Luc Garraud qu’on a déjà accueilli par le passé dans Hors-Sol propose aujourd’hui une longue série de textes brefs, qu’il appelle Herborisations, et dont voici, dans cette suite, neuf extraits.
La rouille n’oublie pas, sur la grille du jardin d’en haut, elle fait ses traces et ronge sous la peinture écaillée sans dire, elle avance. Ce n’est pas bien vu dans un jardin à l’abandon, ou l’on ressent des choses qui ne bougent plus comme avant, l’œil regarde, l’autre ne sait pas quoi faire non plus, perdu. Ce qu’il s’est passé ici n’est plus visible, des empilements oubliés d’histoires multiples, la fabrique, tout s‘est fait la malle en douce. Un jardin dont on s’est trop occupé, pour lequel on a voulu beaucoup trop bien faire, la bonne pente est devenue mauvaise rapidement. II suffit pour voir, de le traverser, et se faire une idée du rangement, du bien ordonné, du dérangé bien trop rangé des plaisirs du monde apparus et disparus. Quand de la terrasse du haut, on suit les murets disloqués de pierres rouges, crépis écaillés, ciment défraîchi, enfoncés d’une broche en fer plantée tous les trois mètres, sur le replat de la margelle, des piquets percés de trous, pour faire passer le fil de fer lustré par le vent et la pluie. Tout est distendu, on ne vit plus ici, alors prendre le temps de retendre n’est pas dans les occupations. Il suffit de descendre par l’escalier ébréché à chaque marche pleine de mousses et rejoindre en dix pas la merveille, happé par le jardin du bas, sur la deuxième terrasse, de loin, qui a l’apparence de l’autre, semblable. Mais on s’enchante vite, rien ne s’est passé ici, on a laissé faire la mémoire, pas de traces, que l’histoire soit belle, qu’elle soit racontable, ou bien qu’elle n’existe même pas, on sent l’odeur de la rouille neuve.