On a déjà chroniqué ici un disque de Simon, et il est le troisième artiste, après Féla et les Stones, à qui ça arrive. Si le précédent (et aussi le premier, ou pratiquement) album éponyme (#530, 1972) était très bon et prometteur, celui-ci s’aventure vers des territoires plus jazz, mais jamais en se la racontant. Le côté romantique qui pourrait peser est toujours contrebalancé sinon par l’humour ou l’ironie, parfois par une tonalité qui se brise (ou se faufile) en mineur… conséquences des désillusions de la vie, de ruptures amoureuses.
Le chant est parfait, c’en est presque agaçant ; mais comme les morceaux sont fabuleux, on pardonne au monsieur.
Mais quelles mélodies ! Certainement il faudrait divorcer plus souvent pour reproduire l’inénarrable et pur joyaux qu’est 50 ways to leave your lover, qui est d’ailleurs le plus gros tube de Simon, paraît-il. C’est aussi LE morceau de batterie de Steve Gadd, particulièrement inspiré dans l’album.
Parmi les meilleurs efforts de Cooder, en mettant de côté Paris, Texas, qui est un chef d’œuvre et une bande originale, mieux même que Paradise & lunch (#721, 1974) que j’aime beaucoup, Into the purple valley partage le même goût kitch que ce dernier pour la pochette (évoquant le Dust Bowl), mais alors aussi et surtout le goût inverse pour les interventions du maître du slide.
Certes, il mène son exploration du patrimoine chansonnier américain (ici Leadbeally, Cash, Guthrie, voir ci-dessous, côtoient de plus obscurs Jesse Stone, Fitz Maclean et plusieurs traditionnels) qui frisent le hillbilly et la country, mais en vérité toute une variété de style, du blues au soft rock à l’américaine.
Ry Cooder est une encyclopédie ambulante, ce qu’il démontrera avec son imposante curation du blues à l’occasion du film de Martin Scorsese sur le genre. Il joue en plus de nombreux instruments. Et dire qu’il a failli intégrer les Stones.
Nouvelle collaboration entre Carla Bley et le poète Paul Haines, après Escalator over the hill (#421, 1971), ce disque transcris les atmosphères d’un voyage réalisé par Haines en Asie du sud-est. La puissance de Gato Barbieri dès le morceau d’ouverture (crédité comme Unidentified Cat) donne le ton. Mais c’est la voix de Julie Tippets (alias Julie Driscoll, plus connu pour ses chanson pop dans les années 60, avec Brian Auger et les Trinity — Wheels of fire, Season of the witch…) qui porte en avant les compositions toujours inspirées de Bley et les textes parfois étranges de Haines. La section rythmique de Paul Motian et Dave Holland, soutient l’ensemble avec vigueur et annonce de futures collaborations ou carrières.
Sur les morceaux plus légers (comme Funnybird ou Nothing qui clôt en beauté l’opus), dans l’esprit du précédent album, plane toujours quelque menace musicale, une gravité impressionnante qui détonne avec l’ambiance parfois à la comédie italienne ; d’autres sortent littéralement de l’ordinaire : In India pourrait faire rougir Björk, le début d’Enormous Tots Zappa mais la suite Morricone, ou l’Art Ensemble, vraiment étonnant, tout comme Indonesian dock sucking supreme, Caucasian bird riffles, Song of the jungle stream étant quasiment parfaites.
Et le hasard veut que ce soit le premier album de Prince traité ici (comme la semaine dernière), et, coup de bol, je pense que c’est son plus cohérent, son plus abouti.
