Archives de catégorie : Chroniques

Arno Bertina • ‘Je suis une aventure‘

Hors-Sol a réalisé en 2013 un série d’enregistrements vidéos avec deux de nos auteurs les plus importants, Arno Bertina et Nicole Caligaris, qui nous parlent de livres et de lectures. Nous poursuivons cette série avec Arno Bertina, qui lit deux extraits de son roman Je suis une aventure.


Agathe Elieva • Ne cherche plus… (02)

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…Ne tombe pas, je suis nue…

Ne cherche plus tes gros sabots, c’est moi qui les ai
Ne cherche plus tes pilules, je les ai toutes dorées
Ne cherche plus ton chapeau, je travaille avec
Ne cherche plus le La, je l’ai donné aux mouettes
Ne cherche plus ton lion, je l’ai mangé
Ne cherche plus l’aiguille dans ta botte, c’est moi
Ne cherche plus ton étoile, je reste inaccessible

Ne cherche plus l’aspirine, elle est cachée
Ne cherche plus l’ennui, il meurt
Ne cherche plus mon enfance, elle demeure à Stockholm
Ne cherche plus ta promesse, ce n’est pas l’aube encore
Ne cherche plus ton temps, il s’est perdu
Ne cherche plus le sol, tu marches
Ne cherche plus l’or, il est dans tes mains.


© Agathe Elieva, 2013. « Écrit, joue, transmet, écoute, observe & vit. A ce qu’il parait. » Voir Alfee et Cie

Agathe Elieva • Ne cherche plus… (01)

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…Ne tombe pas, je suis nue…

Ne cherche plus tes doigts, je les ai tous croisés
Ne cherche plus ton sort, tu es en train de pleurer dessus.
Ne cherche plus ta daube, j’en ai fait une journée
Ne cherche plus ton blason, je l’ai redoré
Ne cherche plus ton Optimiste, je suis sortie en mer aujourd’hui
Ne cherche plus ta manche, je vais la traverser
Ne cherche plus les chats et les chiens : ils sont à Londres en train de pleuvoir

Ne cherche plus l’eau du lac, je l’ai lancée
Ne cherche plus le ridicule, je l’ai frisé
Ne cherche plus ta veste, je l’ai prise
Ne cherche plus tes chaussettes, j’ai déposé mon moral dedans
Ne cherche plus mes bottes, elles sont pleines
Ne cherche plus ton frein, je l’ai rongé
Ne cherche plus le bourdon, il a volé jusqu’à ma maison
Ne cherche plus ton pied gauche, il est près de mon lit
Ne cherche plus le vent, je viens de le prendre
Ne cherche plus le petit pois, je suis sous ton matelas
Ne cherche plus ta petite cuillère, je me ramasse avec


© Agathe Elieva, 2013. « Écrit, joue, transmet, écoute, observe & vit. A ce qu’il parait. » Voir Alfee et Cie

Pierre-Antoine Villemaine • Untitled (I)

C’est pour savoir où je vais que je marche.

Goethe

Je sentais en marchant mes pensées se bousculer comme un kaléidoscope – à chaque pas une nouvelle constellation; de vieux éléments disparaissent, d’autres se précipitent; beaucoup de figures, si l’une d’entre elles persiste, elle s’appelle “une phrase”.

Walter Benjamin

 

 

 

 

 

retour sur une variation initiale

 

sans chemin sans issue
depuis l’intérieur du langage
elle est au secret
dans le squelette de la langue

 

elle veut se reconnaître
elle veut tenir sa promesse

 

vouée à la répétition
elle prend le chemin du retour
elle se reparcourt
métamorphose son passé

 

l’écho lui porte assistance

 

reconduite ainsi
jamais présente
sans cesse revisitée
chaque fois remise en jeu

 

toujours déjà là
toujours à venir
rongeant le présent

 

tourment d’une pensée aussi fuyante qu’obstinée — infiltrée dans la langue

 

dans l’attente d’être imaginée
inconcevable à la raison
hors de vue
elle vient  à toi jusque dans ta solitude

 

 

 

enlace ton rêve

 

à nouveau —
à nouveau je poursuis une figure nouvelle
toujours la même

 

enveloppe d’un certain néant
sans cesse réactualisée
elle revient
dissemblable
engendrée dans l’artifice

 

une flexion de voix la compose

 

tout en elle doit être plaisanterie et tout doit être sérieux

tout offert à cœur ouvert et profondément dissimulé

 

le calme de ce visage aux yeux fermés, replié vers son dedans, mourant de manière quelconque, il se rend vers l’amanthis, vers la douceur du repos

 

l’expression étrange de sa simplicité

 

ce visage gelé dans l’image semblait dire : « je viens te faire don de mon malheureux corps »

 

[puis j’y accolais comme au hasard une image que j’aimais,
ce crayonné de visage aux paupières closes m’ouvrait un sens
que j’avais rejoint malgré moi, dont je ne m’étais jamais éloigné,
dont j’héritais, dans lequel j’étais immergé…]

 

quelle confiance accorder à ce visage ?

