Milène Tournier est née à Nice, en 1988. Elle est docteure en études théâtrales. Sa thèse, dirigée par Hélène Kuntz, s’intitule “Figures de l’impudeur: dire, écrire, jouer l’intime (1970-2016)”. Son texte « Et puis le roulis » est édité aux Editions Théâtrales. Son texte « Nuits », un monologue insomniaque, est édité aux Editions La Ptite Hélène. Elle pratique l’écriture vidéo et partage régulièrement son travail sur Facebook et sur Youtube. Certains de ses poèmes sont publiés dans la revue de poésie contemporaine « Place de la Sorbonne ». En 2017, elle tourne dans « Automne malade », un court métrage réalisé par Lola Cambourieu et Yann Berlier. Elle est par ailleurs professeur documentaliste dans un lycée professionnel. Elle participe en 2019-2020 au programme de résidences d’écrivains de la Région Île-de-France. Son premier recueil de poésie, « Poèmes d’époque », a été édité en 2019, dans la collection « Polder » de la revue «Décharge », préfacé par François Bon. Son second recueil de poésie, « L’autre jour », paraîtra au printemps 2020 aux éditions Lurlure. En 2019-2020, elle écrit, sur une commande de Lena Paugam, « Lamentito » (festival d’Avignon 2020, théâtre du Train bleu), une pièce de théâtre épistolaire, une lettre écrite et dite à l’intention d’un spectateur inconnu, dont on ne sait plus rien, qui a disparu depuis longtemps et qui, peut-être, est dans la salle.
Sortes de “pain du jour”, je marche et filme des bouts, des moments de ville, à partir desquels, le soir, j’écris. Je voudrais, iphone en main, débusquer la poésie du quotidien, la vitalité du banal. Le souvenir, pour ces marches d’écritures, des fugues de Rimbaud, de Charleville à Paris. Le souvenir de sa fuite, un matin quitter l’Europe. L’autre continent, comme godillot gauche et droit, de l’Afrique, l’Abyssinie finale, le rêve de Zanzibar. Il n’y a pas de nouveau monde à découvrir qu’à creuser celui ci qu’on a là sous l’ongle, et comme des Antigones aller déraciner les lumières. Quel nouveau rapport inventer, au temps, au flux, lorsqu’on a avalé l’idée de la fin, de toute fin, en même temps que celle d’éternité, de sans doute quelque part l’éternité ? Quand zoomant à deux doigts sur l’écran et la petite pupille de la ville reproduite, j’écarquille, sans l’éponger, un mystère. A l’inverse des « influenceurs » de Youtube, être influencée, infusée, et livrer ville et je à la youtubéance.
Pierre Antoine Villemaine est metteur en scène, écrivain, artiste et enseignant. Chargé de cours à l’Institut d’Études Théâtrales de Paris III, directeur artistique des Ateliers de lecture à haute voix de la Bibliothèque Publique d’information, Centre Pompidou (2001-04).
A mis en scène des oeuvres d’Artaud, Bataille, Blanchot, Celan, Duras, Genet, Giacometti, Handke, Jabès, Kafka… A organisé et participé à des rencontres et colloques notamment sur Artaud, Jabès, Blanchot, Celan, Michaux…
A publié de nombreux articles, récits et poèmes en revues : Remue.net, N4728, Ralentir/Travaux, Revue des Sciences Humaines, Revue d’Esthétique, Théâtre/Public, Europe, Le Nouveau Recueil, Sens Public, Communications …
Quelque chose ici comme une vacillation. Hésitation. Tu vois clairement que les mots te déportent au delà de toi-même, vers des régions pas toujours plaisantes. Dans l’après-coup tu t’en désoles mais la route t’emporte et tu butes maintenant sur les pierres, tu t’enfonces dans la boue des chemins, sous l’orage des éclairs silencieux strient l’horizon et tu pénètres dans un brouillard étrange et beau, rassurant, tu erres longtemps entre les arbres fantômes, tu as perdu le nord. Nous te retrouvons beaucoup plus tard, tu es à genoux, tu te cognes le front contre la terre. Plus tard encore, nous te voyons redescendre vers la vallée, dans les éboulis qui pleuvent autour de toi, tu dévales les pentes escarpées en riant, tu te retrouves, tu te surprends. Ô délice alors de s’éveiller, comme on ressuscite.
*
Il portait en lui cette sensation d’être n’importe qui. Sans lieu et sans nom. Parfois sa pensée se retirait et il sentait qu’il s’évaporait doucement dans l’air. Ce n’était pas désagréable. C’était comme un évanouissement, un lent engourdissement auquel il s’abandonnait volontiers, un doux sommeil dans le froid, dans la neige. Ce motif lui revenait sans cesse et il ne pouvait pas s’en défaire. Il avait souvenance que le froid accroissait la clarté des choses, augmentait la netteté de leurs contours. Cet arbre effeuillé dont le tronc et les branches fines se découpaient si vivement du ciel lui en avait apporté la preuve. – Oui, je le connais votre arbre isolé au beau milieu d’un champ, je le vois bien, on dirait qu’il est peint à l’encre de Chine sur le paysage. – Vous le voyez souvent ? – Non, je ne veux pas le déranger, il est fier et je préfère le laisser à sa solitude.
