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Augustin Berque • Chôra {2/3}

Nous publions un texte d’Augustin Berque, que nous remercions ici, qui explicite la notion de “chôra” apparue chez Platon et que la modernité a toujours reléguée ou réfutée ; ce concept anomal pourrait pourtant permettre de nourrir la réflexion autour d’une ontologie que les enjeux politiques, écologiques et éthiques du moment appellent urgemment. Une version de ce texte a paru dans Thierry Paquot et Chris Younès, dir., Espace et lieu dans la pensée occidentale de Platon à Nietzsche, Paris, La Découverte, 2012, p. 13-27. Nous remercions également ces auteurs et l’éditeur.

 
Nota le texte est divisé en trois parts : 123
 

4. La chôra dans l’espace mental de la modernité

Ces connotations existentielles et vitales, c’est justement ce dont s’abstrait l’une des analyses modernes les plus fameuses de la notion de chôra : celle de Jacques Derrida dans un livret intitulé, justement, Khôra1. Dans cet ouvrage, Derrida n’étudie certes pas ce terme en tant qu’il exprimerait une problématique de l’espace ou des lieux, mais à propos de la notion de mythe ; néanmoins, son approche révèle exemplairement la conception que la modernité s’est faite des lieux et de l’espace ; à savoir celle du paradigme cartésien-newtonien que Gilles-Gaston Granger, comme on l’a vu plus haut, a décelé en puissance dans la géométrie euclidienne. Dans ce paradigme, un lieu est un point définissable abstraitement par ses coordonnées cartésiennes (l’abscisse, la cote et l’ordonnée) ; abstraction qui est rendue possible parce que tout cela se situe dans la neutralité absolue d’un espace newtonien.

L’approche de Derrida procède effectivement de ce paradigme par son intention première, qui est de réduire la chôra à une figure textuelle autoréférentielle. L’autoréférence, en la matière, permet d’abstraire absolument la chôra de tout milieu qui la situerait concrètement, puisqu’elle est à elle-même sa propre chôra. Cette autofondation est en tout point homologue à celle du cogito par lui-même dans le Discours de la méthode : « (…) je connus de là que j’étais une substance (…) qui, pour être, n’a besoin d’aucun lieu, ni ne dépend d’aucune chose matérielle2 ».

Pour construire cette figure abstraite, Derrida commence par renoncer à traduire le terme chôra, ce qui, écrit-il, serait le rattacher arbitrairement à une « texture tropique » (p. 23). Il l’éloigne de sa transcription courante, chôra, pour en faire – plus exotiquement – khôra. Il le détache ensuite de l’usage, normal en grec comme en français, de faire précéder les noms communs d’un article : khôra devient donc une sorte de nom propre, mais sans l’être vraiment car il n’a pas la majuscule. Voilà donc le terme extrait de ce milieu qu’est la langue française, mais aussi bien du grec.

Ces formalités accomplies, Derrida entame l’abstraction majeure : couper la chôra du sens qu’elle pouvait avoir en Grèce du temps de Platon, pour la réduire à un actant du texte qu’il a sous les yeux, voire de celui qu’il est en train d’écrire. Il opère pour cela une greffe de l’un sur l’autre, en une figure eschérienne où la chôra devient à jamais la fin et le commencement d’elle-même. Il souligne à cet effet que le Timée se structure en une imbrication de récits : « Une structure d’inclusion fait de la fiction incluse le thème en quelque sorte de la fiction antérieure qui en est la forme incluante » (p. 76). Cette structure, qui prive le récit d’un véritable énonciateur comme de tout référent extérieur à lui-même, accomplit l’u-topie (le non-lieu) absolue de l’objet linguistique pur : l’en-soi d’un récit que nul embrayeur (ou shifter, chez Jakobson) ne rattacherait au discours d’un existant quelconque, engagé dans un certain milieu à une certaine époque.

Inutile de souligner que ce rêve de l’objet pur, c’est celui du dualisme moderne, où l’objet en soi est le symétrique exact de l’autofondation du sujet en soi (le cogito), de part et d’autre d’un néant abstrait qui au contraire, dans la réalité des milieux humains, est un milieu concret – une chôra, comme on va le voir ; mais finissons-en d’abord avec la démonstration derridienne. Celle-ci est exemplairement moderne en ce que c’est justement de cette chôra qu’elle fait une figure abstraite, coupée de tout milieu, de tout lieu et de toute chose matérielle, comme l’est le cogito cartésien. Débrayée de toutes ces contingences, la chôra selon Derrida tournoie en roue libre, à jamais fin et commencement d’elle-même. Cette transmogrification de la chôra en ce dont elle était justement l’inverse pérore dans la dernière phrase de l’ouvrage (p. 97), où Derrida, citant textuellement le Timée (69 b 1), fait dire à Platon ce qu’il veut dire lui-même : « Et tâchons de donner comme fin (teleuten) à notre histoire (tô mythô) une tête (kephalên) qui s’accorde avec le début afin d’en couronner ce qui précède ».

 

5. L’être, le devenir et le milieu

Ce tour de magie par lequel Derrida fait dire à un auteur l’inverse de ce qu’il voulait dire commence par extraire la phrase susdite de son contexte. Contrairement à ce qu’elle devient dans Khôra, cette phrase n’est nullement la conclusion du Timée. Au contraire, la phrase qui, dans le texte de Platon, suit immédiatement celle-ci, précise ce que voici : « Or, ainsi qu’il a été dit au commencement (kat’archas), toutes choses se trouvant en désordre (ataktôs), le Dieu a introduit en chacune et les unes par rapport aux autres, des proportions (auto pros auto to kai pros allêla summetrias) » (69 b 3). C’est cela, le « commencement » (archê, ou archa dans le dialecte dorien) sur lequel insiste Timée ; à savoir la mise en ordre (kosmos) des choses les unes par rapport aux autres, dans le tissu de relations réciproques (summetriai) qui, on le verra, forme concrètement leur milieu (chôra) au sein du monde sensible (kosmos).

