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Livres 2001

Hors-Sol a proposé une enquête à plus de trente lecteurs assidus leur demandant de dresser une liste de quelques livres, deux trois par an, pas davantage, qui, selon eux, étaient appelés à demeurer. La période considérée étant la décennie 2001-2010.

Le texte de l’enquêteLes contributeursLes auteurs citésLes éditeurs cités

Les résultats : 2001200220032004200520062007200820092010

Quelle belle année que 2001 ! Seize livres ont été cités, parmi lesquels quatorze fictions (sept françaises et sept traductions) et deux essais français.

Fiction

Domaine francophone (ordre alphabétique des auteurs)


François Bon, Mécanique, Verdier | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Stéphane Bikialo



Louis-René des Forêts, Pas à pas jusqu’au dernier, Mercure de France | lien éditeur
Contribution de Françoise Tresvaux et Benoît Vincent



Alain Fleischer, Les trapézistes et le rat, Seuil | lien éditeur
Contribution de Nicolas Vivès



Emmanuel Hocquard, Ma haie, POL | lien éditeur
Contribution de Charles Robinson



Dominique Manotti, Nos fantastiques années fric, Payot | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Hugues Robert



Bernard Noël, La maladie du sens, POL | lien éditeur
Contribution de Stéphane Bikialo et Martin Rass



Claude Simon, Le Tramway, Minuit | lien éditeur
Contribution de Stéphane Bikialo


§

Domaine traduit (ordre alphabétique des auteurs)

Fiction


Iain Banks (), Le business, traduit par Christiane et David Ellis, Belfond | Lien éditeur
Contribution de Hugues Robert



Luther Blissett [Wu Ming] (), L’œil de Carafa, traduit par Nathalie Bauer, Le Seuil | lien éditeur | lien auteur
Contribution de Hugues Robert



Don DeLillo (), Body art, traduit par Philippe Bouquet, Actes Sud | lien éditeur
Contribution de Martin Rass



Jan Guillou (), La fabrique de violence, traduit par Philippe Bouquet, Agone | lien éditeur
Contribution de Raymond Penblanc



Winfried Georg Sebald (), Vertiges, traduit par Patrick Charbonneau, Actes Sud | lien éditeur
Contribution de Martin Rass



Antonio Soler (), Les danseuses mortes, traduit par Jean-Pierre Ricard, Albin Michel |
Contribution de Raymond Penblanc



Brady Udall (), Le destin miraculeux d’Edgar Mint, traduit par Michel Lederer, Albin Michel | lien éditeur
Contribution de Raymond Penblanc

Essais

Domaine français (ordre alphabétique des auteurs)


Patrick Declercq, Les naufragés. Avec les clochards de Paris, Plon | lien éditeur
Contribution de Charles Robinson



Georges Didi-Huberman, L’homme qui marchait dans la couleur, Minuit | lien éditeur
Contribution de Charles Robinson


§

Domaine traduit (ordre alphabétique des auteurs)

Pas de proposition.

Liste des participants à l’ “Enbiblioquête Hors-Sol”

Hors-Sol a proposé une enquête à plus de trente lecteurs assidus leur demandant de dresser une liste de quelques livres, deux trois par an, pas davantage, qui, selon eux, étaient appelés à demeurer. La période considérée étant la décennie 2001-2010.

Le texte de l’enquêteLes contributeursLes auteurs citésLes éditeurs cités

Les résultats : 2001200220032004200520062007200820092010



Stéphane BikialoGuénaël BoutouilletCharlotte DesmousseauxCaroline GérardQuentin LeclercChristophe ManonRaymond PenblancMartin RassHugues RobertCharles RobinsonJoachim SénéFrançoise TresvauxBenoît VincentNicolas Vivès

 
 
  
 
 
 
 
 
 
 
 

Stéphane Bikialo, enseignant et chercheur en langue et littérature françaises contemporaines.
La Licorne : http://licorne.edel.univ-poitiers.fr/ ; Master Livres et médiations : http://ll.univ-poitiers.fr/masterlivre/

Je me suis prêté au jeu avec un certain plaisir, d’essayer de retrouver de mémoire, puis de me promener dans ma bibliothèque, puis d’en discuter avec des amis… Sur la question même, j’ai fait selon mes goûts plus que selon le goût supposé des autres ou de la postérité.
Je me suis juste interrogé sur la place à accorder à la BD, aux albums jeunesse, à la poésie, au théâtre, que j’ai finalement intégrés dans “fiction” mais avec un peu de réserve.