*
Depuis le haut de la montagne son regard caressa longuement le paysage. L’atmosphère était limpide, immense et légère. Il accompagnait les nuances de la lumière, les caprices du vent. Il se pencha et suivit des yeux les courbes du fleuve. Il vit le haut clocher de pierre grise et au lointain les collines qui protégeaient la vallée. Oublieux de lui-même, il surprit des formes mouvantes dans les nuages. Quelque chose se défaisait. Il perdit son assise et demeura indécis dans un fragile équilibre. Il aurait voulu saisir l’occasion mais il n’était pas encore prêt. Il se sentait à l’étroit dans son corps. Il aurait voulu être plus léger, plus aérien – un oiseau sans doute. Mais déjà il n’était plus de la terre, il flottait légèrement au dessus du sol. C’est ainsi qu’il voyagea au delà de ce qu’il y avait à voir et s’abima dans la transparence du jour.
Né à Angers en 1971, Jolyon Derfeuil s’est d’abord découvert une passion pour la poésie dès l’adolescence, au sein de l’atelier théâtre de son lycée, reprenant des textes de Raymond Queneau pour les jouer sur scène. Il découvre aussi Pierre Reverdy, Antonin Artaud et les poètes surréalistes. Dans la foulée, il fréquente plusieurs ateliers d’écritures et intègre la rédaction de diverses revues… Après des obligations malheureusement militaires, il entre à l’université d’où il ressort avec une maîtrise de lettres modernes et surtout l’envie de faire des films. Il réalise un premier court-métrage, « L’homme qui sentait les livres » qui obtiendra le grand prix du festival du film artisanal de Joyeuse enArdèche.
La suite de son parcours s’illustre dans l’associatif, l’écriture de scénarios, la réalisation de films ou de clips mais toujours dans un esprit d’indépendance sans pour autant délaisser l’écriture poétique.
De 2005 à 2010, il anime entre autres des émissions de radio consacrées auSlam et au cinéma sur la radio angevine alternative « Radio G » et fait des improvisations poétiques en direct dans une autre émission dédiée au Free Jazz. En 2012, il crée son association, les « Films d’Albert ». Depuis 2016, il intègre le Collectif du Printemps des Poètes d’Angers ou il crée des performances poétiques mêlant textes et vidéos comme « Poèmes & Pixels », « La Tignasse » ou « La gorge».
Filmographie sélective : « l’Homme qui sentait les livres » (2001) ; « Cœur à la peau dure » (2003) ; « Une pièce unique » (2012), « Poèmes & Pixels » (2015)
1. Le même en bleu
J’étais un réfugié
Dans un ciel de passe
Un dieu ventriloque
Me disait la route
Au sortir du rêve
La terre se retournait
J’étais un insoumis
Qui mourrait de faim
Avec les fantômes
Un vent bien monté
Me faisait marcher
Et les mots toujours
Etaient les premiers
J’étais dans un mauvais rêve
Où de lents miroirs
Reflétaient le soir
Un oiseau sur l’oreiller
Me regardait parler
C’était avant la mort
La vie des paupières
J’avais comme survivant
Mon chien d’étoile
Compagnon précoce
Qui pissait sur mes silences
Et l’odeur me remontait
Comme la mémoire
Revenait par la pluie
J’étais un petitgarçon
A l’école despoux
Un maîtrebuissonnier
Me faisait laleçon
Et j’apprenais à courir
Pour devancer l’aube
2. Murmures desecours
Pas d’orage ce matin.
Mes oreilles dans l’embuscade du silence.
Dernière dédicace du jour, sur une route de campagne
Celle qui glace et glace encore
Même à midi pile.
Sur ce territoire qui n’est plus le mien
Un futur peut-être, jettera l’éponge.
En route vers de nouveaux canaux.
Des récifs et des coraux de terre Gravent dans ma bouche
Le vœu de la soif ou de la corne.
Je ressuscite le vieil instinct des hommes.
Un ciel blanc tourmenté de corbeaux
Eclaire les ruines de mon ancienneurbaine.
Comme la solitude est propre
Pendant le corps immobile,
Celui que j’ai défait de mon ombre solaire
Et refait sous les rayons de lune.
La langue tourne à vide.
Projet de viande, sons des papillons Un peu d’enfer pour revivre.
Nathanaëlle Quoirez naît pas morte en 1992. Écrit depuis longtemps quand même surtout des textes poétiques. Est passée par les arts du spectacle. Explore la lecture et la performance poétique. Donne des ateliers d’écriture et de théâtre. Bidouille des livres minuscules sur sa machine à écrire. Attend. Se trouve sur Facebook. Ailleurs parfois : ab imo pectore
centre le fruit soi de guerre croître comme contrer l’autour de boue
la viande du sacré
qui pousse la merde
a repoussé le jumeau mort
dans sa contrée céleste
retour de l’énigme
en son point de prescience
puissé-je m’expulser
pour reformer le corps.
