Archives de catégorie : Chroniques

156. Gang Of Four, Solid gold, 1981 | BV

 

 

Démarrage en fanfare, enfin une fanfare bringuebalante, hachée, de zombies, Paralyzed en effet, cet album est une réussite qui permet d’allier en quelque sorte énergie punk et fantaisie funk (mais sans les paillettes). Gang of Four, politiquement conscient, mais sans moraline, a produit de beaux albums, dont Entertainment!, son premier classé dans la Souche 18e, c’est-à-dire… 3e si lo’n compte les ex-æquo.

Comme on l’a déjà dit, la meilleure guitare rythmique du monde de feu Andy Gill, vient taillader des textes déjà carrément acérés — sur cet étrange rythme funky (If I could keep it for myself). Ce n’est pas exactement dansant, mais c’est exactement ce qu’on attendrait d’un samizdat musical. Quelques titres rappellent le premier opus, et sont du même acabit, tant du point de vue du son (Ouside the trains don’t run on time) que des paroles (Cheeseburger).

Un disque énergique, une virée dans les subtilités du soft power occidental, sans doute un peu moins parfait (comme si ça existait) que le précédent, mais certainement tout aussi plaisant et surtout actuel.

 

 

262. Jacques Higelin, Live 2000, 2000 | BV

 

 

Pour une raison ou une autre, mais sans doute également dues aux circonstances personnelles (j’ai vu un concert de cette tournée), cet album d’Higelin, qui est à la fois live et acoustique, me paraît être l’un des mieux réussis ; en effet il permet de goûter toute la subtilité potache de ses chansons sans se perdre en trop de flabalas. Les morceaux nouveaux sont tout à fait solides (Chambre sous les toits) aux côtés de classiques comme Champagne.

Mais il faut dire deux chose, mis à part le caractère du personnage ou la teneur des titres : le son est impeccable, les arrangements sombres et somptueux et le niveau musical se pose là. De plus, l’album est bref (plus bref que les interventions souvent déliées d’Higelin, notamment entre les morceaux, le concert que j’ai vu a duré bien trois heures !), et le choix drastique, et c’est très bien comme ça.

 

 

49. Henri Grimes Trio, The call, 1966 | BV

 


 
Un disque représentant parfaitement les développements de l’avant-garde free, il est le fruit d’un trio pour le moins étonnant : un bassiste, le leader, auparavant méritant sideman d’une pléthore d’artistes de Benny Goodman à Archie Shepp et de Lenny Tristano à Sonny Rollins !, un clarinettiste, qui a jouté avec Dave Brubeck et qui est invité sur Mama too tight (#86, 1967) du même Shepp, Perry Robinson, et un batteur pour le moins obscur — mais très efficace — Tom Price (qui jouera avec Frank Wright)…

En 1967, Grimes disparaît de la scène, et de manière si radicale que tout le monde le croira mort. En 2002, on le retrouve dans un hôtel de Los Angeles, où il vivait depuis vingt ans, totalement désintéressé de tout ce qu’il s’est passé en jazz depuis son départ. Il recommence une carrière et ses explorations sonores, avant de succomber cette fois de la covid.

Le disque, pour être un vrai manifeste free, n’en demeure pas moins très écoutable, et même plutôt élégant, très réussi notamment sur le morceau titre (de Robinson) et sur For Django et le très réussi Sons of alfalfa de Grimes. La pochette est magnifique.
 

 

853. Barclay James Harvest, Barclay James Harvest and othr short stories, 1971 | BV

 


 
Sur la lancée de la quête de musique avide qui m’avait pris après la découverte de Pink Floyd, j’épluche de nombreux disques dits progressifs (mais pas ceux, encore, plus expérimentaux de Tangerine Dream par exemple). Si les arrangements sont pompiers, ils sont tout à fait typique et de l’époque et du genre… en revanche on est surpris de la qualité et même de la présence des morceaux eux-mêmes (mélodies…). Comme chacun écrit dans le groupe, l’ensemble est bigarré, mais il est toujours tenu.