 

ici-même les morts ne sont pas en sûreté…

 

 

 

 

 

le louvoiement parfois soutenu par le souffle d’une image

 

« celle qui resplendit en marchant »

 

ou l’idéa de un volto

 

longtemps rêvé
un sentiment de visage affleure
un miroitement paré de lettres
rêverie dangereuse
d’une présence inondée de lumière
irradiation soudaine
submergée sous l’éclat de la manifestation

 

lumière éclatante d’une image
mémoire d’un éblouissement

 

elle se cherche une demeure précise
tente de faire vision
dans le commerce verbal

 

elle gît là
la force secrète
mise en réserve
cachée dans ces traits morts

 

l’image perçante
tenue par une distance infranchissable
intouchable dans sa limpidité

 

–       et qui crois-tu, tes yeux ou mes paroles ?

 

pas une présence
mais l’effet d’un centre suractif inapparent
respiration du fantôme de l’idée

 

l’étrange visite convertie en paroles d’image
accentue l’intensité de son incohésion
soutient l’intensité qui l’excède

 

tu ne sais pas encore de quel nom l’appeler
mis en fable,  elle se détourne, elle glisse à la surface

 

versatilité infinie de ce corps sonore
jamais rencontré
jamais oublié

 

étrange blancheur, cireuse en vérité, de ce visage beau comme une peinture

 

l’avancement de mon regard dans ce visage s’effectuait aux
dépens de la certitude, je m’aventurais désormais dans une
profondeur incertaine, rêvais des liens innombrables, incertains et
je formais des créations toujours nouvelles

 

le visage se décomposa et fut presque aussitôt remplacé par un
autre

 

l’écoulement incessant d’une forme dans une autre

 

pas de visage mais une cavalcade de visages, de brouillards
de visages qui se métamorphosent et dont seul le regard persistait,
deux trous noirs qui ne cessaient de me fixer

 

ce n’était pas tout à fait le silence — c’était bien proche — plutôt une rumeur, un murmure qui cognait, renvoyait à des bribes endormies, végétatives, à des restes engourdis, de sensations recouvertes, enfouies

 

par effraction
retour de l’inanimé

 

les cailloux poussent
j’ai le devoir de veiller sur eux

 

comme une vacillation l’éclat du mot ouvre l’espace

 

on n’a beau dire
on ne voit pas

 

ici — il n’y a pas d’image arrêtée, il n’y a pas d’image (J. D.)

 

les cailloux poussent
un monde ancien remonte

 

ce visage frémissant
ce visage craquelé
aux couleurs passées

 

vu de profil
privé de regard

 

son indifférence nous maintient à distance

 

l’émotion composée
s’octroie une signification
parfaitement vide
l’apparence d’un sens

 

la pensée-son
brisant les fils
parfaitement folle

 

le progrès régressif de la pensée

 

pas de retour circulaire mais une avancée en spirale – un cercle virtuel qui se dédouble et monte sans jamais se réaliser

 

ce qui arrive ici n’arrive jamais

 

ce qui échappe à la parole passe par la parole

la parole œuvre ce qui l’excède

 

— ce que je dis, je le tais

 

elle touche à peine le sol, accueillie dans le dire la vision fugitive n’a pas encore revêtu la forme d’une sensation

 

sans relief ni matière
suprêmement ancienne
elle n’est rien de neuf

 

elle reprend
des gestes oubliés
secrètement réglés

 

l’écho révèle ce qui l’institue

 

sans voix — je puise dans la réserve de paroles, je m’immisce dans une parole déjà dite, me glisse subrepticement dans le préexistant confié en héritage — nous écrivons toujours sur de l’écrit

 

le braconnage de la pensée  — entrelacements de phrases dont les accidents ne cessent de se fondre les uns dans les autres

 

avant la pensée — la nuit
après la pensée — la nuit

Cette entrée a été publiée dans Chroniques, Général Instin's not dead, et marquée avec , le par .

Tanguy Viel • La disparition de Jim Sullivan

Avec le recul qui sied au retard plus qu’à la prudence, Hors-Sol lit et commente des livres qui sont parus parfois il y a longtemps. La pile ne cesse de croître, des livres qui restent à lire. C’est amusant car on pourrait penser que plus on en lit, moins il nous en reste à lire ; or c’est l’inverse qui se produit ; c’est un travail infini, alors nous avons laissé de côté la pression du marché et de la chronique facile.



tanguy viel • ‘La disparition de Jim Sullivan’

Je dois dire que c’était gagné d’avance parce que Tanguy Viel, on connaît.