*
je supplie seigneur
où l’eau froide
marie
dans son écoulement
le noiement de la tête
celui serein du corps
le déclin
de tout homme
je serai celui
sécrété dans la liquidité du ventre
un autre homme
que moi-même
cet effaré tremblant
dans le bleu égide
qui rend à la carté
l’oiseau réconcilié de l’océan
je m’accentuerai
de dénaissance
mais un corps déjà
abat l’interdit
de voler l’heure de son temps
et assèche maintenant
la tombe d’eau limpide
je refleuris de pierres aux endroits de la pluie
je me console.
*
au seuil
on m’égare la route
on m’appauvrit
du halo antéfixe
on me pousse dans le vide
ainsi trace d’oiseau
rejetée dans la mer
j’ai giclé blanche madrépore
j’ai coulé bleue
on me terrifie du cadavre
J’AI FAIM
sans somnoler l’absence
sans boire au pistolet
j’ai faim de ma plus haute mère
qui a pris son berceau dans le bébé maman
j’ai faim d’eau à dormir
m’écouler à ta peau
c’est l’hypothèse
de me croire
jailli de la terreur de naître
m’épouser moi
m’incomber à ma mère jumelle
qui de mon père
ou de la face exclamative
délivrera mon nom
de leur nomenclature
os pourris de genèse
mimesis de l’acte du réel
je ne m’entends plus venir
à l’oreille
bâillon de cris
je supplie le coryphée
de s’étourdir à la confrontation
NE MÉPRISEZ PLUS JAMAIS LE SANS SA LANGUE.
*
je confie à tes mains solitaires mon destin ensablé varech larges tessons polis de crimes sur la plage je te confie
et même l’image
l’écran ébouriffé de l’âme
l’éventration palpable
du vent dans nos habits.
*
20 h 18
fleuve violet
quelques fleurs mélancoliques
me pourchassent de fureur
je tète un idéal
sans idéal de corps
sans corps flottille à submerger
ma tête ma prison
audace
ma bêtise
mais tu voulais l’ombre, non ?
*
19 h 46 :
seigneur priez
les âmes retournées
dans le chagrin d’alcôve
fœtus de l’absente madre
qui se contracte au jour de crue
*
je descends dans mes fibres
en détressant ma peau
plus que nue dans vos bras
je me demande encore
si je parviens
à mettre le mot vivre
dans le cœur abandon
je vous brûlais mes vêtements
et vous appelais digues
camisole physique
qui me tient hors danger
je ne veux plus de moi
je descends plus bas
que les entailles primaires
augurale violence
dans le bassin du vieux
je sens le violeur ruisselant
sa dalle de mortes
est grande
aigres chairs aux étreintes
peau règne cannibale
lance ta flamme
dans le moyeu pourri
ce nid toujours au centre
dans ma religion je t’accueillerai
jusqu’à la fin du jour
vain passé au crâne d’indifférence
mes tripes ont repoussé
en vieilles fleurs éteintes
sinistre mellifère
je voudrais m’accoucher
mourir avant le cri
pour retrouver mes autres
je vous ai trop perdu
mystagogue tant chéri
donne-moi le bâton des audiences
une phrase nous suffit
guérir ne tient qu’à la promesse
Sara Bourre écrit et se produit régulièrement sur scène avec le collectif CLN (projet musical au sein duquel se rencontre poésie, matière sonore et visuelle), et le groupe Crashing Dolls.
Elle a publié des textes poétiques dans plusieurs revues, ainsi qu’un livre aux Éditions du Cygne « À l’aurore, l’insolence ».
Elle est actuellement en master de création littéraire à Paris 8.
Sous quel soleil te caches-tu
si tu te caches
si tu cueilles un à un mes cheveux dans la nuit
si le sable au coin des yeux te fait rire comme un fou à l’approche des tempêtes
je pense à toi comme on dérive
avec beaucoup de sang dans les paumes de main à force de m’accrocher aux branches
dans quel désert ton corps se plie
ma peau fantôme
ma peau de crime et de sueur
avec quelle main la sèches -tu
et quel regard donner à l’amour qui sans prévenir
se balance des falaises
donc tu me laisses
tu pars
tu avances dans l’oubli de mes yeux
parfois la nuit je te devine
la chambre bleue vacille
tu manques à ces murs
tu manques à tout ce que je touche
dans le sommeil je te sais droit et fière
les yeux plein d’un soleil rouge
les mains ouvertes aux fracas des mémoires des rires des cris
tu m’attends
lettre après lettre je trace l’histoire
je remonte à l’envers le chemin du corps
je joue à me crever les yeux à coup d’absence et de désir
je marche comme une aveugle
comme une morte
comme une folle – ils disent
avec leurs voix de fer
ils disent voilà la folle et je me courbe
je me découpe à l’intérieur
avec les dents je m’arrache et me donne à bouffer aux chiens
voilà la folle – Annabelle la putain
la sœur de crime et de nuit
la traînée l’indécente la furieuse l’impossible
voilà celle qui ne regarde rien
et qui se vautre dans toutes les ombres
je trace ton corps
je trace ta route et chaque matin
je t’attends sur la pierre brûlante
derrière la maison
là où aucun regard ne se pose
sous quel soleil marches-tu
Quelle routes
Quels vertiges
Est-ce qu’entre tes lèvres
mon nom encore
comme une prière
un appel
un chant
un cri
me voilà nue
bercée par le brouhaha des souvenirs
les pulsations de l’enfance
secouée comme une garce
par les mains larges de la honte
me voilà sans visage
et revenue de tout
me voilà sans raison
la peau du frère jetée aux marées noires de l’oubli
ma propre peau en vrac
dans la lumière crue
et la bouche
la grande bouche de ma mère qui
depuis ce jour
ne parle plus
juste le geste et faire mine de ne rien comprendre
ne rien savoir
ne pas cligner des yeux face à celui qui
sans un regard
un matin
ferme la porte et un pied devant l’autre
s’en va
la route sur laquelle je marche plonge dans la mer
je suis bête et violente au dedans
je suis abrutie par l’odeur de mon propre corps
qui sans toi continue
sa mascarade
son théâtre de pacotille
ses histoires à dormir debout
à l’envers
et qu’importe le sens de la marche
j’avance les lèvres sèches
assoiffée
bête et violente au dedans
voilà la folle – Annabelle la putain
la sœur de crime et de nuit
la traînée l’indécente la furieuse l’impossible
voilà celle qui ne regarde rien
et qui avance
avance
avance.
