Le hasard fait arriver si tardivement les premiers disques d’électro…
Il faut bien avouer que je suis parti à peu près de zéro, fée Electronica étant arrivée bien après le reste, du moins dans mes oreilles.
Eh bien un grand représentant du genre, le Brésilien Amon Tobin créé, uniquement à partir de samples (du moins ici, disque de sa première période) des pièces exigeantes, vaguement jazz, qui flirtent avec un jungle soignée ou une noise presque africaine… Ça fonctionne la plupart du temps ; si deux ou trois morcaux seulement (l’entrée Get your snack on suivi d’ailleurs de Four tones mantis, ou encore Keepin’ in steel ; Saboteur est pou moi le meilleur) sont inoubliables, l’ensemble reste artistiquement cohérent (ce qui n’est pas gagné d’avance) et prépare des opus encore plus engageants encore (ISAM #603, Permutation #343).
Le punk, ou ce qu’on appelle ainsi, n’est pas un genre musical à proprement parler. Il n’est pas sensiblement différentdu rock (grunge) ou de la pop (new-wave). La facilité serait de dire qu’il est un état d’esprit, mais dans la musique populaire, je crains que ce ne soit un peu trop superficiel (pensons au bop, au hip-hop). Il faudrait plutôt partir sur des indices esthétiques, mais ceux-ci n’existent pas (à ma connaissance) : le punk comme une matière, le punk comme une texture. Un entrelacs atmosphères, un réseau de nuages ? Vous voyez, ça ne marche pas.
Avec Wild gift, son deuxième album, X propose une série de chansons qui ne sont pas du punk mais qu’on ne peut qualifier, pourtant, autrement. Le monde est petit, et le style est commun, deux adages qui expliquent aussi les errements du rock dès son second âge d’or (dont le pic se situe approximativement autour de 1965). Ici, c’est Ray Manzarek qui produit, ceci expliquant peut-être cela.
Il se pourrait donc que ce soit l’un des meilleurs albums tout court.
Voici un album tranquille et élégant, un rendu très précis de l’atmosphère de nombreux classiques du cabaret allemand, et dont l’interprétation est ici excellente : la voix, si particulière de Faithfull, entre Dylan et Richards, colle parfaitement à l’ambiance, et l’artiste, passionée du genre, avec diverses expériences précédentes sur scène, propose un répertoire en duo avec le pianiste Paul Trueblood, qui fonctionne à merveille.
De nombreux classiques donc, de Brechet et Weil, la part du lion, mais aussi Friedrich Hollaender, Noel Coward et une étonnante reprise de Harry Nilsson, dont la plupart sont connus de tous. Une insertion jazz cabaret dans la Souche, par une interprète pop punk, ce n’est pas si courant. J’ajoute que j’avais vu ce spectacle à Grenoble un peu avant la sortie du disque, j’avais pu serre la main de celle qui est bien plus qu’une égérie, une véritable artiste.
Un pur album de punk, si on veut, qui tient exactement dans son titre, et ne prend pas des vessies pour des lanternes. Le phrasé est somehow presque britishboumesque (le groupe suit Pere Ubu, de Cleveland), et certains arrangements vocaux, roulements ou solos testent la radicalité du public. Pas inoubliable, mais pas du tout honteux, loin de là.
Sur une pulsation décisive, une fraîcheur déconcertante. Si le mot free jazz existe déjà, voilà la toute première improvisation libre enregistrée. Paradoxalement beaucoup plus existante que bien des essais successifs, alors même que les musiciens n’ont aucune feuille de route, Coleman poursuit le chemin ouvert avec The shape of jazz to come (1959, #122), et c’est peut-être ce jazz-là (qui est venu).
Pour l’occasion, une audace : on embauche un deuxième quartet, et on mixe chaque quartet sur un canal, à gauche Coleman, accompagné de Don Cherry à la trompette, Scott LaFaro à la contrebasse et Billy Higgins à la batterie, tandis qu’à droite on a Eric Dolphy à la clarinette, Freddie Hubbard à la trompette, Charlie Haden et Ed Blackwell à la batterie. Du beau monde donc.
Le résultat, une seule piste de près de quarante minutes (il y a un bonus sur les versions actuelles), absolument saisissante.
Le coup de génie de cet album quasi parfait (le suivant, Call me (#331), est encore plus abouti) réside dans sa simplicité fulgurante, mais d’une technique maîtrisée. Je reçus un jour un cours de batterie, et le professeur (salut) me dit : bon, écoute la batterie d’Al Green ; écoute juste la batterie pour saisir ce qu’est un rythme qui groove sans en faire des caisses.
Évidemment, le morceau éponyme qui ouvre l’album, impérissable tube et classique, remis à l’honneur par les cinéastes, a fait beaucoup ; mais dès le deuxième (La-la for you), on voit la maîtrise de la composition aussi bien que des arrangements. Et cela se poursuit comme ça, fourmillant d’idée et gorgé d’une tension érotique certaine, faisant de l’opus l’une des perles de la soul moderne, oscillant entre slow sucré sans être sirupeux (How can you) et saccades dansantes (It ain’t no fun for me).
Fan de chichourle (comme on dit chez moi) que cet album est intelligent !