Moderne il l’est par certains aspects, de même qu’entêtant. J’ai cherché d’autres albums avec plus ou moins de bonheur, mais celui-ci conserve pour moi cette espèce de pilule de nostalgie, cette glande pinéale qui secoue les nerfs, en particulier deux morceaux au-dessus des autres, Harry’s song et Blue John Blues.

 

 

530. Enzo Janacci, Fotorecord, 1979 | BV

 


 

Janacci est un autre ovni de la chanson plus ou moins pop plus ou moins rock italienne, au même titre que Battiato ou Gaber… des auteurs tellement pleins de leur écriture, reconnaissables au premier coup d’oreille, et intrigants.

Ce n’est peut-être pas le meilleur album (je préfère le suivant, Ci vuole orecchio, 1980, #420), mais au moins est-il original : il s’agit d’un recueil de morceaux déjà publiés ou enregistrés par lui ou d’autres en d’autres format, lesquels sont agrémentés de trois monologues plus ou moins irrévérents (Il ficus, Il labrador, Il sintetizzatore). C’est un album qui amène plus de visibilité à l’artiste, porté par Io e te, une classique balade italienne.

Mais l’introduction fantomatique de Natalia, la simplicité touchante de Mario (coécrite avec Pino Danaggio qui l’avait même publié), puis Ecco tutto qui (déjà enregistrée par Mina) e l’excellente Saltinbanchi sont décidément bien valables… et font de cet album, comme de multiples autres essais des années 70 des œuvres entières, expérimentales pour une part, celle où l’auteur se sert de sa chanson pour explorer des paysages neufs, plus ou moins inconfortables, en ce qu’ils doivent impérativement, semble–il, sortir de l’assiette de ces années dures par ailleurs.

On retrouve aussi du Conte, puisque Janacci reprend ici ses créatures, Sudamerica, et l’extraordinaire Bartali. Les arrangements sont osés, généralement maîtrisés du point de vue technique (le son de ces disques italiens des années 70 n’a rien à envier aux nôtres, et peu aux références anglaises ; étonnant comme tout est parti en eau de boudin dans les années 80).

 

 

331. Richard Hell & The Voidoids, Blank Generation, 1977 | BV

 


 

Un pure album de punk, première vague, base de New York… Alors eh bien, on sent le lien au rock, voire au rock’n’roll, on sent l’énergie et même un peu la sophistication notamment des arrangements de guitare, et puis la verve de Hell, ancien membre de Television et des Hertbreakers, pardon !

C’est une poignée de chansons tout à fait plaisantes, parfois même presque « normales » (Bretrayal Take Two, All the way), plaisantes (The plan, I’m your man), et même chouettes (Down at the rock’n’roll, Another world)

Etant essentiellement un genre « méta », c’est-à-dire un genre commentant (par le texte ou même par les citations, les structures emblématiques du genre) plus ou moins avec habileté son détachement d’un genre précédent (plutôt que les conditions d’existence de telle ou telle musique, à une ou deux exceptions près), le punk avant qu’il ne devienne post, c’est-à-dire avant qu’il ne voie que ces revendications sont peine perdue et se dédie enfin à l’art, le punk est invasif, soit agressif bêtement, soit plaintif… Mais ici on a plutôt affaire à un consciencieux travail de punk, éclairé et motivé.

Remarquable reprise d’un morceau que j’adore aussi (et reprends) et provenant du premier album chroniqué ici ! Remarquable, donc, l’intégrité, la fraîcheur et l’intelligence de Richard Hell, qui se consacrera plus tard à l’écriture.

 

 

776. Siouxsie And The Banshees, Juju, 1981 | BV

 


 

Ah, hasard des faces.

