Benoit Vincent | Heidegger à la plage 5

 

Il se trouve
que revenir ici, à cet instant précis,
près des bassins,
des roches,
des eaux bleuies par l’immense solitude
du ciel

Il se trouve
que revenir ici, au vin âpre,
à la doucereuse brûlure
du soleil,
à l’emmerdement des familles,
radunées sur la plage
te plonge, plutôt
te rapproche (rapproda)
au noyau, à l’os.

Pourquoi, quand bat le silence
du soleil, imperturbable
et impitoyable
vient ce désir de lire
des livres de philosophie ?

Sans doute, ou peut-être
parce que Montaigne disait
de l’apprentissage de la mort
Je ne sais pas mais
Heidegger passe mille fois mieux
auprès de la mer historique
dans l’époque mortuaire
dans le pays des Biens :

Que sais-je ?

Des rochers glissés immergés inconnus du fil (de la lame) d’eau : je ne sais rien
Des morceaux de plastiques, mégots, fragments de notre vivre, inconscients qui imperceptiblement s’immiscent dans le vivant : je ne sais rien
(Si l’eau est le vivant : je ne sais pas)
Du chant des algues et de la nage des poissons : je ne sais rien
De la plainte des ondes et du ressac : assurément je ne sais rien
Du blues de l’eau, des navires en perdition et des accueils mitigés : je ne sais rien
Du beau, du bien et du bon : je ne sais rien

Et je me fous un petit peu de Platon dans les sables
quand je porte mon Heidegger
dans le maillot

Honte. Un peu, et un peu je m’en fous
Parce que rien n’est plus important, à cet instant précis
en ce lieu-même

Que de se foutre à l’eau
De fumer une cigarette sur le rocher
de ramasser les mégots, les canettes des autres
De jouir d’un soleil inouï
(Le soleil est toujours inouï)

 

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