Gracia Bejjani quitte sa terre natale le Liban à 20 ans, après un autodafé de tous ses textes de jeunesse. Cet acte fondateur relève d’un projet ou fantasme : donner une autre perspective à son écriture à laquelle elle dédie tout son temps. Du moins, celui qu’une vie professionnelle très chargée lui laisse. De manière récurrente mais non exclusive, ses écrits portent « naturellement » sur la guerre, l’exil, l’identité, le lien.
Textes brefs, récits, romans mais aussi photos-textes, vidéos-écritures, poésies. Publications sur YouTube, Instagram, Facebook et dans certaines revues comme la Plume Francophone. Elle a animé de nombreuses vidéos-live en philo directe et en littérature. Elle a par ailleurs fait partie de la programmation du Festival Extra, Litteratube, au Centre Georges Pompidou en 2018.
Son site personnel graciabejjani.fr regroupe l’ensemble de ses productions.
sommes-nous encore contenus par nos peaux
corps brassés, os apathiques
nos heures carapatent aux parages
vies oubliées des verticales.
sommes-nous désormais histoires
inaudibles au présent
sommes-nous récits radotés par des joues marmotte
mélodies de fantômes plus coriaces que fatigue
sommes-nous désormais spasmes de filiation
scellant ciel et monts comme distance entre les vies
branches en fuite devant le désarroi de nos enfants
on tremble
on tremble comme peau.
on égare les phrases
sur des visages crevasses
sommes-nous monologues de silence
syllabes solitaires et inanes répétitions
on tremble des mots, servitudes de paupières
sommes-nous déjà le silence à venir
sourdines de nos aimés
on tremble
terreur ordinaire
on tremble
sommes-nous raidis, creusés de trop de mots
failles de nos regards obèses, sans écorce de pensée
nous flânons, entre filiation et absence
pris dans une chair vaine comme univoque tissu
usés de cendres, on tremble éventrés
sommes-nous remous de nuages gelés
vertèbres de pluie quand l’heure se tait
sommes-nous parenthèses de vent
sur des visages sans consolation
qui scrutent et nous évitent
on tremble
on tremble des os.
sommes-nous frange de vie
nous clignons à peine
liturgie de mâchoires arrachées à la démence
sommes-nous le dédain des seuils
splendeur sans éclat
on se heurte, corps avides
sommes-nous figures de disgrâce
on se dit métaphore d’homme
muscles courbés par les mots
on tremble de silence
sommes-nous la preuve de l’absurde
l’étrange du monde, mort ordinaire qui se rapproche
on tremble
on tremble en silence.
Marine Riguet est chercheuse en Littérature et en Humanités Numériques. Elle est l’auteure de textes poétiques, d’une pièce de théâtre (Talk to me, mise en scène par Laurent Cazanave en juin 2012 au Théâtre Côté Cour), d’un texte sonore (La Souterraine, illustrée par Emma Duffaud et performée Galerie POS en 2018), et pratique l’écriture audiovisuelle.
Depuis cinq mois qu’il marchait, il avait le soleil levant pour seul point de mire.
S’évaporait peu à peu tout ce qu’il avait quitté, jusqu’à son nom.
Il avançait sous une lumière sans jour ni ombre, dans une heure où se valent le soir et la naissance. Il ne faiblissait pas, ne trébuchait pas, ne priait pas.
Sa barbe recouvrait la moitié de son visage comme une croûte, et sa tunique, pourtant bien trop ample pour ses épaules, collait à sa peau.
Il avait enveloppé ses pieds dans des bandelettes pour que ses semelles ne les entament pas.
Devant lui, la terre. Devant lui, crépitant de silence jauni.
Les pousses dans leur lente crispation se confondaient aux pierres.
Il voulut cracher comme on s’humecte la gorge, mais il ne transportait rien, ni salive.
