Hors-Sol attaque la publication d’un texte reçu il y a quelques mois (via réseaux sociaux). L’auteur explore ici les moyens d’une révolution, qu’elle soit politique, écologique, littéraire, philosophique. Dense et ardu, ce texte expérimental est parfaitement stimulant.
A noter la participation de Frédéric Dupré qui vient « accompagner ces propositions de ses puissants dessins ». On le retrouve sur son blog Le Griffonneur.
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Les renversements sont coutumiers, il faut nous en prendre aux horizons.
Descendre dans les sous-sols du lieu qu’on occupe pour sentir au plus vif les tremblement des histoires qui s’y déposent comme autant de couches géologiques, de mutismes et de non-dits, d’inter’dits et de paroles, d’images refoulées, dans l’opacité qui oscille sous notre pas, dans la contre-plongée d’une radicale immanence, plutôt que du point de voir surplombant de l’angélisme rédempteur. Par de multiples canaux souterrains, vers une mystérieuse destinerrance, qui n’est pas l’avenir, bien sûr, notre futur bouché, mais un lieu qui secret, qui sécrète l’étrangeté. Des hétérotopies.
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Cet « hétéro », cet « autre », ne pourra ici être subsumé par sa prétendue « différence », réifiée et paresseuse. L’altérité supposée doit être construite, plus qu’affirmée ou simplement constatée, afin de l’ouvrir à l’extérieur et à l’inattendu, à la surprise et à la déroute, à l’égarement et à l’incongru… à l’aventure de la rencontre, finalement… en deçà de toute logique d’intégration, de classification ou spécification (Identité/Différence. Même/Autre etc.)
Ecart plutôt que différence, donc. Con-struction productrice, dynamique, mettant en tension : ne répondant pas à un besoin identitaire, relatif à une quelconque comparaison, mais ouvrant un espace fécond où peut se déployer un dérangement exploratoire .
Un dévisagement réciproque.
Plutôt qu’une distinction à partir d’un socle général, l’écart produit une relative diStance, faisant remonter à un embranchement qui fait partir de l’autre, au lieu d’un détachement.
Il faut de l’autre, donc à la fois de l’écart (non pas verticalement, vecteur d’inégalités, mais horizontalement: car seule la mise en tension fait saillir la vie) et de l’entre, pour promouvoir du commun. Car le commun n’est pas le semblable : il n’est pas le répétitif et l’uniforme, mais bien leur contraire. Elargissement des horizons et des perspectives entre lesquelles des vies originales pourront s’inventer.
L’écart brise le cadre imparti, soumis à l’enlisement certain, et se risque ailleurs. Il fait exister un ex- aventureux, il crie l’autre nom de l’existence qui vaut la joie d’être vécue.
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Un cri. Non plus tant considérer cette voix sous l’angle de la vérité, que selon ses effets de prises ou d’effets : son appel d’air pour de silencieuses transformations… sans arrière-monde.
Des plis contrespacés et contrespaçants, une entente hétérotopique.
Mouvement qui ne consiste pas à opposer des mondes clos entre eux, par une essentialisation de mauvais augure (chaque « monde » est rapport de force et creusé par l’hétérogène), mais fait travailler les pas de côtés, met en tension dans l’indéfini procès des choses, et enfante par ricochets, peu à peu, de fructueuses possibilités communes.
Un pli, une percée de détections qui opère à la rencontre des dehors multipliés.
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On dénoncera sans doute notre isolement d’un monde, ce qui serait catalogué comme réaction insulaire et solipsiste, immunitaire et égotiste.
Or, nous faisons exactement l’inverse : déchirer l’ontologie sous cellophane, pour faire place au « entre », le rendre abordable.
Il ne s’agit pas d’enfermement fixiste en hétérotopie, mais de construction d’un tracé, localisé et bancal, fertilisant le graphe commun, par la tension agonistique qu’il produit (et non par une ingénue « fécondation » réciproque). Laquelle différence de potentiel, active de l’entre : laisse passer, fait passer la dépropriation.
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Il nous faudrait une poétique dans laquelle l’éthos ou la « manière d’être », sa manière de vivre-avec, d’être-là-auprès, d’être au monde avec l’autrui, relève d’une puissante poeisis, d’un acte qui soit créateur de soi et de l’autre comme de la chose qu’elle vise. Ce dont il s’agit dans toute parabolè, ce n’est pas l’objet qu’elle dénote, mais la courbe qu’elle dessine.
Inventer ce contrespace dans la courbe du nous-tous comme nous-autre, pronom problématique où la troisième personne du pluriel, dénotant l’absent multiple – la pluralité des non-personnes disent les linguistes — se mute en première : co-présence nombreuse des uns et des autres, des uns comme autres.
Insoluble paradoxe d’une communauté des singularités dont toute temportalité collective dépend : une autre manière de per-sonner, de faire sonner la voix à travers les masques, d’inscrire le pluriel dans le singulier.
Loin d’un fantasme de la communauté « des autres », replonger ainsi les choses dans le bouillonnement de leurs qualités sensibles non encore formalisées en figures ou concepts, dans leur teneur pré-identitaire — préthétique ou antéprédicative, disent les phénoménologues, au ras du sol.
Nous ne sommes pas des étrangers, mais des « inconnues », au sens mathématique, la variable qu’on ignore dans l’équation à jamais insoluble entre le soi et l’autre.
L’autre se dépose dans des figures qui ne sont ni des Idées, ni des Valeurs (morale, axiologie), mais de fortes fabulations de la pensée et de la vie. Des fictions vraies, des existences. L’altérité dans le trajet révolutionnaire est ce que nous avons en commun.