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Archives par étiquette : joachim séné
Joachim Séné • Les mots nous manquent [4 de 4]
En vingt tableaux, cinq fois quatre
Entre chaque tableau on intercalera si on le souhaite des scènes muettes dans lesquelles les corps nous manquent, le corps nous manque, son corps me manque, etc. ; mais aussi : les gestes nous manquent, les regards nous manquent, etc.
Pour résumer, on pourra montrer (ou manquer de montrer, bien sûr) : le non-dit nous manque, le manque nous manque, etc.
Bon tu viens.
Oui, oui, ah non.
Quoi ?
J’ai oublié, comment tu sais les.
Oui je sais, ben file les chercher.
Je reviens.
Bien sûr que tu reviens.
Voilà.
Mais c’est quoi ça ?
Ben, je les avais oublié.
Ah mais je pensais pas que tu parlais de ça, je pensais que t’aurais pris les.
Ah mais oui t’as raison, j’ai complètement oublié ça aussi.
Bon, ben file.
Oui, pardon, ok, j’y vais, je reviens.
Je veux, que tu reviens.
Voilà.
Mais c’est pas vrai !
Quoi ?
Mais on s’en fout de ça ! On a pas besoin de ça. Par contre, vu où on va, on aurait peut-être, un peu, besoin, du.
Non mais tu as raison. Je suis désolé, je, je reviens.
Je sais pas, oui, c’est ça, tu reviens.
Voilà.
Bon, on a tout ?
Euh… Oui, si t’as pris le, le.
Oui, eh bien, quoi ?
Tu sais bien le, le, le
Allez, quoi, un effort !
T’es pas sympa, il s’agit pas de ça, c’est le, le, le…
Et ça fait quoi ?
Ça fait pas du bien. On sent rien, si tu veux, mais ça fait pas du bien. Enfin si, on le sent passer disons. C’est plus ou moins rapide et
Oui, on sait pas quoi.
Si, quand même, disons que ça passe, voilà tout.
Pas simple.
As-tu le choix ?
Ah… Si j’ai le choix… eh bien… Ah… Je sais bien, je sais bien… Ai-je le choix…
Je sais, c’est pas facile. Même le mot « choix » n’a plus aucun sens ici. Ça arrive comme ça, et…
Et c’est là, d’un coup. J’y peux rien je sais, je sais.
C’est pas que ça soit désagréable, en soi mais il y a
Il y a quelque chose qui se passe et alors…
Alors…
Ensuite faut…
Ne dit pas ce mot-là… C’est ça tu as raison, il « faut », mais ce n’est pas ça…
Je sais bien, c’est plutôt « ensuite ».
Oui. Bon, on va pas s’arrêter à tous les mots tu vas jamais t’en sortir.
Je sais bien, ça bouge et ça s’arrête plus.
Voilà, alors tu suis le mouvement, et ça passera, ça passe toujours en fait, même si en même temps, ça passe pas.
Suivons, suivons.
Laissons le vent du soir décider en somme !
Ah ah. C’est ça. Le vent du soir.
Tu as vu ce film ?
Non.
Tu devrais, c’est vraiment magnifique.
Je le note, je le note.
Je te dis rien mais la dernière scène est vraiment
Me dis rien ! Je regarderai… Dès que j’aurais revu l’autre.
Ah oui, je l’ai pas encore vu celui-là, faut que je le vois, j’aime bien ce réalisateur.
Oui, moi aussi mais son dernier est raté.
Ah oui ? J’ai pas trouvé, enfin… j’ai pas trop aimé la fin, mais dans l’ensemble.
Non, vraiment, sa période seventies, années 80 à la limite, mais après…
Oh, moi j’ai bien aimé, et puis dans ce rôle, là, elle…
Ah oui, non mais elle sera toujours exceptionnelle, c’est pas la question. Même à contre-emploi.
Oui, je l’ai vue aussi comme ça, elle est très bien. On est d’accord.
On est d’accord, on est d’accord.
Et, tu lis quoi en ce moment ?
Tu fais quoi ?
Quand là tout de suite ?
Oui enfin, et aussi tout à l’heure tu peux venir ?
Tu seras où ?
Je sais pas encore en fait, qu’est-ce qui t’arrange ?
Ça dépend vraiment de l’heure, toi ce serait quelle heure ?
Oh… je dirais… ça dépend… la semaine dernière, on s’était vu à quelle heure ?
C’était quel jour ?
Oh mais c’est pas quand on a croisé… comment déjà ?
Ah… Et tu l’as revu ensuite ?
Tu n’as pas reçu son mail ?
Il a mon adresse ?
On se voit où alors ?
On se voit à quelle heure ?
Tu auras du temps ?
Il fera beau ?
Comme aujourd’hui tu crois ?
Tu as rêvé de ça ?
Ça veut dire quoi, dans un rêve le beau temps ?
Il te reste encore du forfait ?
On peut continuer à parler ?
J’entends du bruit, tu es dans la rue ?
Toi aussi ?
Tu crois qu’on va se croiser ?
Tu as déjà croisé quelqu’un comme ça ?
On s’est peut-être déjà croisé ?
Tu veux dire comme ça, en marchant, au téléphone ?
Peut-être.
Peut-être bien.
Oh ! Quel vent !
Ah bon ? Je sens rien moi…
Oh si… ce vent, si fort…
… Non, moi je sens rien…
Tellement frais… doux aussi…
Écoute, je comprends pas, il fait même plutôt chaud, enfin, j’étouffe un peu, je…
Mmmh… c’est tellement bon, ce vent… une caresse énorme de la planète, de son atmosphère, une légèreté… je…
Tu délires, y’a rien, strictement rien… je sens toujours le même poids de ta planète si tu vas par-là. Pesanteur… pfff…
Ce vent… quel vent…
Je sens rien.
Ce vent sur ma peau…
Rien du tout.
Joachim Séné • Les mots nous manquent [3 de 4]
En vingt tableaux, cinq fois quatre.
Entre chaque tableau on intercalera si on le souhaite des scènes muettes dans lesquelles les corps nous manquent, le corps nous manque, son corps me manque, etc. ; mais aussi : les gestes nous manquent, les regards nous manquent, etc.
Pour résumer, on pourra montrer (ou manquer de montrer, bien sûr) : le non-dit nous manque, le manque nous manque, etc.
On va vraiment faire ça ?
Il faut bien. Pas d’autre choix.
Mais si… On peut toujours imaginer autre
Oui, on peut imaginer autre chose. On peut toujours imaginer. Quand y’a rien à faire, imaginer c’est facile. Mais quand il s’agit d’action, faut agir. C’est tout. Pour agir, faut agir, c’est comme ça, il n’y a pas d’autre issue, sert à rien d’imaginer. Agir.
C’est notre frère quand même.
Frère… T’as de ces mots.
Oh ! C’est toi qui exagères ! Frère, parfaitement, et peu importe ce qu’il
Il s’agit pas de famille, tu comprends pas ? Je ferais ça avec n’importe quel abruti qui a agi comme lui. À mes yeux, tout le monde est égal dans cette affaire.
Ce que tu dis, ça, je penserai jamais comme ça. On peut toujours penser à demain, c’est à nous de construire demain.
Arrête je vais chialer. Construire demain, écoute-toi. On va le faire, c’est tout.
Non, je vois pas pourquoi je ferais ça.
Tu vas le faire, t’as pas d’autres solutions. Tu serais seul ensuite sinon. Tu verras bien.
Je préfère rien faire, plutôt que ça. Pourquoi, si je pense autr
Arrête. Je t’ai expliqué. Tu comprendras après. Fais-nous confiance. Tu vois pas que c’est programmé, d’une certaine manière, c’est prévu ? Tout va se passer.
Mais à la limite, ça m’intéresse pas… T’es qu’un… un traître !
