“Bleeding Edge” de Thomas Pynchon, en cours de traduction par Nicolas Richard.
Toutes les photos : © Olivier martin-Gambier.
“Bleeding Edge” de Thomas Pynchon, en cours de traduction par Nicolas Richard.
Toutes les photos : © Olivier martin-Gambier.
On ne présente plus Claro : auteur d’une dizaine de romans (parmi lesquels Chair électrique, Madman Bovary ou CosmoZ) et d’essais (Le clavier cannibale, Plonger les mains dans l’acide).
Il est également fieffé traducteur, et pas de n’importe qui : William T. Vollmann, Thomas Pynchon, Salman Rushdie, John Barth, Mark Z. Danielewski, James Flint, William H. Gass et Hubert Selby Jr.
Pas plus Pynchon que n’importe qui, il est Résident du blog Le clavier cannibale.
La notion d’intraduisible a ceci de fascinant qu’elle semble intrinsèque à celle de langue, à la fois limite et secret, illusion et ennemi. Aux yeux du traducteur, elle est un soleil noir qu’il ne saurait crever, à l’instar d’une baudruche, sans s’éclabousser aussitôt des brûlantes paillettes du doute. Parce que la langue est communication, et ce pour des raisons économiques si évidentes que nous n’entendons bien souvent qu’un bruit de fond, blanc, il semble aller de soi que traduire n’est que seconder un type de transaction d’où découlent tous les autres. Parler, écrire, c’est établir les termes possibles ou discutables d’un commerce, quel que soit le gain. Mais le traducteur, aussi doué soit-il, opère d’emblée, ou en tout cas après déchiffrement, un travail de destruction. Il casse sa matière première, en fracture toutes les entrées, tord les clés à chaque tentative renouvelée, et doit forger alors de nouvelles serrures, en vue de portes différentes, menant assurément dans des pièces à la décoration quelque peu chamboulée – et ici la métaphore n’est qu’une illustration de ce qu’est la traduction : un tour de passe-passe, un bonneteau d’équivalences imposées au récepteur/lecteur.
Parce que chaque langue est unique, c’est-à-dire, opaque, comme protégée par un code secret qui la rend inintelligible à qui n’a pas maîtrisé ses conditions d’accès, elle résiste, par principe, au processus de traduction. Elle ne saurait donc être « translatée » qu’au prix d’une désagrégation totale, irrémédiable, aidée certes en des cas particuliers par les ponts qu’entretiennent certaines langues du fait de leurs origines communes, même si les racines collectives d’où elles émergent sont souvent causes d’erreurs, et ne font que renforcer ce moment mystérieux où notre langue fourche, à force d’être naïvement bifide.
Devant Babel, le traducteur endosse dans un premier temps le costume de Shiva, destructeur des mondes. Cet acte d’annihilation vise certes un objet précis – le texte – mais il n’est pas dit que sa virulence ne se retourne pas non plus contre celui qui en assume la responsabilité. En effet, la négation de l’original a pour effet de créer comme une tache noire, une tache aveugle dans le paysage langagier où évolue le traducteur. Ce qu’il efface s’efface également peu à peu de sa mémoire ; il scie la branche qu’il chevauche ; il tue l’objet aimé. Heureusement, c’est là une pirouette à laquelle, en tant qu’être humain, il est parfois roué.
Le réflexe, alors, consiste à dissimuler le forfait. L’énormité du crime ne doit pas oblitérer l’objectif recherché : que se lève une deuxième fois le soleil. (Shiva, cécité, soleil qui se lève deux fois : oui, nous sommes bien ici sur le site du Projet Manhattan, quand Oppenheimer comprit ce qu’il avait déclenché en voulant traduire la guerre en paix au moyen d’une explosion nucléaire dans le désert du Nouveau-Mexique – or la traduction est fission, brûlure, magie.)