Cette summetria des choses dans leur milieu concret, le propos derridien exige dans son principe même d’en faire abstraction ; ce qu’il réalise par la troncature du texte, faisant une conclusion de ce qui y est en fait un embrayage – un embrayage du reste lourdement appuyé par la redondance de cet hosper gar oun kai (« et ainsi donc en effet que… ») qui articule les deux phrases.

Quittant le propos de Derrida, venons-en maintenant au propos de Platon. S’agissant de la chôra, le moins qu’on puisse dire est que ce propos n’est pas clair. Cela sans doute pour deux raisons, qui sont au fond contradictoires ; contradiction que le texte du Timée ne surmonte justement pas, et qui va sceller le sort de la chôra pour les siècles à venir dans la pensée européenne. En un mot, celle-ci va l’oublier – elle va oublier, en somme, la question : « pourquoi faut-il que les êtres aient un où ? » –, pour s’en tenir à la claire définition qu’Aristote, en revanche, lui aura donnée de la notion de topos – i.e. s’en tenir, en somme, à la question : « où sont les êtres ? » ; ce qui, on le verra, est justement forclore (lock out) la chôra de la question l’être.

Or si dans le Timée cette forclusion n’est pas encore accomplie, puisque Platon justement s’interroge sur la chôra, son ontologie en revanche, dont le principe est l’identité à soi-même de l’« être véritable » (ontôs on, i.e. l’eidos ou idea), exclut toute saisie logique de ladite notion de chôra, en tant que celle-ci échappe mystérieusement à ce principe d’identité. Elle lui échappe à tel point que Platon n’en donne aucune définition, se contentant de la cerner au moyen de métaphores ; lesquelles, en outre, sont contradictoires. Il la compare ici à une mère (mêtêr, 50 d 2), ou à une nourrice (tithênê, 52 d 4), c’est-à-dire en somme à une matrice, mais ailleurs à ce qui est le contraire d’une matrice, c’est-à-dire à une empreinte (ekmageion, 50 c 1).

Empreinte et matrice à la fois, la chôra l’est par rapport à ce que Platon appelle la genesis, c’est-à-dire le devenir des êtres du monde sensible (kosmos aisthêtos) ; lesquels, dans l’ontocosmologie du Timée, ne sont pas l’être véritable, mais seulement son reflet ou son image (eikôn).

Ainsi donc empreinte et matrice, à la fois une chose et son contraire, la chôra n’a littéralement pas d’identité. L’on ne peut pas s’en faire idée. Platon reconnaît qu’une telle chose est « difficilement croyable » (mogis piston, 52 b 2), et qu’« en la voyant, on la rêve » (oneiropoloumen blepontes, 52 b 3) ; mais il insiste sur son existence : dans la mise en ordre (la cosmisation) de l’être, il y a bien, dès le départ et à la fois, l’être véritable, sa projection en existants, et le milieu où cette projection s’accomplit concrètement en devenir, c’est-à-dire la chôra. Soit dans le texte platonicien : on te kai chôran te kai genesin einai, tria trichê, kai prin ouranon genesthai (52 d 2), « il y a et l’être, et le milieu et l’existant, tous trois triplement, et qui sont nés avant le ciel » (c’est-à-dire avant la mise en ordre du kosmos, qui dans le Timée est identifié à l’ouranos).

 
To be continued ou pas 123
 

Augustin Berque • Chôra {1/3}

Nous publions un texte d’Augustin Berque, que nous remercions ici, qui explicite la notion de “chôra” apparue chez Platon et que la modernité a toujours reléguée ou réfutée ; ce concept anomal pourrait pourtant permettre de nourrir la réflexion autour d’une ontologie que les enjeux politiques, écologiques et éthiques du moment appellent urgemment. Une version de ce texte a paru dans Thierry Paquot et Chris Younès, dir., Espace et lieu dans la pensée occidentale de Platon à Nietzsche, Paris, La Découverte, 2012, p. 13-27. Nous remercions également ces auteurs et l’éditeur.

 
Nota le texte est divisé en trois parts : 12 • 3
 

1. Comment disait-on « espace » en grec ancien ?

Le petit dictionnaire français-grec de chez Hatier, classant en cinq les acceptions du mot français espace, en donne les équivalents suivants pour le grec ancien : 1° en philosophie, comme étendue indéfinie : chaos, kenon ; 2° comme étendue limitée ou occupée par les corps : topos, choros, chorion ; 3° comme intervalle : metaxu, metaxu topos, meson ; 4° comme air, atmosphère : meteôros ; 5° comme étendue de temps : chronos. En grec moderne, nous retrouvons chôros dans le petit lexique bilingue de Haractidi. C’est donc ce mot qui, sur le long terme, semble avoir été le plus proche d’espace. Pour le grec ancien, le dictionnaire grec-français de Bailly en donne les définitions suivantes : « espace, d’où 1. intervalle entre des objets isolés ‖ 2. emplacement déterminé, lieu limité ; le lieu, le pays que voici ‖ 3. pays, région, contrée ; territoire d’une ville ‖ 4. espace de la campagne, campagne, par opposition à la ville ; bien de campagne, fonds de terre ».

Au demeurant, chôros n’occupe dans le Bailly qu’un développement d’une trentaine de lignes ; ce qui est peu en comparaison de son homologue et semble-t-il quasi synonyme féminin chôra, lequel a droit dans le Bailly à près de cent lignes. Pourquoi cette différence, alors que ce mot de chôra ne figure même pas dans la liste qui précède ? L’une des raisons pourrait en être le statut philosophique que, depuis Platon, semble avoir eu chôra. C’est en effet ce mot-là que l’on a tenu généralement pour ce qui, dans la pensée grecque, se rapprocherait le plus de notre notion d’espace. Tel est le cas de Heidegger, dans son Introduction à la métaphysique1 ; lequel, tout en affirmant que les Grecs ne possédaient pas un tel concept, au sens moderne de pure vacuité préexistant aux corps, en voit l’origine dans la chôra platonicienne. Or, selon Alain Boutot2, Heidegger aurait là commis un contresens.