Mmh… Il ne s’agit pas de ça. Écoute, me fait pas le coup de la familia, okay ? Quand je dis qu’on va le faire, et que donc toi aussi tu vas le faire, je le dis parce que
Non, mais ça ne m’intéresse pas. Je… Je te laisse faire. Je vais faire autre chose. Mais je vais pas t’empêcher non plus… Vous réglerez ça entre vous. Moi je prends pas part
OK, moi non plus je vais pas t’empêcher d’être lâche.
Alors on arrête-là. Très bien.
Très bien, mais tu verras, tu te souviendras de ce que j’ai dit, quand ça te rattraperas.
Je pense que tu te rends pas compte.
Ben non, peut être pas. Et alors ? Qu’est-ce ça peut foutre ?
C’est dingue comment t’es inconscient un peu en fait ? C’est ça ?
Oui, c’est ça, ça doit être ça.
Tu te rends pas compte. Tu fais ça, comme ça… Comme si
Pourtant c’est bien comme ça non ? C’est bien partout com
Non, c’est pas comme ça partout. C’est pas comme ça. Tu fais ça… On dirait, que c’est naturel, je suis pas d’accord.
Eh ben, c’est comme ça.
Tu te rends pas compte. C’est pas naturel c’est
On s’en fout, naturel, pas naturel, ça veut rien dire. C’est comme ça, ça se passe partout pareil, c’est… C’est culturel, tiens !
Mais non, c’est une question de… Une question de vouloir ou pas et moi je veux pas et si tu toi tu veux faire ça c’est pas normal c’est tout. C’est pas culturel, c’est pas naturel, c’est pas…
Faudra t’y faire parce…
Non je m’y ferai jamais, aucun pays, aucune famille, aucun
Si, oh si y’a des pays je peux t’assurer que ça se passe comme ça partout et très tranquillement.
Ah évidemment, mais c’est honteux, tu m’entends ? Ah non ça non je m’y
Eh tant pis pour toi arrête de, aller arrête, rend pas les choses plus difficile pour toi.
C’est incroyable. T’es incroyable. On en reparlera quand, on en reparlera, on, on
Mais oui c’est ça, arrête de pleurer, on en reparlera, c’est ça.
Tu sais ce que j’en pense.
Et alors ? C’est pas une raison pour pas continuer !
Si, c’en est une bien suffisante.
Je pense qu’on pourrait essayer, sur des bases plus solides, neuves
Tu sais ce que j’en pense
Oui, mais je pense que ce que tu penses peut changer… On peut toujours. Quand on veut.
Écoutes si je ne peux pas c’est que je ne peux pas, avant tout, tu comprends ? Je ne peux pas Alors épargnes-moi tes gros verbes, je veux dire
Oh là, je veux pas savoir ce que t’allais dire, je préfère
Non mais tu m’as bien compris, tu sais ce que je pense alors
Mmh… Regarde.
T’as trouvé ça sur internet ?
Oui, mmh… j’ai cherché… Je sais plus les mots clés, mais c’est sur le site, tu sais que…
Ah oui, tu m’en as parlé hier, d’accord… Alors, mmh… c’est comme ça…
Eh oui… oui… C’est marrant hein. Regarde, là, là…
Non ! Oh… !
Si ! C’est pas croyable hein !
J’ai jamais vu, mmh… Un truc pareil ! Oh !
Et quand… attends… là, regarde…
Ah oui oui… non mais non ! Oh ! C’est clair.
Mmh… Là, non mais où ils vont chercher tout ça ?
On est où là d’ailleurs ? Attends… Mmh, ah ici.
Non… Mmh… Oh !
Je me souvenais plus de ça, tiens…
Mmh mmh. Mmh… Tiens… c’est quoi… Y’a pas comme un bruit là ?
