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Lucie Taïeb † Instin pour moi

une nuit j’ai rencontré instin, à la lumière de mon écran

il avait plusieurs voix et plusieurs histoires

un autre jour j’ai vu sa tombe au cimetière montparnasse. il faisait beau et j’ai vu le vitrail

j’ai vu aussi la tombe d’adèle hinstin et bientôt j’ai su : qu’adèle et adolphe n’étaient qu’une seule personne, tantôt homme, tantôt femme. d’où me venait ce savoir ? depuis j’ai oublié l’histoire

chacun a ses morts

je pense souvent à instin désormais

parfois je parle avec sa voix

je n’imagine pas que je suis lui, j’essaie de savoir ce qu’il ressent : ce que l’on ressent lorsqu’on est un général qui, mort, continue de vivre, d’errer, sans chercher rien de précis. j’aime qu’il n’ait aucun but

j’aime surtout qu’il ne soit pas vraiment mort

chacun a ses morts

le militaire d’instin est pour moi plutôt d’opérette. la guerre n’est pas ce qui le définit mais une péripétie, dans laquelle on peut puiser. ou la métaphore d’autres luttes. instin n’est pas un guerrier. il n’a jamais rien gagné. il continue de vivre en vain

instin n’a pas de visage

parfois je vois bien sa silhouette, il est de haute stature, avec un grand manteau, un pas traînant, il tangue vaguement,

il est parfois une ombre enveloppante

instin ne veut rien dire — c’est aussi en vain qu’il parle. mais il est une persistance

j’aime qu’il ne soit pas mort

parce qu’il y a une tombe qui porte son nom, instin diffère d’un personnage de littérature. instin est hors de nous, hors de tous ceux qui écrivent à son propos/ l’écrivent/ le font vivre et proliférer comme « projet ». instin, de par sa tombe, a un pied dans l’histoire, mais aussi un pied dans notre présent : il a ce lieu, au cimetière montparnasse, paris 14ème, et depuis ce lieu, ça rayonne

mais comme instin s’écrit sans h, il a l’autre pied complètement ailleurs, il n’a plus figure humaine, il est fiction et prolifération, il est libre, livré à celui qui voudra bien s’en emparer — sans exclusivité

instin n’oppose pas de résistance

mais il échappe : instin n’est pas vraiment mort ni vraiment vivant, ni vraiment fictif ni vraiment réel, ni vraiment hinstin ni seulement instin

instin n’est pas vraiment

ça rayonne vraiment dans tous les sens

son cas incite à se pencher sur d’autres cas similaires — sur d’autres manières d’inventer des morts qui ne le soient pas vraiment, de parler avec les esprits

le chasseur gracchus est une forme d’instin, à moins que ce ne soit l’inverse

instin est réversible

il ne se termine pas.

à l’instar de shiva, dont il est paraît-il un avatar, il a les yeux mi-clos, et plusieurs bras

L’émission du général : Lucie Taïeb & Benoît Vincent


Mission 564gi3Rff6F7 “Musaraigne indomptable”

Est-Est-Est. Glaive indomptable.
Gracier la musaraigne — délester la Gueuse. Orant.
GI


Frimas. Du jour au lendemain, la saison a tourné. Mais trop tôt. Les hommes l’ont ressenti. S’en sont plaints. Mais que faire ? Je n’ai pas le pouvoir d’accéder aux cœurs. Je n’ai pas le pouvoir d’accrocher les cieux. Leurs souhaits sont vains. Il faudrait une requête à l’ordre/l’autorité, au Général Luimeme. Je ne suis que le messager, le modeste nocher de la nuit, du feu et du fer. Je ne suis que traducteur et toujours menacé de tradicteur.

Le dernier câble est toujours plus trouble que le précédent. J’ai fait prendre toutes les dispositions pour abreuver les hommes, signe d’un prochain massacre. Tout s’explique, leurs bouches offertes au sang ; leurs veuves ; l’espoir lié dans la mission. Sauve la musaraigne = boire boire boire, à s’en faire péter la peur, à s’en découdre le cœur et avancer, sous la merde qui tombe, sur la merde qu’on piétine, à travers la merde en flottement, la purée de pois, les corps déchiquetés, les bois brisés, les bêtes agonisantes et la pluie et les balles.

Boire boire boire parce que comme ça ce n’est plus un visage ou une main, mais tous les cauchemars prennent corps dans le combat. Boire boire boire.

Je connais le Livre des Codes, le revers secret des pages dissimulé dans nos Code canonique, Code de la Guerre, Code de la guerre civile, Code de la guerre de sécession, Code des armesCode de la l’occupation et Code du terrorisme, et toutes leurs annexes comme le Guide de la guerre bactériologique, Le recueil des tortures, ou celui De la propagande.

Je prends la musaraigne entre mes doigts, son symbole éclair, son pelage qu’on mangerait, et à son évocation, et aux mouvements qu’elle impulse : orientation, et manœuvres et stratégie. Je ne perçois pourtant pas très bien encore pourtant le lien avec les autres instructions. Se peut-il que j’aie mal cerné les mots ? Se pourrait-il que la chaîne se rompe ? Se pourrait-il que le messager se soit trompé de destinataire ? Et si c’était un piège tendu par leurs araignées ?