Voilà pourquoi le traducteur, afin que ne s’ébruite pas le secret de l’intraduisible, doit endosser très rapidement et très naturellement le visage gracieux de l’Escroc, du faussaire. On compare souvent le traducteur, plutôt, à un traître. Soit. Mais encore faudrait-il déterminer en ce cas l’enjeu de cette trahison. Que trahit-il ? Pourquoi ? Pour qui ? Le terme de « faussaire » me paraît plus approprié, car il permet d’inclure la complicité des divers acteurs qui évoluent dans la sphère éditoriale. Avec l’assentiment de ses patrons, le traducteur fabrique un faux qui sera commercialisé et qu’on fera passer pour l’original, ou tout comme. Traduire est impossible ? Eh bien forgeons ! Car le faussaire-traducteur ressemble à ces faussaires qui, en peinture, plutôt que de copier à l’identique tel Titien ou Rembrandt, préfère travailler dans le style de Titien ou Rembrandt, et continuer ainsi l’œuvre, la prolongeant au-delà des âges. Le respect est à l’aune du talent, souvent, et la motivation financière ne suffit pas à expliquer l’absolue beauté des œuvres ainsi conçues.
On peut aussi considérer ce tour de passe-passe consistant à duper l’œil et faire mentir la notion d’intraduisible comme une entreprise d’adaptation. Le traducteur, dira-t-on alors, « adapte », au prix d’une technique qui n’est peut-être pas si différente de celle du scénariste qui réduit en taille et fracture en images un texte pour l’aider à accéder à cette page surdimensionnée qu’est l’écran de cinéma. Ce parallèle appelle bien sûr une investigation qui n’est pas possible ici.
Mais quelle que soit l’habit dont se pare le traducteur – destructeur, faussaire, adaptateur – il n’en demeure pas moins que s’il opère ainsi, c’est parce qu’il doit, moyennant destruction de l’original, faire un choix drastique, à savoir, si l’on en croit la doxa, garder le sens au prix du son. Bref, faire passer le message sans tenter de rendre la musique par définition induplicable de la partition.
On peut, bien évidemment, décaler la problématique et arguer du fait que ce n’est pas le texte en soi qui est intraduisible, mais son environnement, ses conditions de production, autrement dit la chaleur qu’il dégage dès lors que la lecture lui permet d’entamer le long et complexe processus de déflagration sémantique et sonore. Ce qu’on nomme assez grossièrement le contexte, mais qui bien sûr est plus vaste, plus diffus et moins sujet à catégorisation.
On doit, en conséquence, présumer une « compétence » du lecteur, un ensemble de coordonnées permettant de définir la « courbe » de sa lecture. On voit tout de suite quel genre de problématique découle de cette hypothèse. Tenter d’établir un portrait scientifique du lecteur c’est supposer de l’existence de celui-ci. Or toute littérature qui se respecte (c’est-à-dire s’invente et non se décalque) n’a-t-elle pas pour but de créer le lecteur ? L’enjeu de toute entreprise d’écriture n’est-elle pas, justement, au final, cette fabrique du lecteur ? Proust disait que tous les grands livres sont écrits dans une espèce de langue étrangère, et le fait est que quand on lit pour la première fois Proust, on commence par apprendre le « proust », cette langue étrangère nichée dans les anfractuosités de la langue mère, à la fois parasite, virus et organisme à part entière. Le travail du traducteur, du coup, serait proche de celui du chimiste. Décomposition, recombination, afin que décantent et se fixent les mêmes valeurs actives et réactives.
Dans son livre intitulé Qu’est-ce que traduire ?, Marc de Launay se penche, dans le cadre d’une réflexion sur la notion d’intraduisible, sur le cas d’un vers célèbre de Mallarmé, et postule la chose suivante : « Il n’y a aucune chance que puisse se retrouver dans aucune autre langue la ‘réussite’ d’un vers de Mallarmé comme ‘aboli bibelot d’inanité sonore’1. » Plutôt que de trop nous appesantir sur l’étrangeté d’un terme comme ‘chance’ (mais il y aurait beaucoup à dire là-dessus…), décalons à notre tour l’optique mise en place par Marc de Launay, et citons le quatrain dans lequel ce vers « réfractaire » est prisonnier :
Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx,
Aboli bibelot d’inanité sonore,
(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s’honore.)