Mmh ? Oui, c’est le voisin, il fait des travaux depuis hier. D’ailleurs brusquement des fois y’a des coupur
Oui allo ? … Non je suis… Oui c’est ça… Mmh… Oui, je… Non… Oui mais non… Au… Non… au-re… Non, c’est pas ça mais j’ai… Oui, ça ne m’intéresse pas, non… Au-rev… Je vous dis que ça… Oui je sais c’est, c’est bien, mais non… Mmh… Écoutez je sais pas pourquoi… Écoutez je sais pas pourquoi j’ai pas… Mais non… Écoutez… Écoutez… Non… Écoutez je sais pas pourquoi j’ai pas déjà raccroché mais là… Mmh… Non, c’est ça oui… C’est mieux comme ça… Mmh… Au-rev Oh et puis zut. … … Comment ? Oui mais non. Je ne suis pas… Non, je vous dis que je ne suis pas… Laissez-moi parler… Je vous dis que… Laissez-moi parler, laissez-moi vous dire… Laissez… Allo ? … Allo ? Ah ben voilà autre chose.
Joachim Séné • Les mots nous manquent [2 de 4]
En vingt tableaux, cinq fois quatre.
Entre chaque tableau on intercalera si on le souhaite des scènes muettes dans lesquelles les corps nous manquent, le corps nous manque, son corps me manque, etc. ; mais aussi : les gestes nous manquent, les regards nous manquent, etc.
Pour résumer, on pourra montrer (ou manquer de montrer, bien sûr) : le non-dit nous manque, le manque nous manque, etc.
Pourquoi tu fais ça ?
Tu ne comprends pas ? Si je ne le faisais pas, tout risquerait de s’écrouler, tout
Mais tu n’en sais rien ! Tout ce…
Bien sûr que si ! Tu veux leur demander quoi ? Tu les as vu ? Ils ne savent rien, ne comprennent rien, réfléchissent à deux ou trois mois, pas plus, ils ne pensent qu’à
Oh ! arrêtes tu me dégoûtes. Relis l’histoire, tu verras bien ce que des gens comme toi ont provoqués comme…
Mais justement avec le recul je vois bien ce qu’il ne faut pas faire.
Tu ne vois rien, toi et tes semblables ne voyez jamais rien, toujours rempli de fierté et ne faisant finalement confiance à personne, vous finirez tous avec le couteau de l’autre dans le dos.
Beau discours, mais dis toi bien que si on laisse faire des gens comme toi, on court bien pire risque. Tu es dangereux.
Dangereux ? Tu plaisantes ? Je n’ai rien. Je fais l’inverse de toi. Tu es dangereux en voulant t’accaparer le…
Écoute… Je ne voulais pas en venir là, mais j’ai discuté avec les autres et… Tu es dangereux. C’est ce que je viens de dire. Dangereux.
Tu parles de m’exclure ? Je suis déjà parti pauvre imbécile. Adieu.
Reviens ! Attends. Tu n’as pas compris. Plus dangereux que ça
Quoi, mais tu délires ? Et après tu oses dire que c’est moi qui suis dangereux
Le vote a eu lieu. Je suis désolé.
Arrêtes ça ! Mais Lâche-moi… !
Tais-toi.
Qu’est-ce que tu fais ? Qu’est-ce
Tiens, c’est marrant, tu sais, ce type là, tu vois ? Je l’ai croisé l’autre fois, sur le boulevard.
Quel type ?
Le type, là, tu sais, celui qui
Ah ! ce type là oui.
Eh bien je l’ai croisé, l’autre jour, sur le boulevard de
Oh ! arrêtes, ne me parles pas de ce
Bah quoi ? Dis, qu’est-ce que… qu’est-ce qu’il
Arrêtes, non, je veux pas qu’on parle de ce type.
Mais quoi ? Qu’est-ce qui te prend ? Qu’est-ce qu’il a ce type ? Celui que je veux dire, tu te souviens, c’est bien celui dont on avait dit que
Oui, mais arrête je te dis ! Arrête ! Tu arrêtes et c’est tout ! Stop ! Il… Il a… enfin, je… Je veux pas en parler. Non.