Boire boire boire. Diluer l’angoisse dans la bouteille, diluer aussi le nom, et la parole. Ne plus avoir que des bêtes, rompues au, assoiffées de, revanchardes.

L’assaut à ce prix l’assaut à ce prix l’assaut à ce prix.

Que le mal devienne vengeance boire boire boire. Et la lâcheté résistance.

Verso d’emballage de caramel. Une astuce. Un jeu de mots, une blague. Sphinge dératée, réduite à fils de cuivre et potards fragiles et porcelaines, comme les des dents polies et brillantes dans la boue, pose ta question, venue des limbes, des sous-sols de l’histoire et dis-nous tout, dis-nous ce qu’on doit faire, et nous ferons, nous exécuterons tes ordres, pas de messager moins zélé, pas de mercure moins performatif, ordonne et j’obéis.

Sphinge de farce et attrapes, tirage au sort à la Foire du Trône. Mauvaise pioche. Combats. Front.

Je n’ai pas d’autre choix que de répondre. Répondre est ma mission. Répondre est opérer le calcul, accomplir le jeu. Je suis aux ordres. 

& Réponse est mon nom. Même si je ne saisis pas tout, je suis tradicteur, aussi, traducteur, j’en saisis assez, le message est plus condensé au centre, les marges sont négligeables, pense à la frappe d’un obus, on ne vise jamais à coté de sa cible, on ne pisse pas à côté du trou. Les dommages collatéraux sont nécessaires. C’est l’état de guerre. C’est la mobilisation générale. Je ne suis pas ici pour plaisanter.

Réponse est mon nom. Qu’on leur serve du vin blanc. 

Mission sp76jugi999 “Rosée profonde”

Rentrer. Promouvoir la rosée en instance, coopter la luciole, dépiauter du km.
GI


1er décryptage : le ventre
La nuit est longue et le régiment affamé. GI pris de nouveau dans une guerre dont on ne connaît pas le nom. Les hommes ont faim. GI blêmit de les voir chétifs. La culpabilité est un ver solitaire, y mettre un terme serait aisé mais les ordres attendus ne viennent pas.
Non loin, ils le savent tous, il y a l’Auberge Bleue, l’aubergiste aux yeux rieurs, la natte repliée sur son front, les yeux si clairs qu’on pourrait croire qu’ils luiront dans la nuit.
Non loin – de l’autre côté d’une ligne de front, à moins d’un kilomètre, des vivres pour des jours. Gi dans la nuit reçoit du siège central un message en langue étrangère, le traducteur délire tant il est affamé. L’enjeu : s’ériger en maître de l’aube. Je répète : s’ériger en maître de l’eau. Variante : s’ériger en maître du lot. On sait de source fraîche que l’auberge bleue reçut en ces jours décisifs approvisionnement de victuailles, charcuteries, lait frais. La femme aux yeux très clairs acceptera d’en livrer bonne part. Un homme, à l’aube, s’il est assez vif, saura pénétrer en camp adverse, et on ne remarquera pas plus sa présence parmi les autres hommes que celle d’une goutte de rosée sur une herbe sèche, l’instant d’avant. A l’aube encore, ses yeux si clairs seront surcroît de lumière, d’une main experte elle puise dans le stock et remplit le sac de l’émissaire de chapelet de saucisses. Pour des raisons qui lui appartiennent, trahir n’est pas trahir

2ème interprétation : le cœur
Ma petite clarté, mon ange, ma destinée. Les eaux montent. Je souffre de n’avoir pour toi que ces mots de deuxième main, quand tu attendrais peut-être l’une de ces longues lettres que les voies officielles ne me permettent de destiner qu’à mon épouse, mais je sais qu’au moins ces pauvres messages te parviennent, et que tu sauras réécrire, dans tes longues nuits solitaires à la flamme d’une bougie secrète, le message originel que je n’ai pu former de ma main. Je sais, que mon cœur parle au tien. Je ne rentrerai pas avant longtemps, ici la faim fait rage et les hommes n’en peuvent plus de marcher. Ma bien-aimée, ma lumière. Lorsque nous nous verrons, c’est toi que je dévorerai.
N’oublie pas, je t’en prie, de transmettre après l’avoir lu ce message à Qui De Droit. Toi qui as bien voulu m’initier, aux mystères verticaux. T’écrire est déjà Lui écrire.

3ème lecture : l’œil
Cette lumière qui m’aveugle est ta présence et ton absence est ta présence et ton absence et ta présence est ton absence et ta présence. Au loin ventre de la distance incomptée en rose dont le cœur est distinct de son centre lumière ô petite clarté pénétrer en ton nom j’entends la rose et la rosie et tu écartes mon cœur et entre mes deux yeux j’y perçois un parfum au seuil-seuil qui me tue te conquérir enfin rentrer en ta présence et clore-pororter le souffle asphyxie pleine priczme tranchant tu épétales ma roseur mon sang-sève madé chihure de l’œilpeau quatre et clore essaimer rôtisme de lalu-noyée cination ra sept et douze au multiple coproi. tiocipiette bouffe-bouffe au digénérer – râle. stanza-stanza-stanza-