Là encore, pas nécessaire de s’appesantir outre mesure, tant tout a été dit et redit sur le personnage comme sur le disque. Bande originale d’un film tout à fait passable (mais qui mérite un visionnage pour ne pas mourir con), il recentre les efforts du prince et de ses Révolutions sur la musique rythmique, après une escapade en terrain psychédélique, plus ou moins compris par la réception (Around the world in a day, 1985, #506). Étant une BO, la liberté est un peu contrainte et c’est peut-être ce qui donne son unité de ton à l’ensemble, chose qui, semble-t-il après des milliers d’heures d’écoute, semble être la grande difficulté de Prince devant le format disque (en concert c’est tout à fait autre chose). Assemblage bluffant qui ne rechigne en rien à défendre ces territoires (sonores) chèrement acquis, le disque peut sembler au premier abord touffu, voire confus (l’ouverture est psychédélique en effet), mais devient vite une marque de fabrique, ou, dit poliment, un style.
À cette époque, et le délire du cinéma en est la preuve, Prince règne sans jeu de mot sur la pop, il a sonné ses deux principaux concurrents Michael Jackson et Madonna, et démontre, s’il était besoin, que derrière l’entrepreneur et l’entreteneur, il y a un musicien, et donc un cœur qui bat (ou en tout cas du sang qui bat quelque part). Il n’avait certes pas besoin de faire état de ses talents d’instrumentiste, l’ayant déjà fait dans les sept albums précédents, et il le refera dans le suivant, son unanime chef d’œuvre, Sign o’ the times (1987, #772, comme on voit, je ne suis pas unanime avec les autres) : “I know how to undress me”, feule-t-il dans Kiss.
Mais c’est dans Parade, je crois, qu’on est en mesure de saisir l’épaisseur artistique, et sans doute le témoignage le plus direct de son propos, pour qui serait en quête de cohérence. Ainsi loue-t-on, selon, l’audace (New position, géniale, étonnante Life can be so nice, rafraîchissants Mountains de/avec Wendy & Lisa), la confiance, incarnée par I wonder U, new-wave pop étrange faisant écho à l’atmosphère de Dirty mind (1980, #312), plusieurs notables excursions vers le jazz ou du moins une musique un peu moins pop, comme Parade, sur une partition de son père musicien de jazz, John Nelson, évidemment Do u lie? et Venus de Milo ; à quoi on ajoute deux imparables balades, Under the cherry moon (également cosignée avec son père) et Sometimes it snows in april, que demande le petit peuple ? Eh bien il en a encore sous le coude, le purple schtroumpf, avec l’authentique chef-d’œuvre de chanson qui est Anotherloverholenyyohead, l’une des toutes meilleurs de son répertoire ! puis encore l’indéniable et indémodable Girls and boys ! et encore ! ce n’est pas fini, puisqu’il faut encore finalement citer l’inoxydable Kiss, devenue classique des classiques du genre.
On a rarement retenu autant de morceaux de choix dans une même galette, ce qui rend ce disque aussi attachant que nécessaire, et permet une écoute inaltérable. Après Sign o’ the times, Prince se maintiendra à flot (et comment !), jusqu’à Diamonds and pearls (1991, #995) et Love symbol album (1992, #1196), et alors tout prendra une autre mesure (conflit avec Warner, abandon du nom, témoins de Jéhovah, maladie…) mais c’est une autre histoire, et ce n’est plus celle des folles nuits parisiennes des années 80.
Premier album de Pink Floyd chroniqué ici. Comme on le sait peut-être, j’ai une certaine passion pour ce groupe ; ce disque est leur premier. Le groupe, alors constitué de Syd Barrett (principal auteur-compositeur, guitare, chant), qui le quittera en 68-69, Roger Waters (qui le quittera en 83-84, basse, chant), Nick Mason (qui apparaît sur tous les albums jusqu’à la fin) et Richard Wright (qui n’est pas sur Final cut), est repéré par la scène psychédélique londonienne tout en réfutant son appartenance à un quelconque mouvement hippie. Le groupe a en effet une ambition (et un destin) qui dépasse et de loin le Swinging London.
C’est un album étrange, puisque Barrett est très versé sur une pop de chansons brèves présentant différents marginaux, tandis qu’en collectif, on imagine déjà des architectures sonores plus sophistiquées et moins immédiates.