Comme je l’ai indiqué dans la recension de son prédécesseur Kaleidoscope, ce Juju est inférieur en qualité, me^me si il faut bien constater que l’énergie et la technique sont toujours présents. Ça part même moui, les deux premiers morceaux sont presque insipides (malgré le succès du premier, que je trouve trop… américain ?), même si les ingrédients sont là, dont la fantomatique voix de Siouxsie… et c’est à partir d’Arabian knight que s’installe l’atmosphère presque germanique de leur son (Headcut, Monitor) : avec Voodoo dolly, on touche au gang des morceaux épiques emblématiques, et avec Night shift, on retrouve presque le génie de Kaleidoscope.

On ne peut pas totalement en vouloir à un groupe qui a accueilli Sid Vicious, Marc Pirroni, Robert QMieth et John McGeoch en son sein. IL est vrai que le boulot sur les guitares est précieux (dira Johnny Marr), mais d’ailleurs on ne leur en veut pas. Siouxsie et Budgie deviendront les Creatures (qu’on ira voir), mais le groupe poursuivra sa route, fièrement, et poliment.

 

 

« L’autre monde » | HPJ

 

Quand on annonce s’être créé un « autre monde », on s’imagine avoir inventé un monde qui n’est pas celui dans lequel on vit. On revendique le pouvoir de notre imagination à se séparer de la réalité surtout lorsqu’elle est tenue pour objective. Mais l’imaginaire se mesure au réel en le déformant, l’autre monde que nous inventons est le double de celui que nous représentons, et parfois même il en est l’étrange doublure. L’imagination puise ses ressources dans les variations de l’interprétation de ce que nous avons vécu et de ce que nous vivons au temps présent. Elle nous offre une mise en perspective de ce qui nous arrive en tentant d’échapper à la prédétermination du sens qu’impose la soi-disant confrontation à la réalité. Elle ouvre l’espace de nos représentations à l’incursion de l’irréel, du surréel, en somme à la manifestation accidentelle du réel. « L’autre monde » peut devenir une carapace une bulle dans laquelle nous nous enfermons pour lutter contre l’impérialisme de la réalité, mais sa puissance métamorphique lui vient de la mouvance même du réel. Sans elle, cet « autre monde » s’enferme sur lui-même.

Aurais-je vécu une autre réalité comme on s’invente un autre monde ? Tel un enfant-roi, il m’est souvent arrivé de vouloir tordre le cou à la réalité, et je croyais être parvenu à le faire. Il me suffisait pour m’en convaincre de considérer les effets accomplis de mes propres détournements du sens des actes ou des idées qui m’étaient imposés. Ce qui me provoquait une joie subreptice, c’était à l’instant même où « dans la réalité » un événement quelconque prenait un sens différent ou contraire. Telle l’expression d’une ironie du sort. J’étais joyeux d’être dépossédé de ma propre volonté de détournement du sens. Ce n’était pas moi qui étais ironique, c’est la réalité qui se moquait d’elle-même en parodiant l’objectivité qui lui était habituellement attribuée.

Si je dis à quelqu’un « on ne vit pas dans le même monde » est-ce seulement pour lui signifier que « je ne vois pas les choses de la même façon que lui » ? S’agit-il d’une divergence de nos représentations ? Est-ce aussi une manière de signifier que j’ai « décroché de la réalité » ? Les conventions sociales et politiques qui précèdent le sens donné à ce qui « fait le monde » exercent un tel pouvoir sur nos représentations qu’elles incitent à considérer que « l’autre monde » est une fuite, une démission, en vue de se construire un refuge dans un ailleurs.

A la différence de la réalité, le réel semble toujours imprévisible, impromptu, inattendu… comme s’il était à la naissance du mouvement. Le réel est inchoatif. C’est le complice privilégié de l’imaginaire. Ce qui advient subrepticement permet au monde qu’on s’invente de ne point cesser de se réinventer. « L’incandescence de l’instant » (Jankélévitch) et « le réel, c’est le trauma » (Lacan) sont deux adages qui entrent en collision dans notre existence quotidienne en nous projetant chaque fois à la naissance du mouvement. Face à « ce qui se passe », « ce qui advient », « ce qui est », avec un retour mnésique inopiné de « ce qui a été », l’étonnement immédiat et l’émotion violente font naître d’autres figures du monde qu’on s’invente. L’expectative de l’ailleurs se vit de soi à soi mais sa possibilité dépend de ce surgissement perpétuel de l’autre.