Ça a commencé avec Le black note (tiens un titre américain ?) et depuis en passant par Maladie, Cinéma et les autres ça ne s’est pas arrêté, sauf que Paris- Brest, c’était en 2009 et que quatre ans sans un livre de Tanguy Viel, c’est long, c’est très long.
Alors on relisait.

Sur Facebook on échangeait avec des fans, on citait la dernière phrase de L’absolue perfection du crime.

La lumière s’était arrêtée pour nous, le disque orangé du soleil tombé aux trois quarts sous l’horizon, et les larmes sur mes yeux qui irisaient la mer. J’ai repris l’escalier, tranquillement, et je ne me suis pas retourné.

Puis arrive La disparition de Jim Sullivan.

Mais ces dernières années, c’est vrai, j’ai fini par me dire que j’étais arrivé au bout de quelque chose, qu’après tout, mes histoires, elles auraient aussi leur place ailleurs, par exemple en Amérique, par exemple dans une cabane au bord d’un grand lac ou bien dans un motel sur l’autoroute 75, n’importe où pourvu que ça quelque chose se mette à bouger

Et là on sait tout de suite, mais vraiment tout de suite, que ça va être « crazy », qu’on va percevoir jusqu’à « trois mille deux cents éclats de mots » en même temps.

Et c’était encore plus formidable qu’on l’imaginait, c’était un roman américain avec tous les codes du genre, on y était comme dans les meilleurs du Big Jim, y avait les grands espaces, l’alcool, les divorces… mais c’était aussi un roman français, et ce subtil montage, l’écrivain se regardant écrire (pas nouveau certes) marche à fond, parce que Tanguy Viel a du métier, de l’humour, qu’il fait participer son lecteur et l’associe à ses tours et pirouettes. Et d’expliquer pourquoi telle ou telle scène, tel nom pour les lieux et les personnages tout en déployant une intrigue serrée dont on ne dévoilera rien, ce serait vous enlever tout le plaisir de l’émotion, de la tension et de la beauté qui irradient ces pages, en effet, comme le dit Fabrice Colin :

C’est très ennuyeux d’expliquer en quoi tel ou tel bouquin est magique, et c’est merveilleux en même temps de ne pas pouvoir le faire — ça signifie que le mystère de l’écriture résiste à l’analyse et au trivial.

FT

*
François Tresvaux anime le Café littéraire de Sainte-Cécile-les-vignes (84), CALIBO.

Benoit Jeantet • Et dans l’ennui se tordre (5)

A farmer in the city quoi qu’il en soit. Un jour, alors, il est sorti de son lit. A enfilé une robe de chambre à la sauvette. S’est souvenu de la neige. Et qu’il avait été plus jeune, avant.

J’ai traversé, en nage, me dit-il, tant de nuits d’insomnie que je pourrais veiller les yeux secs sur ta grande tristesse. Reste avec moi et mélangeons-nous sans penser.


*

Maintenant, c’est vrai, je porte des chaussettes en fil d’Ecosse, me dit-il. C’est chic et puis ça tient chaud. Mais, j’avoue, parfois ça me manque un peu ces nuits qui sentaient le danger. Parfois.


*

Les gens, me dit-elle, tu sais quoi, hein. Ne jamais rien leur raconter, hein. A moins de vouloir rester à la merci de leur bienveillance, hein. A moins, hein.


*

Je peux te lire un peu de Tristan Corbière, me dit-il, et te servir beaucoup de Minervois. Ou vice inversé. C’est comme tu veux.


*

Hier, alors je lui ai dit que je me sentais dépassé, me dit-il. L’époque est à la vitesse et désormais tout ça me semble aussi lointain que nos premiers émois au cirque. Que nos premiers baisers près de ce cimetière, là-bas tu sais, sur le chemin des lauriers. Et puis, l’époque, quand on la regarde d’assez près, tu dirais qu’à présent on habite dans cet observatoire où finissent les vieilles gens usées.


*

Je marchais sur le trottoir de l’ombre, me dit-il, et alors tu m’as fait repenser aux animaux transparents.


*

Je bois le dernier verre de ce vin, me dit-il. Ce vin, tu sais, qu’ils récoltent du côté du Pic Saint-Loup. C’est un vin épais comme une moustache de gendarme. Quand les gendarmes la portaient. C’était, tu sais, une moustache épaisse et drue. Oui, tu sais bien. Une moustache comme on en voyait, soi-disant, au pays druze.


*

Il flotte une odeur de vieille soupe et de clope froide sur le monde, me dit-elle. Ce soir je te nationalise, mon cher vieux camarade.


*

J’écris le premier porno gay en braille, me dit-il. Bien sûr ton avis est le bienvenu.