De Launay cite ce passage de la correspondance de Mallarmé où le poète fait cet aveu étonnant au sujet du mot « ptyx » : « On m’assure qu’il n’existe dans aucune autre langue, ce que je préférerais de beaucoup à fin de me donner le charme de le créer par la magie de la rime. » (op.cit)
Ne pourrait-on pas nommer « ptyx » non pas une unité lexicale irréductible par le sens et le son, mais un ensemble plus vaste, un énoncé/matrice, tout aussi résistant ? En ce cas, la traduction viserait quelque chose de l’ordre de la « magie » mallarméenne, elle se chercherait un « charme » capable de chasser ce symptôme du ptyx qui l’empêche de faire « rimer » les langues entre elles. Traduire pourrait être alors cette opération mystérieuse consistant à penser le phénomène chimique de la rime à un niveau différent, à un degré supérieur où sens et son seraient conservées dans leur pureté transcendantale, et ce dans une même impulsion. La nouvelle figure du traducteur serait, pourquoi pas, celle de l’alchimiste.
Il convient ici de rappeler une autre dimension de l’intraduisible. Ce que la traduction ne peut rendre, apparemment, c’est la dimension historique de la langue (son affranchissement du latin, pour le français ; le brassage vernaculaire pour l’américain ; etc.).
Citons une fois de plus Marc de Launay : « Puisque cette dynamique est en quelque sorte l’identité active de chaque langue, la rupture introduite apparaît insupportable2. » On notera, sans s’attarder dessus, la force du mot choisi par l’auteur : insupportable. Ce qui ici est mis à l’épreuve, fait problème, n’est pas la résistance du texte, mais du traducteur.
L’intraduisible, c’est donc peut-être, aussi, quand l’acte de traduire renonce à trouver une équivalence économiquement « valable » pour préférer l’explication. C’est la fameuse dérive exégétique, la pathétique note en bas de page. Constat d’échec ? Echec de qui ? Du traducteur prisonnier de la tentation de l’irréductible ? Du lecteur supposé incompétent, en cours d’éducation ? Cette impasse a donné naissance, comme remède, à cette chose agaçante qu’on nomme « la trouvaille » dans le jargon pourtant quasi inexistant des traducteurs. La trouvaille comme parade à l’intraduisible. Autrement dit, la résolution d’un élément d’une équation, avec en général un certain brio. Mais il ne s’agit en aucun cas de la re-modélisation de ladite équation. La trouvaille est statique, elle indique que le processus traductant est interrompu, qu’au flux a succédé le temps de l’ingéniosité. Elle signifie que le traducteur est devenu, cette fois-ci, un bricoleur. Comme s’il réparait, retapait quelque chose.
Partons plutôt de l’hypothèse inverse, à savoir : rien n’est intraduisible. Autrement dit : l’intraduisible est, par essence, impossible. En conséquence, il nous faudrait, il nous faut établir une hiérarchie des résistances, un tableau des nœuds réfractaires, une topologie des risques majeurs. On évitera soigneusement le terme de « difficultés », qui renvoie à une pure problématique de la maîtrise et de la compétence, pour lui préférer celui d’intensités.
Je citerai ici le commentaire que fait George Steiner dans son livre Après Babel, à propos des textes-limites, et en particulier à propos d’un poème d’Isidore Isou. Steiner dit ceci : « On en retire une sensation inquiétante d’événements et de séismes potentiels affleurant la surface visible3. »
Les termes fulgurants, ici, sont bien entendu « événement » et « séisme ». A eux seuls, ils nous indiquent non seulement quel enjeu surgit mais quel acteur véritable se profile sous cette impression de catastrophe : le corps, comme territoire/histoire. Une explosion a lieu sous la surface, et nous avons devoir d’en éprouver les trémulations, aussi imperceptibles soient-elles.
Pour Steiner, toujours, l’intraduisible aurait trouvé son épitomé dans le Finnegans Wake de Joyce. « La dynamique de l’impénétrable est résolument nouvelle. Le poème pèse de tout son poids aux frontières de la langue4. » Ici, les termes « impénétrable » et « frontière » semble pointer vers une autre dimension. A peine a-t-on eu le sentiment de toucher à quelque chose de dangereux (le risque naissant de toute expérience des limites), que Steiner nous oblige à évaluer une autre dérive, situé au-delà de l’hermétisme.
L’hermétisme, qui suppose un double mouvement de codification et d’initiation, demeure dans la sphère de la compétence. Tandis que ce que Steiner semble désigner serait de l’ordre de la « transgression ». On peut supposer que ce chemin mène derrière le silence, comme on dit derrière le miroir, et qu’il s’agirait, à l’instar de Becket, d’apprendre à traduire, aussi, le silence. Mais là aussi, cette voie nous entraînerait trop loin.
