Archives de catégorie : Genre

Michel Woelfflé | Leçon de ténèbres 03 (La lutte avec l’Ange)

Michel Woelfflé poursuit une œuvre obstinée, lancinante, dont la nuit est partie prenante. Nous sommes honorés d’accueillir une série de leçons de ténèbres dont il est coutumier. Il vit aux confins de la Drôme, “au sein de cette nature minérale, originelle et solitaire qui de plus en plus m’est intime et inspire mes poèmes…”

 

Dans le tableau de Rembrandt cette lutte est une étreinte où l’on voit l’ange supporter Jacob et lui offrir consolation. Dans cette lutte alors, Jacob s’abandonne. Chez Leloir la lutte est vigoureuse, le ciel tourmenté. Il couvre l’horizon. Jacob est nu. Il étreint l’ange qui résiste et s’arc-boute avec force. Il s’agit, on le pense, de vaincre l’inutile en soi. Chez Delacroix on voit dans le regard de l’ange cette tendresse résignée portée sur Jacob. l’ange supporte cette lutte inégale ou Jacob se force à lutter contre lui. Mais l’ange doit cette lutte à Jacob. Toute sa vigueur le montre. Le désir d’être de Jacob lui impose son obstination. Il doit devenir. Un automne flamboyant porte sa lumière sur le corps des deux combattants. Chez Gauguin cette lutte est lointaine observée au premier plan par un groupe de femmes en coiffe bretonne traditionnelle. Elles font un demi-cercle à distance respectueuse autour de l’ange et de Jacob. Certaines prient les yeux clos sans regarder la lutte. Il y a une bête sans cornes pas très loin, perdue dans sa danse… Un arbre penché étend ses ramures au-dessus de tous. On en voit principalement le tronc. L’arbre apparaît être un pommier. Devant nous deux fines branches s’entrecroisent formant un cœur vide. C’est la place du nom à venir de Jacob. La terre de la lutte est rouge d’un vermillon affaibli. L’ange a les ailes largement écartées (comme dans chaque tableau cité, excepté chez Delacroix, plus réservé) il plie Jacob contre son genou. Celui-ci est habillé d’une robe de bure avec une ceinture. Les ailes de l’ange sont d’or. Il fait plein jour. Il y a onze femmes dans cette lumière. Jacob avait onze fils. C’est la seule lutte peinte avec témoin.

La hanche démise est-elle un souvenir de notre être boitant avant l’accomplissement ?

Nous sommes tous désert attendant la pluie

Pendant des mois, des années mon esprit se porta vers cette lutte. J’observais les témoignages de cette lutte. Jacob entre les ailes de son dieu. L’obsession fraternelle de dieu. Son désir de consoler l’homme dans cette éternelle lutte contre lui-même. Contre cette absence en lui. L’homme sans demeure. Sans horizon. Sans au-delà. Qui ne lutte sans promesse ?

Quand je sus que tout était accompli le silence se fit et le mystère en moi dessina un autre être qui connaissait les nymphes que seules révèlent d’antiques rêves refusant tout bannissement de cet amour que nous ne saurions trahir. Roseau familier des eaux je vis Narcisse se penchant comme une flamme sous le vent. Fils d’un fleuve il ne pouvait trouver qu’en la fuite des flots le visage manquant. La demeure réelle de sa nature. Le destin éphémère des fleurs. Il accepta ce que les êtres refusent.

Narcisse fut le seul à ne pas lutter, ni avec un ange, ni avec l’eau, ni avec l’amour qui l’avait porté jusqu’aux rives où il s’absorba.

Qui n’est Narcisse ?

Qui n’est noyé dans le souvenir de ce qu’il fût, qui n’est la fleur de ce souvenir qui n’existe plus et que la nymphe Écho nous rappelle, qui ne veut être Narcisse penché sur un visage qu’il aime et ne connaît pas. Qui ne veut soupirer et sentir frémir au ventre, l’onde du premer bain…

Pourquoi lutter avec l’ange, dieu ou soi-même, qui a besoin de lutter contre une fleur ?

 

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Virginie Gautier | Les déprises (09)

Les Déprises est un travail poétique en cours d’écriture, le débord d’un récit qui m’a amené à m’interroger sur la question des ZAD comme zones à défendre. Cette forme poétique est traversée par l’idée de recyclage.