Après un premier opus aux accents plutôt jazz (d’ailleurs très bien), dans une espèce de visitation du hip-hop qui aurait pu faire florès dans les années 90 (puis finalement a plutôt fait pschitt, comme un gras flot démoulé par Will Smith par écran interposé), ils (dont le nom est absolument génial, A Tribe Called Quest !) resserrent un peu la pression, affinent leurs samples et leur flot sur ce nouvel album (dont le titre est magnifique, Midnight Marauders).
Moi que les intros gonflent allègrement, je trouve celle-ci plutôt réussie, et qui enchaîne sur un classique, Steve Biko (Stir it up), imparable, que suit un autre classique, Award Tour. Represen / Represent-sent-ent.
On n’est pas surpris de trouver là Busta Rhymes (Oh my god), avec cette enveloppe luxueuse et maline (8 million stories, Electric relaxation) ; certaines pistes sont moins fortes, et on a toujours le défaut du CD qui autorise un empilement trop important de minutes, mais l’ensemble se tient. Le final, qui se voudrait plus bandito (oui, c’est tout ce que j’ai trouvé pour “gangsta”), annonce la suite ?
Cet album injustement méconnu (il n’apparaît pas dans la base de All Music ?), est tout à fait agréable à entendre. Oscillant entre une espèce de rock stonien nourri de sang australien (Dreaming) (je ne sais pas pourquoi, c’est ce qui me vient), il propose surtout de bons morceaux hagards de punk lucide, à la sauce industrielle, aux échos à la Reeves Gabrels (Reasons why).
Plusieurs morceaux sont passables (Interrogation, Girl next door) voire oubliable (What goes around), mais on a deux pièces théâtrale ambitieuses délectables : le fascinant Where were you, et le très beau final Stepping Stone, aux accents smithiens (Patti pas cette saucisse de Morissey).
Probablement mal connu en France, Battiato est l’un des auteurs italiens les plus singuliers et respectés qui soient (au niveau de Conte, de Andrè, Gaber, et probablement un peu plus : Janacci), et dont la disparition récente a permis de montrer l’attachement fort de ses compatriotes à ses excursions musicales souvent “désappointantes”. Portant très haut la foi en la chanson populaire, et ne rechignant jamais, ô grand jamais, à des expérimentations et des hybridations audacieuses, il serait, pour le public français, un peu comme un Christophe plus hardi, pour un anglo-saxon, un Harry Nilsson plus enflammé. Mais les comparaisons n’ont jamais raison, et Battiato ressemble surtout à Battiato : “dentro di me vivono degli organismi che non sanno di appartenere al mio corpo, io a quale organismo appartengo?” Une voix aiguë qui peut à la longue ennuyer, et de très forts positionnements soniques, à la limite de l’avant-garde.
Dans ce disque pourtant, son deuxième, c’est une enveloppe nettement progressive qui voit le jour, comme le démontre le morceau phare Areknames (qui se prononce [â-rék-na-mès], et dont le texte est lisible, à l’envers : “Sisopromatem ereitnorf alled etnem”, le dernier vers, peut en effet être *Mente della frontiere metamorposi S…, et “Areknames”, *Se mankera) qui ferait rougir un Tangerine Dreamer par l’usage accompli des synthétiseurs. Avec Beta, c’est plus vers une espèce de tissu floydien qu’on se dirige (basse, guitare, chant et piano… basse surtout, très Atom Heart Mother). Plancton est figuratif, y compris au niveau du texte, et mêle donc guitare et synthés, folk et progressif allégrement, et Pollution un peu trop explicatif, sans nier toutefois les liens à la chanson italienne (ce chant parlé et vindicatif), voire au classique.
C’est donc un drôle de disque, mais un disque assez cohérent, et qui marque le décalage que représentera par la suite toujours plus l’art de Battiato (“del ritmo magnetico sole-terra, per poter deviare l’umanità dalla catastrofe in cui sta per precipitare” lit-on dans le Manifesto funebre) qui est déjà un peu trop conscient de l’ironie de tout ce cirque. Les pleurs finaux hallucinés, mêlés de plages et de samples classiques, en conviennent.
Il faut de ce pas écouter d’autres albums. Nous verrons ce que nous prépare le hasard.
Passons sur l’exécrable pochette : ça commence du tonnerre, comme du Crimson King.
Mais ça finira vite, puisque l’album marque la fin de la production du groupe pour les années soixante-dix, première fausse sortie. Réduit à un trio (Robert Fripp, Bill Bruford, John Wetton), bien qu’enregistré avec les anciens membres Ian McDonald et Mel Collins, le disque traduit la lassitude de Fripp qui, sous l’influence de Georges Gurdjieff dit-on, considère comme révolue l’ère jurassique du rock progressif — étrange pressentiment en cette année où les premiers sérieux punks font leur apparition notamment dans l’Ohio.
Cela n’empêche pas de détonner, dès le deuxième morceau, avec ce lyrisme digne de Barclay James Harvest, un rien désuet (et musical-fantasy), un premier morceau bien lourd et un troisième qui ramène carrément au premier album (In the court of the CK, #291). Voilà pour la première face. La seconde retient en effet ce style, qui est donc le leur, le vrai, pour Starless, après un truc expérimental passable.
Or ce dernier morceau est une excellente sortie en matière. Les notes lancinantes du long pont ébruitent d’abord des paysages stimulants, pour finalement se résoudre en une remarquable composition cinématographique aux accents brutalistes, qui malgré les limites du genre, nous donnent des plaisirs presque malsains, comme après un repas trop arrosé d’avoir trop mangé.