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Guénaël Boutouillet, auteur, formateur, médiateur web & criture : s’est expliqué sur sa contribution sur son propre site, Matériau composite :

http://materiaucomposite.wordpress.com/2013/05/14/trente-neuf-sur-quatre-vingt-dix-neuf-presque-tout/

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Charlotte Desmousseaux est libraire à Nantes depuis 2007. Apprentissage, enthousiasme, transmission et curiosité.
Les Enfants Terribles : http://lesenfantsterribles.hautetfort.com/

Bon voilà. Pourra-t-on la compléter de temps en temps? [Ndlr : oui, bien sûr]

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Caroline Gérard est éditrice chez Cousu Main.
Cousu Main : https://cousumain.wordpress.com/

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Quentin Leclerc était étudiant mais a arrêté parce qu’on ne peut pas tout faire en même temps. Relevés : ql.relire.net

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Christophe Manon est poète.

Je m’aperçois en y jetant un oeil à nouveau que je n’avais rien pour 2001 et 2002. Il faudrait que je recommence à farfouiller un peu pour compléter. J’espère avoir un peu de temps pour m’y remettre avant la fin du mois.

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Raymond Penblanc est auteur ; il a publié trois romans aux Presses de la Renaissance, des nouvelles dans une vingtaine de revues dont La Revue des Ressources, remue.net, Brèves, La Femelle du Requin, Secousse, Levures Littéraires, Harfang, ainsi qu’aux Editions de l’Abat-Jour. Il est actuellement au sommaire de Nerval.fr, et de Short-Stories-Etc # 11. Deux récits sont à paraître prochainement aux éditions Lunatique….

Votre enquête a suscité en moi trois questions.

1. En effet, me suis-je dit, parmi les centaines de romans (car dans cette enquête je n’ai retenu que des romans) lus entre 2001 et 2010, le moment ne serait-il pas venu de dresser un bilan ?

2. Bilan toujours aussi excitant que frustrant. Pour certaines années, on retient cinq ou six titres, pour d’autres seulement un ou deux. Malgré tout on y arrive. Evidemment, ces trente titres (et ces trente auteurs, puisqu’il n’est pas permis de les citer deux fois, dont un certain nombre seraient sans doute surpris de se retrouver en pareil voisinage) sont censés proposer un miroir relativement fidèle de nos goûts — de nous-mêmes. Et c’est ici que survient la deuxième question, double. Quel fil conducteur entre ces trente titres, quels liens ? Leur dénominateur commun, je le connais, puisque c’est moi. Suis-je cependant assuré de me retrouver dans ce miroir?

3. Sachant que je ne suis pas seul, il me vient une troisième question, double elle aussi. D’autres lecteurs partageront-ils certains de mes choix (et moi les leurs ?) N’est-ce d’ailleurs pas à une confrérie de lecteurs que j’aimerais surtout appartenir (plus qu’à une improbable galaxie d’auteurs ?)

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Martin Rass est chercheur ; ni auteur, ni critique, ni libraire, ni éditeur.

Voici ma liste, certaines années sont pauvres, pour d’autres il y en a trop, si je pouvais mettre des auteurs étrangers pour la parution dans leur pays, la liste serait différente, et comme je l’avais dit dès le départ, une grande partie de ces livres, je ne les ai pas lus lors de leur sortie en France (avant pour les étrangers, après pour pas mal d’auteurs français)

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Hugues Robert libraire passionné et pointilleux à la librairie Charybde à Paris.

Mais je redis que c’est un exercice super difficile !