Virginie Gautier mène un travail plastique autour de questions d’espaces et de paysage tout en enseignant les arts visuels. À partir de 2008, elle poursuit ses recherches à travers l’écriture, publie plusieurs récits aux éditions du Chemin de Fer ainsi qu’aux éditions Publie.net dont elle co-dirige la collection de poésie, L’esquif. Elle est actuellement en contrat doctoral en recherche et création littéraire et chargée de cours à l’université de Cergy-Pontoise.

 
 

-ils restent                    des hommes-demoiselles                    avec des nez comme des cor

nets                    des mains                    au bout d’un gant                    dans la forêt

                    robes d’une toile plutôt blanche                    avec des yeux-miroirs qui vous re-

gardent pile où vous êtes plantés                    au risque d’attiser un feu

                    d’enflammer quelque chose de plus grand                    il y en a qui rappliquent et

d’autres qui détalent                    quand                    la peau rasée des tambours

                    des arbres l’aplomb le tombant                    le silence du début d’un spec-

tacle                    quelque chose se prépare                    _puis ils vous font marcher où vous

ne voyez rien d’autre que quelques pointes de flammes                    glaneurs glaneuses

d’obscurité                    posez bien un pied devant l’autre                    habituez vos

yeux pour demain-

 

 
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Virginie Gautier | Les déprises (08)

Les Déprises est un travail poétique en cours d’écriture, le débord d’un récit qui m’a amené à m’interroger sur la question des ZAD comme zones à défendre. Cette forme poétique est traversée par l’idée de recyclage.

Virginie Gautier mène un travail plastique autour de questions d’espaces et de paysage tout en enseignant les arts visuels. À partir de 2008, elle poursuit ses recherches à travers l’écriture, publie plusieurs récits aux éditions du Chemin de Fer ainsi qu’aux éditions Publie.net dont elle co-dirige la collection de poésie, L’esquif. Elle est actuellement en contrat doctoral en recherche et création littéraire et chargée de cours à l’université de Cergy-Pontoise.

 
 

-du mouvement                    rotations saisonnières des récoltes                    qu’ils ramènent

à plein bras des champs                    comme des enfants                    connaissent

                    les fruits les crosses                    les vrilles grimpantes                    (crochets gra-

minées gaillet gratteron)                    garance voyageuse aux croupes des chiens qui s’é-

brouent                    ils ont poussé un jour cette porte d’un jardin                    n’en bougeront

pas                    ou par deux                    par trois                    par tour de garde

veillant sur un banc comme des pierres                    des culs de plomb                    rete-

nus                    ralentis                    _à vue d’œil la ronce aussi ce qu’elle ne peut gommer le

recouvre                    fournit la retraite et l’aiguille                    la lanière                    des

brouillons de phrases mêlées d’averses sous les bâches récupérées d’une serre

                    avec cordes tendues au vent                    provision de palabres                    maté-

riaux tombés d’un ciel                    idoines                    qui font sourire                    ils rest-

 

 
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Virginie Gautier | Les déprises (07)

Les Déprises est un travail poétique en cours d’écriture, le débord d’un récit qui m’a amené à m’interroger sur la question des ZAD comme zones à défendre. Cette forme poétique est traversée par l’idée de recyclage.

Virginie Gautier mène un travail plastique autour de questions d’espaces et de paysage tout en enseignant les arts visuels. À partir de 2008, elle poursuit ses recherches à travers l’écriture, publie plusieurs récits aux éditions du Chemin de Fer ainsi qu’aux éditions Publie.net dont elle co-dirige la collection de poésie, L’esquif. Elle est actuellement en contrat doctoral en recherche et création littéraire et chargée de cours à l’université de Cergy-Pontoise.

 
 

-jeu des routes                    ils déroulent                    en travers                    un morceau de vil-

lage                    fabriquent une chaleur musicale pour traverser la nuit entière

un concert sans fin                    un remix de tous les morceaux                    les cagettes de

pain viendront bien                    les alcools seront tirés des caves                    ils trinque-

ront                    aux convois !                    aux buissons !                    aux dix haches

en état de marche                    au geste de planter son clou                    debout dehors

s’endorment dans un courant s’éveillent avec des voix comme des cymbales                    qui

dureront jusqu’au matin                    avec les grelots d’un troupeau de bêtes                    pais-

sant                    (plantain pissenlit)                    quand on n’a rien on trouve                    les

limes nécessaires                    on se souvient                    du fruit de l’églantier rosa canina qui

réduit les douleurs articulaires et améliore la fluidité du mouvem-

 

 
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Virginie Gautier | Les déprises (06)

Les Déprises est un travail poétique en cours d’écriture, le débord d’un récit qui m’a amené à m’interroger sur la question des ZAD comme zones à défendre. Cette forme poétique est traversée par l’idée de recyclage.