Ses épaules coûtaient. Sa nuque courbée, chaque enjambée faisait le poids d’un corps.
Il fuyait.
Sa marche était un interminable affrontement.
Il n’avait personne sur ses pas. Il entrait seul sur cette terre en dehors des routes, des promesses, des racines ; et il comprit que cette terre était sienne.
Il faut leur coudre les paupières. Aux morts. Leur coudre les paupières pour préserver leurs images intérieures, que leur mémoire ne s’évapore pas par les yeux.
Ne dors pas. Il n’est nulle mort possible. La mort, c’est celle des autres, celle qui se voit, à la surface, qui se laisse regarder.
Ton existence à toi est une nuit sans commencement, de celles que l’on n’interrompt pas.
Le soleil s’élance. C’est pour toi qu’il s’étend, qu’il s’étire, pour toi qu’il brûle. Il est ton tatouage, ta sentence, ton clou, le passé en germe dans la moiteur de tes jours, il est le cœur qui s’essouffle en toi, devant lequel tu dois comparaître sans te dérober jamais, parce qu’il est l’œil, il est le ventre qui digère ton existence, qui t’accorde ton sursis et ronge ton repos, il est l’astre, le clown blanc sans ride, sans ombre, et il résonne, il parle à travers toi, il t’entend.
Le corps d’Annabelle. Invisible, dans la nuit, respirant sans se faire voir, sans soulever les couvertures, égal à tous les autres corps ; que la nuit dévoile, rend à lui-même, parmi tous ces autres corps, rend étranger, permis. Jusqu’à ce que sa main. Annabelle sur le matelas posait le dos de sa main. Si légèrement que le drap ne pliait pas. Écartée de son corps, donnée à la rencontre de mes doigts comme à la nuit, indifféremment, d’accord pour se faire happer, d’accord pour disparaître. Tant qu’on ne dérangeait pas le silence. Tant qu’aucun de ses mouvements ne crissait. Je n’ai pas su tout de suite. Sa main est apparue au bout d’un tâtonnement, d’un étirement de mon bras qui n’aurait rien dû rencontrer d’autre que l’air. Mais sans heurt. La main d’Annabelle dans la nuit n’était pas la main de ma sœur. C’était la main d’une autre, la main d’un corps parmi tous les corps, qui se donne sans appeler, qui réchauffe et tremble dans un frisson qu’on veut caresse, la main qu’on prend, qu’on retient en croyant serrer avec elle l’ensemble de l’être, la main qui se plie comme un cou et respire comme un ventre. J’ai pris dans la nuit la main d’Annabelle qui n’était plus Annabelle. La main inconnue, la main nouvelle. J’ai rencontré la paume d’Annabelle pour la première fois.
Variations I & II
Suite du projet :
– vidéo-poème de Sara Bourre et Mathias Bourre (janvier 2020)
– exposition des peintures d’Emma Duffaud et live (printemps 2020)
Né à Angers en 1971, Jolyon Derfeuil a découvert la poésie à l’adolescence, au sein de l’atelier théâtre de son lycée, reprenant des textes de Raymond Queneau pour les jouer sur scène. Il découvre aussi dans la foulée Pierre Reverdy, Antonin Artaud, les poètes surréalistes, Baudelaire, etc. Puis il enchaîne avec des études de comptabilité qui ne mènent nulle part, le service militaire et quantités de petits boulots avant de faire une fac de lettres d’où il ressort avec une licence de lettres modernes. La suite de son parcours s’illustre dans l’associatif, l’écriture de scénarios, la réalisation de courts métrages sans pour autant délaisser la poésie. Il anime entre autres des émissions de radio consacrées au slam et au cinéma sur la radio angevine alternative « Radio G » et fait des improvisations poétiques en direct dans une autre émission dédiée au Free jazz.
Encrer à l’usine (extraits)
Une dizaine de camions entrent dans ma tête par les oreilles. Ils roulent dans tous les chemins nervurés de mon cerveau mais ils ne livrent pas, ils ne livrent jamais. Ne s’arrêtent jamais. L’un des chauffeurs saute de son véhicule en pleine course. Ils font tous pareil. Mais les camions continuent. Sans pilote. Ce sont des bolides absurdes, mais aux trajets réguliers, raisonnés. Peu à peu, ils se changent en neurones, en atomes, en feux-follets organiques, le coffre plein d’informations contradictoires pour éprouver vaillamment mes nerfs et, par mimétisme, ma conscience égarée et je deviens un ouvrier, un chauffeur, un mécano, un agent de la maintenance, rompu à la technicité désuète mais redoutable du geste sur. Je ne livre qu’à moi- même un robot ténébreux et je roule sur les bords du monde. Je roule, chargé d’une mémoire pleureuse, tailladée par les acouphènes, les éclairs et les odeurs d’aciers fondus. Je roule pour espérer remplir le néant.