*

Je repense souvent à cette scène, me dit-il. C’est l’automne. Je suis encore enfant. Je suis en vacances chez mes grands-parents. Mon grand-père est un homme mauvais. Un vrai fermier de roman russe, celui-là. Ma grand-mère, j’ai pris l’habitude de l’appeler bonne maman. Il m’arrive de songer que c’est vraiment dommage qu’elle soit sourde. Vraiment vraiment. Et sinon, le reste du temps, je le passe dehors, à épier le silence. Et donc ce jour-là, il se passe ça que j’aperçois. Le voisin traîne un agneau. Il lui attache les pattes à la porte de l’étable. Et puis il l’égorge d’un coup sec. Son geste est précis. C’est un geste précis mais totalement dénué de méchanceté. Une fois la besogne terminée, le voisin s’éponge le front. Et puis il soupire. D’où je suis il me semble que son haleine est bleutée. Mais je n’en suis pas sur. Et je crois même que je m’en moque.


*

Lourd couchant, me dit-il, le ciel pèse autant que dix poneys morts.


*

Et mon vieux carnet de notes, me dit-il, tu dirais un de ces tas de fumier qui s’amoncelle devant le seuil de ces maisons, par là-bas, tu sais.


*

Et me voici chauve de nouveau, me dit-il. Mon dieu que c’est triste une fin d’après-midi chauve de nouveau.


*

Et donc, me dit-il, ce serait un lundi banal comme une messe. Amen.


*

Oh mais, tu sais, me dit-il, je n’ai pas toujours été ce que je suis. J’étais même cet homme d’un premier mouvement. J’étais primitif et mondain. J’aimais les gens et la mauvaise vie. J’étais du peuple. J’étais peuplé de tout un tas de méchantes habitudes. Et puis…


*

J’aime Paris et l’astronomie, me dit-il. Et cette histoire de matière noire. D’effacement. D’absence. Tout est là. Mais j’y pense, vous aimez ça le filet de sabre?


*

Il est difficile de parler de ton omelette, me dit-il, sans faire référence au jansénisme. Et puis cesse donc de relire cette lettre de refus et passons à table.


*

La nuit tombe peu à peu sur les jardins, me dit-il. Sans trop d’énergie dans le regard, tala, je pousse mon caddy vers le destin.


*

Les feuilles sont partout pourries, me dit-elle. La nature n’est pas partie pour rire.


*

Si je me rase et que c’est le soir, me dit-il, et qu’alors neuf chances sur dix pour que je m’écorche la figure et qu’alors je saigne comme le cochon de mon enfance moins les cris atroces mais quand même, si je me rase et que c’est le soir, c’est parce que ses lèvres en valent la peine.

Benoit Jeantet • Et dans l’ennui se tordre (4)

A farmer in the city quoi qu’il en soit. Un jour, alors, il est sorti de son lit. A enfilé une robe de chambre à la sauvette. S’est souvenu de la neige. Et qu’il avait été plus jeune, avant.

Beaucoup plus tard, vers l’adolescence, me dit-il, je n’aimais plus tellement ça, le riz au lait.


*

J’avais dans l’idée de t’écrire un polar, me dit-il. Mais j’avais pas trop envie que tu meures comme ça. Enfin, pas si vite.


*

Je mange des tartines, me dit-il. Et c’est franchement ce que j’ai fait de mieux aujourd’hui.


*

On a fini par faire une pause dans ce café où, il y a fort fort longtemps, tout un tas de vieux acteurs venaient jouer les spectres alcoolos-faucheman, me dit-il. Ce café que t’aimais pas et que t’aimerais encore moins vu comment du bout de la rue il vous fait tout son tralala de clins d’œil appuyés et mon dieu que tout ça est dans le plus pur mauvais esprit bistronomique comme ils disent. Et donc en terrasse, comme des princes, on a fini par prendre place. Baptiste a voulu une limonade. Lucie, une grenadine. Au départ, j’avais dans l’idée de leur faire voir un peu le square Léon Serpollet. La limonade et la grenadine, entre autres, c’était juste pour ça. Et donc…Oh et puis zut. J’ai envie d’un autre verre. Et puis, c’est su de tous , quand on a soif on fait n’importe quoi. Et donc pour ce soir on en restera à cette terrasse, à la limonade de Baptiste et à la grenadine de Lucie. Voilà.


*

On buvait un café, me dit-il. C’était rue Hermel. Sam cirait ses boots avant d’aller à son casting. C’était un casting pour une pub Range Rover. Peg portait un joli pull en coton. Sam a joué un disque. C’était Lescop. On a bien aimé. Puis Peg nous a fait à manger. C’était du foie de veau. Puis Peg m’a pris un peu à part. C’était pour me demander si je voulais bien accompagner Sam à son casting. J’ai dit que bon ben oui c’était d’accord. Après Sam s’est mis à repasser sa chemise bleue-casting et alors je lui ai dit : « Et si je t’accompagnais à ton casting pour cette pub Range Rover… » Et encore après Peg est partie bosser. C’était dans une boite de prod qu’elle bossait. Elle nous a embrassé. Son haleine était chaude.