L’un des points que nous tâcherons ici d’éclaircir, ce sera justement la possibilité ou l’impossibilité d’un tel rapprochement : peut-on, ou non, tenir la chôra pour l’équivalent de notre espace ? Pour un Gilles-Gaston Granger3, l’espace qu’implique la géométrie euclidienne est bien de même nature que celui du paradigme occidental moderne classique, c’est-à-dire l’espace de Newton : un absolu homogène, isotrope et infini ; mais impliquer, ce n’est pas concevoir, et encore moins nommer. Cet espace-là, Euclide n’en dit rien, et sa géométrie ne nous en livre pas le concept.

Le point de vue, ici, sera l’inverse de celui de Granger : non pas déduire, en termes modernes, un espace implicite dans un propos ancien, mais s’attacher au contraire à saisir le sens que pouvait avoir, dans son contexte propre, un mot explicitement utilisé par un auteur ancien. Cet auteur, c’est Platon, le père de notre philosophie ; et le mot en question, chôra (χώρα), il l’utilise et le commente dans le Timée (ТІМАІОΣ), son œuvre la plus emblématique – c’est le livre que, sous les traits de Léonard de Vinci, il tient à la main au centre de la fresque l’École d’Athènes, que Raphaël peignit sur l’un des quatre murs de la « Chambre de la Signature », dans le palais de Jules II au Vatican, pour représenter la quête de la vérité par la philosophie.

 

2. Le Timée

Pour le lecteur d’aujourd’hui, le contexte premier de la notion de chôra, c’est bien entendu le texte du Timée. Celui-ci est l’une des dernières œuvres de Platon (424-348 a.C.), qui l’aurait écrite une dizaine d’années avant sa mort, donc déjà sexagénaire. Le Timée tient son titre du nom de l’un des deux personnages d’un dialogue avec Socrate – plus exactement d’un trialogue, car un troisième personnage, Critias, y intervient aussi –, mais c’est avant tout un long exposé, fait par Timée, sur l’origine du monde (le kosmos) et sa composition. Les deux vont ensemble, dans un arrangement rationnel ; c’est-à-dire que le Timée, plutôt qu’une cosmogonie (un récit, à tendance mythique, de l’origine du monde), est une cosmologie (une étude, à tendance scientifique, de la formation du monde). C’est en même temps une ontologie, car cette origine des êtres est aussi une théorie de l’être – une métaphysique. En somme, dans le Timée, Platon expose, par la bouche de Timée, une ontocosmologie, que l’on peut tenir pour l’essentiel de sa pensée à l’époque de sa pleine maturité. C’est ce qui explique l’importance attachée à cette œuvre par la postérité philosophique, d’Aristote à Derrida.

S’agissant de l’espace et du lieu, les deux mots qui y correspondent dans le texte platonicien sont topos (τόπος) et chôra. Jean-François Pradeau, qui s’est livré à une minutieuse analyse de l’emploi de ces deux termes dans le Timée, conclut à cet égard :

La distinction des deux termes dans le Timée semble maintenant suffisamment claire. Topos désigne toujours le lieu où se trouve, où est situé un corps. Et le lieu est indissociable de la constitution de ce corps, c’est-à-dire aussi de son mouvement. Mais, quand Platon explique que chaque réalité sensible possède par définition une place, une place propre quand elle y exerce sa fonction et y conserve sa nature, alors il utilise le terme chôra. De topos à chôra, on passe ainsi de l’explication et de la description physiques au postulat et à la définition de la réalité sensible. […] On distingue ainsi le lieu physique relatif de la propriété ontologique qui fonde cette localisation. Afin d’exprimer cette nécessaire localisation des corps, Platon a recours au terme de chôra, qui signifie justement l’appartenance d’une extension limitée et définie à un sujet (qu’il s’agisse du territoire de la cité, ou de la place d’une chose4).

En somme, dans le texte du Timée, topos correspondrait à la question banalement factuelle : « où est-ce ? », tandis que chôra correspondrait à une question beaucoup plus complexe, et ontologiquement plus profonde : « pourquoi donc cet où ? ». De fait, l’ontocosmologie du Timée commente la notion de chôra, non celle de topos ; laquelle, au contraire, fera l’objet d’un questionnement très précis dans la Physique d’Aristote. Nous ne nous occuperons donc ici que de la chôra.

 

3. Les divers sens du mot chôra

Commençons par les acceptions qu’en relève le Bailly : « I. Espace de terre limité et occupé par quelqu’un ou par quelque chose ; particulièrement : 1. espace de terre situé entre deux objets, intervalle : oude ti pollê chôrê messegus (et il n’y a pas un grand intervalle au milieu, Iliade, 23, 521) ‖ 2. emplacement, place : oligê eni chôrê (dans un petit espace (Iliade, 17, 394) ‖ 3. place occupée par une personne ou par une chose : place (qu’occupe le ciel), lit (d’un fleuve), place (des yeux), place (d’une construction), (mettre en) place, (prendre sa) place, (être à une) place, (demeurer en repos, se tenir à sa) place, (laisser en) place, (rester en) place, (changer de) place (en places), (céder la) place (pour quelque chose) ‖ 4. place marquée, rang, poste : (s’asseoir à sa) place, (s’en aller à sa) place ; particulièrement place assignée à un soldat, poste : (occuper son) poste, (être à leur) poste, (tomber, mourir à son) poste, (abandonner son) poste ; (être repoussé de, s’élancer de la) position qu’on occupe, (avoir une) situation (honorable), (occuper les plus grandes) places ; (être au) rang (des esclaves, d’un mercenaire), (être réduit au) rang (des esclaves), (être considéré comme rien, n’avoir aucun) rang ‖ II. Espace de pays, d’où : 1. pays, contrée, territoire : hê chôrê hê Attikê (le territoire de l’Attique, Hérodote, Histoires, 9, 13) ; absolument hê chôra (ou hê chôrê dans le dialecte ionien) : l’Attique ; patrie ‖ 2. sol, terre ‖ 3. campagne, par opposition à la ville ; d’où : bien de campagne ».

Comme le souligne le classement adopté par le Bailly, nous avons donc là, en sus de la notion d’intervalle, deux familles de sens. Dans la première, chôra signifie l’espace ou le lieu attributifs d’un être quelconque, et ce en général, c’est-à-dire que cet attribut peut être physique (localisable dans l’étendue) ou social (localisable parmi les rôles personnels). On « a » (echei) une certaine chôra, comme on peut « avoir » un certain vêtement (eima echein), ou des cheveux blancs (polias echein), ou un casque en cuir de chien sur la tête (kuneên kephalê echein), etc. ; attributs qui sont donc plus ou moins dissociables de l’être – plus ou moins de l’ordre du ser ou de celui de l’estar, comme le distinguerait l’espagnol. « Être repoussé de ses positions », ek chôras ôtheisthai (Xénophon, Cyropédie, 7, 1, 36), c’est plus accidentel et moins essentiel que d’« être nulle part » en oudemia chôra einai (Xénophon, Anabase, 5, 7, 28), i.e. d’être considéré comme rien ; et « aller à sa place », kata chôran parienai (Cyropédie, 1, 2, 4), c’est plus casuel et moins destinal que de « mourir à son poste », en chôra thanein (Xénophon, Helléniques, 4, 8, 39). Bref, en tant qu’attribut d’un être, la valeur ontologique de la chôra semble variable.

Dans la seconde famille de sens qui nous importe ici, chôra devient quelque chose de beaucoup plus concret, singulier et précis : c’est la contrée ou le territoire qui est propre à une cité-État (polis). C’est nommément la chôra d’une certaine polis, comme l’Attique l’est pour Athènes, la Béotie pour Thèbes, la Laconie pour Sparte, etc. Plus spécialement encore, c’est la partie rurale de ce territoire, celle qui se trouve en dehors des remparts de l’astu (la ville proprement dite), et en deçà des confins inhabités, les eschatiai qui, en Grèce, sont généralement les montagnes sauvages marquant la frontière entre deux cités. En somme, c’est la campagne qui, rôle indispensable, fournit ses subsistances à la polis, dont elle fait structurellement partie.

En outre, comme l’a mis en lumière un article fameux d’Émile Benveniste5, contrairement au couple latin civis (citoyen) / civitas (cité), où le terme primaire est civis, la civitas découlant de l’association des cives, dans le couple grec correspondant politês / polis, c’est au contraire polis qui est le terme primaire et qui donc détermine l’existence du citoyen (politês), c’est-à-dire de l’homme grec paradigmatique tel que Périclès ou Platon.

Il s’ensuit que, pour de tels êtres humains, la notion de chôra devait être empreinte de connotations existentielles et vitales, dont il nous faudra tenir compte, herméneutiquement, dans le propos du Timée.

 
To be continued ou pas 123
 

Statistiques de l’ “Enbibliothèque Hors-Sol”

Hors-Sol a proposé une enquête à plus de trente lecteurs assidus leur demandant de dresser une liste de quelques livres, deux trois par an, pas davantage, qui, selon eux, étaient appelés à demeurer. La période considérée étant la décennie 2001-2010.

Le texte de l’enquêteLes contributeursLes auteurs citésLes éditeurs cités

Les résultats : 2001200220032004200520062007200820092010

Avec le palmarès de la dixième année, le temps est venu de faire un bilan de cette enquête.

• 16 contributeurs ont participé : éditeurs, chercheurs, libraires, auteurs, traducteurs, modérateurs… Mais vous pouvez aussi faire vos propositions, soit par mail, soit dans les commentaires des années concernées !

• 154 auteurs sont cités (97 francophones et 57 traduits pour 22 nationalités1), pour 176 ouvrages (115 francophones et 61 traductions de 12 langues2).

• Les auteurs avec plus d’un titre unique cité sont au nombre de 25, dont :
19 francophones
— 3 ouvrages cités : Bon, Chevillard, Derrida, Masséra, Volodine ;
— 2 ouvrages cités : Arlix, Bertina, Ch’Vavar, Claro, Echenoz, Fleisher, Jauffret, Kaplan, Mauvignier, Mouawad, Noël, Quignard, Schiffrin, Senges, Vasset ;
6 auteurs traduits (un de l’espagnol [Chili], un du russe, quatre de l’anglais (USA))
— 2 ouvrages cités : Bolaño, DeLillo, Danielewski, Pynchon, Sorokine, Vollman.

• En outre, les auteurs les plus cités (certains livres sont cités par plusieurs contributeurs) sont au nombre de 12, dont :
6 francophones
— auteur cité 5 fois pour 2 ouvrages : Jauffret ;
— auteur cité 4 fois pour 2 ouvrages : Mauvignier ;
— auteurs cités 3 fois pour 2 ouvrages : Emaz, Noël ;
— auteurs cités 2 fois pour 1 ouvrage : Bertina, des Forêts, Jouannais ;
3 auteurs traduits (deux de l’espagnol [Chili et Espagne], deux du russe)
— auteur cité 4 fois pour 2 ouvrages : Bollaño ;
— auteur cité 3 fois pour 2 ouvrages : Sorokine ;
— auteur cité 3 fois pour 1 ouvrage : Vila-Matas ;
— auteur cité 2 fois pour 1 ouvrage : Rosenthal, Soudaïeva, deux femmes !

