Luc Garraud qu’on a déjà accueilli par le passé dans Hors-Sol propose aujourd’hui une longue série de textes brefs, qu’il appelle Herborisations, et dont voici, dans cette suite, neuf extraits.
On l’avait vu de loin au bord de la route, sa silhouette s’est précisée en s’approchant en voiture, faut dire que le temps était exécrable, pluie battante, brouillard à ne pas voir à 5 m, on a juste vu son pouce tendu, on s’est arrêté pour faire un peu de place à l’arrière, pour l’installer, tout trempé, chien mouillé, on était à côté de la maison, il s’est assis sans rien dire à la table de la cuisine, il s’est séché et réchauffé au pied du poêle qui tournait à plein régime, il a repris du poil assez vite après avoir englouti sa soupe qu’on lui a proposée, affamé, il était mort de fatigue, ses paupières se fermaient sans cesse, il a dormi comme un loir dans la chambre du haut, le matin ça allait mieux, on lui a donné des habits qu’on avait, une sorte de survêtement bleu qui lui allait très bien, il est resté quelques jours, allongé dans un transat sur l’herbe du jardin, ça a duré comme ça au moins trois mois, on a pas compté, il a aidé aux tâches, un peu de jardin, d’épluchage, il allait chercher le pain, il buvait son café au Sporting bar avec des gars du village, il s’est vite fait des copains, il y restait de plus en plus longtemps le matin, on avait le pain assez tard, de plus en plus tard, il aimait manger avec nous, sans rien dire des journées entières, on n’a jamais rien su de lui, sa langue, sa voix, son pays d’où il venait, s’il avait un pays, un lieu de départ, il est parti, enfin pas vraiment, il n’est pas revenu du pain, il a laissé les affaires qu’on lui avait données, sans rien, on ne sait pas ce qu’il est devenu, où il est allé, depuis chaque fois qu’il pleut, qu’il y a un brouillard épais, au bord de la route, on ralentit, pour voir si c’est pas lui.