*

Oh tiens, me dit-il, hier matin j’ai vu cette fille, tu sais, celle qui aime bien te laisser avec tous tes bonjours sur les bras. Elle est espiègle ou malpolie. Ou les deux. Tu ne l’aimes pas. Je comprends. Tu ne l’aimes pas au point de sur cette fille espiègle ou malpolie ou les deux tous les matins te casser le nez avec tes bonjours. Je comprends. Elle est jolie. Et son regard aussi profond qu’une limousine, c’est à ne pas croire.


*

Les veilleurs de nuit ont les yeux bouffis de sommeil, me dit-il. C’est pas pour autant qu’ils s’échappent au moment d’éplucher leurs oignons. Quand il faut y aller, les veilleurs de nuit, ils y vont.

*

Les feuilles jaunissent, me dit-il. On déjeune. Encore cette fin d’automne qui ne nous rajeunit pas.


*

Moi, la nuit, me dit-elle, j’ai toujours près de moi 110 mouchoirs pour les très gros chagrins. Double épaisseur. Classiques. Douceur et résistance, tu mords l’esprit chouchou. Moi, la nuit, jamais je ne dors. Je suis triste oui mais au moins je surfe sur ma tristesse maboule en brasse coulée. J’ai pour moi la jeunesse et en plus je t’emmerde, vieux con.


*

La bouteille de Beaujolais nouveau m’a fait faire ce qu’elle a voulu, me dit-il. Et même des gestes avec ma bouche, oh si tu savais. Non mais c’est à croire que toute la nuit je l’ai gavée d’amour, la bouteille de Beaujolais nouveau. Toujours est-il que ce matin, redoutant sans doute que notre histoire ne prenne un tour par trop conjugal, elle m’a prié d’aller cuver ailleurs si j’y suis, la bouteille de Beaujolais nouveau. Voilà.


*

Passé tout près de la rue Tourlaque, me dit-il. Il faisait beau. Quelques vers de Kiki Dimoula m’avait tenu compagnie, oh juste le temps de remonter la rue Ramey et pfuit, voilà, envolés. Passé tout près de la rue Tourlaque. Il fut un temps où, là-bas, j’allais voir cette dame. Des fois je lui offrais des fleurs. Et toujours je baissais les yeux au moment de lui tendre le bouquet. Des fois c’était des fleurs blanches. Des fois c’était tout mélangé. Un jour elle a fermé la porte très vite derrière moi et puis…Cette dame m’impressionnait. J’étais jeune. Très jeune. Elle est morte, depuis. Passé tout près de la rue Tourlaque. Cette dame, tu sais, j’aurais bien aimé…Lui dire que…Enfin. Parfois, dans la vie, on fait du chemin et on aimerait que ça se sache.


*

On a tous besoin de fabriquer son image, me dit-il. Le hic c’est que je ne suis pas bricoleur.


*

Il est six heures du soir, me dit-il, et nous sommes en présence d’un phénomène surnaturel. Le gros Michel commande son bock à se vider cul sec comme ça tout seul comme d’habitude. Il porte son chandail rouge. Ce matin il s’est rasé à l’ancienne et vraiment il est fier de lui. Il peut. Des hommes de ce métal, libres et robustes, longtemps qu’on en fait plus. Il est six heures du soir et le gros Michel aime toujours autant lire le journal du coin en trempant doucement ses lèvres dans la mousse par ci par là. Et c’est là qu’il les voit : le cordonnier taciturne, la gardienne de chèvre bègue, le vieux prof de maths qui résout ses problèmes d’arithmétique sur les murs des maisons, oui c’est là qu’il les voit, sortis de nulle part, et déjà ils s’approchent du bar pour lui parler à touche touche. Il est six heures du soir et alors le gros Michel se commande un autre bock.


*

Le comité des fêtes cherche un trésorier et une secrétaire, me dit-elle. L’association Culture et loisirs organisera bientôt une soirée karaoké et tartiflette. Et moi je promets de t’aimer au moins jusqu’à l’autoroute.


*

Nous sommes le soir et c’est triste comme une banane flambée au gasoil, cette affaire-là, me dit-elle. Ce jour, le secteur de pétanque de Quillan tenait son assemblée générale. Pour le moment, personne n’a souhaité en prendre la présidence.


*

Et oui, me dit-elle, en 2013, juste après la fin du monde, la fanfare “Tonton a faim” fêtera ses vingt ans d’existence. Une tournée est prévue à travers toute l’Europe mais surtout les Corbières. Et sinon, j’ai deux invits pour la fête de la châtaigne et de l’agneau du pays cathare. Tu viens ?