Tel un stéréotype résistant à son usure sémantique, la poésie du monde revient alors, comme les fantômes des morts, en plein cœur des éclaboussures intempestives du réel et de l’imaginaire. Ce qui s’abolit de soi-même, c’est le temps, l’idée de la temporalité, laquelle s’absorbe dans les spirales de l’actuel, de ce qui produit l’actuel comme défi à toute éternité rêvée.

 

775. The Velvet Underground & Nico, The Velvet Underground & Nico, 1967 | BV

 


 

Difficile de trouver un album aussi iconique dans l’histoire de la musique populaire…

Ça commence fort, par une balade, ce qui rompt tous les codes admis jusque là, surtout pour un groupe de « rock », mais dès le second morceau on mesure ce que va défoncer l’album sur son passage.

La voix nasillarde de Reed avec son accent pas possible, et ces paroles — pour le coup — explicites, à mille lieux des gentilles expérimentations anglaises ou californienne, c’est toute la violence de la ville qui vous tombe dessus ; et il remet ça, le bougre, un peu plus loin avec Heroin, d’une beauté formelle froide indiscutable. Difficile d’imaginer qu’au même moment on chante All you need is love, ou Somebody to love ; même les accents les plus raides de The end ou de Goin’ home semblent gentillets en comparaison, ces mecs et ces nanas ont décidément une longueur d’avance.

Et pas seulement concernant leur modernité, mais aussi sur leur maturité, dans les paroles ou l’approche.

Mélangeant des styles très différents, avec des réussites très différents (Run run run fait pâle figure à côté du smithien Venus in furs) et l’association d’un versant arty (celui de Cale, et donc de Nico, puis de Warhol) avec une énergie plus basiquement rock (Reed) est osée, il fallait la tenter, et pour un moment ça fait bien illusion (par exemple All tomorrow’s party) ; en outre, maturité disais-je : ce sont des visions, des flashs, car on a aussi des chansons très 60’s (There she goes again, Sunday morning donc, I’ll be your mirror).

Ensuite, il y a les excès de tout ce qui est trop expérimental (European sons, bon), et puis la mousse, qu’il faut secouer pour accéder. L’album reste une sruprise, toutefois, je pense, dans la vie d’un auditeur, il est original et dans son hé »téroclicité », cohérent ; The Black angel’s death song est typique. Si on laisse ce côté faussement bohème, qui pour moi nuit à l’ensemble (l’horrible production de Warhol), on peut passer un bon moment.

 

 

101. Dave Brubeck Quartet, Time out, 1959 | BV

 


 
Mon père n’était pas mélomane et pourtant il adorait les deux thèmes phares de cet album, par ailleurs devenus des classiques, Blue rondo à la turk et Take five.

Je n’ai aucune idée de la raison ou de la cause qui a fait atterrir ce disque, en CD, aux tout débuts du CD, à la maison.

Dans Take five il y a un solo de batterie, exceptionnel, parce qu’étrangement (ou pas) très mélodique. Il plaisait tellement à mon père qu’il a été d’accord, peu après pour m’acheter une batterie d’étude, pour le premier groupe où j’ai joué.

Évidemment j’écoute ce disque avec mélancolie, mais je dois dire qu’avec le temps, après avoir entendu mille et plus disques de jazz, celui-ci reste vraiment dans les disques favoris. Les deux morceaux cités sont des classiques donc, avec Three to take ready, et Take five (de Paul Desmond, et non de Brubeck, qui écrira d’ailleurs une version renversée, Take ten), elle-même est au-delà du classique, une petite perle (et allez), mais les autres morceaux Kathy’s waltz, Everybody’s jumpin’ et Pick up sticks sont un pont parfait entre le jazz classique et le bop qui entre-temps travaille, travaille.

Possible que je doive toute cette chronique à ce disque, à Take five, et à mon père.