Par la perplexité
Devant la complexité.
Alors mon esprit se met en route. Sans détresse, il dé-tresse, dénoue, suit la trajectoire des cordelettes, cherche le fil de l’histoire, décompose, opère : le cristal logique, le fond animal, la perspective historique, l’émotif, le mystique, l’éclat créatif, la puissance culturelle, la présence éthique,… l’inventaire de tous les prismes. Retirer le sujet de sa gangue. L’examiner sous toutes ses facettes, brillante et pénétrante analyse… D’Anne à Lise, il y a moi, blotti, heureux.
Elles sont si tôt sensuelles. Sans un mot, elles m’expliquent la vie, la faculté d’être.
Magiques. Elles ne décomposent rien, pas de prismes, pas de stress, de détresse. La vie en ligne directe.
Tu presses le pas. Ne le presse pas !
Tu fonces. Ralentis. Rien n’est clair quand on fonce !
Si tu veux t’épanouir, mets ta joue au soleil et l’y laisse un moment. La couleur viendra.
Je veux te comprendre, expliquer ton toi, te révéler ton toi. Trouver les espaces encore clos, les tresses profondes. Repérer les graines en dormance.
Et
Déclencher leur développement.
Puis attendre, attentif à toi.
La couleur de ta joue, le rictus au coin de ta bouche, ton œil complice te trahiront. Ils me diront si j’ai compris le sens dans lequel le cordelier invisible a tressé les brins.

mots de base : explication
phase préparatoire et d’écriture : A. Vivaldi, Concerti – J.-B. Lully, Marche pour la cérémonie des turcs (Tous les matins du monde) – S. Prokofiev, Roméo & Juliette Danse des chevaliers – G. Mahler, Symphonie n° 2, 1er mouvement


4. Colonne torse

Dos. Buste.
Au fond de Saint-Séverin, sous les ogives,
se visse la pierre
et les lignes s’enserrent, se tressent,… stress !
Or crypté, oracle et tarse du démon.
Mentor.
Spire. Inspire. Respire le torse nu,
comme la pierre à nu, sans ornement, sans peinture,
sans bustier ocre !
Store. Jalousie. Rais d’or. Reste dans la lumière du store.
Storage, orage, rage.
Elle éclaire ton buste et caresse son relief.
Torse ocre. Peau bise.
Ombres de la jalousie sur le corps bai,
qui en souples les formes ondoient.
Onde, quelle onde, une onde torse et spirale, râle.

Inspire, souffle. Gonfle la voile du torse.
Sans voile, le torse réapparaît plus bis encore, en or,
car le vent a poussé les persiennes et
l’éclat de Râ inonde la nef, la travée, les dalles grises,
les parcourant comme pressé.
Il atteint la colonne torse, l’anime
et l’âme de la nef vibre, le son gronde sous les voûtes.
L’or a libéré le son.
Orage sonore.
Les piliers s’écartent et le buste ocre est là, contre le volet
persan, le repoussant, claquant le bois
et fermant l’espagnolette.
Et le corps sombre dans la nuit comme
la colonne de Saint-Séverin qui s’enfonce
dans le sol et met la terre en perce.
Démets Terre, Or reste !

mot de base : tors
phase préparatoire et d’écriture : G. Scelsi, Pfhat Konx-Om-Pax Aion


à suivre


Cristaux de mots : partie 1 (texte 1-1), partie 2 (texte 1-2 et 2), partie 3 (textes 3 et 4), partie 4 (textes 5 et 6), partie 5 (textes 7, 8 et 9), partie 6 (texte 10), partie 7 (texte 11), partie 8 (textes 12, 13, 14 et 15), partie 9 (texte 16), partie 10 (textes 17).

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