*

Si, me dit-elle, Maman, c’est bien ce que cela semble être, alors ce serait une chose bête et sale que cette montagne froidement exécutée par la brume, un certain dimanche 4 novembre, lors d’une énième attaque suicide près de la frontière catalane. Et sinon, que le diable t’emporte toi et ta bonne fatigue du loisir, ta mobilité lente et silencieuse. Laisse-moi la place et mets la table- des assiettes à soupe, hein- feignasse.


*

Le promeneur était en tongs, me dit-elle. Sur son tricot de corps on pouvait lire : ” François frites fraîches”.


*

Oui mais non, me dit-il, le turbot n’est pas un poisson qui se mange vite.


*


Je n’ai pas couché pour réussir, me dit-elle. On a fait ça debout.


Benoit Jeantet • Et dans l’ennui se tordre (3)

A farmer in the city quoi qu’il en soit. Un jour, alors, il est sorti de son lit. A enfilé une robe de chambre à la sauvette. S’est souvenu de la neige. Et qu’il avait été plus jeune, avant.

Un jour, me dit-il, tu m’as demandé ce que j’entendais, très exactement, par être amoureux. J’ai pas répondu, il me semble. Alors c’est très simple. Ce que j’entends par être amoureux, c’est, très exactement, le bruit que ça fait quand elle introduit ses clés dans la serrure, qu’il se fait tard, que je pourrais dormir, lire, travailler, oui mais non, je reste là à attendre. Voilà. Salut.


*

Je bois un verre de blanc, me dit-il. Je bois deux verres de blanc. Quand il sera trois verres de blanc, alors il sera l’heure d’aller me cacher.


*

Je ne sais plus, me dit-il, si je t’ai déjà raconté l’histoire de ce jeune garçon parti un jour, et c’était la première fois et c’était avec la main de son frère serrée dans la sienne et c’était tout poissé d’angoisse cette main-là, l’histoire de ce jeune garçon parti disputer de hargne et d’adresse à ce jeu auquel jouent les garçons avec l’espoir secret de se nettoyer de la violence ou bien de prétendre au courage, cette lubie qui n’existe pas. Je ne sais plus. Peut-être bien que oui. J’étais saoul sans doute. Quand il m’arrive d’être saoul, plus aussi souvent qu’avant mais ça m’arrive encore, hélas, toujours au début c’est que le bonheur me déborde et puis, ça ne manque jamais, la joie, bonne fille, finit par céder son siège à quelqu’un d’autre.


*

Ce quelqu’un d’autre ne tarde pas, ça aussi ça ne manque jamais, à se gonfler de tristesse, cette tristesse ancienne tu sais. Et alors je me surprends à faire ce que je déteste tant. Et alors je raconte, mal, ce que dans ma vie j’ai aimé le mieux. C’est une façon, assez puérile, je sais, de devancer les questions qu’on présume, à tort ou à raison, plus ou moins embarrassantes. C’est une façon sans manière. Je sais.


*

Il y a des gens qui naissent pour se taire. Très tôt ils devinent qu’il va falloir tout garder pour soi. Mais qu’un soupçon de joie vienne à bousculer le silence et alors, et alors là. Tu voudrais soudain que la parole coule d’elle-même mais le temps que ça prend de remonter à la source, déjà les mots coagulent comme un mauvais sang. Tout redevient moche, atroce, tronché jusqu’à l’os. Voilà ce qu’il t’en coûte d’avoir voulu forcer le verrou de ta bouche.


*

Je ne sais plus si je t’ai déjà raconté cette histoire. Je ne sais plus. Si je l’ai déjà fait, je t’en supplie, arrête moi. Sinon, dis-toi seulement que tu l’as échappé belle et voilà.


*

J’ai vécu, me dit-il, oh pas longtemps mais c’est quand même vivre, avec une peluche dont la tête était déchiquetée. C’était une peluche un peu plasticienne et quelle peau de pêche elle avait. Près de son lit, du matériel de peinture était posé. Posé sur une table roulante. Dans la chambre il y avait un fauteuil pourri que le pire tox des environs avait rénové pour elle. Sur ce fauteuil, on faisait l’amour par le nez. L’amour, elle disait, mon garçon, faut que ça sorte. Elle disait: souffle fort. Souffle mon garçon. Cette peluche, j’étais tombé amoureux d’elle ce jour qu’elle courrait dans son jardin et c’était un jour où elle courait dans son jardin en chaussettes, t-shirt Snoopy, cuisses nues, un vrai cliché pas farouche, oui c’était ce jour qu’elle courait le garou comme ça dans son jardin. Dans le jardin, alors, il y avait trois gros pots en terre dont un contenait un saule tortueux. J’aimais bien quand elle m’emmenait au sous-sol, sinon. Il y avait des tas de robes de mariées suspendues. Au sous-sol, elle aimait me tourmenter en douceur avec de jolis instruments de torture à la mécanique compliquée.