Quoi ? Mais… Tu le connais ? On dirait que
Non, je le connais pas évidemment ! Tu crois quoi ? Enfin comme ça comme on en parle et qu’on peut dire que je le connais, que tu le connais. Seulement quand je l’ai vu, et après, comme on en a parlé, eh bien… Et puis là quand tu me le redis… Eh bien, ça me fait… Ah ! non, je supporterai pas plus longtemps, allez stop, on arrête là
Mais explique moi que je comprenne. C’est parce que quand tu revois son air
Non mais t’es bouché ou quoi ? J’ai dit NON ! On en parle PAS ! Stop, STOP ! Tu comprends là QUAND – JE – GUEULE ?
Eh ! Oh, mais… Qu’est-ce que
STOP !
Mais calme-toi… Calme-toi.
NON ! J’ai dis : ta – GUEULE !
CALME ! CA-LME ! Moi aussi je peux GUEULER ! CALME ! Tu TE CALMES ! Et tu délires complètement là. Explique-moi que je comprenne, c’est tout. Tu comprends ça ? Comprenne ? Comprends ? OH OH ? Comprendre ? Eh ! Oh ! Tu m’entends ?
Évidemment, je t’entends, mais TU LA FERMES. Chut. Terminé. Stop. Fini. Y’a rien à comprendre. Je le vois ce type, et là, tout de suite… c’est… c’est comme une claque. C’est… on dit que c’est physique hein ? Eh bien voilà. C’est physique j’y peux rien. Et là… là… je le revois, je le revois la dernière fois, je le revois de quand on en parlait la dernière fois, je le revois de là, à l’instant, et de maintenant quand on en parle… Et… là, maintenant, je… je peux pas. Voilà.
D’accord… D’accord. Mais… Qu’est-ce que tu veux dire par “là, maintenant.” ?
Ecoute. Si tu parles encore une fois de ce type je… Si tu tournes encore une fois autour du sujet… Je craque. Je… Je, tu vois là je parle pas très fort, je me suis calmé, je suis ex-trêmement calme mais encore un mot, un mot, rien qu’un et… Alors… Bon on arrête, c’est comme ça, j’y peux rien. Y’a des trucs comme ça. T’y peux rien, j’y peux rien, c’est là, et c’est tout.
Bon. Ok. Ok. Bon. Sinon… Bon. Ok. Et… t’as vu Émilie pour garder le chat ?
Emilie ? Ah… Non. J’ai pas vu Émilie. J’ai complètement oublié Émilie.
Bon. Qu’est-ce qu’il fout ?
20 h 04, déjà.
On va pas l’attendre comme ça, encore pendant
Ah… T’entends ?
C’est pas trop tôt. Oh ! Ici !
Salut les gars. Désolé pour le retard
Ouais c’est ça. Tu l’as ?
Ici. Alors, comment on fait ? On le met où ?
Je pensais le mettre ici, tu vois. Mais attend. Déjà, on va le sortir.
C’est lourd.
Tu t’attendais à quoi ?
Je savais pas… Je… je pensais pas.
Ici, allez, mettez-le là.
Ouf… Bon, alors comme on dit : on te remercie pas !
Ouais, j’comprends. Et puis… J’ai vu…, tu sais, l’autre, comment il s’appelle…
Oui, oui. On sait ça. On sait ça.
Eh ouais. On sait ça. Allez tire-toi. Salut.
Salut.
Salut.
Bon, voilà une bonne chose de faite
Ouais, au boulot.
J’ai jamais fait ça, tu sais ?
Tu vas t’y mettre ? On apprend vite, tu vas voir et ça vient tout seul. Ça vient tout seul. Et après, ça part plus jamais. Ça reste.
Je ne sais pas ce qui lui a pris. Changer comme ça… Si vite…
Oui, c’est comme si c’était venu dans le courant de la soirée. Comme un vampire ou un loup-garou tu sais !
Oh l’autre le film, non mais t’as raison.
