Nous publions à nouveau Benoit Jeantet, dans un texte narratif bref. Avec grand plaisir.
4
Entre le désert, où Papa partait donc de longs mois pour son travail, et cette ferme, y a eu aussi une grande ville. Et même que dans cette ville je vivais avec Maman. A l’époque. Et même que c’était une époque pas si lointaine. Une époque où Papa me manquait beaucoup. Une époque où Maman je l’avais toute à moi. Aujourd’hui que j’ai Papa pour moi tout seul, bien sûr que là c’est elle qui me manque. Bien sûr. A me faire mourir le cœur elle me manque. Maman. Parfois la vie c’est bizarre. Mal fichu. Comme un conte un peu tordu, vous voyez. Mais ça fait rien. Le manque de quelqu’un ou de quelque chose, quand ça peut pas se combler, au moins ça aide à se construire de beaux souvenirs.
La vie, même si c’est parfois mal fichu, soit on accepte de la vivre et alors tout devient possible. Soit on refuse d’y prendre part et alors jamais on trouve sa place dans le monde. On stagne. Parce que, vous savez, chacun à sa place dans ce monde. Ca demande beaucoup d’effort. Faut pas ménager sa peine avant de la trouver. La vie, même si ça fait peur, ça se refuse pas. C’est un cadeau, la vie.
N’empêche qu’à l’époque où j’étais un enfant de la ville, que je vivais encore avec Maman, c’était quand même dur de l’attendre tous ces longs mois interminables, Papa. Le temps, sans lui, ça passait moins vite. Pour moi c’était dur mais pour elle ça a du l’être cent fois plus. Alors un jour qu’il est rentré de son travail dans le désert, Papa a vu qu’à la maison aussi c’était devenu tout vide. Plus vide encore que le désert même que c’était.