On peut dire que, historiquement, traduire oscille entre deux aventures : le compromis et l’imitation.
Le compromis tient le texte pour un lieu policé et y répond par une approche raisonnable. Le traducteur reste copiste. Citons ici Dryden, qui a cette phrase étrange et magnifique pour définir ce travail de patiente compromission : « C’est comme si l’on dansait sur une corde les pieds entravés : on peut éviter la chute à force de précautions ; mais il ne faut pas s’attendre à des mouvements gracieux : et quand tout est dit, ce n’est que stupide gageure ; personne de sensé n’irait courir un danger pour la gloire de s’en tirer sans se rompre le cou5. » Je laisse à chacun le soin de méditer cette phrase.
Avec l’imitation (qui n’est en ce sens pas la servile copie mais au contraire l’écart sauvage), on court le risque de voir l’excès de « démarquage » mettre surtout en valeur la virtuosité du traducteur, faisant du coup de ce dernier un « singe savant ».
Il s’agirait donc de réaliser une troisième voie, intermédiaire si l’on veut, entre la servilité et la cabriole, entre la métaphrase et la paraphrase. Mais l’opération en question est-elle purement technique ?
Steiner : « MacKenna, le traducteur anglais de Plotin, dit qu’il y a dans cet art un immense anneau d’obscurité, une zone de ‘miracle6’. » Il parle même de métempsycose.
Qu’est-ce que ce miracle ? En quoi n’a-t-il rien à voir avec la mesquine trouvaille ? Là encore, je laisse ces questions ouvertes, car s’y engouffrer donnerait lieu à un autre texte, soumis à d’autres enjeux.
Notons simplement qu’on court là le risque d’une mystique de la traduction, indissociable d’un retour au fantasme de l’inspiration.
Il faut pourtant bien aborder, de front ou de biais, peu importe, ce qui semble résister à la traduction.
Partons d’un fait incontestable : toute traduction est avant tout un processus de mise en déséquilibre, avant de devenir exercice de destruction inversée. La traduction fait « bégayer » dans sa propre langue. Et là, plutôt que de gloser sur ce bégaiement, je renverrai à la poésie de Gérashim Luca, par exemple, ou, plus spécifiquement, aux travaux de Gilles Deleuze.
Il s’agirait donc de passer par un devenir-écrivain, et comprendre que l’écriture (et donc la traduction) est un risque tendu au corps.
On le sait, Artaud a traduit Le Moine de Lewis avec une « liberté » qui mériterait une analyse systématique. L’auteur s’est expliqué dans sa correspondance sur son travail : « J’ai raconté Le Moine comme de mémoire et à ma façon. […] La présente édition n’est ni une traduction ni une adaptation – avec toutes les sales privautés que ce mot suppose avec un texte – mais une sorte de ‘copie’ en français du texte anglais original . »
On le sent bien, cette « copie » dont nous parle Artaud est à prendre dans un sens, une perception, très différente de la notion habituelle. Son sens nous reste encore mystérieux, aussi s’aidera-t-on d’une autre notion, empruntée celle-ci à Chateaubriand, à savoir celle de vitre, quand il dit qu’il a traduit Le Paradis perdu de Milton « à la vitre ».
Enfin, disons qu’on ne saurait en aucune manière faire ressortir de l’intraduisible des problèmes particuliers tels que les contraintes formelles (Pérec, Danielewski, Joyce…), l’allitération à outrance et outre-sens (William Gass…), l’historicité de la langue (Le Courtier en tabac, de Barth…), la complexité syntaxique (Pynchon…). Je donne ces exemples pour avoir travaillé dessus. Ce sont tous des problèmes particuliers qui appellent des résolutions particulières, globalement techniques, même s’il est évident qu’ils mettent à rude épreuve le devenir-écrivain dont j’ai parlé.
L’intraduisible est sans doute le meilleur ennemi du traducteur, son double tremblé, sa ligne de fuite. En revanche, on pourrait imaginer une autre sorte de traduction, autrement plus pugnace, et destiné à contrer l’entreprise de négation de la langue à laquelle se livre l’édition globale, qui considère de plus en plus la traduction comme l’instrument d’une plus vaste opération d’import-export, de marketing aveugle.