Pas besoin de s’appesantir sur ce disque, par ailleurs très bien produit ; on regrette l’absence des simples de cette époque (See Emily Play ou Arnold Layne) mais on a des compositions très fantaisy (The Gnome), voire mystiques (Chapter 24), des balades anglaises mélancoliques (Mathilda mother), et bien entendu des innovations et excursions sonores planantes et cosmiques (Astronomy Dominé et Interstellar overdrive), ou plus brutalistes (Pow R Toc H), avec des coups de génie (Lucifer Sam, Chapter 24, Mathilda donc).
On voit déjà les fragilités de Barrett et les Waters qui dorment (timide mais résolu Take up thy sthetoscope and walk), et on imagine toute la difficulté de passer à un second opus, après un tel déferlement de violence musicale belle. Ce sera A saucerful of secrets, moins abouti, plus transitoires, avant la rampe de la gloire qui de More mènera à Dark side ou The wall, mais c’est une aure histoire. Barrett sera remplacé finalement par David Gilmour (qui n’est pas présent ici, contrairement à ce que veut faire croire une couverture d’une réédition), Waters prendra la maîtrise du texte et de la composition… Nick Mason, dans les années 2020, avec son groupe Saucerful Of Secrets, justement, reprendra le répertoire pré-Dark side, et reprendra, d’ici, Overdrive, Dominé, Lucifer Sam et Bike, pour la plus grande joie des fanatiques vieillissants…
Produit par Akhénaton (et notablement le premier effort de l’écurie marseillaise de hip-hop ratifié ici), cette espèce d’OMNI est une tentative, pas totalement déconnante, de produire un mix de dance et d’électro avec une touche de hip-hop. Tout à fait adapté à la glandouille dans la canicule (il n’y a pas de contrepèterie), le disque est une nette démonstration de la bravoure et de la maîtrise de tous les aspects liés à la musique presque à 100% machinique.
Peu de morceaux sont véritablement chantés, Une autre dimension (Akhénaton, Freeman, K. Rhyme Le Roi), How it is à la mystérieuse voix qui évoque le WTK et le morceau caché repris de Bouga, Belsunce breakdown (D’où j’sors ? D’une ronde / Belseunce breakdown), tous les autres sont globalement des instrumentaux.
On peut être emporté par cette rythmique désuète, avec des échos à la techno ou aux génériques de jeux-vidéos (Stomp ya feet), non dénué d’humour (Wonder, 1986), et d’ironie (Yes ya’ll), mais ces pistes, dont certaines sont tout de même bien classes (How it is, Flash back, Space cannibals, ou Who drives the car, très Daft Punk) forment un tout cohérent qui n’a pas si mal vieilli. On goûtera le Marseille is in the house.
Talk Talk, comme chacun sait, a débuté par une pop FM accessible, et produisit trois premiers albums dont le troisième semble furtivement désigner un point d’horizon qui pouvait sembler flou ; avec cet album, en 1988, cet horizon se cristallise avec une évidence presque vulgaire. Une atmosphère mystérieuse, probablement mélancolique, et fortement mature, se dégage des premières notes de l’ouverture.
L’harmonica strident ou la dissonante guitare viennent rappeler tout de même son origine à la musique, malgré les cuivres ou le piano. Avec des morceaux de plus de 6 minutes en moyenne, sans mélodie facilement identifiable, plus aucune chance cette fois de passer en radio. En revanche, la musique passe très sereinement entre nerf et synapse et dégage des paysages très littéraires, les mots bien sûr et la voix obliques de Mark Hollis y étant pour quelque chose. Annonciateur d’une certaine scène des années 90, cet album prépare surtout secrètement le chef d’œuvre qui suivra, Laughing stock (#9).
Ça commence comme on ne s’y attendait pas, d’un groupe sérieux et appliqué, qui nous avait délivré un très très beau premier album, Bu bu sad, en 2015 (#393 tout de même, ce n’est vraiment pas négligeable !). Un chef d’œuvre de morceau, par ailleurs implacable tube : Ciao ciao.