• Antoine Volodine, Roberto Bollaño, Régis Jauffret et Laurent Mauvignier sont les auteurs cités plus de trois fois.

• Il y a 17 auteurs femmes (13 francophones, 4 non-francophones) soit 11% du contingent.

• Les statistiques concernant les traducteurs, ainsi que leur liste sont en cours d’élaboration. Merci de patienter.

• Il y a 61 éditeurs, plus 4 que nous différencions de leur maison mère (Fiction & Cie > Le Seuil et L’Arablète, L’Arpenteur, Verticales > Gallimard). Les éditeurs les plus cités sont :
— Verticales [Gallimard] : 19 fois
— Gallimard [sans L’Arpenteur, L’Arbalète, Verticales] : 13 fois
— Actes Sud, POL : 12 fois
— Christian Bourgois, Minuit : 11 fois
— Fiction & Cie [Le Seuil] : 10 fois
— Verdier : 9 fois
— Le Seuil [sans Fiction & Cie] : 7 fois
— Galilée : 6 fois3.

Livres 2010

Hors-Sol a proposé une enquête à plus de trente lecteurs assidus leur demandant de dresser une liste de quelques livres, deux trois par an, pas davantage, qui, selon eux, étaient appelés à demeurer. La période considérée étant la décennie 2001-2010.

Le texte de l’enquêteLes contributeursLes auteurs citésLes éditeurs cités

Les résultats : 2001200220032004200520062007200820092010

Quelle belle année que 2010 ! Vingt-deux livres ont été cités, parmi lesquels dix-huit fictions (huit françaises et dix traductions) et quatre essais francophones.

Fiction

Domaine francophone (ordre alphabétique des auteurs)


Patrick Chatelier, Pas le bon, pas le truand, Verticales | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Benoît Vincent



Eric Chevillard, Choir, Minuit | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Benoît Vincent



Claro, Cosmoz, Actes Sud | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Hugues Robert



Jérôme Ferrari, Où j’ai laissé mon âme, Actes Sud | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Raymond Penblanc



Maylis de Kerangal, Naissance d’un pont, Verticales | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Charles Robinson



Mathieu Larnaudie, Acharnement, Actes Sud | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Hugues Robert



Bernard Noël, Les plumes d’Eros (Œuvres, I), POL | lien éditeur | lien auteurs
Contribution de Stéphane Bikialo



Pierre Senges, Etudes de silhouettes, Verticales | lien éditeur | lien auteurs
Contribution de Benoît Vincent

 

Domaine étranger (ordre alphabétique des auteurs)


John Ashbery (), Trois poemes, traduction de Franc André Jamme, Al Dante | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Christophe Manon



Bernardo Carvalho (), ’Ta mère, traduction de Geneviève Leibrich, Métailié | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Raymond Penblanc



James Ellroy (), Underworld USA, traduction de Jean-Paul Gratias, Payot-Rivages | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Christophe Manon



Reinhard Jirgl (), Roman du temps nerveux, traduction de Martine Rémon, Quidam | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Charles Robinson



Thomas Pynchon (), Vice caché, traduction de Nicolas Richard, Fiction & Cie | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Charles Robinson



Ramón Sender (), Requiem pour un paysan espagnol, suivi de Le Gué, traduction de Jean-Paul Cortada (Requiem) et de Jean-Pierre Ressot (Le Gué), Attila | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Benoît Vincent



Iain Sinclair (), London Orbital, traduction de Maxime Berrée et Barbara Schmidt, Inculte | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Benoît Vincent



Vladimir Sorokine (), Roman, traduction d’Anne Coldefy-Faucard, Verdier | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Christophe Manon et Nicolas Vivès



Jón Kalman Stefánsson (), Entre ciel et terre [Himnaríki og helvíti], traduction de l’islandais par Éric Boury, Gallimard | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Raymond Penblanc



Paul Verhaegen (), Omega Mineur, traduit par Claro, Le Cherche-Midi | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Hugues Robert

§

Essais

Domaine francophone (ordre alphabétique des auteurs)


Augustin Berque, Milieu et identité humaine. Pour un dépassement de la modernité, Donner lieu | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Benoît Vincent



Eric Arlix et Jean-Charles Massera, Le guide du démocrate, Lignes | lien éditeur | lien auteurs
Contribution de Stéphane Bikialo



Alain Schiffrin, L’argent et les mots, La Fabrique | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Stéphane Bikialo



Frédéric Lordon, Capitalisme, désir et servitude. Marx et Spinoza, La Fabrique | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Benoît Vincent

 

Domaine traduit

Pas de proposition

Livres 2009

Hors-Sol a proposé une enquête à plus de trente lecteurs assidus leur demandant de dresser une liste de quelques livres, deux trois par an, pas davantage, qui, selon eux, étaient appelés à demeurer. La période considérée étant la décennie 2001-2010.

Le texte de l’enquêteLes contributeursLes auteurs citésLes éditeurs cités

Les résultats : 2001200220032004200520062007200820092010

Quelle belle année que 2009 ! Quatorze livres ont été cités, parmi lesquels neuf fictions (quatre françaises et cinq traductions) et cinq essais francophones.