Le soir, la nuit, des fois, c’est
Ouais ! Un truc de dingue comme ça… La soirée commence, normal, on est tous là, cool, comme d’habitude.
Et tout à coup, bon, y’a l’alcool aussi faut dire, parce que…
Oh, tu crois ? À son visage, à ses yeux, on aurait pas dit. Enfin, sauf quand…
Ouais, non mais après je dis pas, on pouvait penser… Enfin quand on l’a tous regardé, après ce qu’il a…
Ouais… Dur quand même. Ça pourrait arriver à nous aussi, je pense.
Non, arrête… C’est parce qu’on se voyait pas assez souvent, on l’a pas vu changer. C’est tout. Je pense que ça date de…
L’âge tu crois ? Quand même… Parce qu’à son
Oui, mais l’âge non… j’veux dire, c’est un truc… Tous les sept ans on a cycle, d’accord, j’ai lu ça dans un magazine l’autre jour, bref, donc bon… C’est pas tellement son âge… C’était un cycle plutôt peut-être.
Tu crois ? Ouais mais quand même, dans la soirée, c’était flagrant genre flash, déclic, rupture d’anévrisme, le truc qui claque là-haut… Je veux dire… Une heure avant même, t’aurais jamais pu imaginer ça ! Je suis sûr que c’est un truc, ça tourne dans le cerveau pendant des années, et un jour, clac !, ça te prend comme ça… Comme…
C’est clair. Non mais ça fait peur c’est tout. C’est… On peut rien faire quoi.
Et puis là c’est trop tard, on le sent.
Oh… Tu crois que… On ira voir comment les choses ont évolué, après tout…
Aller le voir ? Après ce qu’il a fait ?
Oui, quand même, on le connaît, on est ses
Non mais attends, moi c’est terminé je le
T’es dur… Sûr que ce sera pas facile… Faut essayer peut-être que
D’abord faut lui laisser du temps d’abord, si
Voilà, du temps. Faut lui laisser du temps.
Peut-être, oui, du temps.
Eh bien… Comment expliquer… On dit ça quand les choses sont, enfin deviennent, un peu…
Un peu comme quand ça change… De couleur, je veux dire, le ciel ?
Ouais… C’est un peu ça… C’est… hé ! hé ! Oui. Le ciel qui change de couleur… Ou alors… Comme l’âge, la peau change…
Et alors c’est seulement longtemps après qu’on se rappelle d’avant ? Quand on voit ce que c’est devenu ? Enfin, j’imagine sauf pour le ciel, c’est pas pareil… Enfin si, mais moins longtemps…
Moins longtemps après, oui, c’est ça. Enfin, on a détourné son attention, et puis…
Et puis on y revient. Et c’est… C’est pareil et c’est différent.
Voilà, sauf qu’on a pas vraiment détourné son regard, juste l’attention… Peut-être.
Peut-être.
Joachim Séné • Les mots nous manquent [1 de 4]
En vingt tableaux, cinq fois quatre.
Entre chaque tableau on intercalera si on le souhaite des scènes muettes dans lesquelles les corps nous manquent, le corps nous manque, son corps me manque, etc. ; mais aussi : les gestes nous manquent, les regards nous manquent, etc.
Pour résumer, on pourra montrer (ou manquer de montrer, bien sûr) : le non-dit nous manque, le manque nous manque, etc.
Et le petit ?
On lui dira rien.
Je veux dire, quand il sera grand ?
On lui dira rien.
S’il demande ?
On lui inventera une histoire.
Et s’il l’apprend ?
Il l’apprendra pas je te dis.
Si c’est comme ça, je pars.
Pars ! Tu vas aller où ?
Ça vous regarde pas.
Et tu reviens quand ?
Je sais pas.
T’as pas intérêt à revenir.
Ça veut dire quoi ?
Au petit, on lui dira que t’es mort.
Vous avez pas le droit de dire ça !
Eh ben si. Si tu pars, on lui dit que t’es mort.
Vous pouvez pas faire ça. Je reviendrai, il verra bien que je suis vivant.