*

Je regarde le beurre glisser sur la poêle, me dit-il, et alors je pense au coeur de cette fille juste avant qu’il se fonde à l’oubli. Voilà ce que ça donne de cuisiner pour soi tout seul. Pfiou.


*

Les eaux sont basses, me dit-il. Passe le hérisson. L’homme ému aux larmes caresse des peaux en grève. Habitudes discutables.Mais qui a besoin d’un verre fera toujours le brave. Passe le hérisson et c’est comme un vent en pleine canicule. L’homme ému aux larmes, parfois, il aimerait faire des trucs impensables. Des plats de gros mots à emporter sous vide. S’évanouir dans un compotier. S’avaler d’un oeil furieux des cerises à l’eau de vie. On en revient toujours à la même chose. Passe le hérisson. L’homme ému aux larmes compte pour le rat. On le largue avec une grosse bise. Il garde les pieds au chaud. D’ailleurs ses pieds ont commencé à noircir.


*

Mes mains tremblent un peu, me dit-il. Ma cigarette aussi. Aujourd’hui, c’est décidé, j’arrête de trembler.


*

Même les spaghetti, aujourd’hui, ça m’a fait peur, me dit-il.


*

Je sais que tu aimerais que le soleil brille d’avantage, me dit-elle. Ne mens pas. Je le sais. Et aussi que le fond de l’air soit encore un peu frais, même pour la saison. Je sais que tu aimerais t’engager dans ce chemin et te retenir de courir. Et aussi retrouver le souvenir de ma main. Mais ce matin est vraiment mal choisi pour ça, désolée. Ce matin, tu dirais une fleur coupée sans vase.


*

Si tu penses toujours aussi obstinément, me dit-elle, que le rêve, le voilà le plus ancien genre littéraire du monde, alors il faudra peut-être que tu te fasses à l’idée que les gens, ils dorment assez peu, tout compte fait. Ou alors juste d’un oeil. Tu crois pas, mon chou?


*

Sur une surface assez réduite, me dit-il, les grenouilles se partagent tous les nénuphars de l’étang. Sous l’eau, une inquiétante créature fraie avec nos fantasmes les plus troubles.


*

Parfois, me dit-elle, les élastiques sont affaire de vie ou de mort.


*

Y’a quelque chose dans l’air, me dit-elle, quelque chose de lourd, de grave et de lent, quelque chose que je n’aime pas et c’est quand on boucle nos valises. C’est assez récent je t’avoue. J’ai beau me dire qu’on part en voyage. Qu’en plus, partir tous les quatre, ça fait longtemps. Bref. Alors, si tu veux bien, on va faire ça vite. Dans une heure, promis, qu’on y pensera plus.


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Oh tu sais, me dit-il, le coeur m’a sauté trois battements au moment où le train a quitté la gare Saint-Lazare. Tes yeux pleins de rires, je les sentais encore dans mon dos. Je vais t’avouer quelque chose. Ne le répète à personne. J’aime ces heures où nous jouons, tous les deux, aux cancres de la vie. Oui. Vraiment. J’aime.


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Réponds-moi, me dit-elle. Mais sois franc, pour une fois. Le vent est-il toujours dans ta bouche?


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Tu le savais, me dit-elle, qu’y a des gens qui collectionnent les sacs à vomi?


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Le tartre, me dit-il, vous savez, c’est comme l’amour. Ça s’en va et ça revient. Pfff.

Benoit Jeantet • Et dans l’ennui se tordre (2)

A farmer in the city quoi qu’il en soit. Un jour, alors, il est sorti de son lit. A enfilé une robe de chambre à la sauvette. S’est souvenu de la neige. Et qu’il avait été plus jeune, avant.

Alors la vie s’est assise en terrasse, me dit-il. Juste à côté de moi. Elle portait une jolie robe à bretelles et des escarpins plats. La robe était un peu courte. Bref. J’aimais bien ses lunettes, sinon. Des lunettes de psy. Ses lunettes, ça lui donnait un air professionnel et bienveillant, tu vois. Elle a commandé un jus d’orange avant de décroiser ses jambes. C’était les jambes d’une fille perdue. Des jambes qui revenaient au pays après avoir fait le mauvais coup. Celui de trop, peut-être. On ne sait pas.


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L’amour fait la roue, me dit-elle. Je sens que ce samedi, déjà, nous encercle.


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Viens voir, me dit-elle, tu dirais l’amour assis, là-bas, sur ce banc. Non?