Fiction

Domaine francophone (ordre alphabétique des auteurs)


Philippe Annocque, Liquide, Quidam | lien éditeur
Contribution de Hugues Robert



Nathalie Constant, La reformation des Imbéciles, Le Chemin de Fer | lien éditeur
Contribution de Benoît Vincent



Laurent Mauvignier, Des hommes, Minuit | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Stéphane Bikialo et Raymond Penblanc



Vincent Message, Les veilleurs, Le Seuil | lien éditeur
Contribution de Hugues Robert

Domaine étranger (ordre alphabétique des auteurs)


Gerbrand Bakker (), Là-haut tout est calme, traduit par Bertrand Abraham, Gallimard | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Raymond Penblanc



Richard Bausch (), Paix, traduit par Jamila Ouahmane Chauvin, Gallimard | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Raymond Penblanc



Jaume Cabré (), Les voix du Pamano, traduit par Bernard Lesfargues, Christian Bourgois | lien éditeur
Contribution de Nicolas Vives



Valerio Evangelisti (), La coulée de feu, traduit par Serge Quadruppani, Métailié | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Hugues Robert



Charles Olson (), Les poèmes de Maximus [1983], traduit par Auxeméry, La Nerthe | lien éditeur
Contribution de Charles Robinson

§

Essais

Domaine francophone (ordre alphabétique des auteurs)


Claro, Le clavier cannibale, Inculte | lien éditeur | lien éditeur
Contribution de Benoît Vincent



Vinciane Despret (), Penser comme un rat, Quae | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Charles Robinson



Antoine Emaz, Cambouis, Le Seuil | lien éditeur
Contribution de Stéphane Bikialo et Martin Rass



Jean-Yves Jouannais, Artistes sans œuvres, Verticales | lien éditeur
Contribution de Hugues Robert et Benoît Vincent



Jean-Charles Massera, We are l’Europe, Verticales | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Stéphane Bikialo


Domaine francophone

Pas de proposition

Livres 2008

Hors-Sol a proposé une enquête à plus de trente lecteurs assidus leur demandant de dresser une liste de quelques livres, deux trois par an, pas davantage, qui, selon eux, étaient appelés à demeurer. La période considérée étant la décennie 2001-2010.

Le texte de l’enquêteLes contributeursLes auteurs citésLes éditeurs cités

Les résultats : 2001200220032004200520062007200820092010

Quelle belle année que 2008 ! Vingt livres ont été cités, parmi lesquels dix-neuf fictions (onze françaises et huit traductions) et un essai (une traduction) .

Fiction

Domaine francophone (ordre alphabétique des auteurs)


Lutz Bassman, Avec les moines soldats, Verdier | lien éditeur
Contribution de Martin Rass



Philippe-Marie Bernadou, Cadaquès, aller simple, L’Arpenteur | lien éditeur
Contribution de Caroline Gérard



Jean-Baptiste Del Amo, Une éducation libertine, Gallimard | lien éditeur
Contribution de Raymond Penblanc



Jean Echenoz, Courir, Minuit | lien éditeur
Contribution de Nicolas Vivès



Mathias Enard, Zone, Actes Sud | lien éditeur
Contribution de Hugues Robert



Léo Henry & Jacques Mucchielli, Yama Loka Terminus, Dystopia | lien éditeur
Contribution de Hugues Robert



Régis Jauffret Lacrimosa, Gallimard | lien éditeur
Contribution de Benoît Vincent



Leslie Kaplan, Toute ma vie j’ai été une femme, POL | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Stéphane Bikialo



Émilie Notéris, Cosmic trip, IMHO | lien auteur
Contribution de Charles Robinson



Boualem Sansal (), Le village de l’allemand , Gallimard | lien éditeur
Contribution de Raymond Penblanc



Pierre Senges, Fragments de Lichtenberg, Verticales | lien éditeur
Contribution de Benoît Vincent

Domaine étranger (ordre alphabétique des auteurs)


Roberto Bolaño (), 2666, Christian Bourgois | lien éditeur
Contribution de Caroline Gérard , Hugues Robert et Nicolas Vivès



Forough Farrokhzad (), La conquête du jardin, traduit par Sylvie Miller ?, Lettres Persanes | lien éditeur
Contribution de Charles Robinson



Vassili Golovanov (), Eloge des voyages insensés, traduit par Hélène Châtelain, Verdier | lien éditeur
Contribution de Benoît Vincent



Cormac McCarthy (), La Route, traduit par François Hirsch, L’Olivier | lien éditeur
Contribution de Christophe Manon



Friederike Mayröcker (), Brütt ou Les Jardins soupirants, traduction Françoise David-Schaumann et Hugo Hengl, L’Atelier de l’Agneau | lien éditeur
Contribution de Christophe Manon



Christoph Ransmayr (), La Montagne volante, traduction Bernard Kreiss, Albin Michel | lien éditeur
Contribution de Christophe Manon



Thomas Pynchon (), Contre-jour, traduction Claro, Le Seuil | lien éditeur
Contribution de Martin Rass



José Saramago (), Les intermittences de la mort, traduit par Geneviève Leibrich, Le Seuil | lien éditeur
Contribution de Raymond Penblanc


§

Essais

Domaine francophone (ordre alphabétique des auteurs)

Pas de sélection.

Domaine étranger (ordre alphabétique des auteurs)


Coco Fusco (), Petit manuel à l’usage des femmes-soldats, traduit par François Cusset, Les Prairies Ordinaires
| lien éditeur
Contribution de Charles Robinson

Livres 2007

Hors-Sol a proposé une enquête à plus de trente lecteurs assidus leur demandant de dresser une liste de quelques livres, deux trois par an, pas davantage, qui, selon eux, étaient appelés à demeurer. La période considérée étant la décennie 2001-2010.

Le texte de l’enquêteLes contributeursLes auteurs citésLes éditeurs cités

Les résultats : 2001200220032004200520062007200820092010

Quelle belle année que 2007 ! Dix-huit livres ont été cités, parmi lesquels treize fictions (neuf françaises et quatre traductions) et cinq essais (quatre français et une traduction).