Traduire pourrait être alors, en se réinventant, une forme de résistance à l’obscène « customisation » qui se met en place un peu partout. Les traducteurs sont-ils disposés à franchir un jour le pas et envisager un « réarmement » inédit ?
Pour l’instant, malheureusement, la plupart en sont encore à traquer l’intraduisible dans les contrats d’édition. La guérilla n’est pas pour demain.
Charlotte Mandell est traductrice de Maurice Blanchot en anglais (Faux Pas, Le livre à venir, Une voix venue d’ailleurs, La part du feu). Elle a par ailleurs rendu accessible l’œuvre de Proust, Flaubert, Balzac, Maupassant, Genet, Rancière, Nancy, Littell et bien d’autres en anglais. Le texte que nous publions ci-après est écrit suite à la parution d’un ultime livre de Maurice Blanchot: sa dis-parition. Un Pas au-delà. A Language of Absence a été publié en 2003 dans Nowhere Without No, recueil d’hommages à Blanchot rassemblés par Kevin Hart, chez Vagabond Press à Sydney.
Je voudrais vous remercier du silence dans vos mots. That’s all I remember saying in the one letter I wrote to Maurice Blanchot, a few years before his death. I want to thank you for the silence in your words. I was working on my translation of Le livre à venir, and suddenly I felt an urgent need to write to Blanchot, simply to thank him for his work all these years, for all that he’s written, but especially for all that he has left unwritten: for the voice beneath the words, the sly, quiet, inner voice of all that’s left unsaid. Blanchot has — I can’t say had, since his books are all around me now, and his voice is still speaking — Blanchot has a way of shaping absence so that it becomes a shimmering presence, and of giving a voice to silence so that it can be heard beneath the apparent words on the page.
There is no such thing as a passive reader of Blanchot. Reading Blanchot becomes an active engagement; he involves the reader in his thinking; he makes the reader think, and respond, and question. Pick up any book of Blanchot, start reading anywhere, and before you’re even aware of it, you have become involved: he has engaged you in a conversation; something in you resists, but you read on; suddenly you discover the patience of true reading, the infinite patience required to tease out a subject, play with it, negate it, reassert it, leave it unresolved. Blanchot had infinite patience, and infinite generosity too. He welcomes all of literature, all of it, he lets the words come and he follows them faithfully, so faithfully. Blanchot believed in the power of the word, in the power of language to lead us where it likes, where we may not have thought of going. There is a wonderful selflessness in Blanchot, an emptying-out of self and an investment in language, a faith in the unfailing ability of language to lead us out of ourselves, out of our own nonexistent ego into — what? Something other, something beyond. After I heard of Blanchot’s death — “Blanchot s’efface,” wrote Libération — I felt a deep sorrow, as if a great presence had left us. I picked up The Writing of the Disaster and opened to this:
“(A primal scene?) You who live later, close to a heart that beats no more, imagine, imagine this: the child — is he seven, eight perhaps? — standing, opening the drapes and, through the window, looking out. What he sees — garden, winter trees, wall of a house — while he sees, of course as a child would, the place where he plays, he grows tired and slowly looks up to the ordinary sky, with clouds, grey light, the dull daylight with no depth.
“What happens then: the sky, the same sky, suddenly open, absolutely black and absolutely empty, revealing (as if the windowpane had broken) such an absence that everything has always and forever been lost in it, to the point that in it the dizzying awareness forms and vanishes that nothing is what there is, and to begin with nothing beyond. What is unexpected in this scene (its interminable aspect) is the feeling of happiness that immediately overwhelms the child, the ravaging delight to which he can bear witness only through tears, an endless stream of tears. They think the child is upset, they try to comfort him. He says nothing. He will live ever after in the secret. He will not cry any more.”
“He will live ever after in the secret.” Prince Andrei, having taken his death wound, looks up at the clouds in the sky and suddenly death is beside the point. There is a beyond to things, a revealing absence: nothing is what there is, and this nothing is everything, it is emptiness and the sky and it is also the vast space within ourselves, which all language tries to convey. All of Blanchot’s work is illumined with this light of infinite space. Speaking of Joubert, Blanchot writes, “…withdrawn from ourselves, we can find in ourselves the same intimacy of space and light into which we must henceforth put all our cares so that our life will correspond to it, our thinking preserve it, and our works make it visible.” Blanchot did just that, true to his word.