Compter sur moi
Au rendez-vous de nos attentions ici
sur le bureau encombré de gommes j’ai retenu la nature du piège
à force d’être dans ce travail je ne deviendrai pas fou
je serai juste au bord
l’ombre de ma main me l’a dit l’ombre de ma tête aussi
des camions parcourent la nuit
chargés de ciseaux, de crayons de bois
ils me rejoignent au regard,
à la rature infinie humectée par la première langue, celle des consignes
et dans le vaisseau du gardien je fais le compte des néons avant d’être attentif
au numéro des taxis
je veux la palette
le siège le plus bancal et des fruits rouges
et je porterai
au sommet de l’horloge
la poussière brunie de mes gestes.
Des petits bonshommes sur des écrans, des robots en action, des portes qui coulissent, des wagonnets qui circulent, des camions qui se remplissent… ça fait des films en pagaille : des plans fixes, des zooms, des panneautages qui se prolongent infiniment dans le coeur des disques durs, une addition de signes pixelisés comme si on me renvoyait les photos fébriles des différentes parties de mon cerveau-surveillant, comme autant de fenêtres réelles qui se rêvent elles même en fiction… Alors je me range dans la faille des images, je m’imagine à la place de ces gens, je les occupe sans curiosité.
Né en 1975, Eric Darsan est écrivain, critique et nomade. Il publie textes et articles dans diverses revues littéraires en ligne (remue.net, Poezibao, Sitaudis, La vie manifeste, etc.) ainsi que sur son site personnel, avec un intérêt particulier pour l’édition indépendante, la littérature contemporaine et expérimentale, poétique et politique. Il est l’auteur du Monde des contrées, paru en 2016 aux éditions Le Tripode, une introduction à l’œuvre intégrale de Jacques Abeille illustré par les 400 coups, collectif d’une vingtaine d’artistes sérigraphes.
Membre actif du Général Instin,il est également l’auteur de (G)rêve, Général(E) : Chant de guerre pour l’armée d’Instin, une série insurrectionnelle en quatre temps publié en collaboration et en simultanée sur Remue.Net et Lundi Matin. Le général en mouvement(s), Instin, de l’IS au NSK : tentatives d’approche du fantôme collectif, a fait l’objet d’une Conférence performée à la SBC Gallery of Contemporary Art dans le cadre de Publishing Sphereoù il était invité avec Patrick Chatelier pour représenter le GI.
« DGSI partout, GI nulle part ! »
Statu-t/-e du Général Instin, 10/09/2019
In-/Con-struites par les plus éminent·e·s spécialistes dé-/re-pêché·e·s de/par la PP (Police Po-é-li-tique), nos informations (quantiqu-/-tativ-/ement astronomiques) en provenance du CERN (Organisation Européenne pour la Recherche Nucléaire, avec un O mal fermé devenu C — couac infinitésimal) et de la DGSI (DST+RG-GI) sont (in)formelles : le Général est en marche (comme on dit en voiture Simone) : c’est là son principal moyen de locomotion (la marche, pas si molle). Bien entendu, il faut avouer que ça prête à con-t/f-usion(s) cette façon de. Mal parler [ce texte a été initié à/pour l’oral — après c’est parti en q(uen)ouille] d’une personne comme s’il s’agissait d’un mouvement.
Pourtant, si on les décompose sur le mode de la chronophotographie, qu’on saisit/isole chaque instant en (con-)séquences, le Général comme son pré-tendu (c’est entendu, di-s/-t) mouvement (Général & parti[cul(i)]e(r)[s]) se (dé)multiplient, se r-e/a-ssemblent successivement jusqu’à se re-joindre et in-/con/-stituer [(dé)formation] une seule unité [division], unique pulsation sonore induisant un rythme à une période/fréquence que l’on peut mesurer ainsi (grâce aux dernières avancées de la chronobiologie anthropométrique) : G=I+G= GI.
Du moins c’est ce qu’on dit (nous l’allons montrer tout à l’heure).
(Avertissement : ce qui suit est une expérience de pensée, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé sera déterminée par l’intervention de l’observat·rice·eur, conformément aux instructions du Général Erwin Rudolf Josef Alexander Schrödinger).
A-G
GI marche, donc, comme un seul homme [ou femme, genre on ne sait pas]. Au pas, ou pas. Mesuré, pour être précis : une deux (bis repetitae) [autrement dit : pas de deux, dit aussi : pas (maré)cha(u)ssé(e) — vue du dessus : : / de côté : ..]. Une par(t)i(culari)té qui lui donne généralement l’allure androgyne d’un métronome. D’ailleurs, quand il prend les transports en commun, il marque la mesure de même, dodeline de gauche à droite (et vice versa). Mais il arrive aussi que le Général accélère, hâte le pas de course, charge comme un sauvage, d’avant en arrière-garde/cour[re comme un dératé].
Parfois (de plus en/le plus souvent), comme un(e) vieil(le)( h)ard(e), le Général aime que les choses soient égales, qu’elles soient régulières. Que rien ne dépasse. Que tout soit uniforme. C’est reposant. Cela lui permet, à lui, d’être en mouvement. De dé-river/-lirer. Quitte à s’exclure, à sortir, à surgir, à se jeter dehors, à se ruer dans l-e(/a) ru(e), à quitter l’(h)UT(te) (Unité Territoriale) pour le (Hors-)sol.