Fiction

Domaine francophone (ordre alphabétique des auteurs)


Nicole Caligaris, Okosténie, Verticales | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Benoît Vincent



DOA, Citoyens clandestins, Gallimard | lien éditeur
Contribution de Hugues Robert



Pierre Guyotat, Formation, Gallimard | lien éditeur
Contribution de Raymond Penblanc



Hugues Jallon, Zone de combat, Verticales | lien éditeur
Contribution de Hugues Robert



Emmmanuelle Pagano, Les adolescents troglodytes, POL | lien éditeur
Contribution de Raymond Penblanc



Christian Prigent, Demain je meurs, POL | lien éditeur
Contribution de Stéphane Bikialo



Olivia Rosenthal, On n’est pas là pour disparaître, Verticales | lien éditeur
Contribution de Stéphane Bikialo et Martin Rass


Pierre Silvain, Julien Letrouvé, colporteur, Verdier | lien éditeur
Contribution de Raymond Penblanc



Philippe Vasset, Un livre blanc, Fayard | lien éditeur
Contribution de Benoît Vincent



Antoine Volodine, Songes de Mevlido, Le Seuil | lien éditeur
Contribution de Nicolas Vivès


§

Domaine étranger (ordre alphabétique des auteurs)


Mark Z. Danielewski (), O Révolutions, traduit par Claro, Denoël | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Charles Robinson



William Gaddis (), Agonie d’agapè [2002], Le Serpent à Plumes† (repris chez Plon)
Contribution de Benoît Vincent



Vladimir Sorokine (), Le lard bleu [1999], traduit par Bernard Kreise, L’Olivier | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Hugues Robert



William T. Vollmann (), Central Europe, traduit par Claro, Actes Sud | lien éditeur
Contribution de Nicolas Vivès

Essais

Domaine francophone (ordre alphabétique des auteurs)


Bernard Marcadé, Marcel Duchamp, Flammarion | lien éditeur
Contribution de Caroline Gérard



Jean-Claude Michéa, L’empire du moindre mal. Essai sur la civilisation libérale, Climats (Flammarion) | lien éditeur
Contribution de Benoît Vincent



Julien Prévieux, Lettres de non-motivation, Zones | lien éditeur
Contribution de Charles Robinson



Edouard Glissant, Une nouvelle région du monde, Gallimard | lien éditeur
Contribution de Nicolas Vivès



Jacques Rancière, Politique de la littérature, Gallilée | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Martin Rass



Christian Salmon, Storytelling. La Machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, La Découverte | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Stéphane Bikialo


§

Domaine étranger (ordre alphabétique des auteurs)


Fredric Jameson (), Archéologies du futur, traduit par Nicola Vieillescazes et Fabien Ollier, Max Milo | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Hugues Robert

Livres 2006

Hors-Sol a proposé une enquête à plus de trente lecteurs assidus leur demandant de dresser une liste de quelques livres, deux trois par an, pas davantage, qui, selon eux, étaient appelés à demeurer. La période considérée étant la décennie 2001-2010.

Le texte de l’enquêteLes contributeursLes auteurs citésLes éditeurs cités

Les résultats : 2001200220032004200520062007200820092010

Quelle belle année que 2006 ! Dix-huit livres ont été cités, parmi lesquels quatorze fictions (neuf françaises et cinq traductions) et quatre essais français.

Fiction

Domaine francophone (ordre alphabétique des auteurs)


Arno Bertina, Anima motrix, Verticales | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Martin Rass et Benoît Vincent


Arno Bertina, Bastien Gallet, Ludovic Michaux, Yoan de Roeck, Anastylose, Fage | lien éditeur | lien auteurs
Contribution de Benoît Vincent


François Bon, Tumulte, Fayard | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Benoît Vincent


Eric Chevillard, Démolir Nisard, Minuit | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Quentin Leclerc


Antoine Emaz, Caisse claire, Points | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Stéphane Bikialo


Laurent Mauvignier, Dans la foule, Minuit | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Joachim Séné et Stéphane Bikialo


Emmanuelle Pireyre, Comment faire disparaître la terre, Le Seuil | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Charles Robinson


Sylvain Trudel, La mer de l’intranquillité, Les Allusifs | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Raymond Penblanc


François Vallejo, Ouest, Viviane Hamy | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Raymond Penblanc


§

Domaine étranger (ordre alphabétique des auteurs)


Rodrigo Fresán (), Mantra [2001], traduit par Isabelle Gugnon, Passages du Nors-Ouest | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Hugues Robert


Ian McEwan (), Samedi [2005], traduit par France Camus-Pichon, Gallimard | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Nicolas Vivès


Haruki Murakami (), Kafka sur le rivage, traduit par Corinne Atlan, Belfond | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Raymond Penblanc


Jack Spicer (), C’est mon vocabulaire qui m’a fait ça, traduction Éric Suchère, Le Bleu du Ciel | lien éditeur
Contribution de Benoît Vincent


William T. Vollmann (), Les fusils, traduit par Claro, Le Cherche-Midi | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Hugues Robert

Essais

Domaine francophone (ordre alphabétique des auteurs)


Jacques Derrida, L’animal que donc je suis, Galilée | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Martin Rass


François Dubet, Injustices, Seuil | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Stéphane Bikialo


Eric Hazan, LQR. La propagande au quotidien, Liber-Raisons d’agir | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Stéphane Bikialo


Lionel Naccache, Le nouvel inconscient, Odile Jacob | lien éditeur
Contribution de Charles Robinson


§

Domaine étranger (ordre alphabétique des auteurs)

Pas de proposition.

Eric Pessan † Ainsi de suite

La balle se fraie un chemin dans l’os, fore son tunnel rouge, avance avec obstination, perce, creuse, déchire et brûle, ouvre un couloir obscur dans ce qui ne devrait jamais se découvrir ; la balle s’amuse parfois à ressortir aussi vite qu’elle est entrée, elle va se perdre dans le tronc d’un arbre, contre une pierre ou frappe un autre homme, mêlant les sangs et les souffrances ; la balle joue d’autres fois à ricocher interminablement dans le fouillis des organes et des muscles et des liquides et des chairs, touillant et malaxant la pâte à modeler du vivant qui cesse de l’être ; à moins qu’elle n’ait prévu d’exploser sitôt entrée dans le corps, éparpillant le peu qui reste, excavant, découpant des pans d’anatomie dans lesquelles un ambulancier pourra glisser le bras, déchaussant les dents et retournant les épidermes, mettant à nu la confusion des organes. La balle tue net le Général Instin, emporte son visage, ne laisse rien d’autre du crâne qu’une coquille fracassée de laquelle quelques matières ont jailli et éclaboussé les boues alentours.