Virginie Gautier mène un travail plastique autour de questions d’espaces et de paysage tout en enseignant les arts visuels. À partir de 2008, elle poursuit ses recherches à travers l’écriture, publie plusieurs récits aux éditions du Chemin de Fer ainsi qu’aux éditions Publie.net dont elle co-dirige la collection de poésie, L’esquif. Elle est actuellement en contrat doctoral en recherche et création littéraire et chargée de cours à l’université de Cergy-Pontoise.

 
 

-nuit très noire/                    où l’on se cale                    on se lèche les plaies                    c’est

dehors qu’est la sauvagerie                    le monde hérissé de panneaux de balises

                    occupe toute la place                    te saisit par le col                    à revers

aussi c’est ça                    défaire                    c’est toute l’entreprise                    détourner les

tournures                    désosser les petites mécaniques                    _calés dans les fourches

d’un arbre ils imitent le cri de certains animaux                    (des oiseaux particuliers)

ils sont la présence invisible pendant les pourparlers                    avance peuple des noues

des roues des pieds nus                    foule masquée                    gens des caravanes

avance                    pour un énième traité de Grande Paix                    puis ramasse là tes

mauvaises graines                    dégage ton troupeau                    c’est assez joué avec l’enjeu

des rout-

 

 
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Virginie Gautier | Les déprises (05)

Les Déprises est un travail poétique en cours d’écriture, le débord d’un récit qui m’a amené à m’interroger sur la question des ZAD comme zones à défendre. Cette forme poétique est traversée par l’idée de recyclage.

Virginie Gautier mène un travail plastique autour de questions d’espaces et de paysage tout en enseignant les arts visuels. À partir de 2008, elle poursuit ses recherches à travers l’écriture, publie plusieurs récits aux éditions du Chemin de Fer ainsi qu’aux éditions Publie.net dont elle co-dirige la collection de poésie, L’esquif. Elle est actuellement en contrat doctoral en recherche et création littéraire et chargée de cours à l’université de Cergy-Pontoise.

 
 

-s’espace                    venus l’un par l’autre                    qui connaît quelqu’un qui connaît son

frère                    sa sœur de lutte de l’année dernière                     les ramène au printemps

                    ni trop jeunes ni trop âgés pour fonder cette nouvelle                    Amérique

à cet endroit les heurts sont inévitables                    (combien sont-ils dans l’habitacle ?)

                    ils vont et viennent avec des brins de paille                    le torse                    les

lobes                    la lèvre inférieure perforée d’un roseau                    tapissent un nid (un

four) d’argile jaune or                    vont et viennent avec une brouette                    comme gens

de brousse                    la terre crue qu’ils découpent                    _coupent                    tracent

surtout                    une pelote de lignes aux maillage des haies                    aux baraques

                    aux gourbis                    aux AG aux habitats légers                    des lignes sur

-tout                    des lignes jusqu’à la nuit très noir-

 

 
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Virginie Gautier | Les déprises (04)

Les Déprises est un travail poétique en cours d’écriture, le débord d’un récit qui m’a amené à m’interroger sur la question des ZAD comme zones à défendre. Cette forme poétique est traversée par l’idée de recyclage.

Virginie Gautier mène un travail plastique autour de questions d’espaces et de paysage tout en enseignant les arts visuels. À partir de 2008, elle poursuit ses recherches à travers l’écriture, publie plusieurs récits aux éditions du Chemin de Fer ainsi qu’aux éditions Publie.net dont elle co-dirige la collection de poésie, L’esquif. Elle est actuellement en contrat doctoral en recherche et création littéraire et chargée de cours à l’université de Cergy-Pontoise.