Si tu reviens, c’est pas sûr que tu le restes.
Dis pas n’importe quoi. Je lui écrirai.
On brûlera les lettres.
Vous saurez pas que c’est moi.
On ouvrira tous ses courriers. De toute façon, personne lui écrira.
Je téléphonerai.
Il aura pas le droit de décrocher. Il aura pas intérêt.
Vous êtes dangereux.
Mais non ! On le protège ! Le danger, c’est toi ! Pourquoi tu veux tout lui raconter ? Il a pas à savoir !
Vous êtes fous, je préfère partir. N’importe comment, il le saura. Et je reviendrai si j’en ai envie.
Reviens pas.
Il en reste quoi ?
Pas grand chose.
Plus un bruit.
Bougera plus.
Il en reste quand même.
On reconnaît plus rien, alors ça va.
Et pour l’odeur ?
On aère. Ça devrait suffire, le temps qu’ils arrivent.
Ok. On s’en va ?
Allez, go.
On dira quoi ?
On dira quoi ? Qu’on était pas là, évidemment.
On va où alors ? Au pub ?
Mais non ! « Ils sont arrivés au pub à onze heures et quart M’sieur l’commissaire. »
Ah oui. On se planque.
C’est suspect.
Mais nous sommes suspects.
Non, on est coupables.
Dis pas ça ! C’est pas notre faute.
Oui mais… On était pas obligé.
On est toujours obligé.
Il est où ?
Chhh…
Dis-moi, allez. Il est où ?
Non, chhh…
Mais dis-moi ? Il est caché ? C’est ça ? Où ça ?
Je te dirais pas.
Mais pourquoi ?
Parce que.
Allez, s’il te plaît… Il est où ?
Arrête.
Dis-moi, tu l’as mis où ?
J’ai dis que je te dirai pas.
Tu vas me dire, de toute façon, alors
Mais non, je vais rien dire.
Dis-moi vers où.
Par-là.
C’est pas vrai.
Quoi, tu me crois pas ? Vas mourir.
Mais non ! C’est où ? Où ? C’est par où ?
Non.
S’il te plaît. Je veux le voir !
Non je te dis. Maintenant, tu arrêtes, tu te tais.
Mais… Allez… Est-ce que j’aurais le droit de le voir ?
Non. Jamais.
Plus jamais ?
Bien sûr que non.
S’il te plaît une dernière fois ?
Non, c’est fini. Viens.
En tout cas c’est très…
Dix ans de travail, que voulez-vous ?
Ah oui… C’est très…
Tous les jours un petit peu et voilà
C’est vraiment
J’ai tout fait moi-même, j’y ai passé dix ans.
Oui, c’est un beau travail.
Vous comprenez, tout ça…
Et dire que c’est à nous maintenant… Nous sommes très heureux
Non, vous ne comprenez pas. Dix ans, j’y ai passé dix ans.
Oui. Si, j’ai bien compris.
Dix ans, ça ne passe pas comme ça. Je voudrais
Vous voulez quoi ?
Eh bien, j’aimerais revenir, ou terminer, ou
Comment ça revenir ?
Oui, vous comprenez, ça ne passe pas. Je pensais, et puis ça reste.
Ça reste ?
Oui, je n’en ai pas fini. En fait je crois je vais le garder, enfin non, je veux dire, revenir et puis…
Je ne comprends pas, maintenant c’est terminé, il va falloir passer à
Non, non, ça ne passe pas, je croyais que ça passerait et puis ça ne passe pas.
Que pouvons-nous… Enfin, je veux dire, nous ne pouvons rien
Laissez-moi venir, encore un peu… Peut-être je pourrais terminer ça et
Non, non, maintenant c’est terminé, c’est comme ça.
Je vais revenir avec mes outils
Non, écoutez…
Ou alors vous payez, je ne sais pas moi
On ne paie pas !
…un droit de garde, quelque chose comme ça
Mais vous êtes pas bien !
…un loyer sinon je viens et je casse tout.