Certes le groupe de Veronica Lucchesi et Dario Mangiaracina s’est étoffé, a pris confiance, prend même des risques, et trouve un succès mérité. L’album est plein de mélodies très bien, méritoires et pénétrantes, il n’y a pas de faute majeure… probablement le côté grège du précédent lui donnait une fraîcheur majeure, mais enfin… “Voglio fare quello che non si fa” nous dit Lucchesi, et c’est bien ça. Matures, ils le sont, dans le style comme dans l’interprétation, même si on frôle la variété (mais consciente) çà et là. S’offre alors à eux, devant le succès et l’engagement, de maintenir le fil tendu de l’art, de taire la doctrine (Resistere), et d’offrir la surprise (Mai Mamma)… toutes tâches difficiles à tenir dans le monde de l’industrie culturelle actuelle, mais où les places mineures (comme l’Italie) peuvent largement surnager.
Une fois n’est pas coutume, je glisse la vidéo d’un concert (festival pour la paix organisé par eux à Bologne) parce que ces gamins sont vraiment beaux !
Eh bien voilà un excellent disque pour la saison !
Je ne sais plus très bien comment je suis tombé dessus, probablement à travers l’inénarrable SoundLogic (https://www.sndlgc.com/lander, une Souche partenaire, mais que je ne vois plus).
Alors, comment dire, du reggae psychédélique électronique ? Oui. Cette musique traversière (off the beaten tracks, “hors des sentiers battus”) décrypte très consciemment les âpretés de la société globalisée, avec un léger temps d’avance d’ailleurs. Avec ironie, l’ensemble, dirigé par Bonjo Iyabinghi Noahils, marie l’électronique à une section rythmique réelle, produisant des effets de cassure surprise (les chiens de Some bizarre, le Einstein de Language and mentality; l’Ethipoie de Release the doctor) et en même de temps de fluidité, tout à fait inédit — “inouï” serait plus juste, et c’est ce qui rend ce disque imperdable !
On peut se demander l’intérêt de chroniquer un disque des Rolling Stones de 2005 (alors d’ailleurs que vient de paraître un nouvel opus en 2023, Hackney Diamonds, le premier sans Charlie Watts), et a bien pu l’écouter alors ?
Oui, mais la question se pose depuis Some girls (en 1978). Depuis Some girls en 1978 et jusqu’à celui-ci, les Stones ont fait paraître sept albums, sept albums en pratiquement 30 ans, un album tous les 4 ans à la louche : on ne peut pas dire qu’ils ont occupé le terrain (probablement n’en ont-ils rien à branler, préférant écumer les routes, notamment entre 1997 et 2005, ces dix années d’anniversaires variés qui les ont conduits à tourer intensivement). Qu’ils soient bons ou mauvais importe peu : c’est un album des Stones, un petit évènement, et la certitude d’avoir une tournée avec les morceaux favoris des gens. (On peut d’ailleurs leur reprocher, tout de même, de sortir des live insignifiants, avec les sempiternels Sugar, Flash, Satisfaction.)
Bref, l’album : trop long ça c’est certain, mais pour le coup ce n’est pas le seul dans ce genre. Mais vraiment, c’est dégueulasse, la loi du CD, seize morceaux, dont une bonne partie de remplissage. Pas des morceaux horribles, mais plusieurs certainement sans intérêt. Donc l’album aurait gagné à être plus léger, d’autant qu’il comporte des extravagances (les petites lubies de Don Was), comme l’incomparable Laugh… I nearly died (déjà le titre…), et deux ou trois perles typiquement stoniennes, qui vont directement dans la compilation, comme l’implacable Back of my head.
Les Stones font du blues, du rock, il n’ont pas beaucoup d’idée ici, j’ai toujours des doutes sur leur représentation par Don Was, je ne sais pas si c’est un bon gars, Don Was, mais enfin, ils ont toujours ce talent de faire avec peu, et ils sont sympathiques, aussi. Faut le dire. Et la pochette est la plus belle de tous ces foutus albums dont on a rien à fiche.
L’album a été déclassé dans la Souche, suite à cette nouvelle écoute attentive.