 
 

                    -de s’approvisionner                    fin                    de cette nature ancienne

des débris qu’ils mêlent au sauvage                    fondent par le feu les lames les ressorts

avec pointes et stylets                    gravats déchets reliques                    toute une grammaire

de désapprentissage                    des lieux-dits forgés de toutes pièces                    sur le

tard                    au pied levé                    car                    d’abord                    ils ne savaient

rien faire                    _hissent une tente                    une estrade                    une charpente

lanternent sur les talus plantés de bâtons qui repoussent                    [un grand moment pu-

blic]                    des champs remplis de cris et de secousses                    une foule s’amasse

qui est étrangère au bocage                    paroles jetées en l’air comme électricité

tout est offert puis dépensé                    dispersé                    s’espac-

 

 
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Virginie Gautier | Les déprises (03)

Les Déprises est un travail poétique en cours d’écriture, le débord d’un récit qui m’a amené à m’interroger sur la question des ZAD comme zones à défendre. Cette forme poétique est traversée par l’idée de recyclage.

Virginie Gautier mène un travail plastique autour de questions d’espaces et de paysage tout en enseignant les arts visuels. À partir de 2008, elle poursuit ses recherches à travers l’écriture, publie plusieurs récits aux éditions du Chemin de Fer ainsi qu’aux éditions Publie.net dont elle co-dirige la collection de poésie, L’esquif. Elle est actuellement en contrat doctoral en recherche et création littéraire et chargée de cours à l’université de Cergy-Pontoise.

 
 

                    -leur solidité                    le coupant de la hache                    le pied de bi-

che                    l’huile de coude                    la palette du même bois que le bois de l’ar-

bre                    à bras le corps                    le hangar                    en coque de bateau

en écailles                    petites peaux                    du même tonneau                    le dos cintré

tirant l’arc                    arquant la tige                    le piège                    cette chose bien pesée

disposée à distance                    sur la litière forestière qu’ils traversent en courant

trois bonds sorciers                    les longues pattes                    les manches relevées

perdent des plumes                    puis s’arrêtent                    devant un tertre                    une

chose à défendre                    _ici les carnivores feront les mammifères                    les

mâles les femelles                    les plus malins les amphibiens                    les historiques

de l’histoire continuent de creuser                    écorcent des troncs d’ivoire                    avec

les mains ramassent                    des résidus des graines                    faisant le geste de

s’approvision-

 

 
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Virginie Gautier | Les déprises (02)

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                    -capitonnés de feuilles                    à peine arrivés                    la zone enva-

hie                    à leurs manières légères                    ils donnent l’eau aux chiens d’un bidon

touchant terre                    les pointes des pieds déchaussés dans l’humide                    sur

l’herbe des marais où glissaient les pirogues                    (petites pirogues pour chasser

l’oie sauvage)                    un bout abandonné du monde                    l’occasion est trop

belle                    pour eux                    qui ont tourné longtemps                    la terre

gratuite                    cri des crapauds                    dans l’air tapage nocturne                    ils

ne savaient rien de ça                    du peu qu’il faut                    des branches à feu dites

fagot                    paroles en bouche à oreille                    un cercle autour                    lu-

mière vacille                    l’île est aux rats                    aux rats les miettes                    bientôt

tailleront pics pilotis                    pont de planches                    échelles connues pour leur

solidit-

 

 
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Virginie Gautier | Les déprises (01)

Les Déprises est un travail poétique en cours d’écriture, le débord d’un récit qui m’a amené à m’interroger sur la question des ZAD comme zones à défendre. Cette forme poétique est traversée par l’idée de recyclage.

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                    Départ à l’aube                  où tout est provisoire                    démontable       

grossièrement ficelé                    articulé                    roulant sur roues                    déplacé

par une troupe de l’autre côté d’un barrage                    d’un fossé                    on sort des

ornières un camion                    on cherche un point d’accroche                    de chute

une forêt                    une piste indienne en particulier                    qui se détourne

lustrée par les pas des chasseurs                    un lac                    avec une bordure où l’on

puisse fredonner                    en trottant comme sur un cheval                    en récitant des

vers                    les plus démunis sont les plus légers                    les plus légers

les moins saisissables                    les plus dispersés                    _cette terre d’abord si étrange

si pleine de bruits                    zébrée de bois sauvages                    des restes d’un feu ils

ont fait leur destination                    dorment sur des tissus tendus capitonnés de feuil-

 

 
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