Certains tics défigurent le visage et quand ils se déclenchent, il est difficile de les faire cesser. La bouche se tord, les yeux clignotent, le front se plisse, les joues se creusent, parfois même les oreilles ont l’air de bouger. Autant dire que cette mécanique infernale impose ses propres automatismes sans que l’être humain – et sans doute l’animal aussi – soit en mesure de rétablir l’équilibre de ses expressions. Le tic obéit à sa finalité comme à une règle de vie, il met en branle la répétition d’une ponctuation du corps. Le point- virgule, le point d’interrogation, les deux points, les points de suspension, d’exclamation finissent grâce à la durée de manifestation du tic par avoir le même sens. Mais il est vrai, par exemple, qu’un point d’interrogation peut immédiatement poursuivre son effet par trois points de suspension, même sans qu’il n’y ait le moindre recours au tic. Le désordre du sens que crée cette ponctuation est déconcertant : les yeux qui clignotent indiquent-ils un doute ou une certitude ?
Par extension, le tic, quand il n’est pas énoncé comme tel, désigne parfois une habitude, voire même un rituel. Si quelqu’un répète le même geste, à la même heure au même endroit, on dira aisément de lui « qu’il a ses habitudes ». On sera étonné, si le connaissant, on ne le voit pas réitérer pareille concaténation de ses gestes. Selon les conventions de la politesse, reconnaître les habitudes de l’autre, discrètement bien sûr, c’est lui faire honneur. Si le tic peut paraître navrant, l’habitude garde, pour ainsi dire, la tête haute.
Et du rituel, qu’en est-il dans une société qui n’est pas considérée comme « primitive » ? Comment octroyer une puissance magique à ce qui pourrait bien n’être qu’un tic ? Depuis l’enfance, quand je suis satisfait d’une situation ou d’une idée, mes mains se rapprochent de mes fesses et mes doigts s’agitent à tel point que j’ai souvent entendu dire : « il bat des ailes ». En somme, mes ailes auraient poussé sur mes fesses dès ma naissance. Je remarque de plus que je dérobe au regard de l’autre la manifestation de ma satisfaction comme si je la gardais « derrière mon dos ». Il y a pourtant des moments, je l’avoue, où mes mains s’agitent sur le côté sans chercher à se cacher. Ce qui m’intrigue aujourd’hui, c’est la primitivité d’un tel signe, celle d’un personnage hybride, entre l’homme et l’animal. J’ai cherché à découvrir une société (voire même une culture) dans laquelle ce rituel aurait pu exister, je ne l’ai pas trouvée. Un jour, j’avais huit ans, j’ai pincé la fesse gauche d’une dame qui était en train de faire la vaisselle, je chantais à tue-tête la chanson de Bourvil « je lui fais pouet-pouet elle me fait pouet-pouet et puis ça y est ». J’ai été obligé d’accepter l’idée que l’usage du rituel des adultes n’était pas le même que celui des enfants.
Comme en étant de plus en plus vieux, je bats encore des ailes, je me dis que j’ai toujours eu le même tic. Et pourtant, ne puis-je pas m’autoriser à croire qu’entre le moment où je pense et celui où je bats des ailes, il y a un lien indissoluble qui restera toujours énigmatique ? Et le tic n’est-il pas alors un rituel qui « aurait perdu les pédales » ?