Luc Garraud qu’on a déjà accueilli par le passé dans Hors-Sol propose aujourd’hui une longue série de textes brefs, qu’il appelle Herborisations, et dont voici, dans cette suite, neuf extraits.
Dans le talus et hop, direct rentré dans la haie, pas facile à attraper. Prendre un lièvre mort c’est mieux, de quatre livres, lui couper les oreilles, le même volume de pâte feuilletée en tranche épaisses pour l’empaqueter en entier, le barder comme le p’tit jésus, pareil au coq en pâte, ajouter des ingrédients venus d’ailleurs, du poivre de Zanzibar, des îles Moluques, du thym de Tain qui pousse sur le granite au goût d’Hermitage, remplir au ras des incisives, noyer ses yeux dans l’alcool avec du vin épais, rouge, pas frelaté, ni issu du résidu des communautés européennes, plutôt venant des excédents volés, dans la cave du voisin, du bien meilleur, du 14 minimum. Le monde de la cuisine est cruel pour les bêtes mortes, elles le sentent, même mortes. L’odeur royale est dans la pièce et dans toute la maison. C’est une recette facile à faire, cette préparation à préparer, mais pas facile à réussir, à refaire même. Quand on s’engage, qu’on le dit, qu’on a un lièvre, c’est pas tous les jours. Pendant des heures on peut dormir à côté sans vraiment surveiller la cuisson, sur un petit lit de fortune, enrobé dans les fumets d’herbes et d’épices, le jus gras qui ensuque.
C’est prêt quand la bête est confite, on la sort de sa cocote au four, bien lovée dans son chausson chaud, enfeuilletée. Bien ficelé de peur qu’il ne s’échappe, qu’il ne se carapate, que le lièvre mort se lève et d’un bon ridicule au bord de la route, traverse la nuit, sans ses oreilles.