
Tu décroches le téléphone et une voix te dégueule sur l’épaule, ou bien tu marches dans la prairie et soudain tu t’enfonces dans la boue, mais de bien 35cm.
Ou tu avales un des ces chèvres dont seuls les coris et les argyrolobes ont le secret, et qui te tapissent les alvéoles de velours tout en pinçant ce qui te reste de sinus.
Au début la surprise et tu te dis « ah oui, d’accord. » Mais tu reviens, tu ne t’avoues jamais vaincu, eh puis il faut bien sortir de la situation où tu t’es mis.
Rien à faire : cet album est l’une des toutes meilleures premières expériences qu’un humain doit faire dans vie.
J’ai découvert Roxy Music sur le tard, bien que je connaisse assez bien, étrangement, l’histoire de Brian Ferry.
À vrai dire, je pense que le premier morceau que j’ai entendu était If there is something, dans une reprise de Tin Machine — Bowie, ça c’est un pote ! Je sais que les gens n’aiment pas le live de Tin Machine que je retiens comme un des meilleurs live de musique populaire (#236), mais c’est un autre débat ; reste qu’il y a une version sous amphétamines de ce morceau, qui pour moi sert de référence, de nœud, de moyeu à tout l’album.
J’avais lu jadis le commentaire sur YT d’une auditrice qui disait qu’à telle minute, telle seconde, le rythme de la chanson se transformait imperceptiblement, passant d’une country un peu hippie (honky tonk ?) à ce blues urbain et comment dire, victorien ou haussmannien ou weimarien, bref philosophe, industriel et austère — mais poignant.
Il y a certes des morceaux d’un rock d’un genre un peu nouveau (Would you believe, les marrants breaks de la fin de Remake/Remodel), mais il y a surtout une succession de perles telles que Chance meeting, 2H.B., Sea breezes. Qui en fait un album exceptionnel.
Et puis il y a l’inaltérable et inarrêtable Brian Eno, dont on sens le poids de la main, le poids des doigts.
Notons qu’il paraît en 1972, année de Transformer, Exile on Main St, Harvest, Vol. 4, Gumbo, Paul Simon, Foxtrot, Ziggie Stardust, Machine gun ou Neu ! ainsi qu’une flopée de putains de bons disques de funk et rythm’n’blues. Dans le lot, Roxy Music est un ovni, et de tous reste sans doute le plus actuel et le plus touchant.