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C’est un mercredi comme ça dans la vie, me dit-elle. Qu’on me donne un bout de table. Si possible en terrasse. Un rêve. Blond ou brun, je m’en fous. Et même si ce rêve me fait mourir le cœur après coup. Peu importe. Qu’on me donne un semblant de futur. Entre les pieds d’une chaise et la rue. Même si c’est court. Le deuil en violet j’en peux plus.


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Non mais, les grottes, me dit-elle, je trouve ça super érotique.


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Je n’ai jamais tellement aimé ça, les endives, me dit-il. Ça fait prolétaire du sexe, je trouve.


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Cette fille, me dit-il, c’était comme un goûter retrouvé au fond d’un vieux sac. Elle avait une tête de petit beurre et moi je la bouffais des yeux.


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On buvait nos bières, me dit-il. Le jour déclinait. On se parlait pour la première fois comme si c’était la dernière, en y mettant tout ce qu’on pouvait trouver de rires et de franchise. Pas loin, un homme étendu par terre. Saoul. T’aurais dit que, déjà, il vomissait la lune.


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Je ne suis pas folle, me dit-elle. C’est juste que je me trompe beaucoup.


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Mon mari a pratiqué l’onanisme de très longues années, me dit-elle. Puis, soudain, il s’est mis au jus d’ananas.


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Hier, me dit-il, j’ai suivi une fille dans la rue. La fille, dans le fond, je m’en foutais. Ce qui m’intriguait, c’était cette queue de cheval qui lui descendait jusqu’au milieu du dos. Cette queue de cheval, tu aurais dit qu’elle respirait.


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Mon premier chagrin d’amour s’appelait Lucie, me dit-il. En principe, Lucie, voilà, c’est la lumière. En principe c’est ça. Mais prudence. Prudence. On ne sait pas. On ne sait plus. C’est qu’on approche des rumeurs de la quarantaine. C’est que le monde, vers cet âge, je sais pas pour vous, monsieur, je sais pas, une chose est sure, moi ça me donne de l’effort, le monde, vers cet âge. Ah ça oui.


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Le Latin, me dit-elle, c’est une langue très ancienne qui a fini par s’éteindre et voilà. Les langues, c’est comme les flammes. Je vois les choses comme ça. Et si donc plus personne pour souffler dessus, elles finissent par s’éteindre à petit feu, pfuit, et alors ça devient des cendres. Ces cendres, le vent va ensuite se les disperser aux quatre coins du triste monde et alors, en retombant, elles se mélangeront à la terre. Deviendront des poussières comme les autres. Et on n’en entendra plus jamais parler.


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Le vieux metteur en scène, me dit-il, ah ça oui, il l’aimait le café de Maman. Une fois, il lui a même dit qu’il aurait mieux fait de se marier avec une femme comme elle. Une qui, au moins, savait faire le café. Au lieu de ça, il avait épousé une dizaine d’actrices. Certaines, c’étaient de vrais garçons manqués. D’autres, des comédiennes réussies. Il disait. Mais toutes buvaient du thé vert, pouah, et au bout du compte alors il avait divorcé.


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Maman qui le voyait venir, avait toujours su que derrière chaque artiste avec un grand A se cache un séducteur avec un petit s, Maman avait louvoyé par politesse, vous savez, feignant d’être étonnée que toutes ces histoires ne lui aient pas encore donné l’idée de faire un film. D’écrire une pièce, tout ça. Et lui alors ça l’a fait beaucoup rire, cette petite stratégie d’évitement. Puis il a dit cette chose que je n’oublierai pas de sitôt. Il a dit qu’une oeuvre d’art, ça ne pouvait pas être un règlement de comptes. Non. Ça ne pouvait pas.


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Moi, alors, me dit-elle, mon petit truc en plume, ça consiste à faire résonner l’infiniment grand, l’infiniment petit et la dimension humaine. Je suis chanteuse de rue et ma voix c’est tout rouge sanglant. Parfois, les gens, c’est limite si je les fais pleurer. Y’en a même quelques-uns, oui, des qui restent là, abasourdis, le cul par terre. Oui. J’ai une belle voix. Peut-être qu’ils se sentent gênés. Je m’en fous, ça me fait toujours un peu de compagnie.


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Alors, c’était le printemps, me dit-elle. Alors il attendait l’explosion d’énergie, de sincérité et de joie. Mais comme il est allergique au pollen. Enfin, voilà.


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Elle parle peu, me dit-il, mais quand elle nomme les choses, je leur trouve un goût pas pareil.


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Les merles roulent leurs trilles, me dit-il. Moi, c’est juste une cigarette. Je sais pas chanter.


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Lui, tu sais, me dit-elle, il habite un pays où la douleur ne s’entend pas. Dans son village natal, une fois par an, on se levait au milieu de la nuit pour tuer les morts.