B=
Le Général est in-/ex-clusif dans le même temps/espace/syntagme/segment. Quand il dit j’erre, il digère [, ]vraiment. Il a un appétit dément, pas d’oiseau, mais de vraies fringales. Et quand il a terminé de se fringuer, il sort et dit gère à son corps défendant. Il se préfère i(rré)sol-é(-/u)ment solitaire, plutôt que mal accompagné. Suit un régime particulier (: c’est un(e bande de) jeune(s) à lui tout seul) qu’il respecte à la lettre (lui qui commande, qui obéit : GI reste & GI suit). Avant de sortir, il se fend la gueule(,) cassé(e) d’un large sourire et de quelques plaisanteries qu’il garde pour lui (c’est là son joker). Dans le cas (toujours particulier) où il viendrait à se rencontrer au gré d’un dîner mondain et ne saurait pas quoi se dire ou faire, comment se (re-/dé-)tenir en société. Secret et volubile, GI s’efface, s’oublie et s’éparpille en — babilles.
C-I
D’Instin, on ne sait pas grand-chose dans le fond. En tant qu’homme, ou femme, il ne faut pas le chercher. En Général, on le trouve. Bienveillant envers les hommes, les femmes, les enfants et les animaux, il passe son temps en différ(-e/)ant(s) avec\contre ses semblables, sans répit ni repos. Dispos, vacant, il va, quand il en a le temps, vaquer loin du troupeau, de l(’)a(t)[ ]troupe(ment).
A ce moment précis passe un enfant, passe un oiseau. Pas un ange (on n’a pas le budget pour ça, pas les relations qu’il faut), mais un passereau. Pan ! Bang ! : le Général a sorti son flingue, flingué l’enfant : flingué, l’enfant ! Alors on ne salue plus, a demandé le Général, comme pour lui-même. Et Instin de répondre, le clope au bec, saoul comme une grive : nan.
D+
GI ren-/dé-/ren-gainant (il participe, présent), en prend de la graine après coup, égrène les raisons de la gêne. De l’oiseau il n’a que faire, qui tient trop à ses plumes pour risquer le tiers de la moitié du commencement d’une [barbe=>G/R/H-achis].
Et c’est ainsi qu’Instin songe/observe/s’aperçoit/comprend en Général et conclut : l’enfant au fond, et surtout dans sa forme (du moins ce qu’il en reste) n’est pas l’étranger. N’est pas camus, couvert de sang : il est mort pour de(ux) faux : pour l’adulte et pour l’enfant. Mais c’est déjà trop, traumatisant, trop marcher dans les pas de l’adulte vieillissant. Alors GI se jette contre les murs et y imprime – rouge sang sur faux sang blanc – son non ancien, son nom nouveau, qui le voit naître et grandir et mourir tout-en-un : Instin. Général. Général Instin.
E-G
L’enfant, c’est l’Enfance du Général. Que le Général a tué. Par lui-même (by himself – le Général, en grandissant, a appris la langue commune à son temps). C’est ainsi qu’il s’écri-t/-e. Fait entendre sa voi-e/-x par ses mains.
Et c‘est alors que l’enfant se relève. Le Général n’a pas totalement tué l’enfant. Ou plu(s )tôt : pas vraiment. Il l’a tué avec ses mains d’adulte [en] (in)complet, sous couverture, déguisement (déguisement vrai, mais déguisement tout de m-è/ê-me), mimant des pistolets. L’index et le majeur joints en barillet, l’annulaire en guise de gâchette et le pouce en chien de fusil. Son petit doigt, lui, ne dit rien. Témoin pourtant, mais silencieux tout de même.
F=
Le meurtre n’a pas fait de bruit, il s’est fait en silence. In-/Con-struit progressivement. Comme une intrigue, avec ressorts et tout. [F®iction] in-/ex-clusive, ir-/réductible de parti[cul(i)]e(r)[s]. Désormais GI est HS. Hors-Sol, réellement. Réalisé et réifié, monde et hors-monde, arche et soubassement, chtonien et ouranien, tout ou rien, léger et terrifié dans le même temps, GI erre et rit comme un damné de la terre. Reste 2 π R. Inspecte le périmètre, en connaît un rayon, tourne en rond, s’oppose diamétralement à toute tentative d’encerclement. G demeure un mystère, I[l] s’ignore et se découvre continuellement. Chez lui. De là, depuis, le Général nous somme de faire/de dire/d’être le Général : nous qui lui donnons perpé-/mu-tuellement naissance et le perpé-tuons, nous(, en) sommes, nous sommes Le Général, astre brûlant et froid en perpétuelle (r)évolution.
Nathanaëlle Quoirez naît pas morte en 1992. Écrit depuis longtemps quand même surtout des textes poétiques. Est passée par les arts du spectacle. Explore la lecture et la performance poétique. Donne des ateliers d’écriture et de théâtre. Bidouille des livres minuscules sur sa machine à écrire. Attend. Se trouve sur Facebook. Ailleurs parfois : ab imo pectore
14 h 22 : illusion d’orage dans le cirque des épicéas, tombent les gouttes d’aiguilles, la morve au vent, le cri percé du ventre. on rentre les oreilles aux genoux d’avoir suivi le petit enfant. le tenir, verbe des passants qui oublient que l’enfance déficitaire n’est pas une faune de compagnie mais une intempérie dans la force intérieure. que penser. rien que la vie rituelle, recommencement des alignements du jour. trafalgar de l’été, je rentre au pays sans la terre qui me porte et tout est désigné comme aboli. me goinfrer de bornes aux lacets, pas trop branler le cognitif, aligner le squelette dans l’horizon. vaille que vaille dans l’envie de rien. se faire tasser dans le pot, rouler du plat, absorber du dénivelé. allez jouir un peu. JE TE SOUPIRE. on fume.