Bien sûr ! Et j’appelle les flics.
Non, vous pouvez pas faire ça, c’est à moi.
Oui mais non maintenant c’est à nous, c’est comme ça c’est écrit dans le
Non, non, non…
Allez, partez maintenant… Eh ! Me poussez pas !
Poussez-vous, laissez-moi casser ! Tout casser !
Arrêtez ! Vous êtes fou ! Et lâchez-moi. J’appelle la police.
Ce sera trop tard quand il viendront vous comprenez ? Vous comprenez rien ! Dix ans ! Je vous dis ! Dix ans !
Salaud mais arrêt… aïe !
Tout casser !
Arrêtez ! Non ! Aïe… mais !
Tout casser !
Je suis toujours pas convaincu.
Puisque j’te l’dis
Ouais, mais c’est du passé tout ça… J’veux dire, oui, c’est bon à savoir, c’est… c’est essentiel… Mais bon, aujourd’hui
Enfin, tu peux pas tirer un trait comme ça sur…
Attends, j’veux dire non, je tire pas un trait, mais l’passé peut pas être un argument à lui seul, il manque…
Si ça s’était pas passé, tu vivrais une vie… toute autre ! Une toute autre vie !
Mais non, et puis… et alors ? J’veux dire
Ah si ! Imagine si… je sais pas, enfin tu vois bien c’que veux dire
Mais c’est même pas là le problème. Je suis d’accord sur le fond, hein ? Sur c’qu’il faut faire. C’est l’essentiel, bon, on est d’accord là.
Ah ! Oui ! Ça oui !
Le reste bon, tu vois, qu’on soit pas d’accord sur le passé, bon, c’est des mots quoi, j’veux
L’Histoire mon gars ! L’Histoire montre que c’est bien là le problème ! C’est pas des mots ! C’est des mots les milliers de morts, les millions ? Hein ? Hein ?
Non ! Mais bien sûr que non ! Merde, c’est dingue ! J’ai jamais dis ça, enfin quoi, merde ! J’te comprends pas… Moi, tu sais, OK, je milite… Mais bon c’est comme, tiens, c’est comme si j’étais catho, eh ben, j’me connais : mes prières, c’est clair, je les f’rais jamais !
Tu serais athée quoiqu’il arrive, dis pas n’importe quoi ! Si tu fais pas tes prières en plus, bon ben t’es pas catho et puis c’est tout ! T’es athée. Point.
Donc tu penses qu’il faut croire, c’est ça ? Croire et suivre, hein ?
Il faut accepter c’est tout c’que j’dis, c’est historique, c’est des faits, voilà.
Mais j’peux penser ce que j’veux sur ce qu’il faut faire non ? Comme là, là-dessus on est d’accord, bon.
Ça oui. Ça oui, on est d’accord.
Mais tu peux pas tirer un
Mais je dis pas que j’oublie ou quoi… Je te dis que je suis, et toi aussi d’ailleurs, ici et maintenant… tout le monde est comme ça ! Et donc, je regarde à partir d’ici et maintenant ! À partir ! C’est pas parce qu’y a eu…
Mais si ! C’est parce que ! Si et si ! Sans tout ça, tu pourrais pas dire « ici et maintenant nanana » Enfin… C’est exactement pareil que si tu disais « là-bas et ailleurs à un autre instant ». Pareil !
Quoi ?
Dire « je regarde ici et maintenant tatata », sans tenir compte du passé, tu vois ? C’est comme de dire « là-bas, et à un autre instant » Tu vois ? Y’a quatre dimensions.
…Bon allez j’me casse.
Ah d’accord. OK. Bah, casse-toi. Si t’es plus là ici et maintenant, tu vas oublier tout c’qu’on vient d’dire. Pratique.
N’importe quoi. Tu comprends rien.
Toi non plus.
Bon allez. Salut.
Ouais. À mardi.
Ah oui, c’est vrai. Mardi. Bon, à mardi alors.
Salut.