Le Général tombe, lentement, comme tombent les hommes au champ d’honneur, dans un geste ample et tragique, que d’aucuns jugent magnifiques et d’autres scandaleux. Il s’abat.

Puis il se trouve une main pour l’écrire, pour rassembler les lambeaux épars, recoller les copeaux, réajuster chaque éclat de l’os avec la patience de qui fait un puzzle. Tranche à tranche, quelqu’un le reforme. La main qui écrit le Général n’a ensuite qu’à décider qu’il se relève, n’a ensuite qu’à écrire le mot souffle ou le mot respiration pour que le Général se remette à vivre, à avancer dans la mitraille, à faire deux pas de plus avant qu’il ne soit de nouveau fauché par un obus, que ses membres disloqués volent au loin, qu’il ne reste rien d’autre de son abdomen qu’une guenille souillée. Voici le Général transformé en un clin d’œil flamboyant en bannière de la défaite, piquée au sol, dérisoire et grotesque. Le Général Instin vient de mourir, encore.

Et encore passe un écrivain qui a la patience d’inverser la trajectoire de l’obus, d’attraper dans la nasse d’une phrase chaque shrapnel, de les coaguler en masse métallique, de renvoyer l’obus dans la gueule du canon d’où il sera déchargé, convoyé par camion dans un entrepôt puis acheminé à l’usine d’armement où on le désassemblera pour en faire des lingots de métaux et des barils de poudre. Et le pauvre Général se réassemblera : os à os, tendon par tendon, muscle à muscle. Le moindre centimètre de ses viscères sera recollé, ses organes seront patiemment rapiécés, son uniforme ravaudé. L’écrivain inscrira le mot souffle sur son front et le Général s’élancera jusqu’au jour où il mourra dans son lit, jusqu’au jour où un auteur écrira dans son carnet que le cœur du Général n’a pas cessé de battre, jusqu’au jour où le Général se relèvera de son lit parce que la paix et l’oubli lui sont refusés, parce qu’un peu partout des écrivains et des artistes lui offrent la vie, l’animent, agissent sa silhouette épuisée, replantent inlassablement la graine de sa légende, et ainsi de suite.

Vincent Tholomé † Instin et moi

je pense, je pense intensément que, nos têtes sont des usines folles

et

nos têtes produisent intensément, dans leurs fabriques, des fumées folles et des nuages, sans consistance, de guêpes et d’abeilles folles

et

je pense intensément que, cette production sans consistance de nuages, sans consistance, et d’essaims d’abeilles ou de guêpes est, généralement, sans conséquence dans nos vies et dans nos nuits parce que tout cela se dissipe dans l’air,

ou

dans le vide,

ou

le néant,

et

tout cela est aussi intensément léger qu’une fumée d’usine ou qu’un nuage parce que nous avons souvent à faire et qu’intensément nous faisons chose sur chose

et

tout cela demande une intense et folle concentration et, tant que nous faisons intensément et follement chose sur chose, nous pensons qu’il n’y a rien d’autre dans nos têtes alors qu’il se produit sans répit dans nos têtes, et intensément, de folles nuées de fumées légères et sans consistance et des essaims de guêpes et d’abeilles virevoltantes dans l’air

et

tout cela ne demanderait pas mieux, de temps en temps, de sortir un peu, de prendre l’air et de se décrasser les poumons, or, ça ne se fait pas tout seul, ça demande un sérieux coup de pouce, parce que nos têtes sans coup de pouce produisent d’intenses nuages et de folles guêpes, rien d’autre, c’est en tout cas mon cas, c’est ainsi que je fonctionne, ma tête, comme toutes les têtes, produit d’intenses et folles nuées de guêpes et, sans coup de pouce, c’est tout ce qu’elle fait,

et

ma tête produit, coup sur coup, d’intenses et folles productions qui naissent et disparaissent sans conséquence l’une après l’autre et sans répit, et toutes ces intenses et folles nuées d’usine s’enchaînent sans répit l’une après l’autre sans lien et sans liant

et

il me faut, personnellement, quelque chose pour que, tout à coup, cette production intense et folle sorte un peu et devienne consistante, c-à-d prenne corps devant moi, sous mes yeux, et devienne un objet un peu dur et un peu consistant, et Instin est une excellente manière, à mes yeux, pour que, personnellement, quelque chose se produise et prenne corps hors de moi, parce que Instin est comme un aimant, quelque chose qui attire à lui les guêpes et les abeilles produites intensément dans ma tête

et

Instin est un récipient vide, sans consistance,

et

Instin ne demande qu’à se remplir de toutes les fumées produites intensément dans les usines folles de nos têtes

et

Instin est un piège, apparemment vide et sans conséquence, qui capture les fumées intenses et les essaims d’abeilles

et

Instin est un de ces appareils de capture qui capte intensément les abeilles intenses et les guêpes qui, comme des folles, filent tout droit dehors et prennent joyeusement corps et soudainement consistance

et

c’est pourquoi j’aime Instin et que, de temps en temps, j’écris pour Instin parce que Instin est un piège et que, personnellement, j’ai besoin de piège pour écrire un peu de temps en temps et je profite alors d’Instin pour écrire et laisser aller devant moi des fumées qui, sans Instin et sans piège, seraient, certes, des choses intenses et folles mais ne seraient, d’abord et avant tout, que des choses inconsistantes et insignifiantes et filant droit, à la vitesse de la lumière, ou à peu près, du grand vide au néant.