Michel Woelfflé poursuit une œuvre obstinée, lancinante, dont la nuit est partie prenante. Nous sommes honorés d’accueillir une série de leçons de ténèbres dont il est coutumier. Il vit aux confins de la Drôme, “au sein de cette nature minérale, originelle et solitaire qui de plus en plus m’est intime et inspire mes poèmes…”
Dans le tableau de Rembrandt cette lutte est une étreinte où l’on voit l’ange supporter Jacob et lui offrir consolation. Dans cette lutte alors, Jacob s’abandonne. Chez Leloir la lutte est vigoureuse, le ciel tourmenté. Il couvre l’horizon. Jacob est nu. Il étreint l’ange qui résiste et s’arc-boute avec force. Il s’agit, on le pense, de vaincre l’inutile en soi. Chez Delacroix on voit dans le regard de l’ange cette tendresse résignée portée sur Jacob. l’ange supporte cette lutte inégale ou Jacob se force à lutter contre lui. Mais l’ange doit cette lutte à Jacob. Toute sa vigueur le montre. Le désir d’être de Jacob lui impose son obstination. Il doit devenir. Un automne flamboyant porte sa lumière sur le corps des deux combattants. Chez Gauguin cette lutte est lointaine observée au premier plan par un groupe de femmes en coiffe bretonne traditionnelle. Elles font un demi-cercle à distance respectueuse autour de l’ange et de Jacob. Certaines prient les yeux clos sans regarder la lutte. Il y a une bête sans cornes pas très loin, perdue dans sa danse… Un arbre penché étend ses ramures au-dessus de tous. On en voit principalement le tronc. L’arbre apparaît être un pommier. Devant nous deux fines branches s’entrecroisent formant un cœur vide. C’est la place du nom à venir de Jacob. La terre de la lutte est rouge d’un vermillon affaibli. L’ange a les ailes largement écartées (comme dans chaque tableau cité, excepté chez Delacroix, plus réservé) il plie Jacob contre son genou. Celui-ci est habillé d’une robe de bure avec une ceinture. Les ailes de l’ange sont d’or. Il fait plein jour. Il y a onze femmes dans cette lumière. Jacob avait onze fils. C’est la seule lutte peinte avec témoin.
La hanche démise est-elle un souvenir de notre être boitant avant l’accomplissement ?
Nous sommes tous désert attendant la pluie
Pendant des mois, des années mon esprit se porta vers cette lutte. J’observais les témoignages de cette lutte. Jacob entre les ailes de son dieu. L’obsession fraternelle de dieu. Son désir de consoler l’homme dans cette éternelle lutte contre lui-même. Contre cette absence en lui. L’homme sans demeure. Sans horizon. Sans au-delà. Qui ne lutte sans promesse ?
Quand je sus que tout était accompli le silence se fit et le mystère en moi dessina un autre être qui connaissait les nymphes que seules révèlent d’antiques rêves refusant tout bannissement de cet amour que nous ne saurions trahir. Roseau familier des eaux je vis Narcisse se penchant comme une flamme sous le vent. Fils d’un fleuve il ne pouvait trouver qu’en la fuite des flots le visage manquant. La demeure réelle de sa nature. Le destin éphémère des fleurs. Il accepta ce que les êtres refusent.
Narcisse fut le seul à ne pas lutter, ni avec un ange, ni avec l’eau, ni avec l’amour qui l’avait porté jusqu’aux rives où il s’absorba.
Qui n’est Narcisse ?
Qui n’est noyé dans le souvenir de ce qu’il fût, qui n’est la fleur de ce souvenir qui n’existe plus et que la nymphe Écho nous rappelle, qui ne veut être Narcisse penché sur un visage qu’il aime et ne connaît pas. Qui ne veut soupirer et sentir frémir au ventre, l’onde du premer bain…
Pourquoi lutter avec l’ange, dieu ou soi-même, qui a besoin de lutter contre une fleur ?