Hélène Sturm • La chambre de Rogojine (I-06)

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LIVRE I

J’étais devant la porte
Et vous étiez mes clefs

Faust. Goethe

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Ils n’allaient jamais vers la porte et jamais ne la regardaient.

Mais parfois, ils tournaient les yeux vers la fenêtre, et ils écoutaient les bruits de la rue, tapis dans leur silence et leur obscurité.


*


Rogojine lui a dit : ne tremble pas comme ça, fais attention.

Le Prince lui a répondu : pardon mon ami, je ne le fais pas exprès.

Et il a pris ses genoux dans ses mains et les a serrés très fort, mais son corps tremblait tout de même tout entier.

Rogojine a haussé les épaules et le Prince a baissé les yeux.


*


Il y a peut-être des orangers à Yalta, des palmiers et une longue promenade au bord de l’eau avec des chaises tournées vers l’horizon et une chaisière pour payer avant de s’asseoir.
On l’appelle la promenade des russes et les soirs d’été dans les kiosques on joue des valses pour des vielles femmes enfouies dans des écharpes de laine, pour des amoureux enfouis dans leurs regards.


*


Ils y seraient allés en voyage de noces. Tout était convenu. Ils en avaient parlé, et de la lune et du rideau de mousseline que le vent gonflerait et il la porterait sur le lit blanc et elle tendrait ses bras vers lui, son collier de perles aurait glissé dans son dos et elle l’aurait mordu à l’épaule comme font les chevaux.

L’autre écoutait, silencieux. Il y a peut-être des palmiers à Yalta et on peut parler sur les terrasses avec les jeunes filles qui sont venues avec leurs mères. Elles disent des impertinences avec un regard fuyant, mais leurs mains tremblent et leur cœur est bon.


*


Alors qu’il parlait la terre trembla légèrement. La mouche quitta la joue pour la main, la jambe droite s’écarta un peu de la jambe gauche. Elle eût l’air d’être passée d’un sommeil à un autre plus profond, plus définitif, où même un rêve n’aurait pas place, que même un cri n’ébranlerait pas.

Ils étaient au pied du lit, se tenant par la taille, plus pour ne pas tomber que par affection.

Un peu de lumière sur son visage, comme du fard sur une mauvaise mine.


*


Emue, la Générale à l’œil coulant comme d’autres le nez en hiver.


*

Dis- le à son regard
Et dis- le à sa bouche
Si le soleil les touche
Ce n’est pas par hasard

Dis- le à ses cheveux
Et dis- le à ses yeux
Si la lune les caresse
Ce n’est pas par faiblesse

Dis- le à son image
Et dis- le à ses mains
Si je ne viens pas demain
C’est qu’il y a un orage


*


Il y avait dans ses affaires un carnet noir où elle recopiait les chansons à la mode et des maximes épaisses pour lui servir de morale momentanée.


*


9ème page du carnet

La terre est ronde pour tout le monde.

Mardi matin : orchidée, velours frappé bleu sombre

Embrassez -moi je vous prie
Avant que la nuit soit tombée
Dites moi que je suis jolie
Avant que mes joues soient fanées

Trois rangs. Pas moins.


*


Elle entrait dans la colère comme on entre dans un bain très chaud, avec lenteur mais profondément. Elle y restait longtemps et n’en sortait que lorsque comme l’eau la colère était devenue froide, les joues très rouges et le souffle un peu court, mais lavée en quelque sorte.


*


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