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Charles Robinson est romancier et auteur de créations sonores. Site personnel : http://charles-robinson.blogspot.com

C’est noté, je vais me pencher sur l’enquête, elle me semble utile. Il faut réaffirmer que l’époque ne manque pas d’œuvres […] le plus dur est d’enlever des titres…

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Joachim Séné. Site : joachimsene.fr

Qu’un livre “reste”, qu’est-ce que cela veut dire ?

Cela veut dire qu’un texte ne doit pas uniquement me plaire, même pas nécessairement me plaire, il doit aussi durer au-delà de moi, au-delà de l’auteur, au-delà de la civilisation peut-être même : il doit rester. Mais rester où ? Dans le top-vente ? En classe de première pour le bac de français ? À l’université ? Dans le domaine que certaines émissions littéraires appellent parfois “la vraie littérature” ? Un mauvais livre étudié en classe va-t-il rester parce que chaque année des milliers, des dizaines de milliers, des centaines de milliers de lycéens l’achètent ? Est-ce cela, rester ?

À l’université, il me semble, moi qui n’y ait pas fait d’étude, que les livres étudiés soient des jalons de la création passée qui permettent de comprendre la production actuelle et ses différentes formes littéraires.

Ce qui reste serait donc ce qui permet de comprendre ce qui se crée.

Ce qui restera serait donc ce qui permettra, demain de créer.

J’ai tendance à penser qu’un livre se transmet à travers les années parce qu’il dit quelque chose de son époque, qui a été entendu tout de suite (il faut bien un départ, même minimum) mais est surtout entendu plus tard, et de plus en plus, avec le recul, les années, parce que le temps a fait que chacun peut être sûr que ce livre ne se trompait pas, ne se trompe pas : la vérité doit bien traîner toujours quelque part pour qu’on s’intéresse.

Et ce que ce livre dit est suffisamment vrai pour être entendu comme si c’était écrit maintenant. Il est resté. Durera-t-il encore ?

Il faudrait trouver des livres qui, des années, des décennies après, peuvent être lus de manière à voir, aujourd’hui, clairement qu’ils s’étaient trompés alors, et comprendre comment ceux-là “ne peuvent donc pas rester”, bien qu’en les lisant, on se pourrait se dire qu’ils sont quand même restés…

Alors peut-être que tous les livres restent, mais pas pour tout le monde.

Ces livres, ils doivent rester pour qui ? Et pour quelles raisons ? Est-ce que cela se joue au niveau des sources d’inspiration de ceux qui produisent ? Si un livre n’inspire plus, est-il encore lu ? S’il n’est plus lu, confidentiel, introuvable, inspire-t-il encore ?

Cette question de ce qui reste, ce qui est classique, ce qui est de la “vraie littérature”, soulève toujours des débats très animés, comme le sont les débats politiques…

Car il s’agit au fond d’une question de distinction. Ce qui reste pour un ouvrier ne sera pas ce qui reste pour un artisan, un petit commerçant, un patron, un cadre sup, un prof…

Distinction au sens où Bourdieu explique que la classe forme le goût qui identifie la classe (je n’en suis qu’au début de La distinction, c’est ma lecture lente d’une écriture très précise, de concepts qui bousculent).

Qu’un livre “reste”, il faut aussitôt se demander “pour qui ?” Et là on entre dans un goût qui va me distinguer des autres goûts qui ne sont pas miens.

Autre facteur, pour les livres qui sont, comme dirait Irène Lindon “un objet industriel”, la disponibilité est un facteur important pour “rester”.

Disponibilité, distinction, je vais essayer de lier les deux phénomènes par l’exemple suivant.

En 2004, il était impossible de dire que Le grand homme, de Philippe Soupault, était resté puisqu’il était indisponible depuis environ 1983, après que les éditions Lachenal et Ritter avait été rachetées par Gallimard (en 1979), sélectionnant dans le catalogue, distinguant certaines œuvres et pas d’autres, pour des raisons annoncées de rentabilité.

Le roman de Soupault, qui ne ménage pas la grande bourgeoisie, n’a pas été ainsi distingué par le groupe. Son propos, tellement marqué par l’époque, la quitte quand on croit celle-ci révolue. Écrit en 1929, comme une prémonition mal reçue à l’époque, republié en 1945 avec un dévastateur avertissement de l’auteur (en postface dans l’édition de 1981) qui pouvait alors dire “j’avais raison”, au regard des 99% de la bourgeoisie collaborationniste (dont Louis Renault, visé sans être nommé dans le livre, et qui dut accepter la nationalisation de son entreprise comme compensation, comme pour payer son attitude) son regard était, selon moi en 2004 quand je cherchais le livre, resté valide depuis : la même engeance état au commande de l’économie, mais elle était comme en repos, ou plus discrète ; en tout cas l’avait été et l’était un peu moins depuis quelques années que j’avais du mal à préciser.

Comment ne pas voir, avec la frénésie des emprunts et de la finance, avec la spéculation sur les matières premières, les subprimes, la dette grecque, le cynisme des mêmes décrits par Soupault ? Ce qu’il dit dans sa postface, avec le recul, est donc tout à fait recevable pour l’époque.

Ce livre, pour moi, je ne le comprends qu’aujourd’hui, “restait” donc, bien qu’introuvable autrement que dans le fond inaccessible de Gallimard, autrement que par un très léger harcèlement boulevard Raspail.

Et comme pour confirmer ce que j’avance sur l’époque, et du point de vue économique sur la mise à disponibilité d’un ouvrage, qui est fond dire que l’époque va faire vendre ce livre car elle en parle sans le savoir et lui aussi… ce roman a été republié, dans la collection L’Imaginaire en 2009 : http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/L-Imaginaire/Le-grand-homme
La couverture de l’édition de 1981 : http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Lachenal-et-Ritter/Le-grand-homme

C’est à dire que le livre disparaît car il ne correspond plus, ou l’éditeur ne veut plus qu’il corresponde à l’époque, ou il ne croit pas qu’il corresponde à l’époque, et les lecteurs également car l’on suppose qu’en bon gestionnaire l’éditeur se dit que le livre ne se vendra pas après, dans notre exemple, une victoire des socialistes, pensant peut-être à l’alternative “socialisme ou barbarie”. C’est un livre daté qui n’intéressa plus personne, peut-être un ou deux chercheurs en Histoire iront l’emprunter à la BNF mais sans plus.

Or, le repos relatif de la classe des 1%, pour prendre une dénomination récente, leur discrétion évaporée, ils se “vautrent dans la boue” (pour reprendre Soupault) et éclaboussent tout le monde, quelque chose se brise lentement, les masques tombent, depuis des années, et en 2009 il est plus que temps de sortir le livre à nouveau…

Voilà comment je comprends la disparition et la réapparition de ce livre de Philippe Soupault.

Et voilà comment je ne peux pas répondre à la question, car si un livre ne reste que parce que son époque et son contexte se maintiennent… c’est à la fois imprévisible et désespérant.

Si un livre reste parce qu’il représente si bien son époque, ou un fragment de son époque, une sensation de celle-ci, qu’il en est un témoignage rare, lumineux, intelligent, alors je pense à deux livres, dont le temps ne pourra pas ôter la précision et la justesse des monologues et des sentiments qui les composent :

Laurent Mauvignier, Ce que j’appelle oubli (2011) et Dans la foule (2006), chez Minuit.

qui sont selon moi deux saisies extrêmement palpable de ce qu’est notre époque (mais que veut dire “notre époque” ?) et dont la langue porte quelque chose de suffisamment neuf et d’original pour être, peut-être, le signe qu’il n’était pas possible de dire mieux ces faits divers à ce moment-là, et que ces faits représentent le mieux, d’une certaine manière parmi d’autre certes, mais d’une manière indispensable, ce temps où ils sont dits.

Un autre jour, il faudrait peut-être plus longuement que je parle de ces deux textes.

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Françoise Tresvaux a créé en 2006 les cafés littéraires de Bollène (Vaucluse), déplacés aujourd’hui à Sainte-Cécile-les-Vignes. Site : http://calibo.free.fr

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Benoît Vincent est auteur et coanimateur de la revue Hors-Sol ; n’avait pas le droit de jouer, a joué quand même. Ambo(i)lati : http://www.amboilati.org

Je me suis rendu compte que j’ai commencé à lire de la littérature contemporaine très tard, grâce à un livre de Frédéric Mora, La nuit des nuits (Seuil 2003), et à l’écoute assidue des émissions nocturnes d’Alain Veinstein à cette même époque… Une lecture a posteriori (un “rattrapage”) a permis de récupérer une infime partie du retard.

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Nicolas Vivès est libraire chez Ombres Blanches à Toulouse. Ombres Blanches : http://blog.ombres-blanches.fr/

[V]ous m’avez posé de gros problèmes, dans mon métier on a plutôt tendance à être tourné vers ce qui n’est pas encore paru, sur ce qui est en mouvement perpétuel, sur les tendances à venir, sur la création en temps réel … bref on a rarement l’occasion de regarder dans le rétroviseur pour voir ce qui reste et surtout comment cela reste-il ! Votre enquête est l’occasion de faire cela. J’ai donc choisi des livres, principalement des romans, qui me paraissent immanquables ces dernières années, des textes qui m’ont interpellés, en toute subjectivité, parce qu’ils sont dans mon parcours de lecteur des pierres fondatrices.

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Luc Garraud • Le journal

luc_garraud
Hors-Sol publie une série de nouvelles de Luc Garraud, botaniste et écrivain. Ce sont des vignettes qui attrapent où il faut, sensibles et revêches, et la langue singulière accompagne là où ça brille d’intelligence. Nous sommes heureux de l’accueillir, chaque mois, dans ce premier feuilleton de 2013.

Les photos sont du même.


1975


Le col ferme chaque année, le 15 novembre, c’est marqué sur un panneau en bas au début de la route, un peu effacé. Je viens du sud, je vais vers le nord. Je vois dans mon rétroviseur la barrière s’abaisser dans mon dos, les employés des routes tout de jaune fluo m’ont salué au passage.

J’arrive au premier lacet, la pente est douce. Je suis le dernier voyageur, seul sur la route.

Le col est encore loin, il passe comme tous les cols au point le plus bas entre deux montagnes. Il est à plus de deux mille cinq cent mètres d’altitude. Ce n’est pas le plus haut que je connaisse, mais il est unique par son passage très étroit. Il est taillé dans la roche dans le vertige.

La route est tracée depuis plus d’un siècle. Elle s’éternise en lacets de chaque cotés des versants. L’adret monte en pente douce, c’est presque plat par endroits, chaque courbe patiente.

Au sommet, on débouche par un entonnoir serré entre deux parois ocre et bleutées. On passe dans l’ombre un moment.

Le vent froid souffle comme au sortir d’un tube, je passe à l’ubac.

De l’autre coté, le fond de la vallée est sombre, les forêts de sapins et d’épicéas s’étalent en nappes.

La pente est forte d’un coup, elle serpente dans les grandes casses d’éboulis mouvants.

L’automne fait son givre, entre les pierres au bord de la route, tout se cristallise.

Le temps est blanc, il neige, c’est un début d’hiver timide avec de gros flocons légers qui tombent, virevoltent.

J’écoute la météo à la radio, elle dit vrai. Il fait parait-il beau à Paris.

C’est une idée tenace qui fait une part au temps considérable. Il est beau quand le soleil se montre et mauvais quand il pleut.

Quand il neige, c’est de l’or qui tombe.

Je suis en voiture et la descente du col se poudre doucement.

La pluie vient du sud, gonflée de la mer, elle s’engouffre dans les vallées et le froid transforme tout en neige, en coton.

Tout l’hiver, la route est laissée seule, aux éboulements, aux avalanches. La montagne reprend le dessus un temps. Elle s’étale, saupoudre ses blocs. Elle ne laisse plus un seul morceau visible d’asphalte, elle recouvre tout.

C’est un jeu d’hiver, elle bouge la montagne.

Ce sont les derniers jours praticables, tout au long de l’été, la chaussée est propre, nettoyée d’heure en heure, elle est sans danger. Il faut assurer le passage, c’est un énorme effort quotidien. Il faut faire avec les petits mouvements de la montagne, faire avec les chutes.

Et puis à l’approche de l’hiver, on lâche l’affaire, épuisé, on en peut plus, la route est livrée aux pierres.

Dans le bas tout s’aplatit, c’est encaissé, c’est plat comme le lit d’une rivière

Il y a un bloc sur la route, gros comme ma voiture, plus gros même, il barre tout. Je m’arrête au bord du vide.

Une avalanche barre la route, avec des coulées de boues mêlées à la neige, des coulées poivre et sel. Un bloc est tombé ; en s’approchant de lui, il est de la taille d’une maison à l’envers, volets ouverts, un cube compact. Il attendait sur la vire, au-dessus, il attendait de partir, d’aller plus bas.

Pour les pierres, c’est une forme de promotion, d’attente inespérée, partir enfin de la paroi, se désolidariser, prendre le chemin du chaos, briser son rêve, faire du bruit, rentrer en poussière.

Les pierres lavées, diluées par les eaux fortes, réduites pour passer sous les ponts en petits graviers colorés, roulées en grain de sable jusqu’à la mer. S’étaler dans l’estuaire, devenir liquide, libre.

La neige tombe en couche, de plus belle.

Il y a de l’autre coté du torrent une baraque bardée, une toute petite maison aux murs de ces pierres roulées. Le toit est très en pente, presque pointu, pour ne pas retenir la neige. C’est une maison forestière, ouverte de temps en temps pour les promeneurs perdus, c’est mon cas.

Il va falloir l’atteindre, par une passerelle suspendue au-dessus des eaux furieuses.

Avec l’épaule je pousse la porte lourde qui coince au sol, il n’y a pas de clé, c’est sobre à l’intérieur. Il a des buches de bois bien rangées sous la neige.

Passer la nuit ici, dans mon sac à dos plein de nourriture, il y a du pain, du fromage. J’ai de quoi. Tout aura fondu demain, les neiges d’automne fondent aussi vite quelles tombent, le sol est encore chaud.

Je rentrerais à pied, demain.

Le feu dans le poêle de fortune en fonte à du mal à prendre, le bois est humide. Je trouve deux casseroles cabossées de suie pour faire chauffer un peu de neige.
L’eau bouillante remplie la pièce d’une buée qui se plaque aux carreaux, le repas est un mélange de choses froides et chaudes.

La nuit est noire dedans et blanche dehors. Je mange dans l’encre à la lueur d’une étoile éteinte.

Je me limite à un espace seul, qui devient de plus en plus restreint. Je suis entre deux chaises, accroché à une table à trois pieds posée dans un angle. J’écris dans le coin sans voir les mots sur mon carnet.

Sur les lignes tordues, j’écris dans le noir jusqu’au matin, endormi sur la table.

Le sommeil est cabossé. Sur un matelas usé je fais craquer mes os. Le matin est à peine clair. Je remets le poêle en route, toute la nuit à plein régime, il s’est éteint fatigué.

Le thé sans arômes laisse au matin, au bord du verre, un tanin brunâtre. Il refroidit à vue d’œil.

Par la fenêtre, il y a plus d’un mètre de neige uniforme, tout est figé.

Une avalanche à emporté le gros bloc. Je ne vois plus ma voiture, elle est dans le torrent plus bas. Elle ressemble à une compression de César.

Je marche au bord du ravin sans pouvoir m’approcher. Je fais quelques pas sur la piste qui monte sur le coté dans la forêt, pour voir de plus haut. Je descends par le sentier, tout est bloqué. Je suis perché là sans pouvoir bouger, j’ai de quoi tenir quelques jours.

Je n’ai qu’un feuillet de journal local à lire.
La météo du 17 juillet n’est pas celle d’aujourd’hui ; un résultat sportif raconte la victoire sur le fil de l’équipe locale bien que réduite à neuf en seconde mi-temps.

Il y a un grand bandeau allongé dans lequel un roman interminable s’étale par épisodes, c’est une littérature adaptée pour l’été. Trois mois sans suspens, ni rebondissements pour toujours le même dénouement, tout se terminera à Venise, chaque été c’est pareil, il faut que cela se termine.

Il y a aussi une promotion pour une marque de coton révolutionnaire à mettre dans les oreilles pour ne plus rien entendre. Je m’arrête un moment sur la recette de cuisine du jour, mais je n’ai absolument rien pour la faire.

L’horoscope c’est le même dans le monde entier.

Aux petites annonces, une famille recherche quelques mètres carrés pour faire un potager, il faut écrire au journal.

J’ai un carnet à spirales, en petit format de 180 pages blanches à petits carreaux. J’ai deux crayons, j’ai de quoi écrire pour combien de temps ?

Un jour, deux jours ou trois, je ne sais pas combien de temps, je vais rester seul ici comme une fève dans sa gousse, j’attends l’écho sagement.

J’ai pensé souvent m’isoler pour écrire un peu dans le calme.

Un temps ne rien faire, venir tout seul en montagne, se laisser aller à ne plus faire un geste, rester immobile, flâner dedans, aller nulle part, regarder ce qui se passe.

J’ai encore du sel plein les mains d’un précédent voyage, j’ai de quoi raconter.
Je suis un écrivain contraint par la neige. J’écris parce qu’il neige, j’attends la fonte de la page blanche.

Un jour, on pourra ne rien faire du tout, s’allonger doucement, faire un pas, pas trop loin, hors du vacarme, ne plus revenir, s’éteindre un peu, un peu seulement, ne rien faire longtemps, s’habituer au moindre d’effort, être sans fabrique, sans cheval, au bout du bout, se dissoudre, mettre la fin au début, se mettre de coté pour écrire.

Sur ma page, je n’écris plus, je n’écris plus rien. Je parle petit à petit en dedans, par petites bribes, c’est peu à chaque fois.

Je me perds seul, je suis là depuis trois jours, à regarder dehors, à tourner dans l’espace, je prends le vent d’autant pour un courant d’air, le vent dans un couloir.

Je suis autiste de haut niveau, je fais avec l’altitude une chose par jour. Une masse énorme m’habite, une grappe, un flux ininterrompu. Quelquefois je prends mon personnage, devant la glace, je me parle.

J’ai sorti deux verres car nous seront deux tout à l’heure.

Je ne veux rien laisser ici, je suis contraint de tout oublier, de me faire oublier. Je lèche le fond du verre, plus une trace, tout doucement éteindre la mèche, la mouiller, la serrer entre les doigts humides.

Je pisse à coté, j’ai perdu petit a petit du pouvoir, de la force, je m’en sers de moins en moins. Je ride ma peau comme une flaque qui s’assèche, je craquelle. Je me laisse, je cours plus lentement sur la lande. Je détruis ma trace, il ne me reste que des restes.

J’ai des questions sur les consignes.

Je fais avant les choses, pour changer, je suis né particulier, je n’ai rien lu sur mes mains, j’ai vu des mots dans ma tête qui ne veulent rien dire.

Je mange debout, je suis debout pour manger.

Je suis fermé ici pour plusieurs jours de neige.

Tout prend de la place sur un mètre carré, on à la place de faire des tas de trucs.

Je regarde dans l’autre sens, je m’invente une langue plus râpeuse, comme celle de l’escargot du fossé gavé d’ortie, au bord du mur, le franchir tout seul, de pierres en pierres.

Je décris les mouvements de ma tête. Je lis et transcris les images enfouies qui arrivent automatiques, elles prennent leur sens à la lecture, au bord du bassin, c’est une feuille qui s’éloigne, une main sèche, coupée de son poignet.

Je fais mon usine sur un m², une vigie, un phare. Je prends mon repas à l’envers, derrière les carreaux bleutés de la baie. Je vois dans le noir des yeux.

Je suis debout sur la chaise. Je vois par-dessus de la haie : la terre du voisin, au loin le froid, la brume opaque, la faible lueur. Je surveille ceux qui dorment, comme l’eau qui bout. Je suis les ruisseaux se perdre dans les galets. Je fuis sur la pointe des pieds.

Je cherche une petite ampoule pour éclairer l’autre face du monde, celle qui dort.

J’évite d’écrire des phrases mal finies, mal ficelées de peur quelles restent longtemps, quelles s’éternisent.

J’efface tout, je jette à la rue, je retourne à la nature, je mange comme une bête, un ours, un rongeur de graines.

Je ne pars plus, je reste, je bloque, je fais tout d’ici. Je sais ce qu’il se passe, j’ai suffisamment pour raconter, tout se répète, ce ne sont que des choses accumulées depuis des millénaires, ici, je vis sur un m², je longe les façades.

C’est ma vigne, je tourne en rond dans le carré, je fais de l’ombre à mon raisin, je fais mon verjus d’herbe, c’est acide, un sacré carré de sacrifice.

Je m’accumule sur l’espace, je veux mon espace portable, comme une cour, comme le sommet d’une tour, je m’évade souvent pour revenir, avec ma valise.

C’est dans la nature même des choses d’insister un peu, de résister toujours, de se le faire à soi son mètre carré, à sa mesure. Je le déplace, je suis un sursitaire, sur l’eau, la barque est courte, je vogue sur une épaisse couche de pluie.

Je dors et je m’allonge sur le pré carré, je démarre la tondeuse. Je tonds la précarité.

A deux on peut avoir deux mètres carrés mais ça ne fait toujours qu’un mètre carré chacun.

J’empile des fenêtres ouvertes, des toiles de maîtres, je suis dans le cadre de la photo un moment.

Je veux m’en faire un pliable de mètre carré, le faire vertical, dans l’espace. Je reviens toujours à mes évasions.

Je participe au transport, je me précipite dans la neige sur le chemin feutré, un cheval sur les talons.

Je remets tout en jeu, je trace au sol pour chacun de mes invités, des carrés que la mer efface à chaque vague. Une vie bien carrée, anguleuse, un rectangle long, fait de briques rongées et usées.

C’est un carré de terre, un carré de mer, un mur carré voilant l’horizon, pour un château jamais construit, je le vois d’où je suis.

Je vais sur un petit carré d’herbes blanches comme la nuit, un paysage oublié, un jardin rayé de la carte, je me limite au lieu.

Je suis sans bouger vraiment, sans bouger réellement, d’ici. Je raconte des histoires, c’est suffisant pour dormir debout.

Le plus long voyage du monde, c’est où ?

Je me refuse à prendre les chemins au dehors. Je reste, j’arrête la machine à faire. J’écris des mètres carrés, des lignes longues, des traces fauves, des rainures à suivre. Je vais à jamais. Je me perds de forges en forges. J’ai des mains pour rattraper tout cela, j’avance le long des bordures.

*

Je suis retourné en ville, à pied, j’ai enjambé des tonnes de pierres, j’ai marché longtemps.

Le marché est grand, il est très étiré, il est animé par des vendeurs de pain, de légumes et de fromages, la production est locale. Ça sent la terre, la ville est en effervescence, aux premiers rayons froids de l’automne. Le bois est rentré, ça fume blanc, par bouffées étouffées.

Je me suis précipité dans le premier tabac-journaux, j’ai acheté le journal local du jour.

C’est en première page, en très grosses lettres : UNE VOITURE REPECHEE SANS PASSAGER

Il y a une photo toute en hauteur, la photo d’une immense grue de levage, elle balance au bout d’un câble une boule informe d’acier, c’est ma voiture méconnaissable, tirée des eaux, roulée dans le torrent en furie jusqu’aux portes du village.

Le feuillet d’un journal recto-verso c’est un mètre carré, c’est une histoire sans fin, des pages imprimées pour toujours, qui répètent des choses toujours nouvelles et que l’on a déjà entendues cent fois, comme un roulis, la vie du monde d’ici ou d’ailleurs c’est pareil. Tu ouvres le journal n’importe où, à n’importe quelle heure, n’importe quel mois, dans dix ans, dans deux siècles.
Ce sera toujours le même rituel désuet et complet, sans rien demander on a tout. On sait, alors que l’on y pensait plus, que les amants de l’été sont enfin arrivés à Venise, comme tous les ans, c’est écrit en bas de la page pour toujours, en bas de la page du journal d’un mètre carré.