*
21 h : descendre n’est pas cogner. MAIS COGNER c’est limiter la peau à la lisière du soi. j’ai descendu les barbelés dans les écorchures, c’était de l’évidence critique. j’ai pris les bonnes chaussures pour dévaler les pistes pesanteur. tout le sable avec ses étendues patraques de mer j’ai tout marché, tout dégueulé le suicide de médicaments dans la joue du silence. c’était la fin d’or livide pour m’adorer avec du bleu couteau pour effiler le cri. grand de regard partout sur le plat du sang. les plaies de cailloux, crime d’anéantissement, je suis tombé sous le coup de nuit, l’arrêté du soleil. c’était principal comme sentence, la vie sans cinéma. j’avais pour moi un autre à qui je demandais la vie. besoin de me vivre à deux pour pas finir. alors on avait nos quatre jambes de rumination mentale, on divisait l’espace, on rapprochait les murs. un peu la peau couvrait le monde, un prenait place. on s’épanouissait. c’était ma peur contre ton double. vouloir user la nuit. du ventre à plat toute la mer plate, on bricolait la nourriture des mains qui fouillent sur les rochers. je voulais sauter dans l’eau. MAIS QUI CONDAMNE A DISPARAÎTRE ? on dit : cafouillage instantané dans la parole de naissance. j’ai pas pris ça pour moi, me suis cru excusée dans la solution terrestre de l’écriture. j’ai continué à la lame le grand désert de sable. j’étais néant gâté de l’horizon de mer, le corps réclamait d’y mourir. trop de jeunesse et on avait rien tué de la malédiction. je respirais bien mal dans le poumon fantôme mémé faisait encore des crises abominables. conduit bouché de la pulmonation, prise en apnée dans les fers du thorax toute la lignée femelle de la déglutition. par là que maman a pas prononcé le premier de ses mots dans le petit âge. faute à la syncope. car j’y viens : les phrases. toutes ont bu à la suffocation du dire. goulée sapée de la ventilation, le clapet qui débloque. l’arythmie dans le grand corps génétique de la langue c’est ça la poésie.
*
15 h 00 : te pleurer dans les bras. zéro prise. habiller d’un frac le cadran des heures sales. se lever. grande feuille de papier blanc : qu’est-ce que je vais faire ? c’est raté je pense, une histoire de discontinuité de lignes, brouillade de blanc cassé dans la courroie des transmissions. attaque des images, ancienne vue amère, recommencement. toujours recommencement. injecter de la poussée inverse dans la tradition du temps, naître à la fin. peut-être tension d’hormones ou petites truites malades de la neuro-caboche. prennent les autres toute une caisse à gober : contre les angoisses contre les tristesses contre les insomnies. un jour peut-être je les rejoindrais dans le panier à musette des dépossessions, le chronos pendu à l’heure. pas dis ni au père ni à la mère que j’avais été finie au sucre : excitée, friable, dopée, hypoglycémique. rien dis. j’ai traversé mes trous d’eau, mes trous d’air. pressurisée, dépressurisée, en vrac au baromètre. j’avais mon lot de consolation : dieu avait été tué, restait ma cour de pierres tombales. le paranormal, les tables, les charlatans du tout pouvoir de la divination, les hasards recensés comme des aérolithes, j’y croyais, m’y noyais. fallait draguer en moi le disciple à instruire. j’aimais pas vraiment le danger, flirt léger au précipice, pas de quoi fouetter dans les bordels. plutôt dans les clous d’ailleurs. plutôt polie d’ailleurs. pas tant de violence au fond. j’avais resserré les sangles, besoin du parachute. c’était pas la peine de s’embarquer dans ses torpeurs. je crois que j’ai tout aimé : du faux sage à l’alcoolique. j’ai tout brûlé en moi. l’amour me parvenait du pire, est-ce qu’on choisit vraiment ? je m’arrêtais dans la vie, je regardais : j’aimais beaucoup les gens, j’aurais voulu en être. de leurs jeunesses, habitudes, de leurs forces et joies, de leurs intelligences et légèretés, de leurs mouvements dans le froncement de l’air. on me dit : mais tous voudrait ça. sans doute. j’avais besoin d’une autre vie, d’un crâne à la hauteur du monde. je voulais des muscles, du rire, faire la cuisine pour les amis. je voulais mes vingt-ans ans dans la facilité de l’être et du sans peur dans ma traînée de sang. je voulais de la force pour tout abattre. des fêtes jusqu’à six heures. voulais être acrobate. mais non j’avais fermé ma tête, j’avais cassé mon corps.