Jian • Contrespaces (de la rémanence) (2) • fr. 6-10

Hors-Sol attaque la publication d’un texte reçu il y a quelques mois (via réseaux sociaux). L’auteur explore ici les moyens d’une révolution, qu’elle soit politique, écologique, littéraire, philosophique. Dense et ardu, ce texte expérimental est parfaitement stimulant.

A noter la participation de Frédéric Dupré qui vient « accompagner ces propositions de ses puissants dessins ». On le retrouve sur son blog Le Griffonneur.

• 1234567

48085_339064042828557_469334034_n

6)

Il n’y a jamais eu de changement de base vertical, de renversement du rien au tout : se sous-venir des tables rases désastreuses. Il s’agit là d’acter, radicalement, un trajet (et non un Evénement) habité. Où sommes-nous ? Que s’est-il passé ? Nous sommes là, nous sommes le là. Nous conspirons. Nous existons.

C’est l’exiStance des nous-autres qui est révolutionnaire.

Notre terrienne transcadence (cadere : tomber plutôt que monter, s’élever du « scendere ») et ses clinamens.

7)

Le mot rémanence parle mieux que celui, évanescent, de « survivance » de cette présence-absence que l’on ressent par et dans cette sensibilité sismique à la Terre et aux temporalités, qui vont bien en-deçà de l’Histoire en tant que telle ou de la surface des événements.

Ce talisman infinit « ce qui perdure » dans « ce qui est perdu », ce qui reste vivace dans le révolu. Les forces rémanentes qu’il s’agit de se réapproprier (reclaiming) dans la dé-propriation- disons, n’ayons plus peur, la libération- le jeu libérateur (savoir-faire, savoir-vivre, coopérations, luttes, sabotages, graines, terres,…). Le mal propre est le territoire : la question est échologique, musicale, sphéropratique.

8)

Sortir du temps paulinien et du fantasme d’une coupe radicale dans le mètre du temps, ce Temps géomaîtrisé. Nous entrons dans le « temps prolongé de l’urgence », le temps des catastrophes, le temps de l’ultimatum, plus intense que tout présent, tout futur et tout passé, un « point accéléré » comme croisement de courbes, tel un cœur qui bat plus vite dans le désir (ou dans la peur): une sorte de point de départ et de point d’arrivée infiniment étirés l’un dans l’autre. Un entre-là, un entre-nous qui malaxe la pâte de la présence pour redistribuer le proche et le lointain, l’é-loigné : étranger le proche (rencontrer), devenir le lointain (accueillir) — hospitalité contrapuntique…

Voilà un temps qui vient, autrement qu’intervallaire (Badiou), dans l’à-travers, comme à travers. Une transition du vivre, échappant aux assignations.

Nous en appelons non tant à un moment de rupture, donc, tributaire d’une figuration temporelle linéaire qu’à un mouvement de retour ou de retournement, de cercle ou plutôt de boucle. Au point de bouclage, tout contre l’irréversibilité du temps, une flèche est pourtant lancée au lieu du lieu. Un geste, précis, plutôt que mille gesticulations. Un acte. Mille-et-un actes comme des poussées de sève vivifiantes…

Décider de — et comment — être en commun, permettre à notre existence d’exister et se retourner. Il y va à la fois de décisions cosmopolitiques, mais surtout d’actes au sujet de la cosmopolitique.

9)

Peut-être en avons-nous fini avec le mot de « politique ». A l’heure où la métropole (et non plus la « polis », la Cité) a largement remplacé l’agora par une prolifération de dispositifs autotéliques, à l’heure où la société du spectral ne promet rien d’autres qu’un néo-fascisme verni, le mot de politique parait de plus en plus insuffisant.

Son étroitesse guindée et citadine n’est plus à la mesure des battements tonitruants du monde, des mondes.

La « politique » sort de ses gonds et revient cosmopolitique, le « politique » se diffracte et devient poélitique : décentralisation rurale et extension du domaine des « choses » communes ; différends, palabres et litiges au sujet d’un cosmos habitable ; extension du langage à la multiplicité sémiotique (déconstruction de l’opposition phonè-logos) ; tentative sur le fil de composer un monde comme-un

avec la multiplicité des mondes (au sens de « umwelt » chez Von Uexküll),

expériences de totalisations partielles, toujours glocales,

peuplement toujours en situation du peuple de l’à-venir.

10)

Il s’agit d’assumer la suspicion quant à l’origine religieuse du mot (« conversio »). Comme souvent ce n’est pas la « conversion » qui est d’origine religieuse, mais bien le religieux qui capture les forces de déliaisons et de reliaisons. Lent, tourner en rond : un contre-temps dans les plis majoritaires. Un re-venir non pour la seule mémoire, ni surtout pour la conservation, mais un revivre, jusque dans ce qui reste d’in-vécu, de ce qui n’est pas passé dans le passé.

Une histoire native, kairologique, libérée de sa capture eschatologique :
tournée vers le passé qu’elle transforme et le futur qu’elle autorise.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *