Hélène Sturm • La chambre de Rogojine (I-11)

vierge_de_fer

LIVRE I

J’étais devant la porte
Et vous étiez mes clefs

Faust. Goethe

< PrécédentSuivant >


Les autres femmes se partageaient en deux catégories : celles dont elle disait « la petite » et celles dont elle disait « la vieille ».

Elle ne les aimait ni les unes ni les autres : les « petites » étaient de son milieu, les « vieilles » étaient nobles ou riches.


*


Ceux qui viendront les chercher entreront avec un mouchoir sur le nez. Ils ouvriront les fenêtres et ils l’emporteront si vite qu’on aura à peine le temps de voir glisser son jupon sur le parquet et sa main recroquevillée et froide. Une bague glisse et tombe.


*


Sa mère dira je le savais je l’avais dit mais dans le fond elle pense déjà à la chanson qu’ils en feront un peu plus tard après avoir pleuré, dans la cuisine.


*


Il a peut-être acheté le couteau à Raskolnikof, le type qui tient le bistrot deux rues plus loin, ou à Karamazof celui qui vend des bibles de contrebande. Ou il l’a pris à la cuisine quand ils avaient le dos tourné.

Le genre opinel à virole qui vous taille les doigts quand on épluche les pommes de terre.


*


Elle s’était nourrie du désir des hommes sans même s’apercevoir de l’amour qu’il y avait dans leur manière de le manifester.

Le Prince qui ne la désirait pas lui restait donc étranger car ce qu’elle éveillait en lui n’éveillait rien en elle.


*


Elle faisait pour avoir un collier des choses qu’elle aurait été incapable de faire pour rien ou pour le plaisir.


*


C’est en eux que c’est l’hiver, qu’il fait froid et qu’il neige des ombres.
Dehors c’est la canicule et dedans l’odeur est de plus en plus forte.
Sans le savoir ils en sont ivres.


*


Il n’est pas ce qu’il possède.

Si on le prend pour ce qu’il a, il préfère le donner, et trouve ainsi le moyen de se garder sans se prêter au jeu des quémandeurs.


*


Seul le temps qu’elle passait devant son miroir à se poser en face de son image des questions métaphysiques sur son teint, ce temps seul lui laissait quelques fois l’âme très légèrement courbatue.


*


Après, si on lui laissai le temps de devenir vieux, il écrirait des poèmes simples et il écrirait aussi à sa mère, qui n’existe pas.


*


Quand Rogojine sortira de prison, il épousera une jeune fille bourgeoise et riche amoureuse de son scandale et il la haïra toute sa vie.


*


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *